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Bulletin N° 319 | Octobre 2011

 

TURQUIE : TREMBLEMENT DE TERRE MEURTRIER À VAN

Le climat de tension politique et de violence guerrière n’a fait qu’empirer au Kurdistan de Turquie alors qu’Ankara menace de faire d’intervenir ses troupes terrestres au Kurdistan d’Irak. Le parti pro-kurde du BDP a ainsi fait état, début octobre, d’un bilan politique judiciaire éloquent : 10 maires en exercice, 2 anciens maires, 2 présidents et 4 vice-présidents de conseils généraux provinciaux et 29 membres de conseils municipaux sont actuellement derrière les barreaux. Toujours d’après le BDP, entre le 14 avril 2009 et le 6 octobre 2011, 7748 cadres et membres du parti ont été en garde à vue, dont 1548 au cours des six derniers mois.

Sur le terrain militaire, loin d’avoir apaisé la situation, les récents bombardements turcs sur les bases du PKK n’ont pas diminué les attaques. Le 19 octobre, 24 soldats étaient tués et plusieurs autres blessés dans plusieurs assauts simultanés du PKK contre des postes militaires situés à la frontière, dans la province de Hakkari. Il s’agit du deuxième plus lourd bilan en pertes humaines au sein de l’armée turque, le premier ayant fait 33 victimes en 1993. L’opération annoncée comme « d’envergure » par l’armée, qui devait être autant terrestre qu’aérienne, a eu lieu principalement en territoire turc plus « quelques points en Irak », selon un communiqué officiel du 21 octobre. 22 bataillons étaient engagés dans les opérations. Bien que le nombre de soldats au total n’ait pas été révélé par l’état-major, la presse turque donnait un chiffre de 10 000 hommes.

Mais le 23 octobre, « l’actualité kurde » en Turquie était entièrement marquée par un tremblement de terre d’une magnitude de 7,2 qui a frappé la ville de Van et des bourgades avoisinantes, dont Ercis, la plus durement touchée. En plus des victimes, évaluées à environ 600, le tremblement de terre a jeté des milliers de famille à la rue, dont les maisons ont été détruites ou qui craignent d’y retourner en raison des fortes répliques. Dans un premier temps, le gouvernement turc a refusé l’aide internationale spontanée offerte par de nombreux pays, dont Israël, pourtant en froid avec la Turquie, avant de demander des mobile-home, les tentes turques parvenant aux sinistrés s’avérant en nombre très insuffisant.

Mais la colère des sinistrés devant le manque de tentes et de nourriture n’a fait que croître. Ainsi, à Ercis, une ville de 75 000 habitants qui a recensé plus de 360 morts, la population se plaint de discriminations dans les aides fournies par le Croissant Rouge : les familles des élus locaux (AKP), des militaires et des fonctionnaires de police, voire des tribus proches du pouvoir auraient été favorisées dans la distribution des tentes et des secours, tandis que les policiers semblaient parfois débordés. Les sauveteurs, menant une course contre la montre, ont réussi à dégager des survivants deux jours après le séisme, dont un bébé de deux semaines.

Selon Mustafa Gedik, qui dirige l'Institut sismologique de Kandilli à Istanbul, un séisme de 7, 2 sur l’échelle Richter, dans une région dont la plupart des constructions n’offrent aucune sécurité contre les tremblements de terre, peut causer entre 500 et 1000 morts. Par chance, la catastrophe est survenue un dimanche, alors que beaucoup de familles se trouvaient à l’extérieur et que les internats des écoles étaient vides. Des répliques puissantes, dont une de 5, 4 le 26 octobre, entretiennent un climat de panique.

Interviewé par le site de l’Observatoire de la vie Politique turque (OVIPOT), Çağlar Akgüngör, docteur en science politique, qui a soutenu à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, en 2007 une thèse intitulée «La Turquie à l’épreuve des séismes de 1999, une analyse sociopolitique à travers les discours médiatiques post-catastrophes et qui a participé à plusieurs opérations de recherche et de sauvetage, donne son analyse de ce qui est le séisme le plus grave (avec celui de Bingöl en 2003) depuis celui des 17 août et 2 novembre 1999, survenus respectivement à Izmit et Düzce dans la région de Marmara. S’il observe une meilleure préparation de l’État devant ce type de catastrophe, depuis 1999, une augmentation des effectifs de sauvetage, Çağlar Akgüngör indique qu’il y a, pour le moment, un certain flou dans l’évaluation du fonctionnement de ces équipes, en termes de formation, matériel et fonctionnement.

Sur les reproches faits au gouvernement, au sujet de l‘inefficacité des premières interventions de secours, le chercheur nuance les critiques : « Je crois qu’on ne peut jamais être “très efficace” lors des premières 24 heures suivant une catastrophe. Quand on est sur place, on se trouve isolé avec ses propres moyens, dont une partie considérable est détruite ou bloquée, pour différentes raisons. Il en est de même pour les personnels qui sont originaires de la zone où a eu lieu le séisme, car ils sont d’abord préoccupés par le sort de leur famille, ce qui est normal. Pour ce qui est de l’aide qui vient de l’extérieur de la zone de la catastrophe, c’est comme une force armée. Interviennent des mécanismes administratifs dont le lancement prend du temps. Mais une fois que “l’opération” est en marche, elle avance. Même les équipes de sauvetage volontaires qu’on considère comme plus flexibles ont mis entre 4 et 12 heures pour arriver sur la zone (la norme standard des Nations Unis est au maximum de 36 heures). »

Quant aux scènes de « pillages » de camions et de tentes par les populations démunies, elles ne sont pas très différentes de ce qui s’est passé en 1999, ou bien dans d’autres pays, hormis au Japon qui bénéficie d’une culture de l’État très différente. Sur la question de savoir si le refus préalable de l’aide étrangère était ou non une erreur, il faut distinguer les motifs politiques et ceux ayant trait à la logistique : « Il ne faut pas oublier que, dans les relations internationales, l’acceptation d’une aide, qui provient de l’étranger, peut-être politiquement considérée comme un aveu de faiblesse (…) En fait, si l’aide étrangère a été finalement acceptée, c’est probablement pour des raisons d’ordre diplomatique : garder de bonnes relations avec les Etats qui l’avaient proposée. Je note par ailleurs que lors des catastrophes et des situations d’urgence, les problèmes de l’acceptation et de l’efficacité de l’aide extérieure se sont souvent posés. Gérer l’aide internationale est une entreprise qui nécessite la coordination d’un grand nombre d’organisations sur le plan diplomatique, ce qui n’est pas toujours simple et faisable rapidement pour être efficace. Un exemple marginal mais surprenant est celui des Etats-Unis, la première puissance du monde, lors de l’ouragan Katrina en 2005. Ils ont été littéralement incapables de gérer l’aide internationale, ce qui a provoqué un scandale lorsque les Etats, qui avaient commencé à le faire, ont renoncé à envoyer de l’aide, alors même que les citoyens de Louisiane en avaient besoin. »

Quant au problème, récurrent en Turquie, de la non-conformité des nouvelles constructions aux normes antisismiques, une législation plus dure ne changerait pas grand-chose. Sur le papier, la Turquie a déjà adopté une réglementation conforme aux standards internationaux. Le problème est son application sur le terrain, où la corruption, les passe-droits et les constructions sauvages prédominent. Au total, le tremblement de terre a fait 601 morts, 2 300 blessés et a laissé 153 enfants orphelins.

SYRIE : ASSASSINAT DE MASHAAL TAMMO

Mashaal Tammo, homme politique kurde de Syrie et porte-parole du Mouvement du futur, a été assassiné le 7 octobre, à son domicile, dans la ville de Qamishlo. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme, « Quatre hommes armés et masqués se sont introduits dans la maison de Mashaal Tammo et ont ouvert le feu sur lui, son fils et une collègue », ces deux derniers n'étant que blessés. À Qamishlo, des milliers de manifestants ont défilé dès que la nouvelle s’est sue et sont restés rassemblés toute la nuit devant l'hôpital de la ville, où la dépouille de l’opposant a été transportée et où son fils et sa secrétaire ont été également soignés.

Âgé de 53 ans, Mashaal Tammo était un opposant kurde de longue date, libéré de prison en juin dernier, après 3 ans et demi de détention. Contrairement à d'autres partis kurdes, il avait choisi de rallier son parti au Conseil national syrien, créé en août dernier à Istanbul, qui regroupe la majeure partie des opposants politiques au régime.

L’assassinat a été immédiatement condamné par le gouvernement des Etats-Unis, qui a dénoncé une « escalade », de la part du Baath, dans sa répression contre ses opposants. La France a, de même, condamné la « violence brutale » du régime syrien.

Mis en cause, la Syrie a nié toute implication dans ce meurtre, accusant des « tribus » et des groupes politiques rivaux kurdes, mais dès le 9 octobre, les Forces de Jérusalem (Al-Qods), une unité spéciale de 200 Gardiens de la révolution islamique iraniens, dépêchée en Syrie pour soutenir le régime, a revendiqué l’acte. Ces mêmes Gardiens de la révolution, clamant des slogans pro-Hezbollah, ont ouvert le feu sur la foule, grosse de 50 000 manifestants, venue assister aux funérailles de Mashaal Tammo, selon des témoins ayant assisté aux représailles.

Dans une interview accordée au journal Rudaw, le chercheur Jordi Tejel, professeur à l'Institut des Hautes-Études internationales et du Développement, spécialiste des mouvements kurdes de Syrie, auxquels il a consacré deux ouvrages, "Le Mouvement kurde de Syrie en exil. Continuité et discontinuité du nationalisme kurde sous le mandat français en Syrie et au Liban (1925-1946)", (Peter Lang, 2007) et "Syria's Kurds. History, Politics and Society" (Routledge, 2009), estime que les conséquences de l’assassinat pourraient être un ralliement plus franc des partis kurdes au mouvement de révolte syrien. « N'oublions pas qu'il y a, actuellement, trois blocs au sein du mouvement kurde et ils n'ont pas une stratégie claire concernant le régime. Certains, ne croyant pas à une chute de ce régime, préféraient de toute évidence négocier et en obtenir des concessions ; maintenant, ce meurtre peut obliger les forces des partis kurdes à avoir une position plus agressive. »

Mashaal Tammo était, de tous les leaders kurdes syriens, un des plus décidés à rejoindre l’opposition syrienne, et s’était récemment mis à l’écart du Front kurde dont la position vis-à-vis du régime lui semblait trop hésitante. Il était, au contraire, beaucoup plus proche des mouvements de jeunesse kurdes, impliqués, eux, sans réserve, dans les manifestations de rue. « De mon point de vue, poursuit Jordi Tejel, la véritable menace d'éclatement vient de la fracture entre les jeunes et, disons, les vieux partis kurdes traditionnels, et je vais vous donner un exemple : Depuis septembre, deux groupes ont émergé et ce sont deux groupes armés. Ils ont annoncé sur Internet qu'à présent ils allaient combattre le régime. Il y a donc deux groupes armés qui veulent passer à l'action contre le régime. Et, par exemple, dans la principale ville de la région, il y a trois comités locaux composés principalement de jeunes gens, qui collaborent avec l'opposition syrienne, et ils critiquent les autres partis kurdes, parce qu'ils ne partagent pas leur point de vue, parce qu'ils n'ont pas de stratégie claire contre le régime. Je pense qu'il y a un danger pour les partis kurdes de de scinder entre jeunes et vieilles élites. »

Quant à la « modération » du PKK et de sa branche syrienne, voire même de ses tentatives de contenir le mouvement kurde, il faut y voir une stratégie de repli en Syrie, alors que les bases du PJAK sont mises à mal par les attaques iraniennes au Kurdistan d’Irak et que le PKK est menacé d’être pris en tenaille entre l’Iran et la Turquie.

KURDISTAN D’IRAK: UNE QUERELLE DES DRAPEAUX ENFLAMME KHANAQIN

Un arrêté gouvernemental irakien interdisant la présence du drapeau kurde sur les bâtiments officiels de la ville de Khanaqin enflamme les esprits et envenime les conflits autour du devenir de ces régions disputés entre le gouvernement central et la Région du Kurdistan. Le 16 octobre, environ 700 manifestants kurdes ont défilé du centre ville jusqu’au siège des autorités irakiennes, brandissant des drapeaux kurdes et criant « Vive le Kurdistan ! », « Khanaqin est kurde ! ». Quant à la municipalité de la ville, elle a tout bonnement refusé d’appliquer l’arrêt signé par le Premier ministre Nouri Maliki, dont elle a eu connaissance le 11 octobre, bannissant tout drapeau kurde sur les bâtiments officiels, alors que jusqu’ici, les deux drapeaux, celui du Kurdistan et celui de l’Irak, se côtoyaient.

Khanaqin a reçu le soutien immédiat du Gouvernement régional kurde. Le 15 septembre, le président du parlement du Kurdistan, Kamal Kirkouki, a ainsi déclaré « inacceptable de violer le caractère sacré du drapeau kurde ». Sur place, les autorités municipales ont averti Bagdad que le retrait du drapeau kurde des édifices gouvernementaux serait perçu comme une « provocation » par la population et risquait de déclencher une agitation politique à Khanaquin.

« L’affaire du drapeau » pourrait même s’étendre au-delà des frontières irakiennes puisque le Bureau des Affaires religieuses du Kurdistan a même annoncé, dans un entretien accordé au journal Aswat Al-Iraq, qu’un groupe de 1500 pèlerins kurdes avait l’intention, lors du Hajj prochain, de hisser le drapeau du Kurdistan sur le mont Arafat de La Mecque, en signe de protestation contre le gouvernement irakien.

Le 22 septembre dernier, le président de la Région du Kurdistan, Massoud Barzani, s’était rendu à Khanaqin en insistant sur son appartenance légitime au territoire kurde, alors que des unités de peshmergas y avaient été envoyés pour protéger les Kurdes de la province de la Diyala des terroristes. Cette visite avait été désapprouvée par les nationalistes arabes, hostiles au référendum prévu par l’article 140 de la constitution irakienne qui permettrait à la population vivant en dehors du GRK d’y être rattachée si elle le souhaite. 175 000 Kurdes, chiites pour la plupart, vivent dans la province de la Diyala, où ils ont longtemps souffert, sous le régime du Baath, des persécutions, à la fois en tant que Kurdes et en tant que chiites, et des campagnes d’arabisation et de déportations. En 2006, les autorités locales de Khanaqin avaient déjà réclamé le retour de la ville dans le territoire officiel du Kurdistan d’Irak.

Cette querelle autour du drapeau kurde n’est donc qu’une étape dans la série d’escarmouches et de conflit plus ou moins larvé que se livrent Bagdad et Erbil pour les territoires de Kirkouk et de Diyala, dont les intérêts stratégiques sont aussi importants que leurs enjeux pétroliers.

Mais les relations entre les partis politiques irakiens et les Kurdes peuvent être complexes et les positions les plus surprenantes sont parfois exprimées dans la bouche de politiciens se définissant eux-mêmes comme nationalistes arabes. Ainsi, Hassan Alawi, écrivain et un député du Parlement irakien de la liste Iraqiyya, soutient ouvertement l’indépendance kurde.

Al-Iraqiyya, la deuxième force politique du pays après celle de Nouri Al-Maliki, est une coalition de sunnites et de chiites « laïcs », plutôt considérés comme pro-arabes et donc peu enclins à soutenir les aspirations indépendantistes des Kurdes, comme en témoignent les relations très peu cordiales des élus de l'Alliance kurde et de ceux d'Al-Iraqiyya dans les régions mixtes de Ninive et Mossoul. Mais le nº 2 de cette liste n'hésite pas, dans ses vœux d'avenir, à céder Kirkouk aux Kurdes et à souhaiter même une indépendance kurde, pour le bien d'un État irakien qui pourrait alors redevenir centralisé.

Vétéran de la politique irakienne et un des fondateurs du Baath irakien, Hassan Allawi ne croit pas en un retour possible de la dictature en Irak, contrairement à ce qu’affirment les adversaires de Nouri Maliki : « Saddam était le produit d'une période historique spécifique qui est maintenant révolue. En termes de personnalité, la dictature n'est pas un vêtement que tout le monde peut endosser. La dictature nécessite du charisme et de la force. Un dictateur ne doit pas avoir de failles dans sa personnalité et ne doit pas être hésitant. C'est quelqu'un qui s'isole de son entourage. Les dictateurs n'ont pas de sectes. Ils ont leur propre idéologie et agissent en fonction d'elle. C'est pourquoi il est très difficile de trouver un dictateur qui est un agent d'autres personnes, parce que les dictateurs ne travaillent pas pour le compte des autres. Ils peuvent nouer des alliances avec de grandes puissances mais ils ne deviennent jamais des agents parce que, en fin de compte, ils travaillent pour leurs propres intérêts. Il est difficile de trouver ces traits chez Maliki. Maliki n'est pas ce genre de personnalité et l'époque est différente de celle de Saddam. Nous sur-schématisons la politique en déclarant qu'une nouvelle dictature voit le jour en Irak. Les dictatures émergent dans des États centralisés. »

Interrogé par le journal Rudaw sur le retour possible de l’Irak à un système étatique centralisé, Hassan Allawi s’y déclare favorable, mais indique que cela ne pourra jamais se faire en Irak, tant que subsistera une « question kurde » : « Le seul moyen pour l'Irak de redevenir un État centralisé est que le Kurdistan proclame son indépendance. Je suis un nationaliste arabe très fervent et j'appelle à un Kurdistan indépendant tout en souhaitant un État arabe centralisé. Ce qui a empêché jusqu'ici l'Irak de redevenir un État centralisé fort est la Région du Kurdistan. Le Kurdistan doit émerger avant que l'Irak ne devienne un État centralisé. Le Kurdistan n'a aucun lien de quelque sorte – peuple ou terre – avec l'Irak et n'a jamais fait partie de l'Irak. Ce n'est une partie de l'Irak que sur les cartes politiques et non géographiques. Le Kurdistan ne fait pas partie de l'espace géographique arabe. »

IRAN : UN MILITANT KURDE EXÉCUTÉ, 18 AUTRES DANS LES COULOIRS DE LA MORT

Le 4 octobre, un prisonnier kurde, Aziz Khakzad, a été secrètement exécuté dans la prison de Kerman. Sa première condamnation avait pourtant été réduite à 5 ans d’emprisonnement et ni son avocat, ni sa famille n’ont été informés de sa pendaison. Aziz Khakzad était âgé de 29 ans. Arrêté en 2007, il avait été condamné à mort par le tribunal révolutionnaire de Khoy, pour « assistance à un parti kurde » et en tant « qu’ennemi de Dieu », un « crime » qui, s’il est reconnu par la cour, est automatiquement passible de la peine capitale. Mais jugé en appel, il avait été finalement condamné à 5 ans de prison et envoyé de Selmas à la prison de Kerman, où son exécution a donc eu lieu en toute illégalité.

Le 22 octobre, Amnesty International a lancé, de son siège de Londres, un appel en faveur de deux autres Kurdes d’Iran, Loghman Moradi et Zaniar Moradi, dont la condamnation à mort, conformée par la Cour suprême, avait été prononcée le 22 décembre 2010 par la 15ème chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran. Ils ont été reconnus « ennemis de Dieu » par la justice iranienne, convaincus d’appartenance au parti kurde Komala et du meurtre du fils d’un mollah de Merivan. Leur premier jugement n’a duré que 20 minutes et les deux accusés avaient fait appel. Le 12 octobre 2011, la cour suprême de Téhéran a confirmé les sentences. Zaniar et Loghman Moradi ont été respectivement arrêtés le 17 août et le 17 octobre 2009. Durant leurs 9 premiers mois de détention dans les locaux du ministère du Renseignement, aucune accusation de meurtre ne leur a été signifiée. En décembre 2010, ils ont été transférés dans la prison de Karaj au nord-ouest de Téhéran. C’est là qu’ils ont rédigé tous deux une lettre dans laquelle ils faisaient état de tortures et de menaces de sévices sexuels, dans les prisons des services secrets, durant 25 jours, pour les obliger à avouer un meurtre qu’ils niaient. Aucun des deux hommes n’a eu accès aux soins médicaux qu’ils réclamaient. Amnesty réclame un procès équitable pour les deux condamnés en rappelant que l’un d’eux n’avait que 17 ans au moment de son arrestation.

Enfin, Human Rights Watch a publié une lettre d’un autre Kurde, Jamal Rahmani, un militant pour les droits de l’homme, arrêté en 2008. Dans cette lettre, Jamal Rahmani explique que ses aveux lui ont été extorqués sous la menace, notamment celle d’exécuter son frère s’il n’avouait pas.

Âgé de 29 ans, Jamal Rahmani a adhéré en 2006 à une association locale de défense des droits de l’homme et en 2007 à l’association Human Rights Activists Iran (HRAI). Le 14 juin 2008, des agents en civil ont fait irruption dans sa chambre d’étudiant à Shahreza, dans la province d’Ispahan. Sans aucun mandat, ils l’ont arrêté ainsi que son co-locataire, et emmené au centre de détention des services de renseignements de la ville. Jamal Rahmani indique être resté 24 heures de suite menoté et attaché à une chaise, avant d’être transféré à la prison Dastgerd d’Ispahan.

« Il y avait 3 étages dans cette prison. Le 1er étage abritait les prisonniers ordinaires tandis que le 2ème était dévolu aux prisonniers politiques. Au 3ème étage étaient détenus les prisonniers appartenant à Al-Qaeda. Durant les premiers jours de ma détention, j’ai subi beaucoup de violences et les accusations d’être un terroriste et un contre-révolutionnaire. Une nuit, un garde est entré dans ma cellule, m’a bandé les yeux sous la contrainte et m’a emmené dans les sous-sols de la prison, où j’ai été immédiatement violenté et battu, et ce dans tous les interrogatoires qui ont suivi. Après quelques jours, mon co-locataire et moi avons été transférés à Sanandaj (province du Kurdistan). Nous avons été enfermés dans une petite cellule qui manquaient de toutes les installations sanitaires. Nous étions obligés de frapper à la porte pour cela, et quelquefois nous devions attendre des heures que le gardien ouvre la porte et nous permettent d’utiliser les sanitaires, ce qu’ils ne faisaient pas des nuits entières, et rarement quand les gardiens étaient en vacances. La nourriture était rare et détestable, et j’ai souvent dormi l’estomac vide. Il y avait une lumière qui éclairait continuellement la cellule, et le matin les gardes nous réveillaient bruyamment. J’ai été interrogé sans relâche. Ils ont menacé de pendre mon frère Karim si je n’avouais pas. À l’époque, Karim était un activiste étudiant, emprisonné à la prison de Kermanshah. Ils ont ensuite arrêté la fille que j’aimais et ont menacé de la maltraiter si je ne coopérais pas avec eux. Au début, je ne croyais pas à ces menaces, mais mes interrogateurs m’ont donné des renseignements très spécifiques sur cette fille pour me prouver qu’ils l’avaient arrêtée et avaient les moyens de lui nuire. J’ai incroyablement souffert, durant cette période où ils menaçaient ma famille et ceux que j’aimais pour m’obliger à avouer. »

Par ailleurs, 18 autres prisonniers politiques kurdes sont toujours en instance d’exécution, dans les « couloirs de la mort ». Depuis 2007, le nombre des militants kurdes exécutés pour appartenance à des organisations interdites s’élève à 10 personnes. Avant la mort d’Aziz Khakzade, les dernières pendaisons remontent à janvier 2011, avec l’exécution de Ferhad Tarim, le 27 janvier 2011, dans la prison d’Ourmieh, et celle de Hussein Khizri, qui a eu lieu secrètement le 5 janvier et ne fut annoncée que le 15 du même mois. Tous deux étaient condamnés à mort pour appartenance au Parti démocratique du Kurdistan (PDKI). 7 autres prisonniers ont été condamnés, eux, pour appartenance au PJAK, entre 2007 et 2010. Tous ont dénoncé l’usage intense de la torture pour obtenir leurs aveux.

CULTURE : « MEM Û ZÎN » MONTÉ EN BALLET À TORONTO

Le 2 octobre à Toronto, avait lieu la première du ballet « Mem et Zîn », monté par Fethi Karakecili.

Fethi Karakecili est directeur artistique, danseur, chorégraphe et enseignant. Né à Urfa, au Kurdistan de Turquie, il a obtenu sa licence en danses folkloriques au Conservatoire national de Turquie et son master de danse à l’université technique d’Istanbul. Après avoir enseigné 7 années durant en Turquie, à Gaziantep et Istanbul, il est parti compléter son cursus universitaire au Canada, à l’université de York où il est actuellement doctorant en ethnomusicologie tout en y enseignant au département de Danse, musique et cultures. Fethi Karakecili prépare une thèse sur les danses, musiques et rituels de mariage kurdes, que ce soit au Kurdistan ou dans la diaspora. Il est aussi fondateur de la Dilan Dance Company et a monté, ce mois-ci, le ballet de « Mem et Zîn ».

Interrogé sur ce choix par le journal kurdo-canadien « Kurdistan Tribune », le chorégraphe indique que durant toute son enfance il a été bercé par les épopées et contes kurdes et se souvient d’avoir entendu l’histoire de Mem et Zîn pour la première fois, à l’âge de 7 ans, de la bouche d’une conteuse kurde illettrée, originaire de la région d’Urfa. Par la suite, son intérêt pour le folklore kurde n’a fait que grandir, mais en raison de l’oppression et du négationnisme qui pesaient sur les Kurdes, il a dû lire en cachette le livre d’Ahmedê Khanî, que l’on faisait circuler clandestinement. C’est à cette époque que le danseur s’est promis de monter ce grand roman sur scène.

Fethi Karakecili se dit lui-même surpris de l’intérêt qu’a suscité son spectacle, dans les milieux non kurdes, la presse internationale et les milieux académiques artistiques : « Nous avons eu un excellent retour de la part du public et des media. J’ai été interviewé par le Telegraph (RU), Radikal (Turquie), Toronto Star (Canada), ANF (Kurdes d’Europe) et plus de 10 journaux locaux en Turquie. Ainsi, la plupart de nos billets ont été vendus à une communauté multiculturelle (pas seulement kurde). »

Le ballet « Mem et Zîn » inclue trois sortes de répertoire, folklorique, contemporain et classique, avec des danseurs issus de disciplines diverses. La musique est jouée par des musiciens venus de plusieurs parties du monde : « Que ce soit pour la musique ou la danse, je me suis attaché à inclure des artistes d’horizon et de « couleurs » variés. Vous pouvez y voir des touches stylistiques issues d’autres danses (est-indienne, Capoeira, danses afro) dans chacun des danseurs. »