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Bulletin N° 247 | Octobre 2005

 

LES IRAKIENS ADOPTENT MASSIVEMENT LEUR NOUVELLE CONSTITUTION

« Le projet de Constitution irakienne a été adopté à 78% lors du référendum » du 15 octobre, a annoncé Farid Ayyar, un responsable de la Commission électorale indépendante, dans une conférence de presse le 25 octobre à Bagdad, en donnant les résultats des 18 provinces. « Les résultats sont précis et honnêtes », a souligné M. Ayyar, en affirmant que la consultation et le décompte des voix s'étaient déroulés conformément aux normes internationales. « On peut parler d'un succès en dépit du retard pris dans l'annonce des résultats qui a suscité certaines interprétations », a-t-il souligné en référence aux allusions sur une manipulation des résultats faites par des sunnites.

Deux provinces à majorité sunnite, Salaheddine et Al-Anbar, ont rejeté le texte à plus des deux tiers. Mais celle de Ninive, qui a pour capitale Mossoul, et qui abrite, à côté des Arabes, une forte minorité kurde, n'a voté contre le projet de Constitution qu'à 55,08%. Pour que le texte soit rejeté malgré une majorité de « oui » à l'échelle nationale, il fallait qu'une troisième province vote « non » à plus de 66,66%, ce qui n'a pas été le cas. Néanmoins, un amendement du texte constitutionnel est possible par la prochaine assemblée issue des élections du 15 décembre. Le Parti islamique irakien, principale formation sunnite ayant appelé à voter le projet de Constitution, a ainsi émis des réserves prudentes sur le résultat, sans cependant le remettre en cause.

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui dirigent la coalition militaire étrangère en Irak, se sont félicités de l'adoption de la Constitution, la Maison Blanche évoquant un « jour historique » pour l'Irak. Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a aussi parlé d'un « événement historique », et la mission de l'Onu en Irak, tout en félicitant les Irakiens pour leur participation au référendum, a relevé que ses résultats avaient « montré le degré de polarisation politique en Irak ».

Voici les résultats des élections dans les provinces kurdes ou mixtes (arabo-kurdes) suivis des résultats dans le reste de l’Irak :

PROVINCE OUI % NON %
ERBIL 99.36 0.64
DIYALA (mixte) 51.27 48.73
DUHOK 99.13 0.87
KIRKOUK (mixte) 62.91 37.09
NINIVE (mixte) 44.09 55.01
SOULEIMANIYEH 98.96 0.04
ANBAR (sunnite) 3.40 96.96
BABYLONE 94.56 5.42
BAGDAD 77.70 22.30
BASSORAH 96.02 3.98
KARBALA 96.58 3.42
MEYSAN 97.79 2.21
MUTHANNA 98.65 1.35
NAJAF 95.82 4.18
QADISSIYA 96.74 3.26
SALAHADDINE (sunnite) 18.25 81.75
THIQAR 97.15 2.85
WASIT 95.70 4.30



Les Kurdes d'Irak, favorables au projet de Constitution, ont largement voté le 15 octobre en faveur du référendum qualifié d'historique par le président Massoud Barzani. « C'est une journée historique qui couronne le sacrifice des martyrs », avait déclaré M. Barzani, président du Kurdistan à la presse après avoir voté, estimant que le référendum « jette les bases d'un Irak démocratique et d'une coexistence pacifique entre ses composantes ethniques ». Et dans les files qui se sont vite formées devant les bureaux de vote, certains avaient le sentiment de voter plus pour leur autonomie, qui existe dans les faits depuis 1990, que pour autre chose. La mission des Nations unies en Irak avait imprimé un million de copies en kurde du projet de Constitution destinées à être distribuées dans le Kurdistan. 300.000 copies ont été distribuées dans la province d'Erbil, 200.000 dans celle de Duhok et 400.000 dans celle de Souleimaniyeh. En outre, 100.000 copies ont été destinées à la ville de Kirkouk et autant à celle de Mossoul, comptant d'importantes communautés kurdes.

Le texte présenté aux électeurs a été négocié durement par les chefs politiques kurdes, MM. Barzani et Talabani en tête et il reconnaît clairement l'autonomie des Kurdes, tout en précisant que l'islam n'est pas la source unique de la législation. M. Barzani a été la cheville ouvrière des ultimes tractations qui ont précédé le référendum à Bagdad et qui ont eu pour résultat de rallier une partie des Arabes sunnites au texte, en rendant possible un amendement futur de la Constitution.

Le Parti islamique a, le 8 octobre, appelé ses partisans à se prononcer en faveur du projet de Constitution, après un accord avec les partis kurdes et chiites qui donne la possibilité de réviser le texte au cours des quatre mois suivant les élections législatives de décembre. Ces élections vont doter l’Irak d’un Parlement et d’un gouvernement pour une législature de quatre ans. Elles présentent donc un enjeu très important et on s’attend à ce qu’une grande partie des Arabes sunnites y participent également pour mieux faire entendre leurs revendications au sein des institutions de l’Irak nouveau.

ERBIL : CÉRÉMONIE SOLENNELLE POUR LE RAPATRIEMENT DES RESTES DES 512 BARZANI RETROUVÉS À CE JOUR DANS DES FOSSES COMMUNES

Les restes de 512 membres de la tribu Barzani, massacrés sous le régime de Saddam Hussein, ont été acheminés le 17 octobre par avion du sud de l'Irak à Erbil, dans le Kurdistan, à deux jours de l'ouverture du procès de Saddam Hussein. Une cérémonie solennelle a été organisée à cette occasion. Ces victimes font partie de 8.000 Barzanis déportés et disparus en 1983 et dont les restes ont été retrouvés dans des fosses communes mises au jour à Bsaya, dans la province sud de Mouthanna, non loin de la frontière saoudienne. Recouverts du drapeau kurde, aux couleurs rouge, blanc, et vert, frappé au milieu d'un soleil, les cercueils ont été transportés de l'avion par des peshmergas.

Massoud Barzani, le président du Kurdistan irakien ainsi que le président irakien Jalal Talabani, ont présidé la cérémonie empreinte de recueillement et à laquelle assistaient les familles des victimes et de nombreuses personnalités kurdes. Ils ont déposé des gerbes de fleurs sur les 512 cercueils, alignés sous le soleil sur le tarmac de l'aéroport. Des veuves, portant les photos défraîchies de leur époux tués, pleuraient, un mouchoir à la main. Même des hommes, portant l'habit traditionnel kurde, n'ont pas pu cacher leur émotion.

« 8.000 membres de la tribu des Barzani, âgés de 10 à 80 ans, ont été arrêtés le 31 juillet 1983 par les forces de l'ordre et la Garde républicaine », corps d'élite de l'armée baasiste dissoute, a affirmé M. Barzani. Ces personnes avaient été expulsées de force de leur région de Barzan, après la répression de la révolte kurde de 1975, et placées dans des camps d’internement surveillés de la région d'Erbil. « Après leur arrestation, ils ont été conduits dans un premier temps à la prison d'Abou Ghraib, avant d'être acheminés à Bsaya, non loin de la frontière saoudienne », a raconté M. Barzani. Des documents retrouvés après la chute du régime indiquent « que chaque soir, une centaine d’entre eux étaient exécutés et jetés dans des fosses communes », poursuit-il. « Nous avons les noms des responsables qui ont donné les ordres et ceux qui les ont exécutés. Tout est consigné dans les documents », a ajouté M. Barzani.

Pour sa part, le président Talabani a dénoncé « ce grand crime commis par l'ennemi fasciste à l'encontre des Barzani et des Kurdes ». « Des dizaines de milliers d'innocents ont été enterrés vivants dans des fosses communes et ces martyrs sont devenus le symbole du régime noir » de Saddam Hussein. « Nous sommes réunis aujourd'hui pour rendre un dernier hommage aux martyrs des Barzani et de tout le Kurdistan et de l'Irak. Que leur mémoire reste vivante dans nos esprits », a-t-il déclaré.

Le ministre des droits de l'Homme du Kurdistan, Mohammed Ihsan, a expliqué que « les recherches pour retrouver les restes du clan ont duré deux ans jusqu'à ce que l'on découvre la fosse qui renfermait ces restes ». Le dossier des victimes du clan Barzani est complet et sera présenté au Tribunal spécial irakien (TSI), pour instruire un procès contre les responsables de l'ancien régime, a-t-il annoncé. « 284 autres sites qui renferment les dépouilles de victimes kurdes sont par ailleurs en cours d'examen », a souligné le ministre.

A l'issue de la cérémonie, les cercueils ont été placés dans des véhicules et acheminés dans la région de Barzan, à 200 km au nord d'Erbil, où les restes ont été enterrés dans un cimetière, aménagé spécialement pour eux.

BAGDAD : OUVERTURE DU PROCÈS DE SADDAM HUSSEIN, PREMIER DICTATEUR ARABE JUGÉ POUR SES CRIMES

Saddam Hussein a été présenté à ses juges le 19 octobre, quatre jours après le référendum sur la Constitution du nouvel Irak, dans un procès voulu depuis longtemps par les Kurdes et les chiites. Un juge kurde, Rizgar Mohammed Amin, assisté par quatre autres magistrats, a présidé l'audience du Tribunal spécial irakien (TSI) devant lequel est comparu Saddam Hussein et sept de ses lieutenants pour le massacre en 1982 de 143 chiites. L’audience a été transmise en léger différé par les principales chaînes irakiennes et internationales et a suscité de vives réactions. Depuis la capture du dictateur irakien dans des circonstances peu glorieuses un certain 13 décembre 2003 par des soldats américains, les chiites et les Kurdes n'ont cessé de demander la tête de celui qui les persécuta pendant ses 24 ans de règne. Chez les chiites, dont un soulèvement a été durement réprimé en 1991 par les services de sécurité de Saddam Hussein après la défaite de l'Irak dans la guerre du Golfe, peu s'embarrassent de la procédure judiciaire.

Les Kurdes, qui ont été les principales victimes du régime de Saddam Hussein, demandent qu'il soit jugé et que l’on fasse toute la lumière sur ses crimes. Accusé de massacres, de déplacements de populations, de gazage de Kurdes, d’exécutions sommaires et de purges diverses, l'ex-dictateur irakien et sept de ses lieutenants seront d’abord jugés pour « l'exécution de 143 citoyens, la séquestration de 399 familles, la destruction de leurs maisons et des terres » agricoles à Doujaïl, à 60 km au nord de Bagdad. Ils risquent la peine de mort. « On aurait aimé voir le TSI achever ses enquêtes sur les autres crimes de Saddam Hussein », avant de commencer ses audiences, a d’ailleurs regretté Mohammed Ihsan, le ministre kurde des droits de l'Homme du gouvernement régional du Kurdistan.

Rassurant, le porte-parole du TSI, le juge Raëd al-Jouhi, a affirmé que l'instruction progressait sur les autres dossiers pour lesquels Saddam Hussein et ses adjoints seront jugés pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Se faisant l’écho des sentiments d’une grande partie de la population, le chef de l'Etat Jalal Talabani s’était laissé au début du mois dire que Saddam Hussein méritait de «mourir cent fois » même si cet avocat de formation est opposé de principe à la peine de mort. « Si la peine de mort est prononcée contre lui, je ne la signerai pas », a-t-il toutefois indiqué en précisant plus tard qu'il laisserait à ses vice-présidents cette responsabilité. Et à l'équipe de défense qui dénonce un procès biaisé, M. Talabani a répondu: « Il n'y a pas de décision politique d'éliminer Saddam Hussein et la justice est indépendante ». Jalal Talabani a par ailleurs fait un geste en faveur de Barzan al-Tikrit, le demi-frère de Saddam Hussein, en demandant le 30 octobre qu'il soit sorti de sa prison afin d'être soigné pour un cancer. Barzan al-Tikriti avait imploré l'aide des dirigeants du monde, dont M. Talabani et le président américain George W. Bush, pour se faire soigner d'un cancer, dans un message publié le 28 octobre par le quotidien arabe Asharq al-Awsat.

La presse irakienne s'est en général félicitée de l'ouverture du procès, n'hésitant pas à y voir un message adressé à tous les dictateurs du monde. Mais un journal, animé par les sunnites, n'a osé aucun commentaire, se contentant de reproduire les dépêches d'agences. « Procès du siècle », « Jugement d'un tyran », « Premier dictateur arabe à être jugé »: l'ensemble des quotidiens irakiens, chiites ou kurdes, ont salué le 19 octobre l'ouverture du procès du président déchu et de sept de ses lieutenants. Sous le titre « Procès du siècle », le journal al-Bayane, du parti chiite Dawa du Premier ministre Ibrahim Jaafari, affirme que « les Irakiens vont enfin voir leur ancien dictateur à la merci de la Justice irakienne ». « Ce procès, que l'on attendait depuis deux ans et demi, intervient après le référendum sur la Constitution qui, si elle est adoptée, mettra fin à jamais à une époque dominée par les guerres, les tortures et les massacres ». Al-Adala du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak, titrait de son côté : « Procès du tyran Saddam Hussein au palais de la République », en publiant une photo du dictateur déchu le jour de sa capture, en décembre 2003, par des soldats américains dans une cache souterraine au nord de Bagdad. « Ce procès n'est pas une vengeance, mais le jugement de celui qui a gouverné l'Irak par le feu et le sang, pour qu'il reçoive son juste châtiment », écrit le journal.

Un autre journal chiite, al-Moatamar, proche du vice-Premier ministre Ahmad Chalabi, écrit en lettres rouges « le massacre de Doujaïl suffit à lui seul pour (prononcer) la peine capitale » contre Saddam Hussein.

« Aujourd'hui, le dictateur Saddam et les piliers de son régime sont jugés », titre Al-Ittihad, journal de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), du président Jalal Talabani. L'autre journal kurde, al-Taakhi, porte-parole du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, affirme sous le titre, « Le procès », que « les victimes des fosses communes attendent le jugement de l'histoire ». « Ces victimes réclament de la Justice qu'elle prononce le plus sévère châtiment pour qu'elles puissent reposer en paix ».

Al-Sabah, pro-gouvernemental souligne que « les Irakiens ne verseront pas de larmes », pour Saddam Hussein, tandis que al-Sabah al-Jadid titre sur le « premier procès historique d'un dictateur arabe ».

Après une journée consacrée à l’établissement de l’identité des prévenus, le TSI a décidé de tenir sa prochaine audience le 28 novembre à la demande des avocats, qui disent ne pas avoir eu accès à toutes les pièces du dossier, et pour permettre d'entendre les témoins qui n'ont pas pu se présenter devant le tribunal pour des raisons de sécurité.

Voici les principaux crimes retenus par l’acte d’accusation :

  • En 1991 - Saddam Hussein écrase dans le sang le soulèvement chiite dans le sud de l'Irak faisant des dizaines de milliers de victimes, après la défaite de l'armée irakienne chassée du Koweït par une coalition internationale dirigée par les Etats-Unis.
  • En 1988, pendant la guerre Irak-Iran (1980-88), l'aviation irakienne a largué sur la ville kurde d’Halabja toute une gamme d'agents chimiques. Ce bombardement fut la plus grande attaque aux gaz de combat contre des civils: quelque 5.000 Kurdes irakiens, en majorité des femmes et des enfants, ont été tués en quelques minutes, et 10.000 blessés.
  • La campagne Anfal: en 1987-1988 quelque 182.000 personnes sont tuées dans des déplacements massifs de populations kurdes et des tueries dans des villages kurdes par le régime de Saddam Hussein, selon un bilan communément admis.
  • L'Iran, dont la guerre avec l'Irak a fait près d'un million de morts de part et d'autre selon les estimations occidentales, accuse Saddam Hussein de « crimes contre l'humanité, génocide, violation des règles internationales et utilisations d'armes prohibées ».
  • Le Koweït, envahi en 1990 par les troupes de Saddam Hussein et occupé pendant sept mois, a requis la peine de mort dans son acte d'accusation contre l'ancien président irakien pour les crimes perpétrés dans l'émirat.
  • L'acte d'accusation rend Saddam Hussein et ses lieutenants responsables de crimes contre l'humanité, crimes de guerre et usage de la force armée pour envahir l'émirat.
  • En 1983, la déportation et le massacre de 8.000 membres de la tribu Barzani, tribu kurde à laquelle appartient l’actuel président du Kurdistan, Massoud Barzani.
  • Exécutions de dignitaires religieux chiites en 1980 et 1999.



L’examen de ces chefs d’accusation pourrait prendre des mois.

TURQUIE-UE : OUVERTURE DES NÉGOCIATIONS D’ADHÉSION

La Turquie a engagé le 4 octobre dans la nuit les négociations d'adhésion avec l'Union européenne au terme d'un accord arraché in extremis qui illustre le malaise lié à la candidature de ce pays. La cérémonie officielle ouvrant un processus qui devrait durer plus de dix ans s'est tenue peu après minuit à Luxembourg après un marathon diplomatique nécessaire pour surmonter les résistances autrichiennes et les objections turques. La difficulté qu'ont éprouvée les Vingt-Cinq à parvenir à un compromis sur le mandat de négociations avec Ankara témoigne du caractère ultrasensible du dossier et des vives interrogations des opinions publiques et d'une partie des dirigeants européens.

Avec 72 millions d'habitants, à plus de 95% musulmans, la Turquie est un poids lourd et son entrée éventuelle au sein de l'UE, dans une perspective de dix à quinze ans, est un défi géopolitique, économique, financier et institutionnel. « C'est une situation dans laquelle tout le monde est gagnant et le monde entier en sortira également gagnant (...), une situation qui ajoutera à la diversité de l'Europe », a déclaré le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gül, arrivé dans la nuit d'Ankara où il avait attendu toute la journée la conclusion d'un accord pour sauter dans son avion. Jack Straw, le chef de la diplomatie britannique qui a présidé ce marathon, a salué « un jour véritablement historique pour l'Europe et pour l'ensemble de la communauté internationale ». Mais, a-t-il aussi souligné, « ceci est le début d'un processus de négociations et la route sera longue ».

Pour la Turquie, ces négociations couronnent un processus lancé en septembre 1963 avec la signature d'un accord d'association avec la communauté européenne. Mais il a fallu d'âpres tractations pour que les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Cinq surmontent les réticences de l'Autriche, qui souhaitait proposer une alternative à l'intégration pure et simple de la Turquie, et se mettent d'accord sur un mandat de négociations avec Ankara.

Après une nuit et une journée d'un intense ballet diplomatique, qui a vu la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice intervenir par téléphone, Vienne et Ankara ont accepté in fine un texte qui maintient l'objectif de l'adhésion, fixé par les dirigeants européens en décembre 2004. Vienne a accepté que la formule de « partenariat privilégié », alternative à une admission pleine et entière soutenue par nombreux de partis conservateurs et chrétiens démocrates d'Europe occidentale, ne figure pas dans le cadre des discussions. En retour, les Vingt-Cinq réaffirment que l'éventuelle entrée de la Turquie sera conditionnée à la « capacité d'absorption » de l'Union européenne d'un pays qui serait le plus peuplé et absorberait entre 16 et 28 milliards d'euros de fonds européens par an en 2025. « Il est désormais clair que la capacité d'absorption de l'Union est une condition qui devra être remplie pour que la Turquie y adhère; dans le cas contraire, cela n'aura pas lieu », a déclaré la ministre autrichienne des Affaires étrangères, Ursula Plassnik.

Les enjeux du marathon luxembourgeois étaient élevés: un échec aurait ajouté une nouvelle crise à la crise constitutionnelle et budgétaire que vit l'Union depuis le double « non » français et néerlandais à la Constitution européenne. Il aurait aussi porté un coup d'arrêt aux réformes engagées en Turquie. Mais la candidature turque n'est encore qu'au tout début d'un long processus, sans doute dix à quinze ans. Ankara va devoir à présent intégrer dans son corpus juridique les 80.000 pages de directives, lois et règlements qui constituent l' « acquis communautaire », le socle juridique commun à tous les membres de l'UE.

« Les négociations doivent être justes et rigoureuses (...) (La Turquie) doit respecter strictement les exigences en matière de démocratie, de droits de l'homme et d'État de droit si elle veut entrer dans le club », a déclaré le président de la Commission européenne, Jose Manuel Barroso.

Au moins deux pays européens, la France et l'Autriche, ont annoncé par ailleurs que les électeurs auraient le dernier mot sur l'adhésion. « A tout moment, un Etat peut arrêter le processus de négociation s'il le souhaite », a rappelé le chef de la diplomatie française, Philippe Douste-Blazy. « Pour les citoyens européens, nous avons créé la certitude qu'ils ne pourront pas être laissés à l'écart », a déclaré pour sa part le chancelier autrichien, Wolfgang Schüssel.

Le Premier ministre français, Dominique de Villepin a, le 4 octobre, rappelé que le processus de négociations avec la Turquie était « contrôlé », « long et ouvert », et « conditionnel ». « A chaque étape, sur chaque chapitre, les 25 Etats auront la possibilité d'être consultés et voteront », a rappelé le Premier ministre. Il a également rappelé aux députés que les Français seront consultés par référendum sur le résultat des négociations, en vertu de la révision constitutionnelle adoptée au début de l'année. L'ancien président de la République Valéry Giscard d'Estaing a exprimé « regret » et « tristesse » de voir s'éloigner « le grand projet français d'une union politique de l'Europe », au profit d'une « grande zone de libre-échange ».

Voici les termes du cadre des discussions d'adhésion de la Turquie avec l'Union Européenne:

  • Les négociations seront basées sur « les mérites propres de la Turquie et le rythme dépendra des progrès de la Turquie » vers le respect de tous les critères des pays-membres.
  • L'UE décidera de la conclusion des négociations, et de la date de cette conclusion.
  • L' « objectif partagé » est l'adhésion de la Turquie à l'UE mais les négociations « forment un processus ouvert, dont le résultat ne peut être garanti au préalable. »
  • Si la Turquie ne peut rejoindre l'Union, l'UE doit s'assurer que celle-ci « soit complètement rattachée aux structures européennes par le lien le plus fort possible. »
  • La cohésion et l'efficacité de l'UE doivent être sauvegardées. Sa « capacité à absorber la Turquie, tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne, est une considération importante » pour l'UE et la Turquie.
  • L'UE attend de la Turquie « le soutien du processus de réforme », la garantie des droits de l'homme et des droits fondamentaux, la mise en place d'une « politique de tolérance zéro dans le combat contre la torture et les mauvais traitements », et l'application de lois garantissant « la liberté d'expression, la liberté de culte, les droits des femmes (...) et des minorités. »
  • S'il existe « une faille sérieuse et persistante (...) dans les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme, des libertés fondamentales et de l'État de droit », l'UE pourra mettre un terme aux négociations.
  • La Turquie doit « aligner progressivement » sa politique étrangère avec celle de l'UE et des pays-membres.
  • Elle doit également aligner ses positions dans les organisations internationales avec celle des gouvernements de l'UE.
  • En parallèle avec les discussions d'adhésion, l'UE mettra en place un dialogue « intensif » avec la Turquie afin d'améliorer « la compréhension mutuelle (...) et dans l'objectif de garantir le soutien des citoyens européens au processus d'adhésion. ».

VISITE HISTORIQUE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA LIGUE ARABE AU KURDISTAN IRAKIEN

Le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, a effectué une visite qualifiée d’historique au Kurdistan d'Irak et a obtenu le soutien des Kurdes, après celui des chiites, à sa proposition de conférence d'entente irakienne. Le chef de la Ligue arabe a, le 23 octobre, pris la parole devant les 111 élus du Parlement du Kurdistan pour appeler à « la fraternité et l'entente » entre les Irakiens. C'est la première fois qu'un dirigeant arabe s'adresse à cette assemblée et cette visite au Kurdistan est considérée comme une reconnaissance implicite par la Ligue arabe d'une région autonome, depuis 1991, d'un de ses 22 membres.

Sur le plan diplomatique, le secrétaire général de la Ligue arabe a reçu l'appui à son initiative du président irakien Jalal Talabani, après avoir obtenu le soutien du président du Kurdistan, Massoud Barzani, qu'il a rencontré à Erbil. « J'apporte mon total soutien à l'action et aux idées de Amr Moussa car elles servent l'intérêt de l'Irak », a déclaré M. Talabani à la presse après avoir rencontré le responsable arabe à Souleimaniyeh. « Nous mettrons à profit tous nos moyens et contacts avec les différentes composantes de la société irakienne, ainsi que nos relations internationales » pour la faire aboutir, a-t-il souligné ajoutant que la Ligue arabe était « la mieux placée pour jouer un rôle en Irak ».

Amr Moussa qui a prolongé de deux jours sa visite en Irak a affirmé pour sa part que « Nous attendons tous l'avènement du nouvel Irak, qui fait partie du monde arabe, avec toutes les spécificités énoncées dans la Constitution ». Il a précisé que son adjoint pour les affaires arabes, Ahmad Ben Helli, reviendrait bientôt en Irak pour poursuivre les consultations au sujet des détails de l'initiative arabe et accélérer sa mise en oeuvre.

M. Moussa cherche à réunir en Irak une conférence d'entente nationale entre les différentes forces politiques, et des personnalités irakiennes ont affirmé qu'une réunion préparatoire se tiendrait le 15 novembre au Caire, ce qui n'a pas été confirmé officiellement. L'initiative de la Ligue arabe avait reçu un appui chiite de poids, celui du grand Ayatollah Ali Sistani, une référence pour cette communauté majoritaire dans le pays. « J'ai obtenu la bénédiction et le soutien de l'ayatollah Sistani, ce qui me fait plaisir », a indiqué le 22 octobre M. Moussa après une rencontre avec le religieux dans la ville sainte de Najaf, au sud de Bagdad.

Par ailleurs, à la veille d'une réunion des pays arabes au sujet de l'Irak, le chef de la diplomatie irakienne a, le 1er octobre, critiqué ses voisins qui n'empêchent pas de nombreux insurgés de passer les frontières pour lutter contre le gouvernement irakien. Le ministre irakien des Affaires étrangères Hoshyar Zebari a déclaré que les pays arabes devraient aider l'Irak à lutter contre les insurgés s'ils souhaitent la fin de l'ingérence iranienne dans le pays. Il a également exhorté la presse arabophone à cesser d'utiliser le terme de « résistants combattants ». Les ministres des Affaires étrangères de huit pays arabes et le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa s’étaient rencontrés à Jiddah (Arabie saoudite) pour évoquer la stabilisation de la situation en Irak.

JALAL TALABANI ET MASSOUD BARZANI MENACENT DE RETIRER LEUR SOUTIEN AU GOUVERNEMENT DIRIGÉ M. JAAFARI S’IL CONTINUE D’OUTREPASSER SES PRÉROGATIVES ET NE RÈGLE PAS LE STATUT DE KIRKOUK

Le président irakien Jalal Talabani et le président du Kurdistan Massoud Barzani, qui reprochent notamment au Premier ministre Ibrahim Jaafari de s'accaparer le pouvoir exécutif, ont mis en garde contre un retrait de leur soutien au gouvernement, a affirmé le 3 octobre un dirigeant du parti de M. Talabani. « Si vous ne résolvez pas rapidement ces problèmes, cela affectera notre alliance », ont affirmé le président irakien et le président du Kurdistan d'Irak dans une lettre envoyée ces derniers jours à M. Jaafari et rendue publique par Mullah Bakhtiar, un responsable de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK). « Nous avons envoyé une délégation commune à Bagdad pour discuter avec le gouvernement de Jaafari sur nos points de litiges », a ajouté M. Bakhtiar. Selon lui, les deux leaders reprochent au Premier ministre de ne pas respecter un accord d'alliance signé avant la formation du gouvernement après les élections de janvier, remportées par les listes chiite et kurde.

Leur lettre, qui comprend 16 points de contentieux, accuse notamment le Premier ministre de ne pas donner au Kurdistan d'Irak, région autonome depuis 1991, les moyens de son développement économique. Elle reproche également l'absence de réunion entre le président de la République, le président du Parlement et le chef du gouvernement, la nomination sans concertation de haut fonctionnaires ou encore les visites à l'étranger de délégations irakiennes ne comprenant que des membres chiites du gouvernement. MM. Talabani et Barzani demandent par ailleurs à M. Jaafari, qui est chiite, de prendre des mesures pour empêcher le meurtre de sunnites. « Si Jaafari continue dans cette direction, nous allons arriver à une impasse », a ajouté M. Bakhtiar.

Le Premier ministre a refusé d'entamer le 2 octobre une polémique après des propos acerbes du président Talabani tenus au cours de la semaine. « J'ai entendu comme vous (les propos de M. Talabani) mais je n'ai pas le temps de livrer des réactions personnelles », a-t-il affirmé lors d’une conférence de presse. Expliquant employer tout son temps à « diriger le pouvoir exécutif au sein du gouvernement », le Premier ministre chiite a ajouté: « Quand le temps sera venu, je m'exprimerai fortement ».

M. Talabani avait une première fois accusé M. Jaafari d'outrepasser ses prérogatives fixées par la Loi de l'autorité transitoire (TAL), qui régit actuellement le pays avant l'adoption d'une Constitution permanente. « Un de nos problèmes avec le Premier ministre est qu'il viole la loi », avait-il déclaré cité le 1er octobre par le journal Ittihad de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK). Il a fait référence à l'article 24, qui stipule que « le gouvernement irakien transitoire (...) est composé de l'Assemblée nationale, du Conseil de la présidence, du Conseil des ministres, dont le Premier ministre, et de l'autorité judiciaire ». Selon M. Talabani « le Premier ministre ne devrait pas chercher à représenter à lui seul le gouvernement », puisqu'il « n'en représente qu'un quart ».

Autre point de tension, le statut de la ville de Kirkouk, dont les Kurdes revendiquent le rattachement au Kurdistan d'Irak. Le régime de Saddam Hussein y avait pratiqué une politique d'arabisation dès le début des années 1960, tout en en chassant des Kurdes. Le journal de l'UPK a rappelé qu'au lendemain des élections, les alliances chiite et kurde, les deux grands vainqueurs du scrutin, avaient signé un accord pour favoriser le retour des Kurdes dans cette ville, en prévoyant notamment des compensations financières pour aider à leur réinstallation. « Il y a eu un protocole signé par six membres des deux parties. Ses articles n'ont pas été appliqués. Le Premier ministre prend des décisions unilatérales », a accusé M. Talabani.

Toutefois, le mécontentement exprimé publiquement par les leaders kurdes est considéré comme une mise en garde qui ne devrait pas dégénérer en crise gouvernementale. Le mandat du gouvernement transitoire expirent fin décembre nul n’aurait intérêt à provoquer un telle crise.

LE RAPPORT FINAL DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LE SCANDALE « PETROLE CONTRE NOURRITURE » RÉVÈLE LE DETOURNEMENT DE 1,8 MILLIARDS DE DOLLARS PAR LE REGIME DE SADDAM HUSSEIN

La Commission d'enquête sur le scandale « pétrole contre nourriture » en Irak a révélé le 27 octobre que les manipulations de ce programme de l'Onu par le régime de Saddam Hussein lui ont permis de détourner 1,8 milliard de dollars. Plus de 2.200 entreprises se sont prêtées au jeu, sciemment ou non, a affirmé la commission d'enquête indépendante, dans son 5eme et dernier rapport. Parmi ces entreprises issues de plus de 60 pays, beaucoup étaient russes, françaises ou chinoises. Bagdad suivait une politique délibérée de favoritisme envers des pays perçus comme « amis », dans le but d'obtenir la levée des sanctions internationales imposées à l'Irak, explique la Commission, dirigée par l'ancien banquier fédéral Paul Volcker. Des sociétés, notamment américaines comme Bayoil, se sont en outre abritées derrière des compagnies prête-nom de pays « acceptables », selon le rapport. Parmi les entreprises nommées, figurent quelques géants industriels comme Volvo, Siemens et Daimler-Chrysler. La commission cite aussi des compagnies russes ayant participé aux manipulations, comme Zarubejneft, Alfa Eco, Machinoimport.

Toutefois, M. Volcker a souligné devant la presse que « l'identification d'une société dans le rapport ne signifie pas nécessairement que cette société, contrairement à un agent par exemple, a en fait autorisé ou même connaissait l'existence des paiements illicites ». Le rapport indique que la Banque nationale de Paris (BNP) s'est trouvée « dans une situation de conflit d'intérêts ». Tout en étant gérante officielle des comptes séquestres de l'Onu sur lesquels elle recevait et déboursait les fonds liés au programme, la banque française servait aussi de garante à des entreprises qui participaient au programme.

La Commission identifie des particuliers de nombreuses nationalités, comme ayant été les bénéficiaires d'allocations illégales de pétrole par l'Irak. Parmi eux, plusieurs Français comme les anciens diplomates Serge Boidevaix et Jean-Bernard Mérimée, tous deux mis en examen en France, l'ex-ministre de l'Intérieur Charles Pasqua et son conseiller Bernard Guillet, l'homme d'affaires Claude Kaspereit. Sont aussi nommés le député britannique George Galloway, le président de la région italienne de Lombardie, Roberto Formigoni, l'homme d'affaires suisse Alain Bionda et l'homme politique russe Vladimir Jirinovsky.

En vigueur de 1996 à 2003, le programme « pétrole contre nourriture » permettait à Bagdad de vendre du pétrole et d'acheter en échange des biens de consommation courante. Il visait à alléger l'impact sur la population irakienne de l'embargo international imposé à l'Irak après l'invasion du Koweït. Le programme a atteint une valeur totale de plus de 100 milliards de dollars (64 milliards pour le pétrole et 39 pour la nourriture). Selon le rapport, l'imposition par Bagdad d'une politique systématique de pots-de-vin et de surfacturations a commencé en 2000, poussant certaines des plus grandes compagnies pétrolières étrangères à se retirer du programme. « C'est alors que d'autres sociétés et des intermédiaires sont entrés en scène et que des sociétés-écrans ont été créées », a indiqué M. Volcker. « C'est à ce moment que le programme a été corrompu ».

Mais le rapport souligne aussi que le régime de Saddam Hussein a tiré 11 milliards de dollars de profits illégaux de la contrebande de pétrole à ses frontières, hors du programme onusien. M. Volcker a affirmé qu'il était désormais du ressort de la justice dans chaque pays de déterminer s'il y a lieu à poursuivre certaines personnes. Le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, a appelé les Etats membres à prendre des sanctions à l'égard des compagnies ayant versé des pots-de-vin. La Suisse a annoncé avoir ouvert une enquête criminelle pour quatre de ses ressortissants. De son côté, Washington a estimé que le rapport Volcker montrait le besoin urgent de réformer l'Onu.

Par ailleurs, la corruption en Irak continue de détourner des milliards de dollars par an et Washington et Bagdad doivent en faire bien plus pour l'enrayer, estime l'inspecteur général américain pour la reconstruction en Irak. Dans un rapport diffusé le 30 octobre, Stuart Bowen préconise la tenue d'un sommet américano-irakien consacré à ce dossier. « La création d'une structure anticorruption efficace au sein du gouvernement irakien est essentielle au succès à long terme de la démocratie naissante d'Irak », explique-t-il dans son septième rapport trimestriel au Congrès. L'auditeur estime que les détournements de carburants font perdre chaque année plus de deux milliards de dollars à l'Irak. Il cite également un rapport du Bureau d'audit irakien selon lequel jusqu'à 1,27 milliard de dollars auraient été perdus entre juin 2004 et février 2005 dans le cadre de 90 contrats de reconstruction qui ont été attribués à des « fournisseurs favorisés » et ont généré au passage des commissions occultes versées à des intermédiaires. Etablissant le bilan des 2.784 projets de reconstruction engagés, le rapport Bowen note que 1.887 d'entre eux sont achevés et que les autres sont en cours de réalisation.

Mais il relève que la production pétrolière reste à un bas niveau, que les exportations de brut irakien sont perturbées par les sabotages de l'insurrection, que les pénuries de carburants demeurent habituelles et que l'approvisionnement en électricité de la population irakienne est toujours limité. Les services de Bowen, créés par le Congrès en novembre 2003 pour superviser le Fonds de reconstruction de l'Irak, comptent 20 auditeurs et dix enquêteurs en Irak, auxquels s'ajoutent du personnel aux Etats-Unis.

OCTOBRE SANGLANT POUR L’IRAK EN CAMPAGNE POUR LE REFRENDUM SUR LA CONSTITUTION

L'Irak a connu un mois d'octobre sanglant, qui a coïncidé avec le mois de jeûne du ramadan et le référendum relatif à la Constitution irakienne. Au total, 407 Irakiens ont été tués en octobre, dont plus des deux-tiers (299) sont des civils, selon des statistiques officielles. Ce chiffre est toutefois en diminution par rapport à septembre où on a dénombré 700 Irakiens tués. Le 31 octobre a été une journée meurtrière également pour l'armée américaine qui a annoncé la mort de sept de ses soldats pour cette seule journée, tous tués dans des attentats à la bombe artisanale. Au total, 2.022 GI's et civils américains assimilés militaires sont morts en Irak depuis l'invasion du pays en mars 2003, selon un décompte de l'AFP. Octobre a été le quatrième mois le plus sanglant pour les soldats américains en Irak, avec 94 tués, selon un bilan établi d'après des données du Pentagone.

Dans ce contexte, le Premier ministre Ibrahim Jaafari a écrit au Conseil de sécurité de l'Onu pour demander la prolongation d'un an de la présence de la Force multinationale dans le pays. Les autorités irakiennes estiment que leurs forces ne sont pas encore prêtes pour assurer la sécurité dans le pays, en dépit des succès annoncés dans la lutte contre les groupes extrémistes.

Le bilan des vies perdues côté irakien est quasiment impossible à établir, alors que les civils sont les premières victimes des violences. Les estimations vont de 27.000 à 100.000 morts, plusieurs experts s'accordant sur le chiffre d'environ 30.000.

L'agence Associated Press (AP) a pour sa part dénombré ces six derniers mois au moins 3.870 décès d'Irakiens -plus de deux tiers de civils et des membres des forces de sécurité pour le reste-, insurgés non compris. Elle avait compté au moins 3.240 civils tués lors du premier mois de la guerre. « Nous ne connaîtrons peut-être jamais le véritable nombre de civils irakiens tués ou blessés pendant cette guerre», reconnaît le porte-parole de l'armée américaine à Bagdad, le lieutenant-colonel Steve Boylan, qui admet que «la population irakienne a subi le plus gros» des violences. Le lieutenant-colonel Boylan ajoute que l'armée tient son propre décompte des Irakiens tués mais ne le publie pas et que lui-même n'y a pas accès. Le Pentagone, tirant peut-être les leçons des bilans désastreux de la guerre du Vietnam, a déclaré dès le début qu'il ne tiendrait pas le compte des Irakiens morts, au grand dam des organisations humanitaires qui le jugent le mieux placé pour cela.

Cependant l'évaluation de l'organisation pacifiste britannique Iraq Body Count, basée sur les médias et incluant les victimes des forces américaines, de l'insurrection ou des milices ainsi que les homicides, paraît crédible au lieutenant-colonel Boylan: de 26.690 à 30.051 civils tués, soit environ un millier par mois depuis le début de la guerre en mars 2003. Judith Yaphe, ancienne analyste du renseignement américain (CIA) spécialiste de l'Irak, accepte également la fourchette de 20 à 30.000 civils morts. Quant à son confrère militaire Anthony Cordesman, expert reconnu de l'Irak au Centre d'études stratégiques et internationales de Washington, il souligne dans un rapport publié le 21 octobre le caractère «extrêmement incertain» de l'estimation d'Iraq Body Count mais ajoute qu'elle semble être la plus fiable. Il cite également le chiffre des autorités irakiennes de 5.600 civils tués depuis la formation du nouveau gouvernement le 28 avril. Mais il est impossible de savoir ce qui se passe dans certaines régions reculées ou dangereuses.

Les estimations grimpent logiquement en incluant les pertes de l'insurrection et des forces de sécurité irakiennes. Michael O'Hanlon, analyste militaire à la Brookings Institution, qui a suivi la question de près, évalue le bilan moyen mensuel à 1.500 à 2.000 morts, dont la moitié d'insurgés.

Car si l'armée américaine perd 60 à 70 hommes par mois, les nouvelles troupes irakiennes en perdent autant par semaine, victimes principalement de l'insurrection, qui a effectué quotidiennement environ 90 attaques en septembre, selon Michael O'Hanlon.

En outre, souligne-t-il, le taux de criminalité irakien, le plus fort du Moyen-Orient, a explosé, avec un bond de 10.000 homicides par an depuis l'invasion. De ces constats il tire le bilan de 40 à 70.000 morts civiles. «Ces chiffres (...) alimentent l'insurrection car la perception - et parfois la réalité - est que nous n'en avons pas assez fait pour protéger des vies innocentes irakiennes», prévient ce spécialiste.

Une étude publiée en octobre 2004 dans la revue médicale The Lancet évaluait à 98.000 le nombre de civils morts depuis mars 2003 à cause de la guerre mais cette enquête fondée sur des extrapolations laisse sceptiques nombre d'experts.

D’autre part, près de 540 cadavres ont été découverts en Irak depuis cinq mois, dont 204 à Bagdad, selon un décompte publié le 8 octobre par l'Associated Press. Les minorités sunnite et chiite se sont mutuellement accusées d'être derrière ces massacres. Les 539 corps ont été découverts depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement intérimaire le 28 avril, selon un décompte de l'AP basé sur des sources gouvernementales, policières et hospitalières. La majeure partie n'a pas été identifiée. Parmi ces cadavres, figurent notamment 116 sunnites, 43 chiites et un Kurde. Mais ce chiffre pourrait être en deçà de la réalité. En effet, un à deux cadavres sont découverts chaque jour et ne sont pas signalés. Les minorités sunnite et chiite se sont accusées d'être derrière des escadrons de la mort responsables de ces exécutions extra-judiciaires. De nombreux responsables d’échelon moyen du parti Baas figureraient parmi les tués.

SOULEIMANIYEH FRAPPÉ PAR UN TRIPLE ATTENTAT SUICIDE FAISANT 13 MORTS

Une vague d'attentats à Souleimaniyeh, jusque-là épargnée par les violences, est intervenue quelques heures avant l'organisation d'un défilé des peshmergas, en présence du président Talabani. Un triple attentat suicide contre le convoi d'un responsable kurde et le siège des peshmergas a, le 25 octobre, fait 13 tués et 26 blessés. Un kamikaze a fait sauter sa voiture piégée devant un immeuble abritant des peshmergas, faisant 11 morts dans le sud de la ville. Quelques instants plus tôt, deux autres kamikazes avaient lancé deux voitures piégées contre un responsable kurde, Mulla Bakhtiar, membre du bureau politique de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), alors qu'il quittait son domicile. L'intéressé a échappé à ce double attentat mais deux de ses gardes du corps ont été tués, a annoncé la police. Une quatrième voiture piégée a été découverte près de l'hôtel Ashti, dans le centre de la ville, où résident habituellement des journalistes étrangers.

Lors d'un raid mené le 28 octobre contre la maison d’un individu suspecté dans ce triple attentat, deux personnes ont été tuées et une troisième blessée. Le raid a été conduit par « une unité mixte de la police et des peshmergas kurdes dans le quartier d'Omar Koueir, au nord-est de la ville », a indiqué Sarkout Hassan, chef de la sécurité de Souleimaniyeh. Des roquettes antichars et des armes légères ont été utilisées lors de l'opération, a-t-il précisé, ajoutant que le suspect a fait exploser un mur de l'habitation, tuant un officier des peshmergas et blessant un autre. Le suspect, « un membre du groupe extrémiste Ansar al-Sunna, a été blessé lors du raid et est décédé lors de son transfert à l'hôpital ». « Les forces de sécurité kurdes ont identifié les cellules responsables de ce triple attentat et tentent de les arrêter pour les traduire en justice », a indiqué Sarkout Hassan sans autre précision.

Par ailleurs, le récent limogeage du chef de la police de Mossoul, membre de la puissante tribu des Joubour, a donné lieu le 29 octobre à des protestations de la part d'Arabes sunnites contre le Conseil du gouvernorat constitué en majorité de Kurdes. Quelque 300 policiers et représentants de tribus arabes sunnites se sont rassemblés devant le siège du gouvernorat à Mossoul (370 km au nord de Bagdad) pour demander le maintien dans son poste du général Ahmad Mohammad Khalaf al-Joubouri, limogé récemment « pour corruption » par le Conseil provincial de Ninive.

Le chef limogé de la police, en poste depuis novembre 2004, qui a contesté la décision a unilatéralement décidé le même jour de libérer 93 détenus incarcérés au siège de la police. Prenant la parole devant le rassemblement, il a dénié au conseil provincial, dominé par les Kurdes, « le droit de représenter cette ville ». Ce conseil est toujours en place « car les Arabes sunnites ont boycotté les élections générales de janvier ». « Ceux qui veulent me démettre cherchent à provoquer le chaos dans la ville pour empêcher les Arabes sunnites de participer aux élections législatives de décembre », a-t-il prétendu. Les manifestants ont remis au gouverneur, Douraïd Kachmoula, un communiqué dans lequel ils rejettent la décision du limogeage du général Ahmad al-Joubouri et réclament son maintien.

DAMAS : TOUT EN PROMETTANT DE RÉINTEGRER DANS LA NATIONALITÉ SYRIENNE PLUS DE 200 000 KURDES DÉCHUS ARBITRAIREMENT, LE RÉGIME SYRIEN POURSUIT SA POLITIQUE DE REPRESSION

Le parti Baas au pouvoir en Syrie a, le 27 octobre, annoncé que des mesures concrètes allaient être prises pour accorder la nationalité à des Kurdes de Syrie qui en ont été privés et pour faire adopter une loi sur les partis politiques. Cette promesse d'ouverture interne intervient alors que la Syrie est sous pression internationale pour exécuter la résolution 1595 du Conseil de sécurité de l'Onu. Cette résolution enjoint tous les Etats membres des Nations unies de coopérer à l'enquête internationale sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Le rapport de la commission d'enquête internationale met en cause des responsables syriens et libanais dans l'assassinat de Rafic Hariri et a conclu à la non coopération de la Syrie à l'enquête.

L'agence officielle syrienne Sana indique que les décisions concernant les Kurdes et les partis politiques ont été prises au cours d'une réunion du comité central du Baas, « conformément aux décisions du congrès général du parti (juin 2005), et aux directives du président syrien Bachar Al-Assad ». Le congrès du Baas qui s'est réuni du 6 au 9 juin a « affirmé la nécessité de régler le problème du recensement organisé en 1962 à Hassaké et d'oeuvrer pour le développement de la région » où sont installés la majorité des 1,5 million de Kurdes syriens. Le congrès du parti en juin avait également proposé « l'adoption d'une loi sur les partis et la révision de la loi électorale » pour l'organisation des élections législatives et locales.

Selon des responsables de partis kurdes syriens, 225.000 Kurdes sont privés de la nationalité depuis le recensement de 1962 qui délibérément ne les avait pas comptabilisés. Les responsables kurdes se défendent de toutes visées sécessionnistes et assurent qu'ils veulent uniquement la reconnaissance de leur langue et de leur culture, ainsi que de leurs droits politiques.

En attendant des mesures concrètes pour la mise en œuvre des promesses du régime, la répression contre les Kurdes ne faiblit pas. Le 5 octobre, une manifestation kurde a été dispersée par la police à Damas alors que les manifestants observaient un sit-un pour protester notamment contre « la politique d'oppression » et réclamer « la nationalité syrienne ». Selon un communiqué du parti kurde Azadi (liberté), « des centaines de Kurdes se sont réunis sur la place Shahbandar à Damas à l'appel de plusieurs partis pour protester contre la politique d'oppression menée contre les Kurdes et contre les résultats d'un recensement effectué en 1962 ». Le parti Azadi « dénonce, dans ce communiqué, les méthodes répressives et exprime sa solidarité avec les citoyens kurdes auxquels la nationalité a été retirée arbitrairement ».

De plus, la Cour de sûreté de l'Etat syrien a, le 16 octobre, condamné deux Kurdes à des peines de deux ans et demi de prison pour appartenance à « une organisation secrète ». Membres du Parti de l'Union démocratique, formation kurde syrienne interdite, les deux accusés, Idriss Mohammad Mohammad et Moustapha Saïd Khalaf, ont été reconnus coupables par ce tribunal d'exception, d'appartenance à « une organisation secrète visant à faire annexer une partie des territoires syriens par un pays étranger », a déclaré leur avocat Me Fayçal Badr. « C'est l'accusation habituelle portée contre tout Kurde qui comparaît devant ce tribunal. Elle est sans fondement car tous les partis kurdes réclament une solution démocratique et juste au problème kurde, dans le cadre de l'unité territoriale de la Syrie », a ajouté Me Badr. L'avocat a qualifié d' « anticonstitutionnelle » la Cour de sûreté de l'Etat créée en vertu de la loi d'urgence en vigueur depuis 1963.

Le 16 octobre, l'opposition syrienne a lancé un appel à un « changement démocratique » dans un texte intitulé « Déclaration de Damas », signé par plusieurs partis de l'opposition communiste, nationaliste, libérale et par les partis kurdes. Le texte qui a reçu le soutien des Frères musulmans était adressé « à toutes les parties qui veulent le changement » y compris au courant réformateur du parti Baas. Voici de larges extraits de cette déclaration :

« La Syrie affronte aujourd’hui des dangers quelle n’a jamais connus auparavant, en raison des politiques suivies par le régime, qui ont conduit le pays à une situation très préoccupante pour le salut national et l’avenir de la population (…) Le monopole de toute vie publique par le pouvoir, pendant plus de trente ans, a permis la fondation d’un régime hégémonique totalitaire sectaire et l’annulation de toute vie politique. Les citoyens sont hors de la chose publique. L’héritage laissé est un désastre, représenté par l’effritement du tissu social et national du peuple syrien et par l’effondrement économique, menaçant le pays de toutes sortes de crises (…)

Tout cela nécessite la mobilisation des énergies nationales et populaires de la Syrie dans une mission de changement, permettant de transformer le pays d’un Etat sécuritaire en un Etat politique (…) Les changements exigés touchent tous les domaines : l’Etat, le pouvoir et la société. Ils doivent aboutir à une transformation des politiques, tant intérieures qu’étrangères.

Les signataires se sont accordés volontairement et consensuellement sur les principes suivants:

L’instauration d’un régime national démocratique constitue le principe essentiel du projet de changement et de reformes politiques. Ce projet doit être pacifique, graduel, consensuel, basé sur le dialogue et la reconnaissance de l’autre.

Toute pensée totalitaire est rejetée. Et il faut rompre avec les pratiques d’exclusion, de tutelle ou d’élimination, quels qu’en soient les motifs, historiques ou actuels (…)

L’islam, religion et croyance de la majorité, constitue, avec ses fins nobles, ses valeurs divines, et sa doctrine de tolérance, la référence culturelle majeure dans la vie du peuple (…) nous sommes particulièrement attaché au respect des croyances, cultures et spécificités de tous les citoyens, quelque soit leur appartenance religieuse, confessionnelle ou doctrinale, ainsi qu’à l’ouverture sur les cultures modernes et contemporaines.

Aucun parti ou courant ne peut prétendre jouer un rôle exceptionnel (…)

Nous adoptons la démocratie comme régime moderne, universel par ses valeurs et ses principes, fondé sur les principes de liberté, de souveraineté populaire, de l’Etat des institutions et de l’alternance de pouvoir, par des élections libres et régulières, permettant au pouvoir d’être responsable devant le peuple qui peut le démettre.

Un Etat moderne doit être établi. Son régime politique doit être fondé sur un nouveau contrat social, inscrit dans une constitution démocratique moderne faisant de la citoyenneté le critère d’appartenance, instituant la pluralité, l’alternance pacifique au pouvoir, l’Etat de droit. Tous les citoyens y ont les mêmes droits et devoirs, hommes ou femmes, quel que soient leur religion, leur ethnie, leur communauté. Cette constitution doit empêcher le retour du despotisme sous de nouvelles formes.

Il faut aller à la rencontre de toutes les composantes du peuple syrien, vers tous ses courants intellectuels, ses classes sociales, ses partis politiques, et ses acteurs culturels, économiques et sociaux. Ils doivent pouvoir exprimer leurs visions, leurs intérêts et leurs ambitions. Ils doivent pouvoir participer librement au processus de changement.

Doivent êtres garanties les libertés individuelles, et celles des groupes et des minorités nationales, y compris le droit d’expression d’une identité et la sauvegarde des droits culturels et linguistiques. Ces garanties doivent être fournies et protégées par l’Etat, dans le cadre de la constitution et de la loi.

Une solution juste et démocratique doit être trouvée à la question kurde en Syrie, garantissant l’égalité totale entre les citoyens kurdes syriens et les autres citoyens, dans les droits de la nationalité, la culture, l’enseignement de la langue national et les autres droits constitutionnels, politiques, sociaux et juridiques, sur la base de l’unité et de l’intégrité du territoire national. Ceux qui ont été privés de leur nationalité doivent la retrouver, et leur citoyenneté doit être pleinement reconnue. Et, il est impératif de clôturer ce dossier définitivement.

Nous nous engageons à sauvegarder l’intégrité, la sécurité et l’unité de la Syrie (…)

Toute forme d’exclusion de la vie publique doit être abolie. Les lois d’urgence doivent être levées, ainsi que les lois martiales et les tribunaux spéciaux, et toute autre loi de ce genre, comme celle ne 49 de 1980. Les prisonniers politiques doivent être libérés. Un retour digne et sûr doit être assuré à tout persécuté ou exilé, volontaire ou non, avec les garanties juridiques nécessaires. Toute forme d’oppression politique doit être bannie, en rendant justice à toutes les victimes et en ouvrant une nouvelle page dans l’histoire du pays.

L’armée nationale doit être renforcée, et son professionnalisme doit être sauvegardé. Il doit rester en dehors de toute compétition politique (…)

Les organisations populaires, les unions syndicales, les chambres de commerce, de l’industrie et de l’agriculture doivent être libérées de la tutelle de l’Etat et de la hégémonie du parti et des services de sécurité (…)

Les libertés publiques doivent être rétablies. La vie politique doit être organisée par une loi moderne des partis. L’information et les élections doivent être également l’objet de lois modernes garantissent la liberté, la justice et l’égalité des chances pour tous.

Toutes les composantes du peuple syrien ont le droit à l’action politique, quelles que soient leurs appartenances religieuses, ethniques, ou sociales (…)

L’ensemble des accords et traités internationaux doit être respecté, ainsi que la Convention des Droits de l’Homme (…)

Les signataires de cette Déclaration estiment que le processus de changement a commencé. Il s’agit d’une nécessité urgente pour le pays qui ne peut être retardée (…). Nous nous engageons à oeuvrer pour en finir avec le despotisme. Nous sommes prêts à faire tous les sacrifices nécessaires pour cela, et à fournir tous les efforts pour enclencher le processus de changement démocratique, afin de construire une Syrie nouvelle libre, appartenant à tous ses citoyens, et de défendre la liberté de son peuple et son indépendance nationale »

Le texte a été signé par le Rassemblement National Démocratique en Syrie, l’Alliance Démocratique Kurde en Syrie, les Comités d’Animation de la Société Civile, le Front Démocratique Kurde en Syrie, le Parti du Futur (Cheikh Nawaf Al Bachir), Riad Seif, Jawdat Said, Dr. Abdel Razzak Eid, Samir Nachar, Dr. Fidaa Akram Al Horani, Dr. Adel Zaccar, Abdel Karim Al Dahhak, Haytham Al Maleh, Nayef Kaysieh.

STRASBOURG : LA TURQUIE À NOUVEAU CONDAMNÉE POUR VIOLATION DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET POUR LA BRUTALITÉ POLICIÈRE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

La Cour européenne des droits de l'homme a, le 27 octobre, condamné à nouveau Ankara pour avoir infligé des sanctions pénales au rédacteur en chef d'un quotidien qui avait publié en 1995 un article acerbe sur l'attitude de l'armée vis-à-vis des Kurdes. Le requérant est décédé entre temps et c'est sa veuve à qui a été attribué un total de 4.500 euros pour dommage moral, frais et dépens.

M. Ali Erol était rédacteur en chef du quotidien Evrensel (Universel) dans lequel parut en décembre 1995 un entretien avec un sous-officier ayant effectué son service militaire dans le Kurdistan de Turquie et qui mettait en relief l'hostilité des militaires à l'égard des Kurdes. Le 9 mai 1996, la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul avait condamné M. Erol à deux ans de prison et à une amende et avait interdit la parution du journal durant 20 jours. Pour la cour de sûreté de l'Etat l'article constituait « une incitation à la haine » fondée sur la différence raciale et régionale et une provocation à la désaffection envers le service militaire.

Pour la Cour européenne des droits de l'homme les faits invoqués n'étaient pas suffisants pour justifier une ingérence dans le droit du journaliste à la liberté d'expression, notamment parce que l'article n'exhortait pas à la violence, à la résistance armée, ou au soulèvement. Dès lors la condamnation du requérant était « disproportionnée » et constitue une violation de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant le droit à la liberté d'expression selon la Cour de Strasbourg. Celle-ci a en outre confirmé sa jurisprudence constante en condamnant Ankara pour manque d'indépendance et d'impartialité (article 6 de la Convention) en raison de la présence d'un juge militaire au sein de la Cour de sûreté de l'Etat.

De plus, la Cour européenne des Droits de l'Homme a, le 13 octobre, condamné la Turquie pour des violences policières commises lors d'une noce qui avait « dégénéré », selon la police, en manifestation favorable au PKK. Le 18 juillet 1992, Vedat Günaydin, 40 ans, domicilié à Diyarbakir avait été arrêté lors de cette opération de police avec neuf autres personnes. Examiné par un médecin, Vedat Günaydin présentait diverses lésions dont un oedème sur une épaule. Il a déclaré qu'il n'était présent au mariage que pour assurer la restauration. Condamné le 21 février 1994 par la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakir à 20 mois de réclusion ainsi qu'à une amende, sa peine a ensuite été ramenée à dix mois avec sursis.

Les juges de Strasbourg ont conclu à la violation de l'article 3 interdisant les traitements inhumains ou dégradants. Ils ont alloué 10.000 euros à Vedat Günaydin. L'arrêt conclut également à une violation de l'article 6, quant au manque d'impartialité et d'indépendance de la cour de sûreté qui l'a jugé.

Le 6 octobre, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait condamné la Turquie pour avoir insuffisamment enquêté sur un décès et une disparition à Diyarbakir. La Cour avait estimé qu'Ankara avait violé l'article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des droits de l'homme en s'abstenant de mener des « enquêtes effectives » sur les circonstances entourant le décès de Mahmut Y., soupçonné d’être un militant du PKK, décédé le 5 décembre 1997 à l'hôpital militaire de Diyarbakir et la disparition d'Ihsan Haran dans la même région en décembre 1994.Selon le procès-verbal des gendarmes, Mahmut Y. aurait fait une chute alors qu'il était détenu à la gendarmerie de Siirt. L'autopsie avait conclu qu'il était mort d'un hématome sous-dural pouvant avoir été provoqué par une chute. La Cour avait en revanche rejeté les allégations de ses parents selon lesquelles leur fils serait décédé des suites de tortures, estimant que cette hypothèse n'était pas étayée par des « preuves tangibles ». Mais elle avait décidé de leur allouer 20.000 EUR pour dommage moral et 3.170 € pour frais et dépens en raison de la violation de l'article 2.

Dans l'affaire d’Ihsan Haran, la CEDH avait également estimé qu'il n'existait pas « de preuves suffisantes pour conclure au delà de tout doute raisonnable qu'il a été secrètement détenu et tué par des agents de l'Etat », comme le soutient sa veuve. Mais elle avait reconnu que les autorités turques avaient « failli à mener une enquête adéquate et effective » sur sa disparition et décidé d'allouer 10.000 € à la veuve pour dommage moral et 4.000 € pour frais et dépens.

AINSI QUE...

UN SYNDICAT DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC TURC ECHAPPE À L’INTERDICTION APRÈS AVOIR RETIRÉ DE SES STATUTS L’OBJECTIF D’INTRODUIRE L’EDUCATION EN LANGUE KURDE


Un tribunal turc s'est prononcé le 27 octobre contre la fermeture d'un syndicat d'enseignants prônant l'utilisation de la langue kurde dans les écoles publiques, mettant un terme à une saga judiciaire suivie de près par l'Union européenne. La cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de sanctionner le syndicat Egitim-Sen dès lors que celui-ci a déjà retiré de ses statuts l'objectif d'introduire « l'éducation en langue maternelle » -dont celle du kurde- dans les écoles.

La Constitution turque interdit l'utilisation de langues autres que le turc dans l'enseignement public, même si le kurde peut désormais être enseigné dans des cours privés. Egitim-Sen, qui compte quelque 200.000 membres, a amendé ses statuts en juillet après qu'une cour d'appel eut annulé un jugement opposé à la fermeture du syndicat au motif que « l'éducation en langue maternelle va mettre en danger l'unité de l'Etat ». Les dirigeants du syndicat ont affirmé que leur priorité était de sauver celui-ci de la fermeture mais qu'ils continueraient de plaider en faveur de l'enseignement en langue maternelle même si cet objectif n'est plus mentionné dans leurs statuts.

Des représentants de l'UE ont critiqué le procès intenté à Egitim-Sen, y voyant une preuve des pressions qui continuent de s'exercer en Turquie contre les organisations non gouvernementales. La Turquie a entamé le 4 octobre des négociations d'adhésion avec l'UE, qui demeure très attentive au respect des droits de l'Homme dans ce pays. La Commission européenne doit publier le 9 novembre un rapport annuel sur les progrès d'Ankara dans son alignement sur les normes européennes.

LES OBSERVATEURS DES DROITS DE L’HOMME AGRESSÉS LORS DU PROCÈS DES POLICIERS TURCS IMPLIQUÉS DANS LE MEURTRE À MARDIN D’UN PÈRE ET DE SON FILS ÂGÉ DE 12 ANS


Des incidents ont éclaté le 24 octobre au matin à Eskisehir (ouest de la Turquie) à la reprise du procès de quatre policiers, dont les associations de défense des droits de l'Homme ont fait un nouveau test de la solidité de l'engagement de la Turquie envers l'État de droit. La police a interpellé 12 manifestants au sein d'un groupe d'une quarantaine de personnes qui souhaitaient assister au procès des meurtriers d'un Kurde et de son fils de 12 ans. S'étant vu interdire l'accès à la salle d'audience de la Cour d'assises, ces personnes ont lancé des pierres contre la police anti-émeute, qui a procédé aux interpellations. Le président de l'Association turque des droits de l'Homme, Me Yusuf Alatas, a également été interdit d'accès au tribunal.

D'importantes mesures de sécurité avaient été prises dans la ville, avec l'arrivée de renforts et de véhicules blindés des villes avoisinantes. Le tribunal doit statuer sur la mort d'Ahmet Kaymaz et de son fils de 12 ans, Ugur, abattus en novembre devant leur maison de Kiziltepe, une ville de la province kurde de Mardin.

La police a soutenu que le père et l'enfant avaient été tués lors d'une opération contre des combattants kurdes armés, mais les défenseurs locaux des droits de l'Homme et les voisins ont assuré que les victimes étaient des civils non armés. Une enquête parlementaire a conclu à une « grave négligence » policière et estimé que Kaymaz et son fils auraient pu être capturés sans effusion de sang.

Le procès a débuté en février à Mardin, avant d'être transféré à Eskisehir à la demande des avocats de la défense, affirmant avoir des craintes pour la sécurité de leurs clients. Ce procès est considéré comme un nouveau test de l'engagement de la Turquie à faire respecter l'État de droit alors que celle-ci a engagé ses négociations d'adhésion à l'Union européenne.