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Bulletin N° 199 | Octobre 2001

 
tags: N° 198-199 | septembre-octobre 2001

LES RESEAUX BEN LADEN SEVISSENT AUSSI AU KURDISTAN IRAKIEN

L’exceptionnelle période de paix que connaît le Kurdistan irakien depuis l’arrêt des affrontements armés sporadiques entre les forces de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) et celles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a été perturbée par des opérations sanglantes lancées à la frontière iranienne par une nouvelle organisation islamiste radicale qui a pour nom les Soldats de Dieu (Jund al-Islam) créée avec le soutien financier et militaire de Ben Laden.

Attaquant par surprise une unité militaire de l’UPK, dans le village de Kheli Haima, les commandos de Jund al-Islam ont le 23 septembre, tué 37 soldats d’ l’UPK, dont 25 prisonniers qui ont été mutilés et décapités avec une implacable sauvagerie. Les images macabres de cette tuerie ont été diffusées par la chaîne de télévision de l’UPK, KurdSat.

Le 24 septembre l’Union patriotique a lancé une contre-offensive qui a lui a permis de s’emparer le 25 septembre de la ville martyre de Halabja, située à la frontière iranienne et contrôlée depuis six ans par le Mouvement de l’unité islamique (MUI) soutenu par l’Iran.

Le 30 septembre, lorsque les forces de l’UPK se sont rapprochées des localités de Biyara et Tamela, situées à proximité de la frontière de l’Iran, elles ont été confrontées aux tirs nourris de l’artillerie iranienne. La veille une délégation iranienne avait rendu visite à la direction de l’UPK pour exiger que celle-ci restitue Halabja à son protégé, le Mouvement de l’unité islamique. Face au refus de l’UPK, Téhéran a fait-donner son artillerie pour rappeler sa capacité de nuisance et de déstabilisation.

Finalement, après de difficiles pourparlers, les chefs de l’UPK et de MUIK ont signé, le 15 octobre, à Qasri Chirine, au Kurdistan iranien, un nouvel accord sous l’égide de l’Iran. Selon United Press International, cet accord stipule que le Mouvement de l’unité islamique reconnaît le gouvernement régional dirigé par l’UPK comme la seule autorité de la région kurde frontalière avec l’Iran et qu’il se soumettra à ses lois. La médiation des mouvements islamiques kurdes a aussi abouti à une trêve dans les affrontements armés avec Jund al-Islam.

Fondée début septembre par la fusion de trois groupuscules islamistes extrémistes Jund al-Islam compterait environ 400 hommes armés, dont des Arabes “ afghans ” qui, selon le quotidien arabe Al Sharq al-Awsat du 28 septembre, seraientt au nombre de 60 et auraient tous suivi un entraînement militaire dans les camps d’Al Qaïda en Afghanistan.

Toute de suite après sa fondation, Jund al-Islam a émis un fatwa appelant à la guerre sainte contre les partis kurdes laïcs (PDK, UPK) qui gouvernent le Kurdistan irakien et à l’assassinat de leurs dirigeants. Selon la presse kurde irakienne Ben Laden aurait envoyé u message de félicitations et d’encouragement à Jund al-Islam et lui aurait accordé une aide financière de 300.000 dollars.

Si l’islam modéré dispose d’une certaine base sociale qui s’est traduit par un score électoral non négligeable dans les récentes élections municipales, l’islamisme extrémiste et violent est massivement rejeté par la population kurde. Ainsi le 1er octobre 300.000 personnes ont manifesté dans les rues de Suleimanieh (qui compte près d’un million d’habitants) pour protester contre Jund –al-Islam. Le Parti démocratique du Kurdistan, de M. Barzani a offert à son rival une aide financière de 1,4 million de dollars ainsi qu’une assistance militaire en armes. Selon le quotidien Khabat du 13 octobre le président du PDK apporte à l’UPK tout son “ soutien politique et moral ” mais, ajoute-t-il, “ nous nous n’enverrons pas nos troupes dans cette région étant donné que l’UPK a des forces armées de taille suffisante pour arrêter ce groupe ”.

La menace des actions terroristes des groupes islamistes extrémistes soutenus et manipulés par des puissances régionales a contribué à un net rapprochement de deux principaux partis politiques kurdes qui gouvernent le Kurdistan irakien. L’assassinat, en février 2001, par des islamistes du gouverneur chrétien d’Erbil, François Hariri, dirigeant historique et très populaire du PDK, avait provoqué une vague d’indignation au Kurdistan où la population, dans sa grande majorité, est attachée à la tolérance religieuse. L’UPK avait arrêté deux de auteurs de l’attentat tentant de fuir vers l’Iran et les avait remis au PDK qui avait beaucoup apprécié ce geste de coopération. A présent, c’est le PDK qui vient en aide à une UPK confrontée aux attaques des islamistes.

Dans cette affaire le rôle de l’Iran reste pour le moins équivoque ; officiellement Téhéran récuse toute accusation de soutien à Jund al-Islam et aux autres groupes islamistes violents. Reste à savoir comment ces Arabes “ afghans ” ont pu venir s’installer à sa frontière et pourquoi l’artillerie iranienne est-elle venue à leur secours.

De son côté l’Irak a toutes les raisons de soutenir ces groupes terroristes qui par leurs actions peuvent déstabiliser le Kurdistan au moment où les attentats ourdis par ses services secrets sont de plus en plus déjoués par les forces de sécurité kurdes. Une coopération entre Bagdad et la multinationale terroriste de Ben Laden semble plus que probable.

TOUS LES PARTIS KURDES CONDAMNENT LES ATTENTATS DU 11 SEPTEMBRE

Les attentats du 11 septembre contre le World Trade Center de New York et le Pentagone ont été fermement condamnés par tous les partis politiques kurdes, y compris le PKK que, pourtant, Washington à la demande d’Ankara, a longtemps considéré comme une organisation terroriste.

Contrairement à de nombreux pays musulmans où la rue semble sympathiser avec Ben Laden, au Kurdistan la population reste très opposée à l’usage de la violence au nom de l’islam. De ce fait on n’a assisté à aucune manifestation de sympathie ni dans la rue ni dans les média kurdes…

Au Kurdistan iranien, les crimes d’Etat et les massacres commis au nom de l’islam politique sont dans toutes les mémoires et la population est vaccinée contre ceux qui au nom du “ retour à l’âge d’or du Prophète ” massacrent allègrement tous ceux qui ne partagent pas leurs dogmes et leurs visions.

C’est ce que le PDK d’Iran a rappelé dans un communiqué condamnant avec force “ les actions terroristes commises contre la population civile américaine ”, exprimant à celle-ci ses condoléances. Rappelant qu’il a toujours recusé le terrorisme comme mode d’action politique, le PDKI dénonce l’hypocrisie de la République islamique d’Iran qui tout en pratiquant le terrorisme d’Etat veut se racheter une conduite en condamnant les attentats du 11 sptembre.

Au Kurdistan d’Irak, dans un discours prononcé, le 21 septembre devant l’Assemblée nationale du Kurdistan, le président du PDK irakien, M. Barzani s’est longuement exprimé sur ce sujet. Extraits traduits du quotidien kurde Brayetî (Fraternité) du 21 septembre :

“ Le 11 septembre est devenu une date très importante dans l’histoire du monde. Comme nous avons pu le voir, un événement d’une très grande gravité a eu lieu aux Etats-Unis. C’était un attentat terroriste. Un grand nombre de personnes innocentes sont devenues victimes de ce crime. Nous exprimons nos condoléances au gouvernement des Etats-Unis et aux familles des victimes. (…) Le PDK s’est toujours positionné contre le terrorisme. Les Kurdes et le PDK ont été à maintes reprises victimes du terrorisme.

Nous avons eu la chance, nous les Kurdes et le PDK --et je peux le dire avec satisfaction--, de n’avoir jamais eu recours à un quelconque acte terroriste, et d’avoir toujours été contre cela. Bien que nous ayons été victimes du terrorisme à plusieurs reprises, notre réaction n’a jamais remis en cause les grandes valeurs et les principes moraux propres à l’identité kurde et à l’humanité.

Bien souvent, les guerres ont effectivement lieu entre les pays, les partis, les peuples et les gouvernements, mais les guerres ont leurs règles. Ceux qui ne les respectent pas n’ont aucune religion ou valeur humaine. La mise à mort de femmes et d’enfants dans quelque partie du monde que ce soit est un crime qui devrait être condamné et nous le condamnons. (…)

Aujourd’hui, personne n’est en mesure de nous dire que nous avons à un moment donné été les auteurs d’un acte de terrorisme. C’est une source de fierté pour nous. Nous sommes en train de voir les fruits de cette attitude. Je dois mentionner ici que tout cela nous le devons à notre guide, l’immortel (Mustafa) Barzani, qui nous a indiqué que nous devions adopter ce comportement. Nous le ferons toujours.

De tels actes et de tels crimes n’ont rien à voir avec l’islam. La religion musulmane ne permet pas le meurtre de femmes et d’enfants. Ceux qui commettent ces crimes au nom de l’islam trahissent l’islam.

Je pense qu’il est du devoir des dignitaires religieux musulmans, des chefs des Etats et partis islamiques, et des figures politiques, de protéger rigoureusement l’islam [en tant que croyance]. Car c’est une grande injustice et un grand sacrilège que de faire porter aux musulmans l’étiquette de terroristes, simplement en raison des crimes de quelques terroristes confus qui n’ont aucune religion, aucun scrupule et aucune humanité. (…)

Des journalistes et d’autres personnes nous ont fréquemment demandé si nous étions inquiets au sujet des groupes qui se forment au Kurdistan, comme c’est le cas en Algérie, et qui commencent à entreprendre des actes terroristes sous couvert de l’islam. Je leur ai toujours dit que nous avions, en effet, des partis et des organisations islamiques, mais qu’ils étaient légitimes. Ils font leur travail dans le cadre de la loi. Nous espérons et nous croyons que le Kurdistan ne deviendra jamais comme l’Algérie ou l’Afghanistan. (…)

Malheureusement, nous avons tous vu l’année dernière, qu’un groupe de personnes infréquentables est apparu à Erbil et a commencé à attaquer et molester des femmes respectables de cette ville. Ils ont commencé à prononcer des fatwas, comme s’ils agissaient au nom de Dieu et du Prophète. Ils déclarent, comme bon leur semble, n’importe quelle personne de leur choix, apostat, et versent son sang. (…)

Actuellement, nous avons écho de leur rassemblement dans les régions de Tawêla et de Biyarah [à la frontière iranienne] qui vise à transformer le Kurdistan en une base pour le terrorisme et les terroristes.

Nous voulons annoncer que le PDK reste fermement sur sa position et que nous ferons notre possible pour coopérer avec tous les partis politiques, notamment avec l’Union Patriotique du Kurdistan, pour empêcher le Kurdistan de devenir une base pour terroristes, sous tout nom ou toute couverture, quels qu’ils soient ”.

De son côté le chef de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), J. Talabani, lors d’une réunion avec les notables des environs de Halabja, tenue le 21 septembre à Suleimaniya a, selon le quotidien Kurdistani Nuwe, du 22 septembre déclaré :

“ (…) Nous croyons que toute personne a le droit d’exprimer librement ses pensées et ses croyances. Nous croyons également en la liberté d’expression des convictions religieuses. (…) Cependant, le groupe [Jund al-Islam], entreprend ses actions au nom de l’Islam. Mais en réalité, ils sont contre l’islam et ne sont pas liés à l’islam. Une des preuves parmi d’autres est qu’ils considèrent tous les partis politiques laïcs au Kurdistan comme apostats et infidèles [référence au premier communiqué de ce groupe attaquant les partis kurdes laïcs]. Les érudits religieux sont ici pour juger que celui qui accuse les musulmans d’infidèles est considéré comme apostat lui-même dans l’islam.

( …) Il s’agit d’un groupe des personnes expulsées des grandes et petites villes dans la région entre Erbil et Balakayati, qui sont venues prendre position là-bas à Biyarah et à Tawelah pour créer des problèmes pour le compte des forces étrangères et d’un groupe de personnes inqualifiables auxquels le monde entier s’oppose actuellement [référence à l’organisation d’Usama Ben Laden] ”.

Le leader de l’UPK a condamné “ les actions terroristes perpétrées aux Etats-Unis ” et envoyé son Premier ministre Dr. Barham Salih à Washington pour faire le point avec les responsables politiques américains.

Au Kurdistan de Turquie, où le mouvement islamiste Hizbullah, activement soutenue par la police et la gendarmerie turques a, de 1992 à 1998, assassiné plus d’un millier de personnalités kurdes laïques, les sentiments sont partagés, tout en condamnant le massacre de civils américains à New York et à Washington, beaucoup de gens rappellent qu’au moment où le régime turc, allié des Etats-Unis, a bombardé et détruit des milliers de villages kurdes avec des avions Made in USA, déplacé plus de trois millions de civils kurdes, les Etats-Unis sont restés étrangement silencieux, faisant preuve à l’égard de la Turquie de la même mainsuétude qu’envers Israël. La presse kurde a publié nombre d’articles évoquant le silence de la communauté internationale sur le massacre à l’arme chimique de 5000 Kurdes à Halabja et les réactions au massacre de New York et de Washington, pour déplorer que la vie d’un Kurde, ou d’un Rwandais, ne vaut assurément pas celle d’un Américain.

Côté politique, les dirigeants du parti pro-kurde Hadep ont condamné “ le terrorisme islamiste aveugle et barbare ” qui par un effet de boomerang frappe maintenant les Etats-Unis. Le chef du PKK, du fond de sa prison d’Imrali, a envoyé au quotidien kurde Ozgur Politika, publié en Allemagne, un texte pour commenter les événements du 11 septembre en ces termes : “ Le tisonnier vert brûle maintenant les mains de ses promoteurs américains ”. Ocalan rappelle la politique de “ ceinture verte ” développée par Washington, dans les pays musulmans consistant à promouvoir les mouvement islamistes pour faire barrage aux mouvements nationalistes ou communistes suspectés d’anti-américanisme ”.

Les principales organisations de la diaspora kurde ont également tenu à condamner les attentats du 11 septembre et à exprimer leur rejet du terrorisme et présenter leurs condoléances aux autorités et au peuple américain.

LA TURQUIE S’AMENDE À PETITS PAS

Le Parlement a, le 3 octobre, voté par 474 voix contre 16 en faveur de 34 amendements à la loi fondamentale, promulguée en 1982 par les militaires après le coup d'Etat de 1980.

Même si l'adoption de ces amendements constitue une avancée démocratique significative, nombre d'analystes se montrent sceptiques sur l'ampleur des changements à venir. Les Kurdes, s'ils seront officiellement autorisés à diffuser des émissions dans leur langue, peuvent cependant voir celles-ci interdites pour des “ raisons de sécurité nationale et de protection de l'ordre public ”. Interrogé sur la question, le chef d’état major turc, le général Huseyin Kivrikoglu, a déclaré “ la Constitution est modifiée mais, à ma connaissance, il reste des dispositions contradictoires dans la loi relative à l’organe de contrôle des radios et télévisions turques (RTUK), qui dispose que la langue d’émission est la langue turque. Tant que cette disposition existera, il serait inexact de penser que les émissions en kurde sont libres. De plus la même restriction existe à l’article 42 de la Constitution ”. Et surtout, l'éducation en kurde reste toujours interdite. Plus de15 millions de Kurdes continueront d’être privés du droit de transmettre leur langue et leur culture millénaire à leurs enfants alors que même un pays comme l’Algérie qui n’est ni membre de l’OTAN ni candidat à l’Union européenne s’apprête à reconnaître le berbère comme langue officielle du pays et favoriser son enseignement.

Quant à la peine de mort, elle sera limitée aux “ actes de terrorisme et de trahison ”. Or, la majorité des prisonniers se trouvant dans le couloir de la mort ont été condamnés pour des crimes en relation avec le terrorisme. La réforme rend, en principe, plus difficile la fermeture des partis politiques, supprime certaines limites à la liberté d'expression, augmente les droits des syndicats et associations. Elle ramène de 15 à 4 jours maximum la période de garde-à-vue. Mais, contrairement à ce qu’ils avaient annoncé, les parlementaires n’ont pas voulu modifier la rigide loi relative à leur immunité parlementaire et ont même voté une augmentation généreuse de leur traitement. Le Parlement turc a également écarté l’amendement stipulant la supériorité de la loi internationale par rapport à la loi nationale en cas de conflits de lois, alors que cette disposition est indispensable pour la mise en conformité de la législation turque avec celle des démocraties européennes.

En raison de cette restriction, la réforme a reçu un accueil tiède, tout en étant saluée comme un effort sur la voie d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Elle ne faisait même pas, le lendemain, les gros titres des journaux, qui s'intéressaient surtout au rejet d'un amendement ayant pour résultat de remettre en cause un retour durable à la vie politique —contesté légalement— de Recep Tayyip Erdogan, dirigeant du parti islamiste de la Justice et du développement (AKP).

Pour les libéraux turcs, elle est résolument insuffisante. Le président de la Cour de cassation, Sami Selcuk, l'avait sèchement qualifiée de “ perte de temps ”, en réclamant une nouvelle loi fondamentale. Alors que le gouvernement avait largement insisté sur la nécessité pour le parlement d'adopter cette réforme rapidement, avant la publication en novembre du rapport régulier de la Commission européenne sur l'état d'avancement de la candidature de la Turquie à l'UE.

Pour Husnu Ondul, président l'Association turque des droits de l'Homme (IHD), la réforme est un “ développement encourageant ”, même si elle ne va pas assez loin. Il a ainsi relevé que l'abolition partielle de la peine de mort "ne correspond pas aux normes de l'Union européenne". “ Jusqu'à présent, les constitutions turques avaient été rédigées à la suite de coups d'Etat et appliquées par les civils. Cet état de choses est désormais un événement du passé ”, a-t-il cependant fait valoir.

L'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW) est beaucoup plus sévère, estimant que la Turquie a "raté une grande chance" car “ l'ensemble des réformes va maintenir la peine de mort, les restrictions à la liberté d'expression et continuer de priver les détenus de véritables garde-fous contre la torture ”.

Une fois que ces amendements auront été approuvés par le président, les parlementaires devront également modifier les codes civil et pénal, ce qui pourrait durer près d'un an !

Le parcours du combattant a commencé dès le 16 octobre avec l’appel du président turc au référendum pour la ratification d’un amendement relatif à l’augmentation des traitements des députés. La tension est montée d’un cran lorsque le gouvernement a décidé le lendemain de renvoyer l’article en question pour une “ seconde considération ” au Président, au lieu de réviser l’amendement ou encore d’entamer les préparations de référendum. Ainsi, le gouvernement turc a choisi de suspendre temporairement la publication dans le Journal Officiel des amendements constitutionnels approuvés par le Président, bien qu’aucun texte légal ne prévoie un tel procédé.

L’article 175 de la Constitution élaborée par la junte militaire en 1982, dispose que le Président a le pouvoir d’accepter dans sa totalité les amendements de la Constitution, d’opposer son veto sur l’ensemble du texte et le renvoyer au Parlement pour une seconde lecture, ou encore d’accepter certains articles et déclencher un référendum sur le reste du texte. La Constitution n’ouvre la voie qu’à deux solutions dans cette situation : Accepter la décision du Président ordonnant au Premier ministre la publication dans le Journal Officiel des 33 articles approuvés, déclenchant par voie de conséquence le délai de 120 jours réparti pour la tenue d’un référendum pour l’article en question, ou encore suspendre la publication pour réajuster l’amendement en question, invalidant ainsi la requête de référendum du président.

Le gouvernement turc, interprétant une clause de la Constitution, déclare, quant à lui, que le président ne peut demander de référendum que sur l’ensemble du texte et non pas pour un seul article. Les analystes notent cependant qu’en suspendant la publication et en renvoyant pour “ une seconde considération ” l’article mis en cause, le gouvernement ne fait que se contredire puisque si le paquet des amendements constitutionnels est considéré indivisible, il faudrait alors demander un référendum sur l’ensemble.

L’exécutif turc est en pleine crise depuis l’élection d’Ahmet Nejdet Sezer, ancien président de la Cour constitutionnelle turque, à la présidence turque. En février 2001, le président et le Premier ministre Bulent Ecevit, s’étaient même ouvertement et publiquement affrontés lors de la réunion du Conseil national de sécurité (MGK). Le gouvernement turc semble déjà lancer une campagne anti-Sezer dans les média turcs acquis à la coalition. Certains journaux ont commencé à pointer du doigt le salaire du président. Le quotidien turc Hurriyet du 17 octobre écrit donc que M. Sezer a “ augmenté son salaire de 58 % ” d’autres que les députés gagnent 3,2 milliards de livres turcs ($ 2 000) net alors que le président a augmenté son salaire jusqu’à 6,3 milliards, sans préciser subtilement qu’il s’agit d’un salaire brut.

JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX: LA POLICE TURQUE A PROCEDE A L’ARRESTATION DE CENTAINES DE KURDES ET INTERDIT TOUTE MANIFESTATION

La police a arrêté des centaines de personnes en Turquie le samedi 1er septembre, lors du rassemblement annuel à Ankara du parti pro-kurde de la démocratie du peuple (HADEP), à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de la paix.

La veille, dans tout le pays, des milliers de Kurdes avaient été interpellés, chez eux ou aux gares routières, afin d’être empêchés d’aller à Ankara. Des affrontements entre membres du HADEP et forces de l’ordre se sont produits alors que les premiers s’apprêtaient à prendre l’autobus pour la capitale à Diyarbakir et à Istanbul. Selon un porte-parole du HADEP, les policiers “ ont arrêté les chauffeurs de bus, confisqué les documents des véhicules et les permis de conduire. Ils ont dit aux compagnies d’autobus, avec lesquelles ” le HADEP avait conclu un arrangement pour l’organisation du voyage de ses membres à Ankara, “ qu’ils n’iraient nulle part ”. Le même porte-parole dénonce cet incident comme une atteinte directe à leur droit de libre circulation.

Après ces incidents, d’importantes mesures de sécurité ont été prises le 1er septembre. Selon un quotidien turc, cinq mille policiers ont été déployés à Ankara. Très tôt le matin, les bus sur les routes allant à la capitale ont été systématiquement contrôlés et les personnes jugées “suspectes” ont été mises en garde-à-vue. Les mêmes contrôles d’identité et arrestations ont eu lieu dans les rues d’Ankara toute la journée. Les prisons de la capitale étant très rapidement complètes, les autorités turques ont dû envoyer les manifestants en état d’arrestation, dans les gendarmeries des environs.

À l’instar d’Ankara et Istanbul, et des villes du Kurdistan ont également été le théâtre d’affrontements entre forces de police et militants pro-kurdes. À Batman, la police est intervenue contre les membres du HADEP, en affirmant que la conférence de presse qu’ils avaient prévu de tenir était illégale. L’intervention s’est soldée par une vingtaine de blessés parmi les manifestants. De même, la police est massivement intervenue lors d’une manifestation à Siirt, ville toute proche. Quant à Istanbul, quelque 1000 sympathisants, parmi lesquels de hauts responsables du parti, ont été incarcérés, selon un porte-parole du HADEP. Dans le district de Topkapi, à Istanbul, la police anti-émeutes est intervenue contre une foule de 350 manifestants qui criaient des slogans pro-kurdes et qui lançaient des pierres contre les forces de l’ordre. Elle a riposté par des jets de gaz lacrymogène contre les manifestants qui se sont réfugiés dans des rues adjacentes.

En fin de compte, HADEP, qui revendique des droits culturels pour les Kurdes, a dû annuler son projet de rassemblement dans la capitale. Le parti a refusé d’entreprendre toute action susceptible de mettre en péril la paix civile.

Les autorités d’Ankara avaient rejeté la demande d’autorisation de rassemblement du HADEP, évoquant les possibilités de sérieux désordres publics, et s’appuyant sur l’article 17 de la loi relative aux réunions publiques et marches contestataires.

Bien que les événements de cette journée mondiale de la paix n’aient été que succinctement relatés dans les principaux journaux nationaux turcs (souvent relégués aux dernières pages), le bilan est lourd: plusieurs blessés et un mort parmi les manifestants. Zeynel Durmus, 19 ans, est mort en tombant du 5e étage en tentant de fuir un raid de la police dans les locaux du HADEP à Istanbul-- raid qui s’est terminé par plusieurs dizaines d’arrestations. Par la suite les forces de gendarmerie ont perturbé le bon déroulement de l’enterrement de Durmus en bloquant le cortège à l’entrée de la ville de Sanliurfa. “ Sur les quelque 500 personnes interpellées à Istanbul, parmi lesquelles tous les responsables régionaux, 300 demeurent en garde-à-vue et un de nos militants demeure hospitalisé dans un état sérieux ”, a déclaré Halil Salik, secrétaire régional du HADEP, lors d’une conférence de presse à Istanbul. Dans la seule ville d’Ankara, plus de 2700 avaient été mis en garde-à-vue a précisé lundi à l’AFP Mehmet Emin Araz, secrétaire régional du HADEP, et au moins 3 d’entre eux demeurent sous contrôle de la police.

Interviewé par le quotidien Milliyet, Murat Bozlak, Secrétaire Général du HADEP, a tenu à rappeler, le 3 septembre, qu’à aucun moment depuis la formation du parti en 1994, les membres de leur mouvement politique ne se sont considérés comme appartenant à un parti kurde :“ Nous ne sommes pas un parti nationaliste ethnique. Nous sommes un parti de Turquie. HADEP est un jeune parti (…) Lorsque notre parti s’est formé, le sud-est du pays était en plein conflit. Nous avons parlé ouvertement des problèmes que nos compatriotes kurdes de la région rencontraient ”,“nous ne sommes pas l’extension d’un parti illégal (PKK)”, “nous sommes pour l’unité du pays ”.

La journée mondiale de la paix, le 1er septembre, est devenue un jour traditionnel de protestation pour les militants kurdes qui réclament des droits culturels, ou l’autonomie, pour les quinze millions de Kurdes de Turquie. Dans l’immédiat, leurs demandes incluent l’usage libre de la langue kurde dans le système éducatif et les médias (objectifs sur lesquels l’Union Européenne, que la Turquie veut intégrer, est d’accord).

La journée représente également le deuxième anniversaire de la décision d’abandonner la lutte armée du PKK: en 1999, le chef kurde, Ocalan avait donné l’ordre à ses combattants du PKK de se retirer de la Turquie et d’abandonner l’action armée contre les forces de sécurité turcs au plus tard le 1er septembre 1999. Depuis cette date butoir, le combat entre les forces militaires turques et le PKK s’est atténué, malgré le fait que la Turquie considère le retrait unilatéral du PKK comme un complot et refuse tout cessez-le-feu. Le PKK affirme avoir abandonné le combat armé pour un Kurdistan indépendant et revendique dorénavant des droits culturels pour les Kurdes de Turquie.

LE PARLEMENT TURC AUTORISE L’ENVOI DES TROUPES EN AFGHANISTAN

Le Parlement turc a approuvé, le 10 octobre, un projet de loi autorisant le gouvernement à envoyer des unités spéciales en Afghanistan dans le cadre de la campagne militaire menée par les Etats-Unis dans ce pays. Malgré une forte opposition de l'opinion publique, le Parlement a voté par 319 voix contre 101 en faveur de cette mesure. Deux parlementaires se sont abstenus.

La Turquie, qui fait partie de l'OTAN, n'a pas proposé de troupes de combat, mais les autorités ont annoncé que deux régiments d’unités spéciales étaient prêts à partir et à entraîner des combattants de l'Alliance du Nord, la principale force luttant contre les Talibans en Afghanistan. La Turquie affirme avoir des liens ethniques étroits avec la minorité ouzbèke qui se trouve dans le nord de l'Afghanistan et propose aussi distribuer de l'aide humanitaire en Afghanistan.

Alliée fidèle de Washington, la Turquie avait envoyé un contingent pour la guerre de Corée, et participé plus récemment à des opérations militaires en Somalie, en Bosnie et au Kosovo. Le gouvernement avait exprimé son soutien, en terme général, à “ la lutte internationale ” contre le terrorisme, dans un communiqué publié à l'issue d'une réunion de crise quelques heures après les frappes. Mais le gouvernement doit aussi compter avec la sensibilité nationaliste ou encore le sentiment d'une solidarité musulmane d’une partie de sa population, même si le régime des Taliban n'y jouit guère de sympathie. Le dirigeant de l’une des deux formations islamistes représentées au Parlement, Recai Kutan (parti du Bonheur, SP, 48 députés sur 550), a ainsi mis en cause la légitimité des frappes.

Le dirigeant du parti de la Justice et du développement (AK, 52 députés), l'autre parti islamiste, qui se veut résolument modéré, est resté plus prudent, s'abstenant de commenter directement l'intervention contre l'Afghanistan. “ Nous sommes contre toutes les formes de terrorisme. Nous sommes pour une lutte internationale contre le terrorisme ”, a déclaré son président Recep Tayyip Erdogan, ex-maire d’Istanbul.

Quant aux sentiments de la rue à Istanbul, ils oscillent entre la nécessité d'une intervention contre les Taliban et la crainte d'un élargissement du conflit à des pays voisins de la Turquie, comme l’Irak.

Profitant de la conjoncture, Ankara a demandé des crédits supplémentaires au Fonds monétaire international (FMI) en mettant en avant le fait que sa participation à la campagne antiterroriste lancée par l'OTAN, dont elle fait partie, allait soumettre ses finances publiques à de nouvelles pressions. Le poids de la dette publique est énorme et le gouvernement turc devra consacrer la moitié des dépenses de son budget 2002 à son remboursement, soit 26,5 milliards de dollars. La Turquie garde en mémoire les douloureuses conséquences de la guerre du Golfe, où elle s'était engagée aux côtés des Forces alliées contre Bagdad, ce qui lui aurait coûté 50 milliards de dollars, selon son estimation. Mais comme le rappelle Gulten Kazgan, professeur d’économie à l’Université privée Bilgi d’Istanbul : “ c’est un pari perdu d'avance ”, assurant que “ les Etats-Unis ne récompensent jamais les services demandés ! ”

Le Fonds monétaire international (FMI) est resté prudent, le 17 octobre, sur l'octroi de nouveaux crédits à la Turquie alors que le pays souffre de plus en plus du ralentissement de l'économie mondiale. Il n'a toutefois pas fermé la porte à un nouveau geste du FMI qui, jusqu'à maintenant, a débloqué près de 19 milliards pour la Turquie, laquelle s'est engagée en échange à appliquer de sévères programmes de rigueur budgétaire.

Selon le ministre turc de l'économie, Kemal Dervis, un éventuel envoi de militaires turcs en Afghanistan a toutes les chances d'aggraver la sévère crise économique que traverse le pays : “ Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de ralentissement, et nous allons vivre des temps difficiles ”, sans compter l'effet que pourrait avoir l'engagement de l'armée turque sur le théâtre des opérations. Officiellement, aucune demande chiffrée en hommes ou en matériel n'a été présentée par les Américains à Ankara, mais la presse turque évoque la participation de commandos pour aider les forces de l'Alliance du Nord.

AFFLUX DE REFUGIES KURDES EN ITALIE ET EN GRECE

La capitainerie du port de Crotone a annoncé l’arrivée d’un bateau avec, à bord, 292 immigrés clandestins, principalement des Kurdes, le 1er septembre, vers 05h00 GMT. La veille au soir, les autorités italiennes avaient repéré le navire au large des côtes de la Calabre. Ils l’avaient fait escorter jusqu’au port pour y arrêter six personnes soupçonnées de faire partie de l’équipage qui a conduit les immigrés en Italie. Après l’inspection du bateau, les responsables italiens ont remarqué que celui-ci était dans un excellent état et propre, y compris à l’intérieur. Cela indiquerait qu’il n’a été utilisé que pour la dernière partie des candidats à l’immigration.

Le 5 septembre, deux cent quinze immigrés clandestins, dont la plupart des Kurdes, mais aussi des Afghans, ont été récupérés au petit matin, sur une plage de l’île d’Eubée ( à l’est d’Athènes). Quant à l’équipage du bateau, il a été mis en état d’arrestation, a précisé un responsable du ministère de la marine marchande à l’AFP.

Parmi les clandestins débarqués, près de Mandoudi (nord-est de l’île), on compte 13 femmes et 12 enfants. Ils semblent ne manifester aucun problème de santé majeur, même si la plupart d’entre eux étaient affamés lors de leur arrivée en Grèce. Les autorités grecques les ont arrêtés et hébergés dans un gymnase de Mandoudi. Ils y ont reçu les premiers secours et ont été nourris. Ils ont ensuite été transféré dans un centre d’apprentissage du même village.

Par ailleurs, trois “ passeurs ” turcs ont également été arrêtés. Ils ont reconnu avoir “facilité la sortie de ces immigrés ” contre la somme de 1500 dollars par immigré, selon le responsable de la Marine marchande grecque.

Les autorités portuaires sont toujours à la recherche d’autres immigrés, le nombre total des clandestins, qui auraient été transportés par un bateau turc, s’élèverait à 350. Cinq corps ont été trouvés et la crainte de découvrir d’autres personnes noyées, augmente. Des témoignages contradictoires au sujet de ces cinq cadavres, de la part des survivants, ont été enregistrés par les autorités grecques. Certains affirment que les cinq clandestins sont morts de suffocation et que l’équipage les a jetés par-dessus bord.

Le 19 septembre, quatre Kurdes de Turquie ont été repêchés morts par la police italienne après que quelque 75 Kurdes, victimes des mafias turque et albanaise, laissés à l’abandon en pleine Méditerranée, ont accosté à Lecce-Bari. Les rescapés ont déclaré : “ On nous a fait monter dans deux embarcations par groupe de 37 et 38 personnes alors que leurs capacités étaient de 20 personnes chacune. Aux alentours de la presqu’île de Vilore, l’une d’entre elles a commencé à couler. Quatre hommes équipés d’armes automatiques et de talkie-walkie nous encadraient. Nous pensons qu’ils étaient en fait des policiers albanais en civil. Nous nous sommes approchés du bateau et deux personnes sont montées à bord. Nous avons essayé de sauver les autres, mais ces hommes nous en ont empêché. Nous n’avons pu repêcher que quatre corps mais sept autres restent disparus. Les quatre hommes armés ont interdit aux survivants de monter à bord en criant “ils vont nous faire tomber aussi”.

La police italienne a remis les réfugiés kurdes aux autorités albanaises qui les renvoient à leur tour, un par un, en Turquie, alors que le réseau mafieux n’est inquiété ni par les autorités turques et ni par les autorités albanaises.

SOUS L’EMBARGO, BAGDAD POURSUIT SA POLITIQUE D’ARABISATION

Le gouvernement irakien poursuit sa politique de déplacement des Kurdes et des autres minorités non arabes dans les régions kurdes se trouvant sous son contrôle. Le journal arabe basé à Londres, Al-Zaman, rapporte le 4 octobre, que les autorités irakiennes ont averti 400 familles kurdes et turkomanes qu’elles feraient l’objet de mesures de déplacement au cours du mois d’octobre.

Ces trois dernières années, les autorités irakiennes ont intensifié leur politique de déplacement, dans l’objectif d’arabiser les régions kurdes qu ‘elles contrôlent, et plus particulièrement le gouvernorat de Kirkouk, riche en pétrole. Des familles arabes du sud de l’Irak sont transférées et installées à la place des Kurdes expulsés. Le quotidien kurde de l’UPK, Kurdistani Nuwe, rapporte dans son édition du 5 septembre que “ le gouvernement irakien a récemment rassemblé 37 familles d’employés arabes, originaires de différentes villes, et les a transplantées à Kirkouk, avec plusieurs privilèges comme la mise à disposition d’une somme d’argent, des promotions administratives etc. ”. Kurdistani Nuwe rapporte également que le gouvernement irakien a récemment promulgué de nouveaux décrets relatifs à cette politique. Selon le journal : “ à la mi-août 2001, un document, émanant du Bureau de la Présidence [irakienne], référencé 43107, destiné au Ministre [irakien] de l’Intérieur qui l’a transmis pour exécution aux autorités compétentes des villes concernées, demande de faire pression sur les membres des familles qui ont changé leur identité ethnique kurde en arabe, et dont les noms sont soit kurdes, soit font référence à des régions ou des montagnes kurdes , pour qu’ils traduisent leur nom en arabe ou qu’ils se trouvent des noms islamiques. ”

Depuis le dernier recensement, il y a quatre ans, les autorités irakiennes ont distribué aux communautés non arabes des régions kurdes qu’elles contrôlent un formulaire spécial intitulé “ formulaire de correction de nationalité [origine ethnique] ”. Ceux qui refusent de changer leur origine sont expulsés, tous leurs biens confisqués, vers les régions tenues par les Kurdes ou encore vers le centre ou le sud de l’Irak.

En août, le Centre pour la résistance contre le nettoyage ethnique et les déplacements forcés, situé à Suleimaniya, a documenté la politique irakienne dans un mémorandum qu’il a adressé au Secrétaire Général des Nations Unies, au Conseil de Sécurité de l’ONU, au Président des Etats-Unis, et à des organisations internationales de droits de l’Homme. Ce mémorandum souligne plus particulièrement la récente politique de l’Irak visant à encourager, à l’aide de mesures financières ou juridiques, les Palestiniens à venir s’installer dans les régions kurdes qu’il contrôle.

Un décret, publié le 7 septembre par le Conseil du commandement de la révolution, la plus haute instance politique en Irak, officialise l’incitation pour les Irakiens non-arabes à changer leur identité ethnique en arabe.

Selon le secrétaire de l’Assemblée nationale du Kurdistan irakien, Farast Ahmad, juriste, cité le 14 octobre par le journal arabe publié à Londres, Al-Sharq al-Awsat, “ bien que le contenu du décret fasse allusion au changement volontaire d’identité nationale, la réalité de l’Irak s’avère totalement être le contraire. Les autorités entreprennent différentes mesures strictes pour forcer les Irakiens non-arabes à changer leur identité nationale”. Il a ajouté que le nouveau décret “portera un grand préjudice aux relations fraternelles entre toutes les nationalités en Irak”.

Le Parti communiste d’Irak, qui s’oppose à Bagdad, a considéré le décret comme faisant partie de la politique irakienne actuelle qui vise à changer le caractère ethnique de la région adjacente à la région autonome du Kurdistan irakien. Dans un communiqué publié à cette occasion, il a dénoncé “ la politique [irakienne] de purification ethnique et de déportation forcée des Kurdes, des Turcomans et des Assyriens ”.

Par ailleurs, une source dans le gouvernement régional du Kurdistan, dirigé par le Parti démocratique du Kurdistan, a confirmé au journal, Al-Sharq al-Awsat, du 14 octobre, les rapports selon lesquels des unités de l’armée irakienne ont récemment annexé des villages kurdes qui étaient sous le contrôle de l’administration kurde.

La source a indiqué que ces unités irakiennes, positionnées sur la ligne de contact qui sépare la région dirigée par les Kurdes du reste de l’Irak, ont annexé, la semaine dernière, le village de Saadawa, situé à 17 km au sud-est d’Arbil. Elle a indiqué que les autorités irakiennes ont emmené 30 familles arabes de la tribu des Hadaddin et les ont installées dans le village après avoir évacué les habitants kurdes. Elle a ajouté que les habitants de sept autres villages kurdes ont été avertis par les autorités irakiennes qu’ils devaient évacuer leur village. D’après Al-Sharq al-Awsat, 30 villages ont été annexés depuis le début de l’année. Le processus d’annexion consiste à bombarder les villages, obligeant les habitants à fuir, et ensuite à les occuper et à expulser les habitants qui y seraient restés.

De son côté le site Internet de l’Union patriotique du Kurdistan, a rapporté le 14 octobre que les autorités irakiennes “sont en train de construire 500 maisons dans les régions du Kurdistan [qui sont sous le contrôle de Bagdad]; 250 maisons dans le village de Gurgayee et 250 autres dans le village de Sheikhan et [dans la petite ville]] d’Altun Kopri vont être données gratuitement à des colons arabes. Le plan est d’emmener 2000 familles arabes de Mossoul à Kirkuk dans le cadre du plan d’arabisation qui a lieu actuellement.

ENTRETIEN AVEC MME NASRINE BERWARI, MINISTRE DE LA RECONSTRUCTION ET DU DÉVELOPPEMENT

Madame Nasreen Berwari est ministre de la Reconstruction et du Développement au sein du Gouvernement Régional du Kurdistan, dirigé par le Parti Démocratique du Kurdistan et qui siège à Arbil. Forte de dix années d’expérience d'action humanitaire au Kurdistan irakien et diplômée de l’Université de Harvard en gestion et administra-tion publique, elle est responsable du développement rural, de la reconstruction de centaines de villages et de la réinstallation de milliers de familles.

Depuis l’application de la résolution 986 de l’ONU, plus connue sous le nom " pétrole contre nourriture ", par des agences de l’ONU, la situation humanitaire connaît une amélioration significative. Dans cet entretien, Madame Sideek relate la processus de reconstruction et du développement au Kurdistan irakien.

Vous avez participé à plusieurs opérations humanitaires au Kurdistan irakien depuis 1991. Comment évaluez-vous les réalisations des ONGs internationales, et quels sont les changements apparus dans leurs actions depuis l’application de la résolution 986 des Nations Unies, à savoir, le programme pétrole contre nourriture en 1996?

La présence des ONGs, plus particulièrement pendant la période qui s'étend de 1991 jusqu'à la mise en place du programme pétrole contre nourriture, a été très appréciable. Elles nous ont apporté une aide efficace, au moment où nous en avions le plus besoin. La présence de l’ONU était alors très limitée, comparé à aujourd’hui, où douze de ses agences gèrent d'énormes ressources au Kurdistan d'Irak. Pendant ces quelques sept années où la situation était moins stable, ce sont les ONGs internationales qui ont eu le mérite de sauver des vies grâce à l'assistance alimentaire et sanitaire qu'elles ont portée aux groupes les plus vulnérables. Il est indéniable qu'on leur doit la reconstruction de centaines de villages et la réinstallation de milliers de familles. Les ONGs internationales ont constitué le pivot des efforts de secours et de réhabilitation avant la mise en route du programme pétrole contre nourriture.

Mais depuis la mise en place de ce programme, un grand nombre d'ONGs internationales ont quitté la région, principalement en raison de la diminution des financements de leurs projets. Pourtant, il y a des zones prioritaires et des activités importantes que le programme pétrole contre nourriture ne couvre pas, et il y a toujours un rôle vital qu'elles peuvent avoir. Leur présence est essentielle pour une raison très importante. De plus en plus, les Nations Unies ne sont pas seulement perçues comme de simples administrateurs du programme 986 agissant pour le compte du gouvernement irakien, mais comme étant au service du gouvernement irakien, dont les priorités ne sont pas les meilleurs intérêts de la population. A l'opposé de l'ONU, les ONGs internationales mettent davantage l'accent sur la population et moins sur elles-mêmes.

Quels sont les secteurs couverts par votre ministère, et quel est le pourcentage de projets financés par le budget de votre ministère, comparé à ceux financés dans le cadre du programme pétrole contre nourriture?

Mon ministère, le ministère de la reconstruction et du développement, se concentre sur la reconstruction et le développement rural. Avec plus de 4000, sur quelques 5000 villages détruits1 à travers la région et plus de 23% de la population toujours déplacés à l'intérieur de cette zone [800 000 personnes sur 3,2 millions d'habitants sont déplacées selon une étude de Habitat], même avec l'aide et le soutien énormes des ONGs internationales qui ont reconstruit beaucoup de ces villages [avant l’application du programme de l’ONU], il reste toujours une masse importante de travail à faire. Le programme de pétrole contre nourriture fournit des dizaines de millions de dollars pour construire des maisons, des canalisations, des écoles, des centres médicaux, des routes d'accès aux villages isolés, des services municipaux, des canaux d'irrigation, des centres vétérinaires et beaucoup d'autres activités qui soutiennent les familles, afin qu'elles puissent retourner et demeurer dans leur villages d'origine.

Le budget annuel de mon ministère n'est pas fixe, mais, depuis ces deux dernières années, il s'élève à peu près à 60 millions de dinars irakiens, soit approximativement 3,5 millions de dollars, par an. Le budget couvre: l'application directe des projets, les coûts administratifs qui incluent les frais de fonctionnement et les salaires de plus de 1600 employés, comprenant 300 ingénieurs, 500 agents administratifs, 800 techniciens, ouvriers et conducteurs. Plus de 40% de mes effectifs est composé de femmes, qui sont ingénieurs, informaticiennes, techniciennes et personnel administratif.

Depuis quatre ans, plus de 250 millions de dollars, soit approximativement 60 millions de dollars par an ont été alloués pour le secteur de la réimplantation [de la population rurale] dans le cadre du programme pétrole contre nourriture.

Votre ministère coopère-t-il avec l'administration kurde de Suleimaniya?

Nous coopérons de plus en plus avec l’administration de Suleimaniya. La semaine dernière, par exemple, je suis allée à Suleimaniya pour participer à une réunion avec nos homologues de l'UPK et les représentants de l'ONU pour discuter des possibilités d'améliorer les capacités de planification pour la région. C'est un sujet très important dans notre programme et je crois que parvenir ensemble à un accord commun et à une prise de position unique, en ce qui concerne la planification des ressources, et se mettre d'accord sur une seule ligne de conduite politique quant au programme de reconstruction et de réhabilitation, est très crucial à ce stade. J'étais accompagnée d’un vice-ministre et il y avait trois ministres concernés par le secteur de Suleimaniya. L'atmosphère était très conviviale. Les deux parties étaient unies face à l'ONU, nous avons présenté des idées communes sur l'avenir du secteur et un nouveau mécanisme d'opération et de gestion a été présenté, là où le rôle des deux gouvernements seraient plus actifs.

L'équipe de Suleimaniya se rendra à Arbil la semaine prochaine pour continuer les discussions concernant le nouveau plan et pour rencontrer l'ONU, à Erbil, cette fois-ci.

Les projets des Nations-Unies sont-ils réalisés sur la base des besoins immédiats ou en fonction d'une planification à moyen ou à long terme?

Cela fait presque cinq ans que le programme pétrole contre nourriture a commencé et nous travaillons toujours plus en fonction des besoins immédiats que selon une planification à moyen et à long terme. Mais, en ce moment, il y a un effort pour se diriger vers une politique de planification à long terme, qui viendrait remplacer l’approche, actuellement en usage, de la liste des courses. L'ONU est impliquée et soutient ce changement, et nous avons hâte d'établir des bases saines sur lesquelles nous pourrons nous appuyer pour avancer et intégrer des activités répertoriées par secteur.

Comment l'application du programme pétrole contre nourriture de l'ONU a t-il contribué à générer un développement économique dans la région?

Le chômage reste à ce jour élevé, et le revenu des ménages demeure bas. Mais le programme pétrole contre nourriture a, sans aucun doute, aidé le combat désespéré de beaucoup de famille.

Statistiques des villages Gouvernorat villages initiaux détruits reconstruits à reconstruire Duhok 1123 809 470 339 Arbil 1497 1205 800 405 Suleimaniya 2035 1992 1353 640 Total 4655 4006 2623 1386 source: Ministère de la Reconstruction et du Développement.

Projets financés par la Résolution du Conseil de Sécurité No. 986, pétrole contre nourriture (1997-2001)

Types de projets Nombre Total Unités de maisons 25.500 Ecoles 400 Centres médicaux 150 Routes en Km 3600 Projets hydrauliques 700 Divers 250 Valeur Total en dollars US 250.000.000

LU DANS LA PRESSE TURQUE

IMPÉRITIE DU GOUVERNEMENT FACE À LA CRISE ÉCONOMIQUE EN TURQUIE


Ilnur Çevik, l’éditorialiste du quotidien turc anglophone Turkish Daily News, dans son article daté du 11 septembre, dénonce la crise économique qui frappe la Turquie de plein fouet et appelle le gouvernement à réagir ou sinon à démissionner. Voici de larges extraits de cet article :

“ Voici quelques scènes de vie en Turquie :

Une petite fille blonde, fille d’un certain Kazim Alci, pleure, car son père ne trouve pas les 7 millions de livres turques [ndlr : 34 Frs] pour acheter un livre d’école d’occasion…

Cinq familles se mettent ensemble pour acheter 10 kg de riz…

Le Pr. Ersan Bocutoglu rapporte qu’un professeur décédé à l’hôpital ne pouvait pas être enterré car sa famille ne pouvait pas couvrir les dépenses funéraires. Alors d’autres universitaires ont collecté de l’argent pour lui… 40 % des petites et moyennes entreprises du pays devraient être fermées à cause de la crise économique. 7 sur 10 devraient se réduire et licencier…

La crise actuelle a déclenché une nouvelle vague de suicides. Les suicides liés à des causes économiques ont augmenté de 50 % en 2000 par rapport à 1999, et une étude dirigée par Dr. Faruk Guclu de l’Université Abant Izzettin Baysal montre que le taux de suicides a été en progression de 70 % après les mesures d’austérité suivant les crises de 1980 et 1994…

… Même certains puissants journaux ont commencé à abandonner leur politique qui était d’afficher des images de vie en rose, trompant la nation et se sont mis à décrire la vérité en gras.

Ce qui est rapporté dessine un tableau où la colère et l’apathie augmentent… l’image d’un échec total de la coalition gouvernementale. Ce qui est vraiment triste est que le gouvernement est complètement distant et réalise difficilement le désastre que des millions de Turcs traversent. …

Nous ne croyons pas que le gouvernement sera capable de faire face aux défis… Tout ce que le gouvernement fait maintenant est d’agir comme un percepteur de dette du FMI. Ils prennent l’argent du peuple turc et payent leurs prêts. Rien ne reste pour établir la production et les exports.

Alors, l’autre alternative pour le gouvernement est de démissionner. Et là, vous affrontez les remarques du Premier ministre que ce gouvernement n’a pas d’alternative et le départ de ce gouvernement poussera la Turquie dans une tourmente et les incertitudes. La réponse à cela est simple : Que peut-il y avoir de pire ? … ”

LA CONSTITUTION TURQUE FAITE DES EXCEPTIONS


Le journaliste turc Can Dundar dans ses colonnes du Milliyet du 25 septembre, sur un ton caustique, se réjouit de l’adoption en la forme des amendements constitutionnels par le Parlement turc, et note à juste titre que pour une fois ce n’est pas un coup d’Etat qui force le cours de l’histoire.

“Je peux mourir tranquille maintenant : “Une constitution a été révisée par le Parlement par des civils”. Nous avons mis 40 ans exactement à construire cette phrase qui peut sembler banale pour le monde civilisé…

Pour les gens de ma génération, la Constitution n’est autre qu’une sorte de “ costume de bagnard ”, “ une attestation de condamnation ”. Qu’on nous force à porter à coup de chars, de balles et de force. “ S’il est trop large ”, on n’attend pas que l’on grandisse mais on se met à le recoudre : un peu des épaules, un peu des bras, on le raccourcit tellement qu’il dévient tout petit. Si vous demandez à nos enfants “ c’est quoi la Constitution, comment vous l’écrirez ? ”, ils vous répondront : “ Il y a d’abord une grande bagarre, puis certains viennent ramasser et enfermer les bagarreurs, et ensuite on rassemble des gens au Parlement pour qu’ils élaborent des choses qui facilitent l’arrestation de ces bagarreurs ou des gens susceptibles de se battre. Et on appelle donc Constitution cette chose écrite ”

Pourtant à l’instar de l’Occident, les premières Constitutions en Turquie ont également été élaborées pour limiter les pouvoirs du régime monarchiste et déclarer les droits et libertés. En fait, tous les amendements qui ont été adoptés après la Constitution de 1961 ont limité plutôt les libertés que les gouvernants. En 1971, un char est venu pour ramasser et emporter la plupart des choses apportées par les chars de 1961. Et dix ans après ils ont reconduit les chars et ont gommé les libertés restantes. Il nous restait donc plus que la “ Constitution des mais ”. “ Tout être jouit du doit à la vie, mais si un prisonnier tente de s’échapper, il peut perdre ce droit ”. “ La vie privée est confidentielle, mais en cas de poursuite judiciaire on peut perdre cette confidentialité ”. “ La presse est libre, mais si la sécurité nationale est en cause, elle devrait se taire ”. Ces “ mais ” ont tellement pris d’importance au cours du temps que la phrase unique relative aux droits et libertés s’est complètement dissous dans le nombre des exceptions apportées. Ce n’est pas innocent que face à une situation on ne peut plus concrète, ma génération n’arrive toujours pas à prendre de décision ferme et définitive sans rajouter un “ mais ” au bout.

À l’école, on nous a appris la supériorité de la Constitution face aux autres lois (…) À mon avis, l’article le plus important qui a été discuté hier au Parlement est la disposition : “ en cas de conflit entre la loi nationale et les conventions internationales, ce sont ces dernières qui priment ”. Ce qui veut dire que nous cessons d’être les enfants d’une “ loi locale ” pour devenir ceux “ d’une loi mondiale ”. Les standards internationaux sont à nos portes : De l’égalité entre les sexes, au droit languistique, de l’abolition de la peine de mort, jusqu’à la démilitarisation du MGK (conseil national de sécurité), toute une série de réformes retardées commencent enfin à s’appliquer. En plus sans l’intervention des chars et des balles… (…)

Ces modifications sont-elles suffisantes ? Bien sûr que non… (…) On dit que cette Constitution à l’instar de la première est amendée sous la pression des Occidentaux… que le MHP ( le parti de l’action nationaliste- ultra nationaliste) a vivement résisté… Qu’elle est insuffisante et incomplète. Soit, mais j’ai enfin pu voir que les “ mais ” commencent à disparaître… Je peux enfin mourir tranquille ”.

AINSI QUE...

LES ETATS-UNIS PROMETTENT DE MAINTENIR LA PROTECTION DES KURDES EN IRAK


Lors d’une série de réunions tenues à Washington entre une délégation commune kurde d’Irak et des représentants américains, ces derniers “ ont réaffirmé leur promesse de protection de la région kurde contre toute agression, et leur soutien pour continuer [de consacrer] 13% de la part des revenus du programme pétrole pour nourriture pour la région ”, selon la lettre d’information anglophone sur le site internet de l’UPK, le 10 octobre.

La délégation kurde, dont faisaient partie le chef du gouvernement régional du Kurdistan, basé à Suleimaniya, Dr. Barham Salih, et un haut représentant du Parti démocratique du Kurdistan, M. Hoshyar Zebari, a tenu une série de réunions avec des officiels de la Maison blanche et des représentants du Département d’Etat : l’ambassadeur Crocker, assistant au secrétaire d’Etat pour les affaires du Proche-Orient; l’ambassadeur Wood, assistant au secrétaire d’Etat pour les organisations internationales; l’ambassadeur Richard Hass, assistant au secrétaire d’Etat pour la planification d’actions politiques; Dr. Zalmas Khalilzad, assistant du Président George Bush pour les affaires moyen-orientales et John Hanna, directeur des affaires du Moyen-Orient au bureau du Vice-président.

La délégation kurde a également discuté des inquiétudes des Kurdes d’Irak au sujet de la situation internationale actuelle, en particulier au cas où l’Irak deviendrait une cible dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, et de l’émergence du radicalisme islamique au Kurdistan Irakien, avec les responsables américains.

LE BILAN DE SEPTEMBRE DES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME EN TURQUIE


La section de Diyarbakir de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) a, le 15 octobre, rendu public son rapport du mois de septembre relatif aux violations des droits de l’homme en Turquie. L’association par la voix de son représentant, Osman Baydemir, a dénoncé l’augmentation des violations depuis les attentats le 11 septembre aux Etats-Unis, et a déclaré que “ les violations du droit à la vie, à la sécurité et la torture augmentaient d’une manière alarmante ”. Le rapport se présente comme suit :


- Nombre de “ meurtres non élucidés ” ou victimes d’exécutions extrajudiciaires : 7
- Nombre de personnes victimes des mines : 2
- Nombre de personnes placées en garde-à-vue : 200
- Nombre de personnes torturées ou sujettes aux traitements dégradants : 37
- Nombre de publications interdites dans la région sous état d’urgence (OHAL) : 29
- Nombre de pièces de théâtre prohibées : 1


POUR LES AUTORITÉS TURQUES LE PROGRAMME DE TRAITEMENT ET DE RÉHABILITATION DES VICTIMES DE LA TORTURE EN TURQUIE EST UNE “ ACTIVITÉ ILLÉGALE ”

La section de la Fondation turque des droits de l’homme (IHV) à Diyarbakir, spécialisée dans le traitement et la réhabilitation des victimes de torture en Turquie, a, le 9 septembre, été prise d’assaut par la police turque. Le responsable de l’organisation dénonçant l’illégalité de l’opération conduite sans mandat de perquisition, les forces de l’ordre en ont obtenu un, deux heures après les faits : Le mandat de perquisition délivré par le bureau du procureur qualifiait le traitement des victimes de la torture comme “ activités illégales ”. Violant toutes les règles de secret professionnel, tous les documents relatifs aux patients et les informations concernant les médecins ont été confisqués à la demande du procureur. La fondation craint que les patients et le personnel médical puissent être exposés aux risques de harcèlement, d’arrestation ou encore de torture. La police aurait également confisqué certains journaux interdits, même si la détention de ce genre de documents ne constitue pas en soi un délit en Turquie.

Créée en 1990, la Fondation conduit depuis ses débuts un programme pour le traitement et la réhabilitation des victimes de la torture. En 2000, plus d’un millier de personnes ont eu recours à l’un ou l’autre de ses cinq centres de traitement existants. La branche de Diyarbakir, fondée en 1998, joue un rôle crucial dans le traitement et la réhabilitation des victimes de la torture dans le Kurdistan où la torture et les mauvais traitements sont particulièrement endémiques. En 1998, la Fondation avait reçu le Prix européen des droits de l’homme du Conseil de l’Europe pour “son exceptionnelle contribution à la protection des droits de l’homme en Turquie” et sa lutte pour l’abolition de la torture. Amnesty International a dénoncé les poursuites contre la Fondation et appelé à la mobilisation de l’opinion.

DÉMISSION DU MINISTRE TURC DU LOGEMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS

Le ministre turc du Logement et des Travaux publics Koray Aydin a, le 5 septembre, annoncé sa démission, nouvelle étape dans la lutte anti-corruption réclamée par le Fonds monétaire international (FMI) à une Turquie en pleine crise économique. M. Aydin, du parti de l'Action nationaliste MHP (ultra-nationaliste), membre du gouvernement de coalition de Bulent Ecevit, a annoncé sa démission des postes de ministre et de député suite à une vaste enquête policière sur la corruption au sein de son ministère lancée le 22 août dernier. Il partage ainsi le sort du ministre de l'Energie, Cumhur Ersumer, contraint à la démission fin avril 2001 après une enquête similaire et d’Enis Oksuz et de Yuksel Yalova, respectivement ministre des Transports et des Privatisations.

M. Aydin est le cinquième ministre à quitter le cabinet depuis la grave crise économique qui a frappé le pays fin février, marquée par une dépréciation d'environ 50 % de la livre turque face au dollar et le bouleversement des objectifs économiques du pays.

M. Aydin est éclaboussé par une enquête qui a mené à l'arrestation de nombreuses personnes, dont un sous-secrétaire d'Etat adjoint de son ministère. Un réseau impliqué dans des irrégularités en faveur de quelque 200 compagnies aurait ainsi été démantelé. M. Aydin est notamment soupçonné d'avoir attribué des appels d'offres publics à des compagnies qui ne remplissaient pas les conditions requises. La presse turque accuse M. Aydin, ancien entrepreneur, d’avoir reçu des commissions dans plusieurs appels d'offres et orienté les gagnants --notamment pour la construction de plusieurs milliers de logements pour les victimes du séisme d'août 1999-- vers la société de carrelage de son père.

Le parti islamiste du Bonheur (Saadet) avait déposé une motion de censure pour le destituer. Selon les analystes, la crise économique a provoqué un changement dans les mœurs politiques turques, dès lors que par le passé, la démission d'un ministre était très rare. Le Premier ministre Bulent Ecevit a salué devant la presse une “attitude très honorable”, remerciant son ex-ministre pour ses “bons travaux”.

UN AN DE GRÈVES DE LA FAIM DANS LES PRISONS TURQUES !

Un an après son lancement le 20 octobre 2000, le mouvement de grèves de la faim de détenus membres d'organisations de l'extrême gauche clandestine turque se poursuit comme si de rien n'était, malgré un bilan sans précédent dans les annales des prisons de la planète : 72 morts.

Soixante-douze prisonniers ou leurs proches sont décédés depuis 2000 une opération des forces de l'ordre contre 20 établissements pénitentiaires, le 19 décembre, au cours de laquelle 30 détenus --et deux gendarmes-- avaient été tués. Puis 41 détenus ou leurs proches sont décédés des suites de leur jeûne prolongé, le dernier ayant succombé le 18 octobre. Et un gréviste de la faim s'est immolé par le feu fin septembre lors d'une intervention de la police aux funérailles de l'un d'entre eux.

Le mouvement visant à protester contre une réforme instituant des cellules à isolement de un ou trois détenus, dites de “ type F ”, au lieu des vastes dortoirs précédents, a repris de plus belle après leur entrée en service, en décembre, et semble sans issue.

“ L'issue, c'est de supprimer les prisons de type F ”, clame Mehmet Bekaroglu, membre de la commission parlementaire pour les Droits de l'Homme. Il suggère, à défaut, “ d'aménager les locaux et les textes juridiques pour que les détenus puissent, en nombre réduit et pour une durée limitée, avoir des activités communes ”. Mais, sachant qu'Ankara se refuse à toute concession, il s'empresse de dénoncer un “ Etat obsédé par la sécurité nationale, et peu soucieux de préserver des vies ”.

En l'absence de dialogue sur le fond, le ministre de la Justice Hikmet Sami Turk ayant martelé que la réforme serait menée à son terme, seul un débat sur la nécessité ou non d'intervenir contre les grévistes non-maîtres de leurs facultés pour prévenir de nouveaux décès agite la communauté médicale. Le ministère de la Justice a d'ailleurs engagé des poursuites contre l'Union des Médecins pour “ non-assistance à personnes tentant de se suicider ”, et relâché sous condition pour 6 mois les grévistes de la faim les plus incurables.

Ils sont près de 300 dans cette situation, selon un décompte de l'Association turque des Droits de l'Homme (IHD) qui dénombre quelque 200 détenus en grève de la faim “ à mort ” en prison. Vingt-cinq personnes observent le jeûne à l'extérieur, prisonniers ou parents.

INTERPELLATION DE 37 PERSONNES DANS LES LOCAUX DU HADEP À IZMIR ET TROIS MORTS LORS DES AFFRONTEMENTS À SILVAN

La police turque a, le 17 octobre, interpellé 37 personnes, la plupart des membres du parti de la Démocratie du Peuple (HADEP pro-kurde), lors d'une descente dans des locaux du parti dans la province d'Izmir, à Cigli lors d'un séminaire d'éducation politique destinés aux dirigeants de la branche de la jeunesse du HADEP. La police n'a pas donné de raison à l'opération. Selon le HADEP, parmi les interpellés figurent 30 dirigeants de la branche des jeunes du HADEP, ainsi que d'autres militants pro-kurdes et des invités du séminaire.

Le HADEP est régulièrement en butte au harcèlement des autorités qui l'accusent de collusion avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK). Le HADEP, qui plaide pour plus de libertés et de droits culturels pour les Kurdes, rejette cette accusation. Il est sous le coup d'une procédure d'interdiction en justice pour ses liens présumés avec le PKK.

Par ailleurs, trois combattants du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), dont une femme, ont été tués et deux soldats ont été blessés lors d'un affrontement dans la nuit de mardi 16 à mercredi 17 octobre à Silvan, dans la province de Diyarbakir.

LES AUTORITÉS TURQUES CRAIGNENT UNE INTERVENTION MILITAIRE AMÉRICANO-BRITANNIQUE EN IRAK

Intervenant sur la chaîne américaine d’information CNN, le Premier ministre turc, Bulent Ecevit, s’est, le 16 octobre, déclaré vivement opposé à toute intervention contre l’Irak. Interviewé par Larry King, B. Ecevit a indiqué : “ j’espère qu’il n’y aura pas d’intervention car cela déstabiliserait beaucoup notre région, le Moyen-Orient, et cela pourrait conduire à la partition de l’Irak qui pourrait créer des problèmes pour la Turquie, son indépendance ou son intégrité territoriale ”.

Par ailleurs, les relations entre les autorités turques et le parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Mesut Barzani traversent une période de tension, depuis que le PDK a refusé de coopérer avec les militaires turcs lors de leur intervention au Kurdistan d’Irak. Les autorités turques reprochent au PDK son manque de coordination qui serait, selon Ankara, responsable de la mort, il y a deux semaines, de trois membres des forces spéciales turques dans la région de Berwari par l’explosion d’une mine. Le PDK, quant à lui, rétorque qu’il n’y a aucune raison justifiant des interventions militaires turques dans leur région d’autant que la présence du PKK est beaucoup plus tangible sur la frontière iranienne où l’armée turque n’intervient pas.

LA TURQUIE FERME SA FRONTIERE AVEC LE KURDISTAN D’IRAK

L’agence de presse indépendante, Iraq Press, basée à Londres a indiqué le 3 octobre que les autorités turques ont fermé le poste frontalier entre l’Irak et la Turquie, laissant seulement le passage aux ressortissants turcs retournant dans leur pays.

Depuis la fin de la guerre du Golfe, le pétrole irakien est exporté à travers ce poste frontalier, avec le consentement officieux du comité de sanctions de l’ONU. Situé dans la région placée sous l’autorité kurde, ce poste constitue une source financière vitale pour le fonctionnement du gouvernement régional du Kurdistan, dirigé par le Parti Démocratique du Kurdistan, qui assure les salaires de plusieurs dizaines de milliers d’employés et le financement des projets de reconstruction et de développement dans la région.

La fermeture de ce poste intervient au moment où le Kurdistan d’Irak doit faire face à une diminution importante de produits pétroliers à la suite d’une décision du gouvernement irakien de couper le trafic du pétrole avec la région autonome kurde. Selon Al-Zaman, journal arabe basé à Londres, et daté du 4 octobre, le prix de l’essence a quadruplé dans la région kurde, après la mise en œuvre de la décision irakienne, et le prix des biens de premières nécessités risque aussi de connaître une augmentation.

La Turquie a pris l’ahbitude de fermer, de temps à autres, ce poste comme mesure de pression sur le PDK, chaque fois que ce dernier prend des dispositions supplémentaires visant à consolider le statut autonome du Kurdistan irakien.

Selon une source kurde bien placée, une des raisons de cette mesure des autorités turques peut être une rétorsion contre le PDK, après que ce dernier serait intervenu pour arrêter le trafic de visas d’entrée en Turquie, organisé entre certains partis turcomans et les responsables turcs, de l’autre coté de la frontière, avec qui ces partis partagent les bénéfices et favorisent l’afflux des réfugiés kurdes irakiens vers l’Europe.

SADDAM ASSISTE A LA MISE A MORT, À COUP DE POIGNARDS, DE L’UN DE SES COUSINS

Alaa Al-Majid, un cousin de Saddam Hussein, qui a fait défection il y a quelques mois, a été poignardé et décapité par les membres de sa tribu à son retour en Irak en présence du Président irakien, d’après le journal Al-Zaman, du 11 octobre.

Alaa Al-Majid a fait défection, apparemment pour des raisons non-politiques, en juillet dernier, quand il a été envoyé au Maroc pour une mission, mais s’est arrêté à Amman en Jordanie sur le chemin de retour à Bagdad. Là-bas, il a annoncé son intention de demander l’asile politique dans un pays arabe. L'événement a été largement couvert par les médias arabes.

Selon Al-Zaman, Al-Majid a été contacté, alors qu’il était à Amman, par le chef des services de renseignement irakiens, Tahir Jalil Al-Habush, qui lui a offert des garanties assurant qu’il ne lui serait pas fait de mal s’il retournait dans son pays. Al-Zaman a ajouté qu’après avoir été convaincu, Al-Majid est retourné en Irak, en compagnie de l’ambassadeur irakien en Jordanie, Sabah Yasin.

APRÈS LE TRAFIC DE DROGUE, LA TURQUIE TEND À DEVENIR L’UNE DES PLAQUE TOURNANTE DU TRAFIC DE MATÉRIL NUCLÉAIRE

Selon le quotidien anglophone Turkish Daily News du 12 septembre qui reprend l’information du très influent journal américain New York Times, 104 tentatives de trafic du matériel nucléaire à travers la Turquie ont été enregistrées ces huit dernières années selon un rapport interne des autorités turques à l’énergie atomique. Le New York Times affirme que le trafic d’uranium est passé d’Europe aux pays de Caucase, d’Asie centrale et à la Turquie. Le quotidien ajoute que Washington répond au problème en envoyant des équipements de détection d’une valeur de plusieurs millions de dollars à quelques pays de la région.

Par ailleurs l’Agence internationale à l’énergie atomique a, le 7 septembre, publié de nouveaux chiffres montrant que le nombre des affaires confirmées relatives au trafic de matériel nucléaire a chuté dans le monde sauf en Turquie, dans le Caucase et l’Asie centrale où elles sont en augmentation.

En septembre 1998, huit personnes avaient été arrêtées pour “ trafic de matériel nucléaire ”. La marchandise provenait de la Russie et transitait de la Turquie pour une destination inconnue. La police avait saisi 5 kg d’uranium-235 et 30 g de mixture de plutonium. En mai 1999, un Turc avait été arrêté à la frontière bulgare avec une petite quantité d’uranium enrichi-235.