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Bulletin N° 183 | Juin 2000

 

WASHINGTON RÉITÈRE SON ENGAGEMENT A PROTEGER LES KURDES D’IRAK

À l’invitation du vice-président américain Al Gore, le parti démocratique du Kurdistan (PDK) et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) ont envoyé à Washington des délégations de haut niveau présidée respectivement par Nechirvan Barzani, Premier ministre du Gouvernement régional d’Erbil et Jalal Talabani, secrétaire général de l’UPK.

Le vice-président américain a, le 26 juin, longuement reçus les deux leaders kurdes en même temps que quelques personnalités du Congrès national irakien. À cette occasion il a réitéré l’engagement des Etats-Unis à accorder un soutien multiforme à l’opposition irakienne pour favoriser la chute du régime de Saddam Hussein et à défendre " la zone de protection des Kurdes d’Irak " contre les attaques éventuelles de l’armée irakienne.

Officiellement, cette zone n’inclut que les territoires kurdes situés au-dessus du 36ème parallèle et n’inclut pas la province de Suleimanieh, administrée par l’UPK.

Faisant état des déclarations d’un haut officier irakien ayant récemment fait défection, Jalal Talabani a alerté ses interlocuteurs américains et les medias du danger d’une invasion " imminente " de cette province par les troupes de Bagdad. Selon lui, trois divisions de l’armée irakienne seraient massées aux frontières de la province de Suleimanieh. Saddam Hussein, accusant l’UPK d’avoir facilité la récente série d’attentats à Bagdad, attribués aux services iraniens, rechercherait à " punir " J. Talabani.

L’administration américaine a affirmé qu’elle prenait au sérieux ces menaces et qu’elle empêcherait les troupes iraniennes de toute agression contre l’ensemble des territoires sous contrôle kurde, y compris, la province de Suleimanieh.

Profitant de la présence aux Etats-Unis, des deux délégations kurdes, l’administration américaine s’est employée à organiser un nouveau " round " de pourparlers inter-Kurdes pour avancer dans la voie de l’application des accords dits de Washington signés en septembre 1998. Les responsables du Département d’Etat, Thomas Pickering, secrétaire d’Etat par intérim en l’absence de Mme Albright, en déplacement à l’étranger, et Mme Elisabeth Jones, sous-directrice pour le Moyen-Orient, ont séparément reçu les deux délégations. Ensuite celles-ci ont engagé des discussions sous l’égide des Américains. À l’issue de ces pourparlers " longs et difficiles ", des " progrès substantiels " auraient été accomplis. On parle à nouveau de " la convocation prochaine " du Parlement kurde en session plénière à Erbil pour fixer les modalités de l’organisation d’élections législatives. Cependant, aucun calendrier contraignant n’a été établi et le litige sur le partage des revenus des douanes n’a pu être entièrement aplani, bien que les points de vue des deux partis se soient beaucoup rapprochés.

En attendant, Washington prêche le calme et la poursuite du dialogue. L’arrêt des affrontements fratricides depuis novembre 1997 a permis un développement assez spectaculaire du Kurdistan irakien dans les domaines économique et culturel. En principe le risque d’une reprise d’hostilités entre le PDK et l’UPK est très réduit. Cependant, on ne peut écarter l’éventualité d’ingérences des Etats voisins (Iran, Irak, Turquie), qui peuvent directement (attentats perpétrés par leurs services secrets) ou indirectement, via certaines organisations islamistes, trucomanes, ou kurdes dissidentes, entretenir un certain climat d’instabilité, afin de torpiller l’expérience d’auto-gouvernement des Kurdes d’Irak qui, malgré des ratés et la période noire de mai 1994 — octobre 1997, dure depuis plus de 9 ans. Un record dans l’histoire kurde du XXème siècle.

SUCCESSION DYNASTIQUE À DAMAS

Le président syrien Hafez Assad est décédé le 10 juin a Damas après un règne absolu de trente ans. Ses obsèques ont eu lieu le 13 juin en présence de nombreux chefs d’Etats arabes, des présidents français et iranien, ainsi que des deux leaders kurdes irakiens, M. Barzani et J. Talabani. La plupart des pays occidentaux étaient représentés par leur ministre des Affaires étrangères afin de ne pas rendre un hommage trop appuyé au dictateur syrien défunt.

Surnommé " le Bismark arabe " par les uns " les Machiavel du Proche-Orient " par d’autres, le général Assad avait joué un rôle décisif dans le coup d’Etat militaire de 1966 qui a permis l’accession au pouvoir du Parti Baas. Après avoir servi comme ministre de la défense du régime baasiste, y compris pendant la Guerre des Six Jours (juin 1967) où les armées arabes ont subi une lourde défaite face à l’Israël et où la Syrie a perdu le plateau de Golan, Assad a réalisé en 1970 un deuxième coup d’Etat pour éliminer " l’aile gauche " du Baas et assumer un pouvoir sans partage. Devenu maître absolu de la Syrie, il a réparti les principaux leviers de commandes (armée, parti, service de renseignement) entre des fidèles issus, pour l’essentiel, de son clan très minoritaire des Alaouites.

Des communistes pro-soviétiques, des Kurdes et des Druzes ont été associés, à des échelons subalternes, à ce pouvoir minoritaire et dictatorial pour lui donner semblant d’assise et de légitimité. La rhétorique de " la révolution arabe ", de " la libération de Palestine et du Golan de l’occupation sioniste ", abondamment utilisée par les média officiels a servi de justification idéologique à un régime policier maintenu par l’omniprésence des divers services de renseignement, de l’armée et du Parti Baas. Les opposants, comme les islamistes et les dissidents du Parti Communiste officiel, ont été réprimés avec la plus grande brutalité (plusieurs dizaines de milliers de morts, en 1982, dans la répression à l’artillerie lourde des émeutes islamistes d’Hama et Homs).

Se voulant " le champion de la cause arabe " celui que ses laudateurs l’appelaient " le lion de Damas ", en 30 ans de règne, n’a pas pu libérer un pouce de territoire syrien occupé. Il a, en revanche, grandement contribué à la ruine du Liban, en jouant avec une habilité diabolique les diverses factions libanaises les unes contres les autres pour le plus grand malheur du pays du Cèdre. Ceux qui, comme le leader druze d’origine kurde, Kamal Joublat, dont le rayonnement dépassait largement le cadre du Proche-Orient, ont refusé de devenir des instruments dociles dans la main du Machiavel de Damas ont été assassinés sans scrupules. Le général Assad a aussi alimenté des dissensions sanglantes au sein du mouvement palestinien afin d’éliminer Yasser Arafat. Peu regardant sur les moyens, il a laissé le Liban occupé par ses troupes devenir un carrefour de tous les trafics, notamment de drogue, pour le profit de sa famille et son clan et de ses tentaculaires services de renseignement.

Son habilité a également fait des ravages sur le plan kurde. Tout en déniant le moindre droit culturel et linguistique à ses 1,5 millions de citoyens kurdes et refusant de réintégrer les 150.000 Kurdes syriens déchus arbitrairement de leur nationalité, il a offert l’asile au PKK dans le but d’en faire un instrument dans sa politique contre la Turquie. Voulant faire d’une pierre deux coups, son régime a encouragé les jeunes Kurdes syriens à s’enrôler dans la guérilla du PKK, officiellement, " afin de libérer le Kurdistan turc ", en fait pour se débarrasser ainsi d’une fraction militante et nationaliste de la jeunesse kurde syrienne. Après avoir obtenu d’Ankara, en 1987, un premier accord sur le partage des eaux de l’Euphrate, Assad qui comptait tirer un plus grand bénéfice de son soutien au PKK, a dû, en octobre 1998, renoncer à ce jeu devant le risque d’une guerre aux conséquences imprévisibles avec la Turquie.

A couteaux tirés avec la faction rivale du Parti Baas au pouvoir à Bagdad, le régime syrien a également entretenu avec les partis kurdes irakiens des relations en dents de scie, sans jamais leur accorder un soutien substantiel. Après la guerre du Golfe et la création d’une zone de protection pour les Kurdes d’Irak, Damas a utilisé tous les moyens en son pouvoir, souvent de concert avec Téhéran, pour empêcher que le Kurdistan irakien ne se transforme en " un deuxième Israël ", en clair pour qu’il n’émerge pas comme entité étatique stable.

Prévoyant, le général Assad avait minutieusement préparé sa succession dynastique. Il avait notamment décapité les puissants services de renseignement, mie à la retraite d’office , d’Hikmat Chehabi, Ali Douba, Mohammed Nassif, etc, pour mettre à leur tête des jeunes de la génération de son fils Bachar. Celui-ci, intégré à l’armée, a connu une ascension fulgurante, avant d’être nommé, dès la mort de son père, " général " et " commandant en chef de l’armée " par le vice-président potiche Abdel Halim Khaddam et recevoir les hommages du ministre de la défense Mustafa Tlas. Le Parlement syrien a aussitôt modifié la Constitution pour réduire l’âge minimal d’éligibilité à la présidence de 40 ans à 34, l’âge de Bachar. Le 9ème congrès du Parti Baas, réuni du 17 au 20 juin, l’a désigné à l’unanimité secrétaire général du Parti. Et dans la foulée le Parlement l’a nommé comme candidat unique à la présidence de la République. Un plébiscite organisé en juillet doit entériner, toujours à l’unanimité bien sûr, ce choix pour clore ainsi la procédure administrative de succession dynastique dans " la République arabe et socialiste de Syrie ".

L’avenir semble bloqué pour longtemps, dans ce pays qui pourtant, il y a encore quelques décennies avait connu une réelle expérience parlementaire et démocratique et qui après près de quarante ans de dictature demeure l’un des pays les plus arriérés du Proche-Orient.

ANKARA : DÉBAT ANIMÉ SUR LA DOSE DE DÉMOCRATISATION DU PAYS

Voilà déjà six mois que la Turquie est candidate officielle à l’Union européenne et les institutions turques s’affrontent sur les critères de démocratisation à adopter. Sur fond d’avis relatif au rapport préparé par le Haut secrétariat à la coordination pour les droits de l’homme du Premier ministre, le Conseil national de sécurité (MGK), l’état-major des armées turc, et le ministère des affaires étrangères, s’opposent ouvertement. En coopération avec plusieurs ministères, le Haut secrétariat a mis en lumière la nécessité d’entreprendre des changements légaux pour se conformer aux critères de Copenhague. La première version du document, préparée par Gürsel Demirok, demandait la levée des obstacles devant la liberté de l’expression, l’autorisation d’émettre des programmes en langue kurde, l’enseignement de la langue kurde, l’augmentation des membres civils au sein du Conseil national de sécurité (MGK) et la nomination d’un civil au poste de secrétaire général du MGK. Face aux critiques, G. Demirok a dû démissionner et un rapport édulcoré, préparé par le ministre d’État Rüstü Kazim Yücelen, a été présenté. Le document final ne fait aucune référence à la composition du MGK.

De son côté le quotidien turc Radikal, dans son édition du 14 juin 2000, a révélé le rapport du MGK relatif aux critères de Copenhague. Ce texte de cinq pages du Secrétariat général du MGK, daté du 11 mars, affirme, en conclusion qu’" au vu des réalités turques, les demandes et conditions excessives de l’Union européenne ne pourront être réalisées ". Organe décisionnel suprême composé principalement des chefs de l’armée, le MGK a un rôle déterminant dans la vie politique turque. " Nous savons que les rapports de l’Union européenne qui soulèvent les lacunes en Turquie en matière de démocratie, de la suprématie du droit, des droits de l’homme, sont, pour une grande part, réalisés par des organes partiaux, ayant des préjugés à l’égard de notre pays, émettant des opinions subjectives. C’est pourquoi, il a été évalué de ne pas se conformer à des exigences excessives et injustes de l’Union européenne portant atteinte à l’intégrité nationale de la Turquie, à sa forme d’Etat unitaire, et à ses réalités propres. Il est préférable d’œuvrer pour que les demandes inconvenantes ne soient plus mentionnées dans les rapports de l’UE ". Le rapport annonce également que " la question des droits des minorités en Turquie a été réglée avec le traité de Lausanne (de 1923). Ainsi, en Turquie, il n’y a que des Rûms (Grecs de Turquie), des Juifs, des Arméniens, et une minorité bulgare. Autrement dit, il a été décidé par un traité international de la paix de Lausanne, que nos citoyens d’origine kurde ne forment pas de minorité (…) Des recommandations conduisant au séparatisme et portant atteinte à notre intégrité territoriale, telles que la reconnaissance de l’identité kurde ou alors l’autorisation d’émettre en kurde, sont considérées comme étant impertinentes. La meilleure chose pour cela est de faire prévaloir le ‘nationalisme d’Atatürk’ (ndlr : qui nie farouchement l’existence même des Kurdes) établi dans la Constitution. ".

Par ailleurs, le Conseil national de sécurité (MGK), " recommande " que " l’article 143 de la Constitution relatif aux cours de sûreté d’Etat (DGM) soit révisé et que ces cours soient remplacées par des tribunaux spéciaux compétents sur les atteintes portées contre la sécurité de l’Etat. " Le MGK trouve acceptable qu’" en dehors des périodes de loi martiale ou de guerre, les civils ne soient pas jugés par des tribunaux militaires ", et se prononce pour l’abolition de la peine de mort en suggérant la signature du Protocole n°6 des Nations Unies.

Le rapport précise également son opposition à toute possibilité d’" appel des décisions du Haut conseil militaire ", qui décide de l’évolution des carrières des officiers supérieurs et qui périodiquement exclut de l’armée les officiers jugés " suspects " pour l’idéologie nationaliste d’Atatürk. Le MGK, tout en se prononçant favorablement pour l’augmentation des membres civils en son sein, déclare qu’" il n’y a aucune violation des droits de l’homme, ni des principes démocratiques dans le fait que le secrétaire général, responsable d’une institution compétente sur la sécurité nationale, soit un militaire ".

Parallèlement à ce rapport d’origine militaire, le ministère turc des affaires étrangères, réputé plus " libéral ", a rendu public un autre rapport, toujours sur la même question, mais qualifié de " courageux " par le quotidien Radikal du 19 juin 2000. Le ministère se prononce à l’instar de la France pour l’intégration du " principe de citoyenneté constitutionnelle inclusive ". Il a également déclaré qu’il était favorable à l’enseignement et à l’éducation dans des langues maternelles, de même qu’au droit de publication dans la langue désirée et à la levée de tout obstacle devant la liberté de l’opinion. Le rapport aboutit à la conclusion qu’il faut prendre en considération non pas " l’homogénéité des individus composant l’Etat-nation mais leur différence " et ainsi mettre l’accent sur " le droit à la différence ". " Les individus qui jouissent du droit à la différence bénéficient naturellement de la liberté de promouvoir et de sauvegarder leurs différences ethnique, linguistique, religieuse, ou alors culturelle, dans la société où ils vivent ". Contrairement au MGK, le ministère des affaires étrangères prend en considération l’article 39 alinéa 4 du traité de Lausanne [qui stipule : aucune restriction devrait être imposée à un national turc sur sa liberté d’utiliser une langue dans le cadre de l’enseignement privé, dans le commerce, dans la religion, dans la presse, ou encore dans des publications ou des réunions publiques ].

La presse turque a largement fait état des divergences des institutions. Sami Kohen (Milliyet 20 juin 2000) reportant les propos d’un diplomate décrit : " les critères de Copenhague ne sont pas un ‘menu’ dans lequel on peut prendre et choisir certaines matières ". Toujours le quotidien Radikal titre le 20 juin : " les militaires étaient divisés sur la question de l’Union européenne " et souligne : " l’état-major a adopté une ligne modérée, Contrairement au conseil national de sécurité (MGK), le ministère des affaires étrangères et le Haut Secrétariat à la coordination des droits de l’homme se marquent par une attitude libérale ".

De son côté, au cours d’une conférence organisée au Parlement et intitulée " Réformes constitutionnelles en Turquie - Principes et Résultats ", le président Ahmet Nejdet Sezer, a déclaré le 29 juin : " la Turquie, qui est un Etat de droit, démocratique, séculaire, et social, qui respecte les droits de l’homme, devra développer et protéger les droits de l’homme et les libertés et élever ces droits au niveau universel ". " Afin d’atteindre cela, les normes universelles établies dans des déclarations internationales devront être incorporées à nos lois après réévaluation de notre Constitution à la lumière de ces déclarations universelles. " a ajouté M. Sezer.

Soulignant que le principe de l’Etat de droit constitue le facteur déterminant des démocraties contemporaines, A. N. Sezer a affirmé : " le plus important principe des démocraties orientées vers la liberté se base sur le fait que l’Etat existe pour le peuple et non le peuple pour l’Etat ". Le président turc, qui était l’ancien président de la Cour constitutionnelle turque avant son élection, a déclaré que les droits de l’homme sont devenus une " condition qui ne peut être ignorée " dans le monde contemporain et a encouragé les réformes constitutionnelles en Turquie.

NEW YORK : L’ONU PROLONGE DE SIX MOIS LE PROGRAMME" PÉTROLE CONTRE NOURRITURE "

Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a, le 8 juin, prolongé d’une nouvelle période de six mois, le programme dit " pétrole contre nourriture " qui autorise l’exportation, désormais sans limite, du pétrole irakien, tout en contrôlant l’utilisation des sommes dégagées par ces ventes.

Selon les statistiques de l’ONU le montant total de ces ventes depuis 1996 s’élève désormais à 25,3 milliards de dollars, dont 8,4 milliards au cours des seuls six derniers mois. 13% de ces sommes sont affectées aux provinces sous administration kurde où elles sont dépensées par les agences de l’ONU pour le bénéfice de la population. Au total, les régions kurdes devraient ainsi bénéficier en quatre ans d’une injection de 3,26 milliards de dollars sous forme de distribution de nourriture, de médicaments, de financement de projets d’éducation, de santé et d’infrastructure. Cet apport, malgré le gâchis habituel de la bureaucratie de l’ONU et son extrême lenteur, a permis à l’économie dévastée du Kurdistan irakien de se reconstituer progressivement et a fortement contribué au retour de la paix et de l’espoir dans la région. Les responsables kurdes, tout en critiquant la lourdeur des procédures administratives du Comité des sanctions de l’ONU, n’ont cessé rappeler le rôle vital pour la population, de l’affectation d’office de 13% des revenus des ventes du pétrole aux provinces sous gouvernement kurde.

Actuellement tout projet proposé par l’administration ou une ONG kurdes à une agence locale de l’ONU, est envoyé d’abord au siège du Bureau de l’ONU à Bagdad, qui, s’il le retient, le soumet aux autorités irakiennes. Si celles-ci donnent leur approbation, le projet est transmis à une série de bureaux régionaux de l’ONU (le Caire, Nairobi, Genève) et après leur avis, au Comité des sanctions à New York. Si celui-ci approuve le projet, la décision prend le même cheminement tortueux. Ce qui fait qu’une décision concernant même un projet urgent ou prioritaire peut prendre plus d’un an ! Sans oublier que le régime irakien peut l’édulcorer ou le torpiller, en substituant par exemple à une liste de médicaments nécessaires au Kurdistan, une autre liste ne correspondant pas aux besoins réels de la population kurde.

Les dirigeants kurdes demandent donc une simplification des procédures de décision et une meilleure coopération avec l’administration kurde.

De son côté, Bagdad qui n’a qu’un contrôle partiel sur les revenus des ventes du pétrole (30% de celles-ci vont aux réparations de guerre et aux frais de l’ONU) demande la fin du régime des sanctions qu’il qualifie de " politique de génocide ". D’autres pays réclament également la levée des sanctions sans tenir compte du sort des Kurdes, qui seraient privés de leurs 13%, ni dire comment la communauté internationale pourrait empêcher Saddam Hussein d’utiliser une grande partie de ces ressources à se réarmer et à consolider l’appareil de répression de sa dictature.

D’autant que Bagdad échappe depuis décembre 1998 à toute inspection internationale et que la nouvelle commission d’inspection de l’ONU, UNMOVIC,présidée par l’ancien ministre suédois des Affaires étrangères, Hans Blix, n’a toujours pas pu s’installer à Bagdad pour commencer ses travaux.

" Maintenant que l’Irak peut exporter sans limite son pétrole, et que des revenus nettement accrus sont disponibles, le gouvernement de l’Irak est en mesure de réduire le niveau de malnutrition et d’améliorer la situation de santé du peuple irakien a déclaré le secrétaire général de l’ONU Kofi Anann, qui a appelé l’Irak à " accroître les montant alloués à la santé et à la nutrition, à passer plus efficacement ses commandes d’approvisionnement et à distribuer avec plus de diligence les marchandises ".

En somme, Bagdad ne peut plus jouer la carte du chantage à la famine et à la pénurie de médicaments. Il a désormais tous les moyens financiers d’y pourvoir. Il doit mettre un terme à l’incurie volontaire ? Consistant à laisser pourrir dans des entrepôts des centaines de tonnes de médicaments, coûtant plusieurs centaines de millions de dollars, tout en médiatisant pour sa propagande, les enfants mourant faute de soins.

Le débat de décembre prochain sur les sanctions contre l’Irak risque d’être d’autant plus animé que l’Amérique élira d’ici là son nouveau président et que, Kurdes, Arabes et Européens, attendent quelle politique irakienne le nouveau chef de la Maison Blanche va adopter.

NOUVELLE TENSION ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LA TURQUIE

Le Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne réuni à Santa Maria De Feira au Portugal, le 21 juin, a décidé d’exclure la Turquie du mécanisme décisionnaire de l’Identité de sécurité et de défense européenne (ESDI), organe qui sera chargé de gérer les futures crises en Europe. Ankara a vivement réagi à l’issue du sommet. Le Premier ministre Bülent Ecevit a déclaré que la décision européenne sera une nouvelle source de tension entre la Turquie et l’Union européenne, ajoutant que celle-ci n’est pas rationnelle. Considérant que la décision était " sévère " et " irrespectueuse " à l’égard de la Turquie, M. Ecevit a menacé d’utiliser son veto au sein de l’OTAN [ndlr : au cours du sommet de Washington de l’OTAN, l’année dernière, les membres avaient convenu de prendre des décisions à l’unanimité lorsqu’une quelconque organisation solliciterait son aide]

De son côté, le ministère turc des affaires étrangères a rapidement publié une déclaration pour indiquer qu’Ankara n’était pas satisfait des conclusions de Feira concernant l’ESDI, et que la Turquie allait demander à l’Union européenne de revoir sa décision au prochain sommet prévu en décembre 2000 à Nice. Les autorités turques avaient déclaré au préalable qu’elles n’accepteraient pas une position moins avantageuse que celle dont elles jouissent dans le cadre de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO). La Turquie est le seul pays non-membre de l’Union européenne de l’OTAN à afficher son mécontentement. Son grand allié, les Etats-Unis, apporte son soutien à l’implication plus active de l’Europe dans les questions de sécurité européenne. " Cela ne rendra-il pas la position turque plus difficile ? La Turquie ne s’isolera-t-elle pas au sein de l’OTAN ? " s’interroge l’éditorialiste Ferai Tunc, dans le quotidien turc anglophone Turkish Daily News le 22 Juin.

STRASBOURG : NOUVELLES CNDAMNATIONS DE LA TURQUIE PAR LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

La Turquie a été condamnée le 13 juin par la Cour européenne des droits de l’homme pour " traitement inhumain et dégradant " conformément à l’article 3 de la Convention des droits de l’homme. Soupçonné d’être membre du parti des travailleurs de Kurdistan (PKK), Abdulvahap Timurtas, un jeune Kurde né en 1962, disparaît le 14 août 1993 près de Yeniköy (province de Sirnak) après un placement en garde-à-vue. La Cour européenne est saisie par le père de la victime qui accuse les autorités turques d’être responsables de la mort de son fils. Le gouvernement turc, qui nie toute responsabilité, soutient tout simplement que M. Timurtas n’a pas été placé en garde-à-vue. Les autorités turques ont en particulier contesté la photocopie d’un rapport des forces de sécurité faisant état de l’arrestation de ce dernier, qui a été fournie comme preuve par le père de la victime. Le procureur de Sirnak avait classé sans suite la plainte de ce dernier et la Turquie a par la suite refusé de fournir à la Cour de Strasbourg le document sur lequel elles se fondent pour nier l’authenticité de la copie du rapport.

Compte tenu de ce refus non motivé et de " toute une série d’éléments en faveur de l’authenticité du document litigieux ", la Cour européenne a reconnu l’arrestation et la détention du fils du requérant. En concluant à une violation de l’article 2 de la Convention européenne, la Cour a jugé que " le gouvernement turc n’ayant fourni aucune explication au sujet de ce qui est arrivé au fils du requérant pendant sa détention, il doit être jugé responsable du décès de l’intéressé. "

La Cour a stigmatisé la Turquie pour " l’absence d’enquête prompte et effective " et pour " l’absence de registres précis et fiables " concernant les gardes à vue. Selon l’arrêt, " certains membres des forces de sécurité ont fait preuve d’un manque total de sensibilité devant les préoccupations du requérant, en niant à la face de l’intéressé et au mépris de la vérité que son fils eut été placé en garde-à-vue (…) De surcroît, l’angoisse éprouvée par le requérant au sujet de son fils est toujours très actuelle ". La Turquie a été condamnée à verser ? 30 000 à la famille du jeune Kurde disparu.

Le 15 juin, la Turquie a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à la liberté d’expression d’un jeune journaliste, poursuivi pour avoir publié le point de vue d’un lecteur sur la question kurde. Umit Erdogdu, 30 ans, rédacteur en chef du bimensuel " Iscilerin Sesi " à Istanbul (La voix des ouvriers), avait fait paraître le 2 octobre 1992 l’article d’un lecteur intitulé " Le problème kurde est un problème turc ". Un an plus tard, M. Erdogan était condamné pour diffusion de propagande contre l’intégrité territoriale de l’Etat et l’unité indivisible de la nation turque à 6 mois de prison et à une amende qu’il a commencée à payer en 1994. L’affaire avait été rejugée, suite à la modification en 1995 de certaines dispositions d’une loi turque contre le terrorisme, et la peine avait été ramenée à une amende, sans emprisonnement. Un nouveau changement législatif conduisait la Cour de sûreté turque à accorder, en décembre 1997, un sursis au journaliste, à condition qu’il ne commette aucune nouvelle infraction pendant trois ans.

Dans son arrêt, la Cour européenne, saisie en 1994, a admis que le texte litigieux comportait " une certaine virulence politique " et qu’il est " clair que son auteur entendait, ne fût-ce qu’indirectement, stigmatiser tant l’idéologie politique dominante de l’Etat que la conduite des autorités turques quant au problème kurde ". Mais elle n’y a rien décelé qui puisse inciter les lecteurs, comme l’affirme Ankara, à recourir à la violence contre l’Etat turc, ni à rejoindre les camps du PKK. En incriminant le journaliste, les autorités turques " n’ont pas suffisamment pris en compte la liberté de la presse, ni le droit du public de se voir informé d’une autre manière de considérer le problème kurde, aussi désagréable que cela puisse être pour elles ", a estimé la Cour européenne. Quant au sursis accordé au requérant en 1997, les juges européens ont en outre estimé qu’il s’apparentait à une " interdiction qui avait pour effet de censurer la profession même du requérant ".

La Cour a accordé au requérant un dédommagement moral de 26 000 FF et 20 000 FF pour frais et dépens.

RETOUR CONDITIONNEL ET RISQUÉ DANS LES VILLAGES KURDES

Plus de 45 000 familles kurdes, ont fait appel à l’association culturelle des migrants et d’aide sociale (GÖÇ-DER) pour pouvoir rentrer dans leurs villages où un calme relatif est retrouvé. Près d’un an après l’annonce de l’arrêt des combats par le PKK, le retour des populations évacuées de leurs villages, malgré une demande de plus en plus forte, reste sporadique et risque de rester conditionnel. Le feu vert de l’administration qui gère les 10 provinces, toujours ou à peine sorties de 13 ans d’état d’urgence, se fait attendre et les 378 355 " migrants forcés " recensés en 1997 dans un rapport parlementaire [ndlr : le nombre de déplacés de la région kurde est estimé par différentes organisations de défense des droits de l’homme à plus de 3 millions] ne croient guère au miracle.

L’association et le parti de la Démocratie du peuple (HADEP) qui recueillent les demandes des familles ne jouissent pas d’une très bonne image auprès des autorités turques qui les taxent de séparatisme. Interrogé sur la question, Gökhan Aydiner, gouverneur chargé des 10 provinces sous administration spéciale, déclare qu’il est certain que " tous les villages et hameaux ne seront pas rouverts " et que les plus éloignés ne pourraient profiter des services de l’État : " Seuls les formulaires déposés individuellement auprès des autorités locales seront examinés au cas par cas ". M. Aydiner avoue volontiers les velléités des autorités turques dans ce projet de retour en déclarant que renvoyer tout le monde dans les montagnes signifierait " revenir au point de départ " c’est-à-dire au déclenchement de la lutte armée. Il dit avoir accordé 64 000 autorisations de retour sur 131 000 cas, et enregistré 26 000 retours depuis huit ans.

Les familles, désœuvrées dans les banlieues des grandes métropoles turques, se trouvent souvent dans une misère intolérable. Selon une étude du Centre d’enfance et de jeunesse de Beyoglu qui a réalisé une enquête sur les 23 districts d’Istanbul entre 8 mai et 8 juin sur 905 enfants : 99 % des enfants qui vendent des mouchoirs, des chewing-gums, ou encore des cireurs de chaussures, sont issus de ces familles déplacées (…). À Istanbul 38 % de ces enfants sont originaires de l’Est et 31 % du Sud-Est, alors que 18 % sont originaires de la région turque de Marmara, 5 % de la Mer Noire, 4 % du Centre, et 4 % de la Méditerranée. Par ailleurs, les enfants déclarent à 35 % exercer une seconde profession. Les familles, exilées souvent de force, avouent très volontiers ne pas disposer de moyens suffisants pour rentrer chez elles et réclament à ce titre de compensations financières

Par ailleurs, les villages repeuplés à partir de zéro semblent introuvables, alors que trois bourgs (Çatak-Konalga et Dikbiyik près de Van et Kaymakamçesme, à Sirnak) réservés aux clans de gardiens de villages, milices pro-gouvernementales, seront inaugurés en juillet par le Premier ministre Bülent Ecevit. Les villages reculés qu’occupent ces gardiens demeurent inaccessibles sans autorisation spéciale malgré la levée des restrictions légales dans plusieurs provinces. Les affrontements sont à " un niveau proche du zéro ", affirmait pourtant dès septembre 1999 le chef d’état-major Hüseyin Kivrikoglu. Près de 65 000 miliciens, les trois-quarts rémunérés par les autorités turques, sont officiellement au service du " maintien de la sécurité ". La question de leur désenrôlement est régulièrement évoquée, avec la disparition progressive de l’insécurité, et une loi votée le 30 juin 2000 par le Parlement restreint fortement les conditions d’appartenance à la milice (obligation de savoir lire et écrire), et pose des limites à sa liberté d’action, jusque-là totale.

LU DANS LA PRESSE TURQUE

QUANT L’ETAT FAISAIT ASSASSINER, SANS PROCÈS, DES CITOYENS SUSPECTS


À partir du témoignage d’un homme de main des services secrets turcs, Oral Çalislar, journaliste au quotidien turc Cumhuriyet, dénonce dans ses colonnes du 6 juin les exactions commises dans le Kurdistan sous prétexte de lutte contre le PKK. Voici l’intégralité de l’article : " Les aveux du tireur du JITEM [nldr : service de renseignement et d’action de la gendarmerie, chargé de contre-insurrection au Kurdistan] ont été révélés par l’article de Mutlu Sereli dans le quotidien Cumhuriyet [ndlr : l’équivalent turc du Monde]. Ibrahim Babat, le tireur en question, raconte tout ce qu’il a fait mais aussi tout ce qu’on lui a ordonné, avec une exactitude au-dessus de tout soupçon. Lisez la déposition d’Ibrahim Babat. Lisez pour apprendre de quelle façon il a été transformé en Ibrahim Babat par le JITEM avec de faux papiers d’identité.

D’origine syrienne, né en 1965 selon ses déclarations, Ibrahim Babat, nom de code Mete, déclare ceci à la Cour de sûreté de l’Etat et à la direction de l’inspection du Premier ministre : Le JITEM a donné à tous ceux qui ont collaboré le pouvoir d’exécuter toute personne ayant des rapports avec le PKK. On m’a également transmis des instructions en ce sens.

Excédés par les déclarations de Babat, des responsables le mettent en garde pour le faire taire. Le chef du Bureau des renseignements généraux de la Direction de sûreté de Kirklareli et le commandant de la gendarmerie lui rendent visite et le menacent en lui disant " Fais bien attention, ne porte pas de préjudice à l’Etat, ton affaire est en Cassation ".

Babat raconte en ces termes sa relation avec le JITEM : " Ils devaient me déclarer mort au cours d’un affrontement et puis annoncer mon décès. J’ai donc accepté de les aider et de travailler en collaboration avec l’armée. Ils m’ont alors préparé de faux papiers d’identité. "

" Sous couvert de lutte contre le PKK, en dehors des interventions légales ou légitimes, j’ai été témoin et j’ai pris part à des nombreuses opérations qui pourraient déconcerter l’Etat, c’est pourquoi je me suis senti obligé de les expliquer… Les commandants responsables de la sécurité publique connaissaient parfaitement ma situation, et je touchais la somme de 500 000 livres turques par mois qui m’était d’ailleurs remise après la signature d’un reçu. "

Puis, Babat décrit, lieux et noms compris, les assassinats ordonnés par les responsables de l’Etat, c’est-à-dire des officiers du JITEM.

Aujourd’hui, au vu de ces éléments, les responsables de l’autorité publique, les commandants de la sûreté nationale, peuvent-ils continuer à soutenir que le JITEM n’existe pas ? Teoman Koman, le commandant de la gendarmerie de l’époque, devenu par la suite l’homme de main de Cavit Çaglar a déclaré qu’ " il n’y a pas de JITEM " et a refusé de déposer à la commission d’enquête du Parlement turc. À l’époque, il était commandant, aujourd’hui il est sans uniforme, il serait judicieux de recueillir son avis sur la question.

Teoman Koman était une des personnes-clé du moment. Avant d’être commandant de la gendarmerie, il était secrétaire général du Conseil national de Sécurité (MGK), et encore avant, conseiller au service de renseignement (MIT). Il devrait à ce titre connaître toutes ces affaires, les arrangements conduisant à ces événements, et la politique dissimulée derrière ceux-ci. Est-il possible de réaliser ce genre d’opérations sans aviser le commandant de la gendarmerie ?

Dans le cadre d’un pays dirigé démocratiquement, considéré comme un Etat de droit, il y a d’affreuses vérités à tirer du récit de Babat. Dans un Etat de droit est-il possible pour une quelconque organisation étatique de faire exécuter des hommes ? Peut-elle faire enlever des individus en fournissant des faux papiers d’identité ? Un Etat peut-il éliminer ses propres citoyens en se mettant au-dessus de la loi ?

Tout en sachant la réponse négative à ces questions, nous acceptons, résignés, ces événements. Au sein de l’Etat, par l’action des responsables de l’Etat, des opérations illégales ont lieu, nul ne l’ignore et pourtant tout le monde réagit comme si tout cela était normal.

La déclaration d’Ibrahim Babat est horrible. Les citoyens d’un Etat peuvent-ils accueillir normalement le fait que l’Etat pourrait les assassiner ? Malgré les révélations de ces affaires, peuvent-ils se dire qu’on n’y peut rien ? C’est regrettable, mais la réponse est oui.

Les déclarations du Syrien, de son faux nom Ibrahim Babat, mettent froidement à jour l’esprit sécuritaire qui gouverne ce pays et la concertation d’une sécurité d’intimidation et assassine. Les propos d’Ibrahim Babat, publiés dans le quotidien Cumhurriyet, prouvent l’enracinement de la conception qui dirige l’Etat dans le non droit et l’illégalité. Le directeur du service des renseignements et le commandant de la gendarmerie qui l’ont menacé dans la prison de Kirklareli ont-ils agi de leur propre chef ? Peut-on y croire ?

Il est évident qu’il y a des complices hauts placés qui veulent faire taire Ibrahim Babat. Je me dis : et si on réinterrogeait Teoman Koman et qu’une commission d’enquête passait en revue les trois périodes critiques de son exercice…

Pour que la Turquie soit un Etat de droit démocratique, Ibrahim Babat devrait être interrogé et pris en considération. Il est temps que ces horribles machinations de meurtres cessent. Pour cela, les protagonistes se doivent de rendre des comptes. Après avoir expliqué la situation, j’interroge les dirigeants de cet Etat : Continuez-vous à prétendre que le JITEM n’existe pas ? Soutenez-vous l’occultation de ces assassinats commis dans ce cadre ? Vous croyez tenir jusqu’à quand ? "

AINSI QUE...

UNE DÉLÉGATION EUROPÉENNE VISITE LE KURDISTAN POUR ÉVALUER LA DESTRUCTION DES VILLAGES


Une délégation du Parlement européen composée de la députée PDS d’origine kurde Feleknas Uca, de Jean Lambert des Verts anglais et de Sarah Lutford, du parti libéral anglais, s’est rendu le 29 mai dans les provinces kurdes afin d’enquêter sur les villages évacués et incendiés dans la région. De retour à Bruxelles le 2 juin, la députée F. Uca a tenu une conférence de presse au cours de laquelle elle a déclaré : " L’Etat n’apporte pas de soutien financier aux municipalités. Par exemple, l’Etat a promis 700 millions de livres turques [ndlr : 7814 Frs] à la municipalité de Batman pour la politique de retour des familles dans la région mais n’a versé pour le moment que 1 % de la somme. Malgré la volonté de retour, les habitants ne peuvent pas revenir dans leur village car au lieu de reconstruire les maisons détruites, l’Etat (…) a pour projet de réunir plusieurs villages et de former des centres (…) L’Etat accepte à une condition le retour des villageois, que ces derniers acceptent de signer un document affirmant que " le village a été détruit par le PKK et non par l’Etat " (…)" . Melle Uca a également souligné l’omniprésence des militaires turcs et l’interdiction d’apporter des images de la région.

LE QUOTIDIEN " OZGUR BAKIS " FERMÉ, SON SUCCESSEUR " 2000’DE YENI GÜNDEM " INTERDIT DANS LA RÉGION KURDE


Les autorités turques ont décidé le 5 juin 2000 d’interdire le quotidien pro-kurde " 2000’de Yeni Gündem " dans les cinq plus importantes provinces kurdes : Van, Diyarbakir, Siirt, Sirnak, Hakkari. Paru depuis à peine une semaine alors que son prédécesseur, Özgür Bakis, a tout bonnement été interdit sur tout le territoire, le journal déclare n’avoir eu aucune explication régulière à cette décision. Ragip Zarakoglu, son directeur de publication, a déclaré : " la notification écrite de cette décision est parvenue à notre bureau de Diyarbakir, sans aucune explication (…) Ce genre de décision ne peut être contesté par voie de justice (…) La seule manière d’y échapper est que l’état d’urgence soit levé. C’est pourquoi nous avons demandé l’intervention du Président de la République et du Premier ministre ".

2000’de Yeni Gündem avait commencé à paraître le 27 mai, remplaçant Özgür Bakis et plusieurs autres journaux pro-kurdes successivement fermés par les autorités. M. Zarakoglu a également dénoncé le fait que l’interdiction de son journal dans ces cinq provinces rendait impossible sa distribution dans les provinces voisines. Les autorités turques qui énumèrent si souvent le nombre de publications kurdes ou pro-kurdes publiées en Turquie oublient d’expliquer que celles-ci doivent faire face à une double censure, l’une nationale et l’autre régionale. Rien que ces derniers mois, le préfet de la région a interdit plusieurs publications pro-kurdes ou en langue kurde dont " Pinê ", une revue humoristique et " Özgür Kadinin Sesi ", un magazine féminin.

BAISSE TRÈS IMPORTANTE DANS LE NOMBRE DES AFFRONTEMENTS ET INCIDENTS VIOLENTS DANS LE KURDISTAN


Au cours d’une conférence de presse le 1er juin 2000, l’état-major des armées turques a indiqué que " les incidents dus au terrorisme " ont très largement diminué par rapport à la même époque l’année dernière. Le colonel Fahir Altan, chef du département des relations publiques, a déclaré : " en 1994 le nombre d’incidents terroristes atteignait 3300, les deux années qui suivirent ce chiffre est descendu à 1500, ensuite en 1997 de 73 % et puis de 86 % en 1998 pour un total de 488 incidents enregistrés cette année ".

OPÉRATIONS ANTI-HADEP


Le maire de la ville d’Özalp, dans la province kurde de Van, a été le 15 juin suspendu de ses fonctions par les autorités turques sans explication. Salih Haktan a été informé de sa suspension par une circulaire officielle du bureau du gouverneur de Van. " La circulaire ne mentionne pas le motif de la suspension. Haktan lui-même n’a aucune idée de la raison pour laquelle elle a été décidée (…) Il n’y a aucune raison à cette suspension. Nous pensons que la décision est politique et arbitraire ", a affirmé Hamit Geylani, vice-président du HADEP.

Le 26 juin, la police d’Istanbul a effectué des perquisitions et des interpellations dans plusieurs locaux du Parti de la Démocratie du Peuple (HADEP). La police a également confisqué " un grand nombre de documents ", trouvés dans les différents locaux du HADEP " pour enquête ". Kemal Pekoz, président de la direction provinciale du parti, et Mahmut Can, son adjoint, figurent parmi la trentaine de personnes mises en garde-à-vue. Les observateurs notent que ces arrestations tombent paradoxalement à un moment où l’on parle d’une accalmie dans la région kurde, depuis que le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a appelé au cessez-le-feu et au retrait de ses troupes de la région, mais aussi à une semaine de la déclaration du Premier ministre Bülent Ecevit qui pointait du doigt la voie politique choisie par le HADEP.

Le 29 juin, plusieurs manifestations ont eu lieu en Turquie pour protester contre la condamnation à mort, il y a un an, d’Abdullah Öcalan, chef du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), pour " trahison et séparatisme " par une Cour de sûreté de l’Etat. Nedim Bicer, responsable de la section de HADEP à Bismil et cinq autres sympathisants de ce parti ont été arrêtés le 30 juin suite ces manifestations.

LA FONDATION DES DROITS DE L’HOMME A RECENCÉ 5000 CAS DE TORTURE EN 10 ANS


La Fondation des droits de l’homme de Turquie (TIHV) par la voie de son président Yavuz Önen, a affirmé le 26 juin, qu’un million de personnes ont fait l’objet de torture au cours des 10 dernières années. Y. Önen a dénoncé le fait que les rapports de la commission d’enquête parlementaire des droits de l’homme ne prennent pas en compte la dimension politique de la torture en déclarant : " ils veulent faire croire que la torture ne se pratique que dans les commissariats de police. La torture est également pratiquée dans des directions de sûreté et dans les gendarmeries ".

Par ailleurs, le Pr. Veli Lok, président de la section d’Izmir de la Fondation, a déclaré qu’il n’y avait eu aucune amélioration sur la question : " dans de nombreux cas, nous avons constaté que toutes les méthodes de tortures étaient toujours en pratique au cours des placements en garde-à-vue ". Selon Pr. Lok, plus de 1 354 cas de tortures, dont 44 enfants et 369 femmes, ont été enregistrés par la section depuis sa création, il y a neuf ans. La Fondation, quant à elle, a eu, depuis 1991, plus 4 696 plaintes de tortures. Les responsables de la Fondation ont également souligné que " malgré les preuves apportées, tous les accusés de tortures ont été acquittés par la justice turque ".

UN DICTIONNAIRE TURC-KURDE INTERDIT DE DIFFUSION


Un dictionnaire turc-kurde, rédigé par l’Institut kurde d’Istanbul et publié début juin, a été le 19 juin saisi dans la ville de Batman, peu après sa mise sur le marché. " Une centaine d’exemplaires ont été confisqués il y a une semaine auprès de la société de distribution sur ordre de la direction de la sûreté de Batman et envoyés à la Cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakir pour contrôler le contenu de notre dictionnaire ", a déclaré le directeur de l’Institut Hasan Kaya.

Ce dictionnaire de 1280 pages et plus de 40 000 entrées est à ce jour en Turquie le plus important ouvrage donnant accès à la langue kurde. Rédigé par Zana Farqini, membre de l’Institut kurde d’Istanbul, ce dictionnaire est une preuve que " la langue kurde existe, qu’elle doit être protégée et qu’elle n’est pas aussi pauvre qu’on le dit ", a expliqué M. Kaya.

L’ouvrage est en vente au Centre culturel mésopotamien d’Istanbul, mais reste introuvable dans plusieurs grandes librairies où des dictionnaires plus anciens sont dans les rayons.

LE RAPPORT 1999 DE L’UNDP : LA TURQUIE EST AU 85ÈME RANG L’IRAN AU 95ÈME POUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN


Selon le rapport annuel sur" le développement humain " du programme de développement des Nations unies (UNDP), la Turquie se situe au 85e rang sur 174 pays étudiés en termes de développement humain. Le rapport est issu de l’évaluation des statistiques des différents pays selon l’espérance de vie, mais aussi l’alphabétisation et le revenu national par habitant. Le rapport révèle que l’espérance de vie moyenne en Turquie est de 69,3 ans, le taux d’alphabétisation est de 84%. Le revenu national par habitant est de $6 422. Selon le même rapport, l’Iran se situe au 95erang et la Syrie au 111e.

INÉGALITÉS SCOLAIRES CRIANTES ENTRE LES PROVINCES KURDES ET LE RESTE DE LA TURQUIE


Un rapport de 76 pages réalisé par Hüseyin Çelik, député de Van, du parti de la Juste Voie (DYP), intitulé " la situation en Anatolie du Sud-est selon des indicateurs socio-économiques " prenant en compte les domaines de l’éducation, de la santé, de l’agriculture, de l’industrie, du tourisme, du commerce frontalier, de la migration et l’initiative de retour dans les villages, a été publié par le Turkish Daily News du 26 juin 2000.

Selon le rapport, à Diyarbakir, la principale ville kurde, 61,4 %, des jeunes filles âgées de 7 à 13 ans ne sont pas scolarisées. Erzurum se situe seconde avec 59,4 %, suivi d’Urfa avec 46,3 % des jeunes filles non scolarisées. Le rapport, établi selon les données de l’Institut d’Etat des statistiques (DIE), de l’Organisation de la planification de l’Etat (DPT), de la Banque mondiale et de l’UNICEF, montre que " dans le domaine de l’éducation et de la culture, aussi bien que dans les autres domaines, l’Anatolie du Sud-Est est la région qui a le moins bénéficié des réformes lancées depuis la fondation de la République de Turquie ".

Le document indique que le taux de scolarisation en primaire est de 68,9 % dans l’Est (kurde) et de 70,94 % dans le Sud-est (kurde), alors que ce taux se chiffre à 89,03 % dans toute la Turquie. Quant au collège, le taux descend jusqu’à 28,27 % dans le Sud-est et n’atteint que 33 % dans le sud, contre 53,14 % de moyenne générale en Turquie. En ce qui concerne le lycée, ce n’est guère plus encourageant pour les régions kurdes, puisque la moyenne nationale de 38,72 % en Turquie, descend à 25,84 % à l’Est et à 18,7 % au Sud-est. Pour les études supérieures, le taux atteint 3,88 % de fréquentation pour le Sud-est et 10,95% à l’Est, alors que la moyenne nationale est de 22,87 % en Turquie.

En terme de nombre d’enfants inscrits à l’école, les provinces kurdes viennent également en dernier. Le rapport montre qu’Antalya (ville turque sur la côte méditerranéenne) arrive en premier, alors que Diyarbakir est le dernier. Diyarbakir se singularise aussi pour son faible taux d’instruction féminine avec 42 % des femmes qui n’ont même pas été scolarisées en primaire, suivi d’Erzurum avec 41,5 % (à Izmir ce taux est de 8,1 %).

DÉCISION DE LEVÉE DE L’ÉTAT D’URGENCE DANS LA PROVINCE DE VAN


Le Conseil national de sécurité (MGK) a décidé le 26 juin de proposer au gouvernement la levée de l’état d’urgence (OHAL) dans la province de Van à partir du 30 juillet, mais de prolonger pour une durée de quatre mois le régime d’exception, dans quatre autres provinces kurdes, Diyarbakir, Hakkari, Sirnak, et Tunceli.

Le régime dérogatoire a été, pour la première fois, déclaré à Van le 19 juillet 1987 pour une période de quatre mois, reconduit par la suite automatiquement.

Ilnur Çevik, éditorialiste au quotidien anglophone Turkish Daily News, écrit dans sa chronique du 27 juin, à propos de cette décision, qu’à l’heure où " les Américains débattent du génome humain, nous discutons du régime d’état d’urgence à Van " et conclut : " Atatürk nous a demandé d’engager la Turquie à rejoindre le monde contemporain. Et pourtant, nous pouvons remarquer que les cercles conservateurs en Turquie, qui affirment être les gardiens des idéaux atatürkistes, font tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher la Turquie d’une véritable occidentalisation et de créer une société contemporaine. Il nous reste plus qu’à écouter les innovations de l’Ouest avec envie ".

UNE COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE RENVOIE MESUT YILMAZ DEVANT LA HAUTE COUR DE JUSTICE


Par une décision du 4 juin 2000 d’une commission d’enquête parlementaire, Mesut Yilmaz, leader du parti de la Mère-patrie (ANAP), partenaire de la coalition tripartite, a été renvoyé devant la Haute Cour de justice turque pour " corruption et irrégularités " dans une affaire le mettant en cause. Coup dur pour M. Yilmaz qui avait refusé de prendre personnellement part au gouvernement jusqu’à ce qu’il soit mis hors de cause. Ces derniers temps et depuis l’entrée en fonction du nouveau président, le Premier ministre Bülent Ecevit et le parti ANAP avaient exprimé le souhait de voir M. Yilmaz siéger au gouvernement. Très vite les différentes commissions d’enquête parlementaires avaient commencé à éplucher les dossiers le mettant en cause. Sur les 15 commissions ad hoc existantes au Parlement, 8 mettaient en cause l’ancien Premier ministre Mesut Yilmaz qui avait été écarté de ses fonctions par une motion de censure suite à une affaire de corruption et de lien avec la mafia. Alors que l’horizon commençait à s’éclaircir, six commissions avaient d’ores et déjà voté l’arrêt des hostilités, la septième a décidé de l’envoyer devant la Haute Cour de Justice par le vote des députés du parti de l’Action nationaliste (MHP), membre de la coalition.

Mesut Yilmaz et l’ancien ministre de l’industrie Yalim Erez, sont accusés d’irrégularités et de corruption, lors de l’attribution au constructeur automobile Ford d’un terrain appartenant au domaine public. Nombreux sont ceux qui s’interrogent de la pertinence de cette décision d’autant plus que l’affaire en question est celle qui est " la moins sérieuse " alors que celle qui a causé sa chute n’a pas fait autant de bruit. De plus, la décision de renvoi de la commission d’enquête devrait être approuvée par le Parlement même. L’agenda parlementaire ne le permettra pas avant la fin de la session d’été. Selon les informations obtenues des députés du parti de la Gauche démocratique (DSP), la possibilité des élections anticipées a joué un grand rôle dans le changement de l’attitude du MHP. Si la Cour constitutionnelle décide de dissoudre le parti islamiste de la Vertu (FP), il y aura probablement des élections anticipées en Turquie en automne. Selon ce scénario, le FP sera déclaré le successeur du parti de la prospérité (RP) et les 70 députés des 103 du parti de la Vertu devront alors démissionner.

En vertu de la Constitution turque, si 5 % des membres du Parlement venaient à manquer, des élections anticipées devront avoir lieu en trois mois. Or, plus de la moitié de ces 70 députés en question sont du Sud-est. Ce qui revient à supposer qu’en cas d’élections générales anticipées, le parti de la démocratie du peuple (HADEP- pro-kurde) devrait recueillir des scores élevés sans toutefois franchir le seuil minimum de 10 % des voix au niveau national. La stratégie du MHP vise à empêcher l’ANAP de récolter des voix conservatrices en renvoyant leur leader devant la Haute Cour.

EN VISITE À DIYARBAKIR ECEVIT ATTAQUE LE HADEP


Le Premier ministre turc Bülent Ecevit, leader du parti de la Gauche Démocratique (DSP) a déclaré au cours de la seconde convention régionale de son parti le 11 juin à Diyarbakir que " le terrorisme séparatiste a été presque éradiqué au cours du mandat du 57e gouvernement. Les séparatistes ont compris que la Turquie ne peut pas être divisée. Maintenant, ils essayent de la morceler politiquement. Mais ceux qui ont échoué à diviser le pays par l’intermédiaire des attaques armées ne peuvent parvenir à le scinder politiquement… ". Les propos du Premier ministre visant directement le parti de la démocratie du peuple (HADEP), seul parti pro-kurde encore légal mais risquant une dissolution, ont suscité de vives réactions des responsables du HADEP.

Le Premier ministre a également déclaré que " ce serait une bonne chose que la peine de mort soit abolie ". " J’ai toujours été contre la peine de mort ", a encore dit M. Ecevit, rappelant la position de principe qui lui avait permis, en janvier dernier, de forcer la main à son partenaire de la droite nationaliste, le vice-premier ministre Devlet Bahçeli, pour suspendre la procédure devant mener à l’exécution du leader du PKK, jusqu’à ce que la Cour européenne des Droits de l’homme se prononce sur les recours de la défense. " Si nous arrivons à nous débarrasser de la peine de mort ", a rajouté M. Ecevit, " nous pourrons obtenir l’extradition de suspects à l’étranger, et l’une des difficultés sur notre chemin vers l’Union européenne disparaîtra ". Hikmet Sami Türk, ministre de la justice, avait évoqué le 10 juin le terme du milieu de l’an 2001 pour la disparition de la peine de mort, dans le cadre de la réforme du code pénal turc.

Par ailleurs, il a soulevé le problème des protecteurs de village (plus de 60 000), armés par les autorités dans la région pour lutter contre le PKK. " Nous sommes déterminés à trouver une solution permanente et satisfaisante à la question " a-t-il déclaré.

Le Premier ministre turc ne continue à prendre en considération que l’aspect économique de la question kurde en niant tout problème culturel, linguistique et ethnique.

UN HAUT RESPONSABLE DU MHP ACCUSE LE MIT ET LA POLICE DE SERVIR D’ESCORTE AUX TRAFIQUANTS DE DROGUE


Dans un entretien accordé le 12 juin 2000 au quotidien turc Radikal, Sevket Yahnici, député du parti de l’Action nationaliste (MHP), président adjoint du parti MHP, partenaire de la coalition gouvernementale, a affirmé que la police et les services de renseignement turc (MIT) autorisaient le trafic de drogue en Turquie. " Le MIT est divisé en deux. Beaucoup d’autres choses se trouvent divisées ainsi. Je vous affirme clairement que sur la route Yüksekova-Marseille, plus de 100 milliards de dollars, issus du trafic de drogue, sont partagés. La police ouvre la route, des camions de transport internationaux y conduisent. D’autres se chargent de les escorter (…). Des substances illégales ont été transportées de cette manière depuis plus de 25-30 ans " a déclaré M. Yahnici au journal en question.

Le MHP, lourdement impliqué dans le trafic de drogue par le biais de ses réseaux de Loups Gris, s’emploie ces derniers temps à donner l’image d’un " parti propre " par rapport à son concurrent, le parti de la Mère Patrie (ANAP), enlisé dans des affaires de corruption et dont le leader Mesut Yilmaz risque d’être traduit devant la Haute Cour de Justice. Le député a également soulevé le scandale de Susurluk [ndlr : accident de voiture en novembre 1996 mettant en lumière les liens entre la mafia, l’Etat, et le monde politique] : " Qu’en est-il advenu de Susurluk ? Quelle différence y aura-t-elle si vous vous mettez à pousser des cris ? Il est évident qu’on n’obtiendra rien en faisant cela. Susurluk était un scandale, mais il n’a fait remonter à la surface qu’un cinquième d’iceberg ".

Les différents rapports européens dénoncent régulièrement le rôle de la Turquie dans ce trafic. Plus de 85 % de l’héroïne consommée en Europe transitent par la Turquie. Dans son récent rapport, l’Observatoire international des drogues qualifie la Turquie de narco-Etat et accuse les pays occidentaux d’hypocrisie et de mansuétude envers leurs alliés turcs.

MEHMET ALI AGCA GRACIÉ ET EXTRADÉ VERS LA TURQUIE


Grâcié puis extradé le 14 juin par les autorités italiennes, Mehmet Ali Agca, l’auteur de la tentative d’assassinat du pape en 1981, est arrivé en Turquie où il devrait purger une autre peine pour le meurtre d’un journaliste. M. A. Agca, membre des Loups Gris d’extrême droite, s’était évadé alors qu’il comparaissait en 1979 pour le meurtre la même année du journaliste Abdi Ipekçi, rédacteur en chef du quotidien Milliyet. Il avait été condamné à mort par contumace en 1980 mais sa peine avait été commuée en dix années de réclusion en vertu d’une loi d’amnistie de 1991. Il n’a cependant purgé que 158 jours de cette peine. Il a été grâcié par le président Carlo Azeglio Ciampi à la demande du souverain pontife après 19 ans passés derrière les barreaux. Incarcéré dans la centrale de haute sécurité de Kartal-Maltepe (Istanbul), il est aujourd’hui enfermé dans la même prison que Abdullah Çakici, chef mafieux d’extrême droite, impliqué dans plusieurs meurtres, que la France, il y a quelques mois, a extradé vers la Turquie.

Les média turcs semblent voir d’un très mauvais œil le retour d’Agca. Les uns craignent qu’il soit dans très peu de temps déclaré " héros national " comme Abdullah Çatli [ndlr : membre des Loups Gris, tué au cours de l’accident de Susurluk, impliqué dans de nombreuses affaires de drogue et de meurtres avec le soutien des services de l’Etat], les autres dénoncent " le cadeau empoisonné " et appréhendent des révélations mettant à nouveau en question l’Etat. Reste que beaucoup de choses ont changé depuis la fuite d’Ali Agca, puisque ses amis des Loups Gris se trouvent aujourd’hui au pouvoir dans la coalition gouvernementale.