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avec revues de presse

Bulletin N° 284 | Novembre 2008

 

NINIVE : DES MINORITES RELIGIEUSES RECLAMENT LEUR RATTACHEMENT AU KURDISTAN D’IRAK

Le 4 novembre, les députés irakiens ont finalement décidé de réserver six sièges aux groupes minoritaires dans les Conseils provinciaux, revenant sur l’abrogation de l’article 50 qui garantissait cette représentation. Sur les 150 députés présents, 106 ont donc approuvé les nouvelles dispositions donnant trois sièges aux chrétiens et trois autres à répartir entre différents groupes religieux. Les chrétiens obtiennent ainsi un siège à Bagdad, un à Ninive et un autre à Basra, sur un total de 440 sièges pour tous les conseils provinciaux du pays. Un siège revient aux Yézidis pour Ninive, un autre aux Sabéens à Bagdad.

Les modifications de la loi électorale n’ont cependant pas apaisé le mécontentement des chrétiens, qui rappellent que l’envoyé spécial de l’ONU en Irak recommandait d’accorder douze sièges pour les minorités du pays. Dès le lendemain de l’adoption de la loi, le 5 novembre, Shlemon Warduni, le vicaire du patriarche chaldéen de Bagdad, jugeait que cette disposition ne prenait pas réellement en compte « les droits des chrétiens d’Irak » et n’allait pas contre la « marginalisation de la communauté chrétienne » : « Le gouvernement avait promis qu’il réintroduirait l’article 50 dans la loi électorale, lequel donnait quinze sièges aux minorités, dont treize pour les chrétiens. » Pour monseigneur Warduni, cette loi n’aura pour effet que de renouveler, sans changement, la composition actuelle des Conseils provinciaux, sans que les minorités ne se voient davantage protégées ni même représentées. Il dénonce aussi l’inertie ou l’indifférence des Nations Unies et de la communauté internationale.

Cela n’a pas empêché la loi d’être ratifiée par le Conseil de présidence, composé du président de l’Irak, le Kurde Jalal Talabani et de ses deux adjoints arabes, Tariq al Hachemi, un sunnite, et Adel Abdul Madhi, un chiite. Ce même conseil avait une première fois refusé de signer le projet voté par l’assemblée nationale irakienne en juillet dernier, jugeant certaines de ses dispositions « anticonstitutionnelles ». Les tensions interethniques et religieuses, si elles sont subies et non souhaitées par la plupart des habitants de Mossoul, sont attisées par des groupes politiques ou religieux qui agissent à peu près librement, devant un gouvernement central indifférent comme accusent plusieurs groupes persécutés.

Mais la tenue des futures élections prévues pour début 2009 peut être aussi à l’origine des regains de violences et d’intimidations contre les minorités. Le 2 novembre, une radio nouvellement lancée à Mossoul a été fermée par les autorités locales pour avoir incité à la « sédition » et avoir « attisé les tensions » entre les Kurdes et les Arabes de la ville, comme le rapporte Ismaïl Goran, un Kurde siégeant au Conseil provincial. Il est intéressant de relever que cette radio est liée au député arabe sunnite Osama al-Nudjaïfi, qui avait, dès septembre dernier, lancé de virulentes et peu vérifiables accusations contre les Kurdes, en les accusant d’être à l’origine des meurtres de chrétiens, ce que ces derniers ont toujours nié, ainsi que le Gouvernement kurde. Le député irakien n’a donc pas manqué de dénoncer la fermeture de la station comme une « mesure pour imposer silence aux voix patriotiques et pour contenter les officiels kurdes qui veulent se débarrasser de tout rival dans les élections provinciales à venir. » Selon Al-Nudjaïfi, la radio devait en effet relayer la campagne électorale d’un groupe politique sunnite arabe, qui avait pour but de s’opposer aux Kurdes dans les circonscriptions de Mossoul. Actuellement, les conseils provinciaux de Ninive, dont celui de Mossoul, comportent une majorité de Kurdes, en raison du boycott des arabes sunnites lors des élections de 2005. Ils sont politiquement alliés aux chrétiens et aux autres minorités de la région, ce qui rend donc très improbable, comme l’avait souligné le Premier ministre kurde Nêçirvan Barzani, les allégations d’une certaine presse arabe au sujet des menées anti-chrétiennes des Kurdes de Mossoul. Par contre, une épuration religieuse à Ninive peut affaiblir la coalition des partis kurdes et chrétiens au profit des groupes politiques arabes sunnites les plus radicaux œuvrant dans la région. Ainsi, les sunnites s’opposent vigoureusement à la demande des Kurdes qui réclament un quota de représentation dans les conseils pour les minorités de Ninive. Car l’alliance politique probable des chrétiens (et des autres groupes religieux) avec les Kurdes ne peut qu’inquiéter tous les partis politiques hostiles au fédéralisme. Il en va de même de l’actuel Premier ministre, Nouri Al-Maliki, qui tente depuis six mois de renforcer son pouvoir personnel au sein du pays et appelle ouvertement à un Etat fédéral fort, ce que les Kurdes traduisent par une volonté de recentralisation, vieux démon de la politique irakienne depuis la fondation de l’Etat.

La crainte du gouvernement central d’une alliance entre les Kurdes et les minorités peut se trouver confirmée par les voix de plus en plus nombreuses, au sein de ces mêmes minorités, qui réclament leur rattachement à la Région du Kurdistan. Les Shabaks sont une secte religieuse dont les croyances ne sont pas très éloignées des Alévis, et dont la langue, proche du kurde, comporte de nombreux emprunts au turc, au persan et à l’arabe. Si, au cours de l’histoire, leurs rapports ne furent pas sans tensions avec les musulmans, qu’ils soient kurdes ou arabes, les récentes persécutions dont ils font l’objet, ainsi que les Yézidis et les chrétiens de Mossoul, les incitent à opter pour la « kurdicité ». Ils ont ainsi manifesté le 2 novembre dans les rues de Ninive, pour leur réintégration au sein du Gouvernement régional du Kuridstan : « Aujourd’hui, des centaines de Shabaks ont organisé une manifestation pacifique appelant à leur intégration dans la Région du Kurdistan, pour le motif qu’ils sont Kurdes et non Arabes » a déclaré, sur la radio nationale irakienne, le chef du district de Bashiqa à Ninive, Thanoun Younis. Il en va de même des Kurdes yézidis, résolus à ne plus dépendre de Bagdad, même si au cours des siècles précédents, les rapports avec leurs compatriotes musulmans étaient plutôt distants. « Nous espérons que la terre sur laquelle nous vivons actuellement rejoindra la Région kurde », a déclaré leur leader et représentant, le prince Tahsin Beg à l’Associated Press. « Cela dépendra du référendum, mais nos terres doivent retourner dans leur patrie originelle. »

 

TURQUIE : DURCISSEMENT DE L’AKP SUR LA QUESTION KURDE

Alors que le gouvernement de l’AKP, et l’armée turque semblent s’être entendus pour entamer un processus de reconnaissance du Gouvernement kurde d’Erbil, les positions d’Ankara concernant la question kurde en Turquie semblent se durcir, tant dans l’attitude du Premier ministre que dans une série de faits et de décisions judiciaires qui ne vont pas dans le sens de l’apaisement.

La récente visite de Rcep Tayyip Erdigan à Diyarbakir, contraste ainsi singulièrement avec la tournée qu’il avait effectuée au Kurdistan de Turquie en 2005 où dans cette même ville de Diyarbakir, il avait brisé un tabou en reconnaissant l’existence d’une « question kurde » en Turquie. Cette fois-ci, la teneur de ses propos était d’une stricte orthodoxie kémaliste, résumée ainsi par le chef de gouvernement : « Qu’avons-nous à dire ? Ce que nous avons à dire c’est : une nation, un drapeau, une patrie et un Etat. » Et d’ajouter que ceux qui ne souscrivait pas à ce principe n’avaient qu’à quitter le pays, ce qui est la reprise, quasiment à l’identique, du slogan des Loups gris ultranationalistes : « Ya sev, ya terket ».

La réaction des habitants de Diyarbakir, même parmi les plus modérés, témoigne d’une désillusion croissante envers les véritables intentions de l’AKP, et du sentiment de n’avoir aucune issue possible à la guerre. Mehmet Kaya, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de la ville, commente ainsi les propos de Recep Tayyip Erdogan : « Bien sûr, je n’ai aucune objection à ce qu’il y ait un drapeau et un Etat. Mais je suis kurde – et qu’a-t-il voulu dire par « une nation » ?

Un chauffeur de taxi confie ainsi au journal Bianet : « D’un côté, il y a l’organisation [le PKK], de l’autre, le Premier ministre qui nous rejette. Qu’allons-nous devenir ? Nous avons l’habitude d’être rejetés, mais c’est notre patrie ici et nous resterons.

Malgré l’impact causé par ces propos, et qui ont surpris même des membres de son propre parti, Erdoğan, les a répétés dans la ville d’Erzurum : « Nous avons toujours été contre tout nationalisme régional ou ethnique. Nous n’avons jamais usé de discrimination sur la base d’une dénomination ou d’une religion. Nous nous tenons à distance égale de toutes les religions. »

Le parti kurde du DTP, sur qui pèse la menace d’une interdiction, a qualifié ces propos de « racistes » et exige des excuses. Le Premier ministre a répliqué dans une conférence de presse en accusant le DTP d’être directement instigateur et responsable des émeutes kurdes qui ont secoué la Turquie au cours du mois d’octobre et au début de novembre, et du mauvais accueil qui lui a été fait durant sa visite dans les villes du Kurdistan de Turquie. Il a ainsi accusé le DTP de Van d’avoir menacé les commerçants afin qu’ils ferment boutique le jour où Erdogan s’y rendait, ainsi que la municipalité de Hakkari de n’avoir rien fait » pour améliorer les services de la ville depuis son dernier passage. Affirmant que les supporters du PKK s’en étaient pris à la presse lors des émeutes, le chef du gouvernement turc a attaqué également, et de façon paradoxale, cette même presse, en affirmant qu’elle donnait trop d’importance à ce mouvement dans sa couverture médiatique, alors que les journalistes n’auraient pas relayé suffisamment sa tournée dans les régions kurdes, ses discours et ses inaugurations d’écoles et d’hôpitaux.

Ces derniers propos du Premier ministre à l’encontre des média illustrent aussi les rapports de plus en plus aigris entre Recep Tayyip Erdogan et la presse turque dans son ensemble. Ainsi, il aurait très mal pris un éditorial de Fermi Koru, dans les pages du journal Yeni Şafak qui, faisant un parallèle avec les élections américaines, a écrit que le leader de l’AKP se changeait en un George Bush, alors qu’il avait été élu en tant que Barack Obama. » Cette critique visait directement le durcissement apparent du gouvernement sur la question kurde.

Mais d’autres journaux turcs ont fait remarquer que le revirement du gouvernement s’inscrit plus dans une fatalité propre à la vie politique en Turquie, dès qu’il s’agit de la question kurde. Hasan Cemal, de Milliyet, trace un parallèle avec la trajectoire de l’ancien président Süleyman Demirel et de l’ancien Premier ministre Tansu Çiller. Ainsi, en 1991, Demiral avait, lui aussi, admis l’existence d’une « réalité kurde » en Turquie, dès son accession à la présidence et avait promis une constitution démocratique ; promesses qu’il s’était empressé d’oublier après avoir reçu les « avertissements » du pouvoir militaire. De même Tansu Çiller avait commencé par promouvoir la démocratie et même envisagé, en 1993, une autonomie pour les régions kurdes similaire au modèle basque, avant de changer à son tour de politique, là encore sous la pression de l’armée.

Le malaise semble avoir gagné le propre parti de Recep tayyip Erdogan. Ainsi, le vice-président de l’AKP, le Kurde Dengir Mir Mehemt Fırat, a démissionné brutalement de ses fonctions, officiellement pour raisons de santé. Mais la personnalité de celui qui le remplace en tant qu’adjoint à la présidence du parti s’inscrit dans cette nouvelle ligne « dure ». Abdülkadir Aksu, ancien ministre de l’Intérieur dans le gouvernement précédent de l’AKP, est bien connu pour son attitude intransigeante sur la question kurde, bien qu’étant lui-même d’origine kurde et qualifié de ce fait de « janissaire ». Cette nouvelle prise de fonctions et le départ de Fırat sont donc perçus comme le signe d’un changement radical de la politique kurde de l’AKP. Ce qui est corroboré par des sources proches de Dengir Mir Mehmet Fırat, faisant état de la « déception » que lui auraient causé les discours du Premier ministre au Kurdistan. Il exerçait jusqu’ici une grande influence sur les députés kurdes de l’AKP et nul ne sait si Abdülkadir Aksu pourra exercer la même influence, même si, étant originaire de Diyarbakir, la direction de l’AKP peut envisager de le faire se présenter aux prochaines élections municipales, afin d’en déloger le populaire Osman Paydemir, le maire actuel.

 

BAGDAD : LE SOFA FINALEMENT ADOPTE PAR LE PARLEMENT IRAKIEN

Alors que les difficiles pourparlers américano-irakiens se poursuivaient autour de l’adoption du SOFA, le président du Kurdistan, Massoud Barzani, qui venait tout juste de rencontrer l’équipe gouvernementale de la Maison Blanche à Washington, a déclaré le 1er novembre qu’en cas d’échec de l’accord, la Région du Kurdistan était disposée à accueillir, de sa propre initiative, une base militaire américaine sur son sol.

« Si les Etats-Unis le demandent, je suis certain que le Parlement régional du Kurdistan et le peuple de la Région du Kurdistan... les accueilleraient volontiers » a déclaré le président kurde, lors de sa réception au Centre des Etudes internationales et stratégiques de Washington. Massoud Barzani a cependant espéré que l’Irak et les USA parviendraient à s’entendre sur l’accord du maintien temporaire des forces américaines après expiration du mandat onusien, soit le 31 décembre prochain. Mais faisant état de son scepticisme sur le vote futur du Parlement de Bagdad, il a tenu malgré tout à réaffirmer avec conviction son soutien au SOFA, qu’il estime comme étant le meilleur possible en l’état.

Le président du Gouvernement régional du Kurdistan, en faisant allusion à une décision unilatérale du Parlement d’Erbil d’accueillir des troupes américaines, sans passer par l’assemblée nationale irakienne, s’il ne pouvait être qu’averti des réactions hostiles prévisibles de la part du monde arabe, a pris en revanche peu de risque concernant sa propre opinion publique. Car les habitants de la Région kurde voient dans cette éventualité une garantie politique à long terme de la paix et de l’autonomie dont ils jouissent, ainsi que d’un moyen de dissuasion contre les velléités bellicistes des Etats voisins. « Avec des bases américaines dans la Région, je me sentirais plus en sécurité et cela empêcherait toute agression du Kurdistan à l’avenir », confirme Rebwar Mohammad, un étudiant de l’université de Salahaddin d’Erbil au journal Gulf News. Bashdar Amin, du ministère de l’Education du Kurdistan est encore plus explicite : « La présence de bases américaines permanentes dans la Région préviendra toute attaque future de la part d’un gouvernement central « imprudent ».

Tentant sans doute d’apaiser l’agitation de la classe politique irakienne après les déclarations des Kurdes, Jalal Talabani a, de façon plus conciliante, répondu que les troupes des USA s’installerait dans la Région du Kurdistan seulement après approbation de Bagdad : « Il est impossible aux troupes américaines de rester au Kurdistan sans l’approbation du gouvernement central » a-t-il déclaré lors d’une intervention télévisée, sur la chaîne Al-Iraqiya. « Le Kurdistan est une partie de l’Irak, et toutes les lois constitutionnelles du pays s’y appliquent. »

L’administration Bush a, dans le même temps, reconnu avoir accepté quelques amendements réclamés en dernière minute par les Irakiens, mais ajouté qu’en ce qui la concernait, elle considérait la période de négociations comme « terminée » et que le texte qu’elle considérait comme final avait été remis au Premier ministre Nouri Al-Maliki. Ce dernier a appelé alors les députés irakiens à approuver le texte, en le présentant à son tour comme la meilleure option possible pour « garantir la souveraineté de l’Irak et le départ de tous les soldats étrangers : « Cet accord nous donnera la possibilité de construire notre pays, de mener à bien des réformes internes, de constituer des forces de sécurité et une politique loin de tout défi sectaire. » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse dans sa capitale. Nouri Al-Maliki a aussi averti les élus irakiens qu’un rejet du SOFA pouvait entraîner une prolongation du mandat de l’ONU autorisant l’armée américaine à rester en Irak, mais dans les conditions d’occupation actuellement en vigueur, qu’il qualifie de « situation douloureuse ».

Les milices sadristes ont appelé, au contraire, à des manifestations de masse contre le pacte militaire, et ont défilé en nombre à Bagdad. Mais l’opposition farouche du leader chiite Moqtata As-Sadr ne pouvait infléchir le vote parlementaire de façon significative, puisqu’il ne dispose à l’assemblée que de 30 sièges. 

Les débats précédant l’adoption au Parlement irakien ont été vifs et les séances ont connu plusieurs interruptions. Un des adversaires les plus virulents de l’accord était naturellement Moqtata as-Sadr, radicalement opposé, par principe, à tout « accord avec l’occupant ». Mais l’Alliance chiite pour un Irak uni, la plus grande coalition politique au Parlement, forte de 85 sièges sur 275 a voté pour, ainsi que l’Alliance kurde qui détient 58 sièges. La majorité simple requise pour l’adoption était de 138 voix. Le président du groupe de l’Alliance chiite, Ali Al-Adib, s’est dit satisfait de ce que les négociateurs irakiens aient tenu compte des « craintes » des députés. Par contre, le président du Parlement, s’exprimant au nom de son groupe, le Front de la concorde sunnite, a fait part de ses réserves concernant le texte et a indiqué avoir fait parvenir au gouvernement des demandes de modifications, notamment sur la libération des prisonniers.

Mais les députés irakiens ne votant pas systématiquement en fonction des directives de leur parti, le résultat ne pouvait découler forcément des prises de position des chefs de groupe parlementaires. Par ailleurs, le Grand Ayatollah Ali Husseini Al-Sistani, l’autorité religieuse chiite la plus éminente en Irak, a condamné sévèrement ses députés coreligionnaires qui s’étaient absentés des débats et du vote pour se rendre au Pèlerinage à La Mecque. Un responsable de son bureau a ainsi fait part à l’AFP de la colère du grand Ayatollah envers les « parlementaires qui sont partis pour le Pèlerinage et ont ignoré l’appel du Guide à assumer leurs responsabilité historique et nationale, en donnant franchement leur opinion sur l’accord. » Al-Sistani, qui ne s’exprime quasiment que par l’intermédiaire de ses conseillers, avait fait part de son opposition à tout accord qui nuirait à la souveraineté irakienne, mais avait jugé que la décision finale devait revenir au gouvernement en place.

Le 16 novembre, le Parlement irakien a donc approuvé l’accord, par 148 voix pour sur 198 députés présents, avec 35 voix contre et 86 absents. Les forces américaines (près de 150 000 soldats) commenceront un retrait des villes irakiennes en juin 2009 mais resteront sur place pour d'éventuelles opérations militaires. Leur départ définitif aura lieu à la fin de 2011. Le texte stipule notamment que « le territoire irakien, ainsi que son espace aérien et ses eaux, ne pourront être utilisés comme point de départ ou de passage pour des attaques contre d'autres pays ».
Un référendum sera tenu dans tout l'Irak, en juin 2009, pour approuver l'accord, à la demande des députés sunnites, qui ont obtenu cette concession en échange de leurs voix, ainsi qu’une amnistie pour les prisonniers dont on n’a pu prouver la participation réelle dans les violences liées à l’insurrection. Les sunnites avaient également demandé l’arrêt du processus de « débaathification » mais seule une révision et un adoucissement des dispositions légales empêchant les anciens membres du parti Baath d’occuper des postes publiques sont envisagés. Ils ont aussi réclamé un rééquilibrage des pouvoirs en leur faveur au sein du gouvernement.

KIRKOUK : POLEMIQUE CONSTITUTIONNELLE AUTOUR DES MILICES GOUVERNEMENTALES

Après la crise de Khanaqin qui avait failli voir s’affronter les Peshmergas kurdes et l’armée irakienne venue reprendre possession de la région, de nouvelles tensions se font jour entre le gouvernement central de Bagdad et celui de la Région du Kurdistan.

Il ne s’agit plus, cette fois, de la question des élections provinciales ni du référendum, mais de la mise en place de milices locales, dépendantes du gouvernement central, que les Kurdes voient surtout comme des supplétifs recrutés parmi les tribus arabes à seule fin de contrôler Kirkouk et d’empêcher son retour éventuel dans la Région kurde.

Connues sous le nom de « Sahwa » (Réveil), l’implantation de ces groupes armés pro-gouvernementaux a été encouragée depuis deux ans par les Etats-Unis, qui les ont utilisées pour neutraliser, dans la province sunnite d’Anbar, les combattants insurgés. Mais ces milices, appelées aussi « conseils de soutien » sont accueillies avec méfiance par les Kurdes et les chiites, qui y voient surtout le mauvais souvenir d’une force armée uniquement au service du pouvoir central. Aussi les deux principaux partis kurdes, le PDK, dirigé par le président du Kuridstan Massoud Barzani et l’UPK, dirigé par le président de l’Irak Jalal Talabani, ont déclaré, dans un communiqué commun, que la formation de tels groupes était anticonstitutionnelle car contrevenant à la loi sur le désarmement des milices armées en Irak : « Nous nous opposons fermement à la constitution de quelque groupe armé que ce soit, pour quelque raison que ce soit en Irak et au Kurdistan, et en particulier dans les régions disputées. »
Face à ce refus, le Premier ministre de l’Irak a d’abord exprimé sa « tristesse » en défendant l’instauration de ces « conseils » : « Il était nécessaire de créer ces groupes pour assurer la loi et l'ordre dans les provinces qui ont connu l'insécurité avant le retour des forces armées venues rétablir la stabilité. » Mais pour Massoud Barzani, ces groupes censés maintenir la sécurité, notamment en vue des futures élections provinciales, ne sont d’aucune utilité dans les régions du Kurdistan ou dans celles contrôlées par les Peshmergas. Leur présence dans les territoires devant être soumis à référendum en vue de leur rattachement au Kurdistan ne peut même qu’attiser les conflits : « Les Kurdes refusent la formation de ces « conseils » là où ils sont majoritaires. S'ils sont justifiés dans certaines régions, ils ne sont pas nécessaires ailleurs. Ils n'ont aucune raison d'être au Kurdistan et dans les régions disputées. C'est jouer avec le feu. »

De son côté, Rizgar Ali, un Kurde qui dirige le Conseil provincial de Kirkouk, a déclaré avoir informé personnellement Nouri Al-Maliki que sa « province n’avait pas besoin de ces milices », et que les forces de sécurité qui œuvrent actuellement à Kirkouk sont efficaces pour y assurer la sécurité. Rizgar Ali a également invité le gouvernement irakien à utiliser l’argent prévu pour entretenir les milices dans la reconstruction et la rénovation de Kirkouk et de ses infrastructures, lesquelles sont dramatiquement vétustes dans plusieurs secteurs.

Le ton a vite monté, passant de la « tristesse » aux accusations plus directes. Répondant, le 8 novembre, dans une conférence de presse, à la déclaration commune des partis kurdes, Nouri Al Maliki a accusé à son tour le gouvernement kurde d’agissements anticonstitutionnels, notamment sur la signature des contrats pétroliers entre le GRK et des compagnies étrangères. Il a surtout réclamé la révision de la constitution irakienne, approuvée par référendum en octobre 2005, dans le sens d’un pouvoir plus grand accordé au gouvernement central, au détriment du fédéralisme : « Cette constitution a été écrite de façon hâtive, et dans des conditions qui sortaient de l’ordinaire. Elle limite les pouvoirs du gouvernement central et fait craindre que le fédéralisme n’handicape le pays. »
Cette demande de révision a naturellement été rejetée par les Kurdes, qui ont, dès avant l’intervention américaine en Irak, posé le fédéralisme comme condition de la réintégration du Kurdistan dans ce pays. Aussi la réaction des milieux politiques kurdes a été très vive, certains allant même jusqu’à considérer que le Premier ministre chiite, en s’opposant ainsi à la constitution irakienne, avait « perdu toute légitimité » dans sa fonction.
« Si nous voulons renforcer l’Irak, cela ne pourra se faire qu’en renforçant les régions et les provinces, estime Falah Mustafa Bakir, le ministre des relations internationales pour la Région du Kurdistan, « ce qui va tout à fait à l’encontre des projets d’Al-Maliki. Les Kurdes sont d’accord pour amender la constitution irakienne, mais selon des mécanismes spécifiés dans la constitution elle-même, et à condition que de tels amendements contribuent à faire progresser les libertés concernant les droits des ethnies et des religions, tout en garantissant la supériorité de la loi. L’expérience politique du Kurdistan d’Irak est un exemple de succès pour le système fédéral en Irak. »
Le député Nassih Abdulghafur, du groupe de l’Alliance kurde au parlement de Bagdad, ne voit pas non plus d’opportunité à la révision constitutionnelle, et réfute les accusations de rédaction « hâtive » lancées par Nouri Al-Maliki : « La constitution irakienne a été rédigée durant une période de trois ans, ce qui est un délai convenable pour une rédaction, et bénéficie du consensus de toutes les parties. » Le député rappelle aussi que « 80% des Irakiens ont voté pour cette constitution. Ce qu’Al-Maliki demande à présent va à l’encontre de la loi et de la constitution elle-même. » Un autre député de l’Alliance kurde, Khalid Sawani, renchérit : « La constitution détermine la forme du système de gouvernement en Irak, et a été votée par 12 millions d’Irakiens. Ce n’est pas la première fois qu’Al-Malili fait de telles déclarations, en cherchant à établir un gouvernement central fort sur l’Irak. Sur une période d’environ 80 ans, jusqu’en 2003, l’Irak a été dominé par un gouvernement central, et de nombreux crimes et violations des droits de l’homme ont été commis dans toutes les provinces irakiennes durant tout ce temps. Après avoir voté pour la constitution actuelle, nous n’accepterons pas d’être à nouveau dominés par de tels gouvernements. L’Etat est à présent un Etat de droit, un Etat constitutionnel, et Al-Maliki se trompe s’il croit que l’Etat peut imposer son pouvoir par la force. »
La confrontation a pris un tour plus ethnique avec les manifestations de soutien au Premier ministre chiite, organisées dans plusieurs villes d’Irak pour protester contre les déclarations du gouvernement kurde.
Ainsi à Takrit, ancien fief de Saddam Hussein, les manifestants hostiles au fédéralisme, chiites et sunnites ont défilé pour réclamer un « Irak unifié », en clamant « Kirkouk, Mossoul et Diyala sont irakiens ! » Farhan Al-Awd, député et conseiller de la province explique que « les tribus irakiennes soutiennent les positions nationales de Maliki pour préserver l’unité de l’Irak, en instaurant la loi et en réécrivant la constitution. Il n’y a pas de régions disputées, il n’y a qu’un pays. » Ahmad Al-Dulaymi, membre de ces conseils controversés de soutien pour la province sunnite de Salahaddine, accuse les Kurdes : « Ceux qui s’opposent au projet de Malili veut un Irak affaibli et poursuivent le projet de le diviser. » Dans la province de Kirkouk, des milliers d’Arabes se sont également rassemblés dans le stade de football de Hawijah pour soutenir le Premier ministre et son projet de milices.
Mais en dehors des provinces arabes sunnites, le soutien a été moindre. Ainsi la ville chiite de Karbalah n’a pu réunir que quelques centaines de manifestants. En mars dernier, de violents combats avaient opposé ces mêmes villes chiites à l’armée irakienne venue pour imposer le désarmement des milices locales.

ERBIL : CAMPAGNE GOUVERNEMENTALE ET NOUVELLES LOIS EN FAVEUR DES FEMMES

Après le vote d’une loi limitant fortement le recours à la polygamie, le Parlement kurde a également fait voter une loi interdisant la pratique de l’excision, en usage dans certaines régions du Kurdistan d’Irak, tandis que le chef du gouvernement d’Erbil a lancé lui-même une campagne en faveur de l’égalité et de la protection des femmes.

Début novembre, une commission nommée par le gouvernement kurde et présidée par le Premier ministre Nêçirvan Barzani, s’est réunie pour discuter et évaluer les dernières mesures prises par la Région du Kurdistan, étudier les recommandations d’Amnesty International à ce sujet et débattre des moyens judiciaires et législatifs pour prévenir les violences et les crimes contre les femmes.

« Notre Région doit devenir le meilleur modèle pour l’Irak » a déclaré le Premier ministre, en prônant une coopération entre tous les ministères pour un meilleur résultat.

La commission a notamment approuvé que le gouvernement ait décidé, depuis l’année dernière, de célébrer le 25 novembre comme Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes. Autre mesure reconnue comme ayant donné des résultats satisfaisants, la mise en place de services devant former et sensibiliser la police aux cas de violence contre les femmes. Ce tutorat de formation a contribué à améliorer la prise en charge des victimes dans les trois gouvernorats, Suleïmanieh, Duhok, Erbil et l’on a pu enregistrer une augmentation des plaintes déposées dans les commissariats par des femmes victimes de violence. Des mesures ont été également mises en place pour la protection des plaignantes qui se sentaient menacées. De façon générale, les campagnes de sensibilisation font leur chemin dans l’opinion publique et il a été noté que les peines prononcées dans les tribunaux se font plus lourdes contre les agresseurs, allant même jusqu’à des peines capitales dans le cas des crimes dit « d’honneur ».

Au sujet des recommandations émises par Amnesty International, Nêçirvan Barzani s’est félicité de ce que l’ONG ait noté les efforts faits par son propre gouvernement dans ce domaine. Plusieurs dispositions ont été ainsi prises pour renforcer la législation réprimant les crimes d’honneur et une formation a été dispensée aux juges comme aux enquêteurs. Un ancien procureur américain, expérimenté dans ce domaine, a même été embauché comme consultant et a travaillé directement avec la police et les procureurs kurdes. Le GRK a également demandé une étude à l’université de Bristol, au département de criminologie pour analyser la violence et les crimes d’honneur à la fois au Kurdistan d’Irak mais aussi dans les communautés kurdes de Grande-Bretagne.

En ce qui concerne les réformes législatives, elles reçoivent un accueil mitigé selon les dispositions votées. Ainsi, le fait que la polygamie n’ait pas été interdite par le Parlement laisse insatisfaits des groupes militants féministes au Kurdistan qui ont manifesté par centaines à Suleïmanieh, mais d’autres femmes expriment le sentiment qu’il s’agit d’un début permettant une future abolition. Pour l’une d’elles, Suzan Muhammad Aref, la nouvelle loi est « un pas positif pour les femmes. Nous ne pouvons changer soudainement toute une société. La différence entre le nombre des votes en faveur de l’interdiction de la polygamie et ceux ne réclamant que sa limitation était si minime, qu’elle peut être déjà considéré comme un grand succès pour les femmes. » Refusant de présenter le problème comme un clivage masculin féminin dans la société kurde, Suzan Aref précise que la réforme doit aussi passer dans l’esprit des femmes : « Nous devons réaliser qu’il y a des femmes qui croient important de se conformer à la Charia islamique et pour cela de ne pas interdire la polygamie. » D’autres, comme Kazibouh Ali, une employée interrogée par la Voix de l’Irak, expliquent qu’une interdiction totale de la polygamie pousserait des hommes à divorcer de leur première épouse en cas de stérilité, ce qui pose un sérieux problème de ressources dans un pays où la plupart des femmes ne travaillent pas. Par ailleurs, rien n’empêche un habitant de la Région du Kurdistan de se marier dans les autres régions d’Irak où la polygamie est toujours légale, comme le confirme Abdul Rahman Hadji Zebarî, un homme de loi : « La constitution irakienne donne le droit au parlement kurde de voter ses lois, mais elles n’ont force que dans la Région. »

La députée Pakhshkan Zanka, s’exprimant sur la radio nationale irakienne, présente aussi cette limitation comme une avancée positive pour les femmes kurdes, qui accélérera le déclin de cette pratique.

La seconde loi votée sous le feu des media kurdes est celle visant à interdire totalement la pratique de l’excision dans certaines régions du Kurdistan et, cette fois-ci, n’ayant pas rencontré de fortes oppositions religieuse ou sociale, l’abolition a pu être votée.

Selon les chiffres donnés par le ministre de la Santé du GRK, 60% des fillettes âgées de 4 à 14 ans ont subi une excision, et ce en dépit des campagnes gouvernementales avertissant des dangers de cette pratique. Zaryan Abdel Rahman s’exprimait lors d’une conférence de trois jours, donnée à Erbil, portant sur les violences commises à l’égard des femmes en général. Il s’appuyait sur le travail d’une ONG allemande, Wadj, qui a prospecté 201 villages dans les trois régions ainsi qu’à Kirkouk. Son rapport indique que sur 5 628 femmes et filles examinées, 3502 avaient été excisées.

Le ministre des Affaires religieuses va demander aux imams de se prononcer ouvertement contre cette mutilation lors des sermons du Vendredi. Le ministère de l’Education, a, pour sa part, prévu qu’un programme de prévention et d’information soit instauré dans les écoles, « pour encourager les filles à ne pas se soumettre aux choix de leurs parents. »

Coutume venue d’Afrique et touchant aussi bien, dans ce continent, les populations musulmane, chrétienne ou animiste, l’excision est très peu pratiquée au Moyen-Orient et les Kurdes d’Irak eux-mêmes sont dans l’incapacité de dire à quand remonte son introduction dans leur société.  Interrogé par l’AFP, le sheikh Sayyed Ahmad Abdel Wahab al-Panjawini, imam de la moquée Hajj Jamal d’Erbil, confirme que « c’est une vieille coutume, mais cela n’a rien à voir avec l’islam. Aucun texte religieux ne mentionne cette pratique. C’est une coutume que certains ont introduit dans le mode de pensée des musulmans. » Dans le journal Hawlati, la Secrétaire générale de l’Union islamique des femmes s’élève elle aussi contre l’excision et nie son caractère religieux : « Les mutilations génitales féminines ne sont pas des pratiques musulmanes. Beaucoup des problèmes auxquels ont à faire face les femmes résultent de traditions erronées, et ce n’est pas l’islam qui est à blâmer. La Charia n’a rien à voir avec de telles pratiques, et l’excision existe parce que certaines personnes ont interprété le Coran de façon fausse. »

L’excision n’est pas pratiquée dans le reste de l’Irak, pas plus qu’au Kurdistan de Turquie, de Syrie, mais elle existe dans des zones du Kurdistan d’Iran attenante aux régions kurdes d’Irak. Les motifs invoqués sont à la fois d’ordre religieux et hygiénique, certains juristes chaféites (courant juridique auxquels appartient en majorité le sunnisme kurde) ayant considéré que le terme sinat (circoncision) s’appliquait tout autant à l’excision féminine.

Un groupe de députées au parlement d’Erbil a donc présenté à l’assemblée un projet de loi visant à criminaliser l’excision, en plus de celle condamnant les violences contre les femmes, comme l’a exposé la députée Hala Suheil : « Le parlement kurde se penche actuellement sur le phénomène de la violence exercée contre les femmes, aussi nous préparons deux projets de loi en ce sens : l’un pour interdire et criminaliser l’excision, tandis que l’autre sera contre la violence perpétrée en générale contre les femmes. » Pour la députée, « cette pratique est si ancienne dans la région que nous n’avons aucune idée de comment elle est apparue. Mais les anciens la justifient en disant que cela préserve la chasteté des filles », explique le docteur Suheil, députée au parlement d’Erbil, qui indique, au contraire du ministre de la Santé, qu’aucun chiffre précis ne peut être donné pour fiable concernant son ampleur, mais dénonce les conditions dans lesquelles elle est pratiquée : « Les vieilles femmes excisent les fillettes avec des lames de rasoir et parfois des tessons de verre, causant souvent de terribles hémorragies et parfois la mort. »

IRAN : REPRESSION ET COUVRE-FEU A SANANDAJ

La répression, loin de faiblir, se durcit encore à Sanandaj, capitale de la province du Kurdistan d’Iran. Yasser Goli, Secrétaire général de l’Union des étudiants kurdes, a été arrêté il y a treize mois et détenu par les services secrets de Sanandaj. La Seconde Chambre de la Cour islamique révolutionnaire de Sanandaj  vient de le condamner à 15 ans de prison, à la grande indignation de son avocat, Nemat Ahmadi : « La sentence rendue par la cour fait seulement dix lignes ! Cette décision de la cour, censée être fondée sur l’article 168 du code pénal islamique ne se réfère à aucune preuve ni fait établis contre mon client, Yasser Goli. A aucun moment, dans aucun interrogatoire, ni dans les comparutions au tribunal, il a reconnu être coupable de quoi que ce soit. »

Actuellement, on dénombre 15 étudiants emprisonnés en Iran, dont un condamné à mort et trois à des peines allant de 6 à 16 ans de prison. Toujours à Sanandaj, la Haute Cour révolutionnaire islamique a confirmé la condamnation de Khazur Rasoul Morut à 3 ans de prison. Khazur Rasoul Morut étudiait la littérature à l’université de la ville et enseignait aussi la langue kurde. Un autre étudiant, Werya Moruti, a été arrêté à son domicile et emmené dans un lieu de détention inconnu. Âgé de 25 ans, il étudiait à l’université de Peyame Nour. Deux autres jeunes Kurdes, Pejman Zafari et Peyman Hosseini, arrêtés quelques mois auparavant ont été libérés contre une caution de 30 millions de tomans. Deux étudiants kurdes, cette fois détenus dans la prison d’Evin à Téhéran, et qui ont entamé une grève de la faim, ont été placés en cellules d’isolement et sont continuellement interrogés depuis plus de 3 semaines.
En plus des étudiants, les journalistes kurdes continuent d’être harcelés, arrêtés et emprisonnés. Bahman Tutunchi a été arrêté à son domicile à Sanandaj sans que les raisons de cette arrestation soient connues. « Les officiers sont restés silencieux sur les raisons de son arrestation et sur le lieu de sa détention. Ils ne l’ont même pas laissé quitté son pyjama pour s’habiller ni prendre ses lunettes » raconte un proche, qui a assisté à la scène. Bahman Tutunchi est un journaliste indépendant qui a notamment collaboré à l’hebdomadaire Karaftou, interdit l’année dernière.
Par ailleurs, depuis le 19 novembre un couvre-feu a été décrété dans la ville, tandis que dès 20 heures les milices paramilitaires du Bassidj patrouillent de nuit le centre ville, ses quartiers et ses rues les plus fréquentées et contrôlent les habitants.

TURQUIE : LES ALEVIS MECONTENTS DEFILENT A ANKARA

Le 9 novembre, une vaste manifestation a rassemblé plus de 50 000 alévis à Ankara, venus de toute la Turquie. Si leurs revendications ne sont pas neuves, l’ampleur de cette protestation (opportunément appuyés par les partis d’opposition comme le CHP) est une première dans le pays.

Les Alévis réclament depuis des décennies être reconnus comme une minorité religieuse, ce qui permettrait à leurs enfants de ne plus être soumis aux cours obligatoires de religion islamique à l’école, que leurs lieux de culte, les cemevi, soient réellement reconnus comme tels et surtout, ne plus être régis par la Diyanet, la Direction des Affaires religieuses. Les manifestants réclamaient aussi que l’hôtel Madimak, à Sivas, dans lequel 37 intellectuels alévis avaient péris en 1993 après un incendie criminel soit changé en mémorial-musée.

Bien que les Alévis, turcs ou kurdes, votent traditionnellement pour des partis laïcs ou de gauche, un certain nombre d’entre eux avaient voté AKP aux dernières élections, surtout en raison des prises de position intolérantes et sectaires adoptées par le leader du parti de gauche CHP, Deniz Baykal, et aussi parce que la montée du nationalisme d’extrême-droite en Turquie s’accompagne invariablement d’agressions envers toutes les minorités religieuses, surtout les chrétiens et les alévis. Mais en ce domaine comme en bien d’autres, l’AKP a déçu un électorat qui espérait du gouvernement des réformes significatives et une modernisation de la gestion des minorités, qu’elles soient ethniques ou religieuses. La présence du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan au dîner de rupture du jeûne alévi en janvier 2008 n’a visiblement pas apaisé la colère des alévis, qui seraient entre 10 et 12 millions en Turquie, et au sujet duquel l’Union européenne ne cesse de rappeler à l’Etat turc qu’il faudrait enfin leur accorder les droits culturels et religieux qu’ils réclament, en admettant enfin que l’alévisme n’est pas une « branche de l’islam », même chiite, comme le veut le credo officiel.

Mais les Alévis eux-mêmes, d’origines et de convictions politiques très diverses, ne sont pas unanimes dans leurs revendications. La manifestation d’Ankara a été organisée par la Fédération Alevi Bektashi, qu’Izzzetin Dogan accuse d’être plus marxiste et pro-kurde qu’alévie. D’autres associations et mouvements alévis réclament, à défaut de la suppression de la Diyanet, la création d’un bureau spécialement tenu par et pour les alévis à l’intérieur de l’institution. Cela permettrait une reconnaissance, même partielle, de la spécificité du culte alévi, et surtout permettrait de faire rémunérer par l’Etat les dede (religieux alévis) tout comme le sont les imams musulmans ; de même la reconnaissance officielle de leurs lieux de culte les ferait bénéficier de subventions pour leur entretien.

Cette position de compromis est cependant dénoncée par les mouvements alévis qui refusent d’être assimilés à des musulmans. Les alévis qui se revendiquent ouvertement pro-kurdes ou bien de sensibilité d’extrême-gauche sont souvent en dissonance avec les sympathisants kémalistes, tel le président de la fondation Cem, Izzetin Dogan, qui souhaite que les Alévis ne quittent pas la Diyanet, ce qui amène des opposants à l’accuser d’ambitionner tout simplement la poste de direction du Bureau alévi dans les Affaires religieuses.

La suppression de la Direction des Affaires religieuses et des cours d’islam à l’école a été de toute façon écartée par le ministre d’Etat, Mustafa Said Yazıcıoğlu, comme une prise de position « extrémiste », à laquelle il n’accorde aucun crédit. Précisant sa pensée, il rappelle que la Direction des Affaires religieuses est une des plus importantes créations d’Atatürk, un héritage original de l’Etat kémaliste que le ministre affirme être un modèle pour le reste du monde islamique : « Des délégations de tout le monde islamique [...] viennent en Turquie pour étudier le système de cette direction », afin de créer des institutions similaires. »

CINEMA : UN FILM KURDE PRIME AUX USA, UN AUTRE CENSURE EN SUISSE

Le cinéaste kurde Jamil Rostami a reçu le prix du « meilleur réalisateur international » au festival de Boston pour son fil « Jani Gal ».
 
Jamil Rostami est né en 1971 dans la ville de Sanandaj, la capitale de la province du Kurdistan en Iran. Tout en poursuivant des études de chimie, il évolue dans l’univers du cinéma depuis l’âge de 16 ans, que ce soit au sein d’une équipe de tournage ou dans la réalisation. En 2002, il réalise son premier court-métrage, « Le problème d’être un garçon », tourné en langue kurde, qui est projeté dans plusieurs festivals, locaux et internationaux, et qui obtient plusieurs récompenses. Son premier long-métrage, « Requiem dans la neige », a été réalisé en 2005. Fariborz Latchini, un des meilleurs compositeurs de musique de film en Iran en a écrit la musique. Le directeur de la photographie est Morteza Poursamadi, un photographe iranien renommé. Film produit à la fois par l’Irak et l’Iran, « Requiem dans la neige » a représenté l’Irak aux Oscars pour les films étrangers.

Jani Gal, son dernier film, également tourné en kurde, est inspiré d’un roman de l’écrivain et homme politique kurde Ibrahim Ahmad, beau-père de l’actuel président d’Irak Jalal Talabani. L’histoire se déroule à Suleïmanieh, dans les années 1940. Jwamer est tout juste libéré de prison, après avoir été arrêté et emprisonné des années par erreur. Sa femme Kaleh étant sur le point d’accoucher, il a été pris par hasard dans une manifestation politique alors qu’il était à la recherche d’une sage-femme. Arrêté et emmené par la police, qui l’a pris pour un des meneurs, il a été condamné à dix ans de prison. Une fois libre, il se lance à la recherche de sa femme et de son fils, dont il n’a plus de nouvelles. Mais il est aussi amené à choisir entre reprendre sa vie telle qu’elle était auparavant ou rejoindre les Peshmergas.
Si le cinéma kurde est primé à Boston, il est aussi censuré de façon plus inattendue en Suisse, dans un festival financé pour moitié cette année par le ministère turc de la Culture, qui a menacé de mettre fin à toutes ses subventions si « Gitmek » (My Marlon and My Brando) du cinéaste Hüseyin Karabey était projeté, comme cela été prévu. Les organisateurs de « CultureScape », qui avait pour 2008 la Turquie en invité d’honneur et partenaire, ont donc été contraints de modifier le programme à la dernière minute. Jurriaan Cooiman, patron du festival, ne nie pas les pressions : « Peut-être n’aurais-je pas dû transiger, reconnaît-il, mais je voulais sauver le festival. Sans les 400. 000 euros de la Turquie, il n’aurait pas pu avoir lieu. »
Jurriaan Cooiman a averti le représentant du ministère turc que cette exigence ferait plus de mal que de bien pour l’image du pays. Il juge aussi que l’ordre de censure ne vient pas du sommet de l’Etat et souligne la « nervosité » politique et sécuritaire observable actuellement dans ce pays. L’ambassade de Turquie à Berne a pris position vendredi en indiquant ne pas partager la critique de « certains cercles » à l’égard du programme du festival et avoir tenté de servir d’intermédiaire.
« Gitmek » raconte l’histoire d’une Turque tombant amoureuse d’un Kurde dans le Nord de l’Irak. Des exploitants de salles à Bâle, Zurich et Berne ont décidé d’eux-mêmes de le projeter en-dehors du festival.