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Bulletin N° 161 | Août 1998

 
tags: N° 160-161 | juillet-août 1998

L'INTERNATIONALE SOCIALISTE DEMANDE UNE SOLUTION POLITIQUE À LA QUESTION KURDE

Les 2 et 3 juillet 1998 une conférence sur le thème de "En route vers l'Europe: L'avenir de la question kurde pour la Turquie et ses voisins" a réuni une soixantaine de représentants de partis occidentaux membres de l'Internationale socialiste, des représentants des partis kurdes (PDK-Iran, PDK-Irak, UPK, HADEP) et des experts. Au terme de diverses communications, des auditions et des débats, une déclaration a été rendue publique. En voici les principaux extraits:

"Nous, les députés socialistes européens des partis socialistes européens des États membres de l'Union Européenne, déclarons ceci:

Qu'une paix durable ne peut être établie au Moyen-Orient sans que soit prise en compte la question kurde.

Que les problèmes rencontrés par les Kurdes, y compris les violations massives des droits politiques, socio-économiques et culturels, le sous-développement économique et la migration forcée, ont eu, et ont toujours un impact sur la paix, la sécurité et la stabilité de la région et de l'Europe, procurant une dimension internationale aux problèmes.

Que l'Europe a un intérêt direct à trouver des solutions à ces problèmes, non pas parce que cela a causé une crise de réfugiés.

Qu'une solution stable et juste à la question kurde ne peut jamais être réglée par des moyens militaires ou violents mais seulement par un processus politique de dialogue mené entre les représentants kurdes et les autorités gouvernementales aussi bien qu'entre les organisations kurdes.

Que la base d'une quelconque solution politique doit inclure:

- la démocratie politique dans ces pays
- la reconnaissance et des garanties des droits des Kurdes (civils, politiques et culturels) à l'intérieur des frontières de ces pays
- le respect de l'intégrité territoriale des pays concernés
- le développement économique et social dans la région


Que, afin de contribuer aux entreprises de solutions politiques, l'Union Européenne devrait faire des efforts spéciaux pour apaiser la souffrance des victimes des conflits à travers ses programmes humanitaires et, sur la base de ceci, adoptons les positions suivantes sur la situation des Kurdes en Irak, Iran et la Turquie.



Sur la situation des Kurdes en Irak

1- Nous croyons que le régime irakien actuel empêche le développement d'une solution durable pour les Kurdes du nord de l'Irak et qu'une direction responsable démocratique est requise pour des délibérations et négociations sérieuses sur l'avenir de la région du Kurdistan irakien. Toute solution similaire doit impliquer une large autonomie de la région.

2- Cependant, nous croyons qu'il est vital que toutes les forces politiques fassent tout leur possible pour promouvoir des développements positifs dans la région et encourager une assise politique durable au conflit UPK-PDK ()

4- Nous reconnaissons les effets positifs du programme des Nations Unies "pétrole contre nourriture" et soutenons son extension et sa mise en uvre en maintenant l'intégrité du programme et des fonds alloués pour la région du Kurdistan irakien comme le stipule la résolution 986 du Conseil de sécurité de l'ONU pour apporter une base solide au développement économique de la région. Nous soutenons également d'autres moyens ayant le but d'améliorer les conditions de vie du peuple et la reconstruction de l'infrastructure de la région du Kurdistan irakien ()

6- Nous sommes d'accord pour l'examen complet de la requête conjointe du PDK et de l'UPK pour la tenue d'une conférence internationale sur la reconstruction et l'avenir de la région du Kurdistan irakien. ()



Sur la situation des Kurdes d'Iran

8- Considérant l'élection du président Khatami et certains initiatives prises par son gouvernement comme des signaux positifs pour le développement futur de la République islamique d'Iran, nous espérons avec force que les réformes démocratiques et spécialement des améliorations substantielles dans le domaine des droits de l'homme suivront.

9- Dans ce contexte, nous appelons les autorités iraniennes à cesser leurs accusations continuelles relatives à la population kurde en Iran et spécialement contre des membres du Parti Démocratique du Kurdistan Iranien (PDKI) vivant en Iran aussi bien que ses responsables en exil ()

11- Nous sommes d'accord pour encourager et soutenir le développement de l'activité des organisations d'aide humanitaire qui viennent en aide aux dizaines de milliers de Kurdes iraniens vivant dans des conditions critiques dans des camps de réfugiés, pour la plupart au Nord de l'Irak. ()



Sur la situation des Kurdes en Turquie

13- Nous affirmons que l'Europe a un intérêt direct dans la résolution de la question kurde en Turquie étant donné le statut de la Turquie comme pays candidat à l'Union européenne.

14- Nous croyons fermement qu'une solution à la question kurde en Turquie implique la démocratie, les droits de l'homme et des minorités en Turquie ()

15- Nous croyons également que la reconnaissance et la solution subséquente de la question kurde constitue non pas une menace à son intégrité territoriale, mais tout au contraire, renforcerait les institutions, société et identité politiques de la Turquie.

16- Nous croyons que les propositions ci dessous énumérées constituent des éléments substantiels d'une solution:

-Des droits culturels garantis par la constitution, renfermant la liberté d'expression et de publication en langue kurde aussi bien que les droits à l'éducation en sa langue maternelle sur tout le territoire de la Turquie (notons que les droits linguistiques sont reconnus dans le traité de Lausanne)

-des réformes démocratiques qui permettraient la participation et la représentation juste des Kurdes au sein de la Grande Assemblée Nationale, comprenant la reforme de la loi sur les partis politiques, la loi électorale et, en particulier l'abaissement du seuil de 10% pour la députation.

-() des pas vers la démilitarisation de la société turque.

-la levée de l'état d'urgence dans les provinces du Sud et Sud-Est et démantèlement du système de gardiens de village dans ces régions.

-développement social et économique en faveur de la population locale dans ces régions dévastées par un conflit violent et qui a souffert pendant longtemps des effets de manque d'investissement et destruction d'infrastructure ()

-la révision de la législation établissant "les crimes de la pensée" et, en particulier, l'abrogation de l'article 8 de la loi anti-terroriste et de l'article 81 de la loi sur les partis politiques restreignant la liberté politique.

-la fin du règlement gouvernemental par décret, sans promulgation de la loi ()

-la fin de l'harcèlement des partis politiques légaux et la libération des prisonniers politiques associés dont ceux arrêtés alors qu'ils étaient députés; Leyla Zana, lauréate du prix Sakharov du Parlement européen en 1995, Hatip Dicle, Orhan Dogan et Selim Sadak.

- protection et sécurité des défenseurs des droits de l'homme en Turquie pour mettre définitivement fin aux crimes tels que la tentative d'assassinat contre Akin Birdal ()

LONDRES : L'ORGANISATION INTERNATIONALE ARTICLE 19 DÉNONCE LA RÉPRESSION CONTRE LA LIBERTÉ DE PRESSE ET DE L'EXPRESSION EN TURQUIE

DANS un communiqué publié à Londres, le 23 juillet 1998, l'organisation internationale de lutte contre la censure Article 19, a dénoncé la répression exercée par la Turquie contre les journalistes, les partis politiques et les minorités culturelles et religieuses.



L'organisation affirme d'une part qu'avec 67 journalistes emprisonnés, plusieurs partis politiques dissous et interdits, de plus la répression sévère des minorités religieuses et culturelles, la Turquie ne peut pas sérieusement prétendre devenir membre de l'Union Européenne dans ces conditions. "Les autorités turques considèrent les journalistes comme une menace, et refusent volontairement de distinguer les journalistes des sujets ou des personnes qu'ils traitent" affirme le communiqué.

Article 19 souligne également que "la détermination des autorités turques pour la préservation du système laïc de l'État, centralisé et unifié, conduit à la suppression, si nécessaire par la force, de toutes tentatives d'exercice publique du droit à la liberté de l'expression sur les questions culturelles, politiques et religieuses, puisque celles-ci ont été jugées porter atteinte à l'indivisibilité de l'État" puis ajoute: "la minorité kurde représente plus de 10% de la population turque, et pourtant quiconque soulève la question kurde est défini comme un militant du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) (). Cela a conduit aux poursuites judiciaires et emprisonnement des universitaires, journalistes, et vendeurs de journaux et même des hommes politiques élus démocratiquement. D'autres ont fait face à des mesures extra-judiciaires, allant de l'harcellement policier aux assassinats perpétrés par des groupes armés liés à l'État".

Frances Da Souza, directrice exécutive de l'organisation, note qu'"il est ironique que la Turquie se plaigne d'être tenue à l'écart de l'UE à cause de sa population musulmane quand le même État persécute quiconque tente d'exprimer une identité islamique dans le pays". Elle ajoute: "Je visite la Turquie assez régulièrement, bien que j'ai été arrêtée la dernière foisà huit reprises environ () Mais des gens très brillants, très intelligents et libérés à Istanbul et Ankara m'ont affirmé qu'ils ne savaient pas simplement ce qui se passait au Sud-Est de la Turquie- au Kurdistan- jusqu'à ce qu'ils quittent le pays, parce que cela n'était pas traité". Article 19 demande à la Turquie de mettre en place "de manière urgente" des réformes de la constitution permettant d'assurer "le droit fondamental à la liberté d'expression".

Par ailleurs, la Fondation turque des droits de l'homme (TIHV) a, le 21 juillet 1998, rendu public son rapport des violations des droits de l'homme de l'année 1997. Le rapport préparé par les services de soins et de réhabilitation de la fondation, dénonce la pratique systématique de la torture en Turquie tout en soulignant que 24,52% des personnes victimes de torture et ayant fait appel à la fondation, sont issues de la région kurde en état d'exception (OHAL). À la suite de l'étude réalisée sur 518 des 537 victimes ayant eu recours aux services de soins et de réhabilitation d'Ankara, d'Istanbul, d'Izmir et d'Adana, la pratique de tortures systématiques dans les commissariats et les gendarmeries, des détentions arbitraires et extrajudiciaires, et des kidnappings ont été constatés. Regroupées en 30 rubriques, les méthodes de tortures les plus répandues sont "insultes, passages à tabac, menaces, bandeau sur les yeux, mise à nu, jet d'eau froide, empêchement d'aller aux commodités, privation d'eau et de nourriture enfermement au froid, électro-chocs, pendaison".

Selon le rapport, 68,91% (soit 357 personnes) des 518 personnes ont affirmé avoir été torturées aux commissariats. Parmi les personnes victimes de tortures au cours de leur placement en garde à vue, 241 ont été emprisonnées, 121 libérées par décision de procureur ou après jugement et 156 libérés sans même la saisine du procureur.

La fondation souligne que 75% de ces personnes gardent des séquelles physiques durables ou encore restent handicapées suite aux tortures. 29,92% des victimes se plaignent seulement de tortures physiques et 4,83% uniquement de tortures psychologiques, alors que 65,25% des victimes évoquent les deux en même temps. Le rapport a également dénoncé le fait que trop souvent les sévices soient ignorés par les médecins légistes malgré des preuves accablantes de tortures.

NOUVELLES CONDAMNATIONS DE DISSIDENTS EN TURQUIE

LES cours turques continuent de condamner pour délit d'opinion intellectuels et artistes turcs et kurdes tandis que la Turquie fait l'objet de condamnations régulières de la Cour européenne pour violations des droits de l'homme. Ainsi le 28 juillet M. Akin Birdal, président de l'Association turque des droits de l'homme (IHD), a été condamné par la Cour de Sûreté de l'État à un an de prison pour "incitation à la haine raciale". La Cour reproche à M. Birdal un discours prononcé en faveur d'une solution pacifique au conflit turco-kurde. Un précédent appel avait infirmé une première condamnation de M. Birdal en soulignant que ledit discours ne constituait pas un crime. "C'est une nouvelle violation de la liberté de l'expression" a déclaré Nazmi Gur, secrétaire général de l'IHD.

Akin Birdal qui n'hésite pas à dénoncer la torture et l'évacuation forcée des villages kurdes en Turquie, est devenu une cible de choix pour les autorités turques qui l'accusent de ternir l'image de la Turquie. Les gangs ultra-nationalistes agissant de concert avec certains services de l'État ont, le 12 mai, cherché à l'assassiner. Le 3 août 1998, au total 11 hommes étaient poursuivis dans cette affaire, dont Cengiz Ersever, officier de l'armée turque, présenté par la presse comme instigateur de l'attentat et fondateur de la Brigade de Vengeance Turque (TIT), un des escadrons de la mort les plus actifs depuis 1992. Au cours de l'audience, ce dernier a d'abord nié avoir donné l'ordre de tuer Akin Birdal et a lancé en pleine salle d'audience; "Je n'avais pas l'intention de tuer Akin Birdal Si je voulais, vous pouvez en être sûrs, je pourrais envoyer sa cervelle contre le mur en 24 heures" et se retournant contre le juge "Tu veux parier ?". C'est alors que les avocats de M. Birdal ont protesté, constatant que ces propos n'étaient pas enregistrés dans le procès-verbal. L'audience a été ajournée au 3 septembre 1998.

Le 4 août, la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné Mehmet Vahi Yazar, auteur-acteur d'une pièce de théâtre "Un Ennemi de droit" à 24 ans de prison pour "incitation à la haine raciale". 4 autres acteurs ont également été condamnés à 16 ans pour la même pièce. Un premier verdict avait prononcé des peines (2 à 3 ans de prison) trop clémentes au goût de la Cour de cassation turque, qui avait demandé un nouveau procès et des peines pour chacune des 8 représentations incriminées. La pièce en question mettait en scène les militaires turcs persécutant les musulmans pratiquants.

Le même jour, la Cour de Sûreté de l'État d'Istanbul a condamné Dogan Guzel, caricaturiste kurde, à 40 mois de prison pour "'atteinte à la sûreté de l'État. La Cour lui reproche le contenu de ses dessins publiés dans deux quotidiens pro-kurdes aujourd'hui interdits, Özgür Gündem et Özgür Ülke. Placé en détention le 31 juillet 1998, il a été écroué, le 4 août, à la prison de Bayrampasa.

Par ailleurs, l'armée turque continue la purge d'islamistes dans ses rangs. Ainsi 28 officiers ont été radiés ce même 4 août.

Le 5 août, la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara a condamné Hatip Dicle, ancien président du Parti de la Démocratie (DEP-dissous), ex-député de Diyarbakir, à une année supplémentaire d'emprisonnement pour "incitation du public à la haine par son message". Le procureur de la République, Levent Kanat, reproche à Hatip Dicle, déjà condamné à 15 ans de prison comme Leyla Zana et incarcéré à la prison centrale d'Ankara, le message qu'il a envoyé à une table ronde organisée par l'Association turque des droits de l'homme (IHD).

DOCUMENT : UNE INVERVIEW DES DÉPUTÉS KURDES EMPRISONNÉS

LES ex-députés kurdes du Parti de la Démocratie (DEP), Leyla Zana, Hatip Dicle, Selim Sadak et Orhan Dogan, incarcérés depuis déjà quatre ans et demi à la Prison Centrale d'Ankara, ont accordé une interview collective au quotidien turc Milliyet du 13-08-1998. Ils se sont exprimés sur les conditions de leur détention et sur les futures élections anticipées du 18 avril 1999, alors qu'ils sont, eux, condamnés à une inéligibilité à vie.

Extraits :

Leyla Zana: "Tant que la Constitution turque de 1982 sera en vigueur, je ne crois à aucune amélioration, à aucune démocratisationÀ mon avis, même le gouvernement est incertain sur l'avenir de la Turquie, d'ailleurs il l'avoue parfois. Tout est sous le contrôle du Conseil de Sécurité nationale (MGK). Si les élections ont effectivement lieu- ce qui est encore incertain- ce sera donc dans ce cadreJe n'attend aucune libération personnelle. Et le cadre de l'amnistie proposée par le couple Ecevit est clair. Même Cindoruk [NDLR: Ancien Président du Parlement allié de la coalition gouvernementale] apporte des critiques. (Il critique le fait que l'État ne compte nullement amnistier les infractions commises à son encontre mais celles commises envers la société et des individus). Drôle d'analyse. L'État se voit donc au dessus du peuple A un moment donné il était question, pour des raisons divers, de ma libération () Qu'est ce qui changera avec ma libération? Les problèmes de la Turquie, la guerre, les tortures persisteront. Seulement moi, je serais dehors. Pourquoi? Dehors, pour servir de cosmétique vis-à-vis de l'Europe? Je ne veux pas être décorative J'étais souffrante à un moment donné. l'État a conclu que j'étais "malade" afin de me libérer sous ce prétexte sans reconnaître ses tortsAujourd'hui je me porte mieuxL'État continue à nous infliger de nouvelles peines et le fera tant que nous continuerons à parler et à écrire. Il n'a qu'à le faire. Cela m'indiffère. Mon époux, ma fille et mon fils sont tous à l'étranger. Je suis restée seule, mais je suis ne me plains pas".

Hatip Dicle: "Pour nous, il n'est pas question de candidature aux élections, de toute façon, nous sommes privés à vie de tous nos droits civiques. On ne peut même pas voterJe n'attend pas être amnistié. Surtout pas moi. Il me reste d'ores et déjà à purger 6 ans de condamnations définitives complémentaires pour mes écrits. Et comme je continue à écrire, les condamnations sont susceptibles de s'accroîtreDans ses colonnes, le journaliste turc Sukru Elekdag laisse entendre que le PKK est susceptible de devenir un mouvement comme l'Organisation de la Libération de Palestine. Si j'étais l'auteur de ces lignes, je serais à nouveau condamnéQuant à la question de savoir si l'opinion publique nous a oubliés; Je suis persuadé que l'opinion publique kurde ne nous a pas oubliés"

Orhan Dogan: "La Turquie ne vie pas la démocratisation. Il y a seulement la volonté de museler et d'effacer l'opposition. L'État se réorganise à nouveau. Il intensifie la guerre et l'oppression ancrée dans le système. L'État continue également d'une façon erronnée sa lutte contre le PKK. Mais la paix ne peut pas être évitée. À mon avis, nous allons vers une réunion autour d'une table. La Turquie devrait prendre l'exemple de la Colombie, et de l'AngleterreLa politique du CHP (Parti Républicain du Peuple) est une nouvelle version de l'assimilation. Elle est loin des solutionsLa solution n'est pas de présenter une liste HADEP aux élections, non plus de baisser le seuil minimum légal, ni de laisser pourrir l'issueNous ne nous attendons pas à être amnistiés. Nous resterons ici en prison jusqu'en 2005. Je ne pense pas que l'opinion publique nous ait oubliés et particulièrement pas l'opinion publique kurde. Mais le temps adoucit parfois les chosesNous sommes en train de payer pour la paix et la liberté. Mais je ne doute pas que nous obtiendrons la liberté à force de lutter. Le peuple kurde est en train de vivre le processus que de nombreux autres peuples au monde ont dû vivre. Il n'y a pas de démocratisation dans la politique étatique. Ainsi, dernièrement, on en est arrivé à interdire l'accès des provinces de la Mer Noire pour cause de conflit. Le système est fracturé, le système est brisé; cette faille apportera la paix"

Selim Sadak: "Je ne crois pas que ces prochaines élections vont apporter une solution. La Turquie a besoin d'hommes politiques très courageux, mais il n'y a pas encore sur la scène politique de partis ou de groupes capables de faire ces pas. C'est l'affaire des personnes prêtes à payer le prix fort comme nousJe suis convaincu que nous avons fait ce qui était juste. Nos convictions politiques reflètent en fait la réalité en TurquieQui sera amnistié? Pas les prisonniers politiques. De toute façon les prisonniers politiques ne se considèrent pas coupablesQuand à nous, nous avons porté nos convictions en nous, nous n'avons ni volé ni escroqué et n'attendons pas non plus à être amnistiés. L'État dit "ne me mettez pas en question", mais je crois qu'il faut justement le mettre en question et faire que du maître du peuple il en devienne le serviteurJe crois aussi qu'il n'y a pas d'indépendance de la justice. Tout mon procès a duré, en tout et pour tout, 38 jours. Je pense qu'aujourd'hui il y a beaucoup plus d'innocents en prison que des coupables".

LE PREMIER MINISTRE TURC REJETTE L'OFFRE DE CESSEZ-LE-FEU DU PKK

ABDULLAH Ocalan, chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a décrété le 28 août un cessez-le-feu unilatéral dans le conflit qui oppose depuis août 1984 ses partisans aux forces armées turques. "Les guérilleros du PKK n'attaquerons pas les militaires turcs à partir du 1er septembre, Journée Mondiale de la Paix" a déclaré Ocalan dans un entretien téléphonique sur l'antenne de Med TV, chaîne de télévision kurde par satellite proche du PKK.

Ce cessez-le-feu unilatéral devrait rester en vigueur jusqu'au terme des élections législatives anticipées d'avril 1999. Le chef du PKK s'est dit prêt à engager des pourparlers avec les autorités turques afin de trouver une solution politique à la question kurde et de mettre un terme à un conflit qui a à ce jour fait au moins 37.000 morts et des millions de déplacés.

Cet appel a été accueilli avec satisfaction par de nombreuses ONG turques et occidentales ainsi que par certains parlementaires européens. En Turquie, outre de petites formations de gauche politiques non représentées au Parlement et les milieux pacifistes, le Parti de la démocratie du peuple (Hadep), pro-kurde, qui avait accueilli 4,5% des voix aux législatives de 1995, s'est prononcé en faveur du cessez-le-feu et de la recherche d'une solution négociée au problème kurde.

"La Turquie a besoin de courage démocratique. Toute personne vivant en Turquie doit contribuer à ce processus de cessez-le-feu" déclare un communiqué du Hadep rendu public le 29 août. Cependant l'appel du Hadep a peu de chances d'être entendu par les autorités turques car les principaux dirigeants de ce parti sont actuellement détenus, sous l'accusation "d'être la branche politique du PKK et d'avoir agi et tenu des propos en faveur du PKK".

A Ankara, le Premier ministre M. Yilmaz a, dès le 29 août, rejeté catégoriquement l'offre de cessez-le-feu d'Ocalan:

"Nous ne le prendrons jamais comme interlocuteur (...) S'il fait un pas pour se rendre, après avoir compris qu'il est dans une situation désespérée et qu'il ne peut pas lutter contre l'État turc, je considère cela comme positif" a déclaré M. Yilmaz. "Mais si ses efforts visent à créer une plateforme politique en Europe, alors ils sont vains" a ajouté le Premier ministre. De son côté le nouveau chef d'état-major, le général Huseyin Kuvrikoglu, a également rejeté l'offre du cessez-le-feu. "Le PKK est entrain de mourir comme une bougie qui s'éteint. Qu'Ocalan se rende à l'État ou qu'il abandonne la lutte avec tous ses hommes, il n'existe pas d'autre issue" a-t-il déclarée à des journalistes lors d'une réception le 31 août à Ankara.

Le chef du PKK avait par le passé déclaré au moins à deux reprises un cessez-le-feu pour plusieurs mois, en mars 1993 et décembre 1995.

Ces trêves n'avaient pas été reconnues par les forces armées turques. Ankara rejette avec véhémence toutes les initiatives pacifiques. Ainsi, à l'occasion de la mondiale de la paix l'association turque des droits de l'homme voulait organiser le 1er septembre une vaste manifestation pacifiste à Diyarbakir, capitale du Kurdistan turc.

Un "bus de la paix" affrété par l'IHD partant d'Istanbul devait emmener des intellectuels et artistes turcs désireux de participer aux manifestations de Diyarbakir. Le 31 août, la police turque est intervenue avec brutalité contre les pacifistes, interdit le départ des bus, arrêté et placé en garde-à-vue 128 personnes dont plusieurs dirigeants de la branche d'Istanbul d'IHD et du Hadep et des syndicalistes.

Les personnes placées en garde-vue ont été relâchées le lendemain et un groupe d'avocats conduit par Me Eren Keskin, vice-présidente de l'IHD a porté plainte contre les policiers auteurs de violences à l'égard des manifestants pacifiques. A Diyarbakir, la police a placé des blindés aux principaux carrefours, verrouillé les entrées et sorties de la ville et interdit toute manifestation. Près de 150 pacifistes passant outre à cette interdiction ont été placés en garde-à-vue. Les autorités turques ont interdit les manifestations pacifistes dans plusieurs autres villes comme Adana, Batman, Siirt. A Istanbul, des pacifistes distribuant des tracts en faveur de la paix sur la place de Taksim ont été interpellés par la police.

Le 29 aôut, toujours à Istanbul, la police turque avait dispersé à coups de matraques et de jets d'eau une manifestation en faveur des personnes disparues lors d'interrogatoires policiers et placé à vue une centaine de manifestants, dont plusieurs dizaines de "Mères du Samedi". Celles-ci se rassemblent tous les samedis devant le lycée francophone Galatasaray, dans la partie européenne d'Istanbul, pour demander que l'État turc retrouve leurs proches, disparus ces dernières années en raison de leurs opinions politiques.

TÉMOIGNAGE DE R. PELLETREAU : NEGOCIATIONS AVEC LES KURDES

En septembre 1996, l'armée irakienne est intervenue au Kurdistan irakien et l'administration américaine a répondu par des timides attaques de roquette sur des sites de défense aérienne au sud de Bagdad, puis a étendu l'interdiction de la zone de survol aérien au nord du 33ème parallèle. Après cela, le secrétaire d'Etat Warren Christopher m'a demandé d'entreprendre une mission difficile; restaurer l'influence américaine dans le nord irakien par des contacts avec Massoud Barzani et son rival Jalal Talabani et les persuader de mettre un terme au conflit sous les auspices de Washigton. Un des objectifs visés par le cessez-le-feu et la déclaration politique entre le PDK et l'UPK, était d'empêcher le retour des autorités publiques irakiennes au Kurdistan irakien et de soutenir la politique d'enclave que les Etats-Unis avaient poursuivie depuis la guerre du Golfe.

C'était une grande entreprise. En effet, au mois d'août, Talabani avait violé un cessez-le-feu qui avait été négocié avec notre assistance et il occupait des territoires qui étaient traditionnellement sous le contrôle du PDK. L'objectif de l'attaque n'était pas le territoire en lui-même, mais l'argent. Une partie du cessez-le-feu reposait sur le fait que le PDK partage avec l'UPK les revenus collectés par le PDK des camioneurs entrant par la porte d'Habur de la Turquie et retournant chargé du diesel irakien.

Ces revenus constituaient la principale source de revenu du PDK alors que l'UPK n'avait pas de réserve comparable. De cela découlait la pression de Talabani sur Barzani. Les forces de l'UPK avaient reçu des armes de l'Iran et pouvait bénéficier de l'assistance de l'artillerie iranienne à travers la frontière. Mais à ma connaissance, il n'y avait pas d'intervention directe iranienne dans le conflit.

Après une courte période, il est devenu clair qu'un résultat ne pouvait être atteint par des tentatives de cessez-le-feu entrepris par des communications téléphoniques entre Washington et les partis kurdes du nord de l'Irak. Bien que Talabani ait promis une pleine coopération, il n'en fut rien. Washington n'a pu ni collecter suffisamment d'instruments de pression pour forcer Talabani à se retirer, ni forcer Barzani à payer. La raison était due aux différends existant au sein du gouvernement américain entre le Pentagon désireux de renforcer la présence américaine au Kurdistan irakien et le Département d'Etat qui voulait continuer à négocier, mais qui ne pouvait pas à l'époque former une force neutre pour superviser un cessez-le-feu. Ceci a conduit Barzani, qui était exposé à de fortes pressions exercées par son rival, à demander assistance à Bagdad. L'intervention des chars irakiens a été décisive. Elle a permis en quelques jours l'entrée à Erbil du PDK qui a même occupé des places-forte solidement implantées de l'UPK.

Quant j'ai appelé Talabani, il m'a dit qu'il était sur une montagne près de la frontière iranienne. Il m'a expliqué avec son habituelle confiance qu'il avait été auparavant dans des situations similaires et qu'il mènera une contre-attaque quand il aura rassemblé ses forces. Il a ajouté que la partie Est du Kurdistan soutenait son mouvement et que Barzani ne pourrait pas l'avoir.

J'ai demandé par téléphone aux deux leaders kurdes de se rencontrer à Ankara et dans une certaine mesure, j'ai été surpris lorsque tout deux ont immédiatement accepté. Et puis j'ai arrangé leurs voyages avec le gouvernement turc. Ma démarche suivante a été d'appeler l'adjoint du ministre turc des affaires étrangères, Oyman, qui est un brillant diplomate. La Turquie avait son propre agenda à l'égard des Etats-Unis et des Kurdes. L'objet principal de la stratégie turque est d'empêcher l'établissement d'un Etat kurde indépendant mais aussi interdire aux forces du PKK d'utiliser le territoire irakien contre la Turquie. Comme la Turquie constitue le seul accès au nord irakien pour les Etats-unis, la coopération turque était nécéssaire. J'ai essayé d'impliquer Londres et Paris dans cet effort. Londres a accepté. Mais l'ambassadeur français à Washington, qui est un collègue et un ami, m'a informé de la position de son pays; selon ces derniers, les partis kurdes devaient négocier avec Bagdad et ils ont exprimé le désir de ne pas participer aux encouragements des Etats-Unis dans leur effort d'insurrection contre le gouvernement central.

J'ai accompagné William Perry dans sa visite sur le terrain pour consulter les gouvernements. Après avoir rendu visite à l'Arabie Séoudite, au Koweit et à Bahrain, nous sommes allés à Ankara pour rencontrer les leaders kurdes. La première rencontre fut avec Barzani. Je l'ai trouvé dans une humeur qui combinait la solennité du vainqueur avec l'intérêt. Ces forces avaient étendu leur contrôle sur tout le territoire du Kurdistan. Par conséquent, il ne voulait partager avec l'UPK ni ses ressources financières ni le pouvoir politique. Cependant, il avait été exposé à de sévères critiques de la part de ses sympathisants du fait de sa coopération avec Bagdad- même si cela a été dans un but limité pour reconquérir Erbil- Et puis, il était très impatient d'obtenir l'assistance américaine pour se libérer des griffes de Bagdad. Talabani, qui est arrivé à Ankara en traversant la Turquie, a été accueilli à la médiation américaine. J'ai également rencontré le chef du front turcoman, qui a accepté de faire partie des négociations.

La période écoulée entre notre arrivée à Ankara et la tenue des pourparlers les 30 et 31 octobre a été marquée par un important développement. L'administration avait pris une initiative sous pression électorale et des accusations étaient portées à son encontre pour abandonner nos alliés au Kurdistan irakien, évacuer ceux qui travaillaient avec des organisations américaines au nord de l'Irak et également aider pour l'évacuation des membres de CNI du territoire vers Guam, dans l'océan pacifique et de commencer les démarches pour le statut de réfugiés aux Etats-Unis. Les leaders kurdes ont regretté la nouvelle orientation de la présence américaine sur leur territoire et ils ont simplement répondu à contrecur à notre requête d'évacuation.

D'autre part, L'UPK a réussi à reconquérir la plupart des territoires occupés en septembre par le PDK- excepté Erbil même- comme avait prévu Talabani. Cela dit, après leur entrée à Erbil, les forces de sécurité internes irakiennes n'ont pas poussé plus loin dans le Kurdista n irakien comme on aurait pu s'attendre; les responsables irakiens savaient qu'ils ne seraient pas les bien venus au Kurdistan du fait des massacres commis par eux.

Chacune des parties a été représentée à la table des négociations par trois ou quatre personnes, mais Barzani et Talabani n'étaient pas prêts à un face à face. Je m'étais décidé à diviser les participants de la conférence en trois groupes pour négocier les questions politiques, économiques et sociales. Mais on s'est aperçu rapidement que les leaders kurdes n'avaient pas confiance en la capacité des représentants pour négocier séparément et par conséquent les discussions ont pris la forme d'une conférence générale ce qui n'est pas allé sans poser problèmes.

Pendant ce temps, les Américains et les Turcs préparaient une déclaration finale relative à la réunion. Puis, nous avons fusionné les deux textes pour former un seul reflétant les deux niveaux des négociations. D'abord, les négociations entre les parties kurdes avec la participation effective de la Turquie et des Etats-Unis, et puis, les négociations entre la Turquie et les Etats-Unis car leur position commune mettait fin à quelques questions en conflit qui devaient être déterminées par des compromis réciproques. Dans une première phase, j'étais contraint de contacter le chef-adjoint de l'Etat-major turc, le général Çevik Bir, pour obtenir l'accord de l'armée sur un certain nombre de questions car le soutien des militaires turcs étaient nécessaire pour tout le projet.

La déclaration finale a abouti à 24 points, qui traduisaient toutes les conflits entre l'UPK et le PDK et le texte en son entier balançait entre les intérêts des deux parties. Il fournissait un excellent cadre pour leur coopération. Le premier point était une affirmation du soutien américain pour l'unité et l'intégrité territoriale de l'Irak. La déclaration définissait également la ligne de cessez-le-feu et se prononçait en faveur de la formation de PMF (Peace Monitoring Force), qui se composait des Etats-Unis, de la Turquie et des parties kurdes qui étaient d'accord pour un certain nombre de mesures de reconstruction de confiance (confidence-building), comprenant la libération des prisonniers, la fin de la propagande de guerre, une déclaration pour restaurer le contrôle civil(civilian oversight), et dans le cadre de déclaration politique, les deux parties se sont entendu pour mener plus de négociations afin de restaurer l'administration provisoire dans le nord de l'Irak avec la participation de tous les partis politiques et des groupes ethniques sur le territoire. Les deux factions se sont mis d'accord sur la transparence de la collecte de revenue, de sa distribution équitable et sur les élections libres et honnêtes dans une période appropriée.

Après avoir lu la déclaration, le chef de la délégation du PDK, Sami Abd Al Rahman, a déclaré qu'il ne pourrait pas accepter le partage de revenu sans l'accord de Barzani. Nous avons attendu alors qu'il essayait sans succès de contacter Barzani par un téléphone portable à Salah al Din. Cela a pris quelques heures et nous ne pouvions nous permettre d'attendre plus parce que Washington était en pleine élections et s'attendait à entendre une conclusion heureuse. De plus, Tansu Çiller, ministre turc des affaires étrangères, voulait remporter un succès pour renforcer sa situation politique. Aussi, Oyman et moi-même avons mené une pression très forte sur Sami Abdul Rahman pour qu'il accepte et c'est ce qu'il a fait au bout du compte parce qu'il n'avait pas d'autres choix. Puis j'ai appelé les journalistes et lu le texte final.

Ce succès a été une source de satisfaction pour le Secrétaire d'Etat et est venu dans une période où les Républicains s'apprêtaient à s'attaquer violemment à la politique américaine. Dans tout l'Irak, cette déclaration a renforcé le difficile cessez-le-feu dans un sens qui n'était pas bénéfique au régime irakien et dans lequel nous avons franchi des pas. Le texte traduisait d'une manière positive le retour américain dans les pourparlers de la question du nord de l'Irak après l'intervention irakienne catastrophique à Erbil. Mais malgré tout cela, beaucoup n'ont pas fait attention à la déclaration du PDK faite un jour après le texte final et annonçant leur réserves à ce propos. Ce dossier est resté ouvert après que j'aie quitté mon poste au département d'Etat et continue à être à l'ordre du jour.

AINSI QUE...

30 040 MORTS EN 11 ANS DE GUERRE AU KURDISTAN


Selon les chiffres avancés vendredi 3 juillet 1998 par M. Aydin Arslan, gouverneur de la région sous état d'exception (OHAL), 30 040 personnes ont été tuées au cours de la guerre au Kurdistan depuis 1987, soit 21 041 morts dans les rangs du PKK, 4 606 membres des forces de sécurité turque et 4 399 civils dont 493 enfants.

PROLONGATION DU MANDAT POUR LES AVIONS ALLIÉS D'INCIRLIK


Le Parlement turc a décidé, le 30 juin 1998, de prolonger de six mois l'autorisation accordée à l'aviation alliée d'utiliser la base aérienne américano-turque d'Incirlik, abritant environ 45 avions américains et britanniques. Incirlik sert de base pour les avions alliés qui survolent presque quotidiennement le Kurdistan irakien, zone d'exclusion aérienne décrétée après la guerre du Golfe.

BILAN DE JUIN 1998 DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME


Les organisations de défense des droits de l'homme en Turquie, l'Association des droits de l'homme (IHD) et MAZLUM-DER ont rendu public le bilan des violations des droits de l'homme du mois de juin 1998 qui se présente comme suit:

Meurtres non élucidés 10
Morts à la suite de tortures 1
Nombre des disparus 7
Nombre de personnes placées en garde à vue 1 781
Actes de violence en prison 19
Nombre de morts en prison: 3
Nombre de personnes emprisonnées pour crimes de pensée 2
Nombre de journalistes placés en garde à vue et attaqués 14
Nombre de publications interdites 48
Nombre d'associations, de syndicats et partis politiques interdits 3
Nombre d'instructions ouvertes à l'encontre d'étudiants 394
Nombre de morts à la suite des combats: 239 / blessés 70
Attaques à l'encontre des civils: 35 morts / blessés 12


ARRIVÉE DE NOUVEAUX RÉFUGIÉS KURDES EN ITALIE


La police italienne n'a pas fini de s'inquiéter du flux de réfugiés arrivés dans des conditions misérables sur ses côtes. Environ 300 immigrés clandestins dont 112 Kurdes mais également 42 Albanais et des réfugiés du Bangladesh, d'Égypte, du Rwanda et du Pakistan ont été arrêtés le week-end des 11 et 12 juillet 1998 dans le sud de l'Italie. Le 13 juillet 1998, 600 autres réfugiés, dont 56 Kurdes, 240 Albanais et 40 Yougoslaves ont été interceptés par la police italienne qui redoute l'arrivée massive de clandestins en raison des conditions météorologiques favorables et du calme de la mer. "Je ne sais pas pourquoi les média ne couvrent plus ce qui se passe" a déclaré surpris un officier de police. Le 20 juillet 1998, 250 clandestins- des Kurdes, des Égyptiens, des Afghans, des Pakistanais et des Indiens, parmi lesquels des femmes et une centaine d'enfants- sont arrivés en Calabre près de Crotone. Le 21 juillet 1998, une soixantaine d'autres ont été interpellés.

Le 27 juillet M. Romano Prodi, président du Conseil italien s'est rendu à Istanbul pour rencontrer son homologue turc Mesut Yilmaz afin de discuter avec lui des mesures destinées à stopper l'arrivée continue des clandestins dont de nombreux Kurdes de nationalité turque et irakienne. C'est la seconde visite en Turquie de M. Prodi après celle accomplie en septembre 1996.

Par ailleurs, l'Union Européenne a décidé d'étendre l'aide destinée aux villages kurdes évacués par l'armée turque pour des "raisons de sécurité". Un "Projet de retour aux villages" présenté par des représentants des organisations internationales d'aide humanitaire, a reçu le soutien du gouvernement allemand qui s'est dit prêt à contribuer pour un montant de 250 millions de DM, si Ankara autorise les projets de reconstruction. Jusqu'ici le gouvernement turc a rejeté tout projet indépendant de reconstruction dans les provinces kurdes.


NOUVELLE INCURSION DE L'ARMÉE TURQUE AU KURDISTAN IRAKIEN


Environ 5000 soldats turcs soutenus par l'aviation et des hélicoptères Cobra, ont fait, le 10 juillet 1998, une nouvelle incursion au Kurdistan irakien. L'agence de presse semi-officielle Anatolie a annoncé que le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), avait coopéré avec l'armée turque, mais des responsables du PDK ont nié catégoriquement cette information.


LA TURQUIE A VOTÉ CONTRE LA COUR CRIMI-NELLE INTERNATIONALE (CCI)


Au terme de cinq semaines de négociations et après une dernière ligne droite riche en tractations, les délégués de 160 pays réunis sous l'égide des Nations unies à Rome ont présenté, le 17 juillet 1998, un projet de traité relatif à la Cour criminelle internationale (CCI). Le traité définissant les statuts de la CCI a recueilli 120 voix, tandis qu'il y a eu 21 absentions et 7 voix contre, dont les États-Unis, l'Inde, la Chine, Israël, les Philippines, Sri Lanka et la Turquie. La CCI qui sera compétente pour crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide le sera également, selon les vux des pays non-alignés, pour agression. La Turquie qui est si souvent critiquée pour ses violations des droits de l'homme- 3 428 villages évacués, 3 millions de personnes déplacées, 30 000 morts du fait de la guerre au Kurdistan- et pour ses incursions répétées au Kurdistan irakien craint d'être mise sur la sellette devant une cour de justice internationale.


VENTES D'ARMES À LA TURQUIE


la Turquie a signé, le 22 juillet 1998, un accord d'une valeur de 996 millions de DM avec la firme allemande Howaldtswerke Deutshe Werft AG (HDW) pour la construction en Turquie de quatre sous marins. Selon Ismet Sezgin, ministre turc de la défense, la construction du premier sous-marin débutera l'année prochaine et en 2006 les quatre seront construits.

D'autre part, la firme américaine Sikorsky Aircraft est sur le point de conclure un accord final avec la Turquie pour la vente de 50 hélicoptères Black Hawk S-70 et 8 plate-formes Super Stallion d'une valeur de $ 700 millions. Si l'accord aboutit effectivement, cela portera un coup dur au consortium franco-germanique Eurocopter et à la firme américaine Boeing Co.

Par ailleurs, Akis Tsohatzopoulos, ministre grec de la défense, a, le 23 juillet 1998, accusé la Turquie, en référence au projet turc de construction d'une centrale nucléaire d'ici 2006 à Akkuyu, de chercher à se doter de l'arme nucléaire. Soulignant que "tous les pays ayant adopté la même technologie [ndlr: une technologie canadienne] ont construit des armes nucléaires", il a exprimé sa préoccupation face au projet d'Akkuyu.


DES ÉLECTIONS LÉGIS-LATIVES ET MUNICIPALES FIXÉES AU 18 AVRIL 1999


Par 488 voix contre 12, la motion du gouvernement prévoyant la tenue simultanée le 18 avril 1999 des élections législatives anticipées et des municipales en Turquie, a été, le 30 juillet 1998, adoptée par la Grande Assemblée Turque. M. Yilmaz, Premier ministre et ses partenaires, le Parti pour une Turquie démocratique (DTP) et le Parti de la Gauche Démocratique (DSP) de même que le Parti Républicain du Peuple (CHP), qui ne fait pas partie du gouvernement tout en le soutenant, s'étaient mis d'accord pour la date du 25 avril 1999. Cependant la commission parlementaire a fixé la date au 18 avril 1999 qui a été adoptée y compris par l'opposition au parlement dont la formation islamiste, le Parti de la Vertu (FP).

Par ailleurs dans une déclaration faite le 3 juin 1998, M. Yilmaz avait annoncé qu'il démissionnerait à la fin de l'année 1998 et laisserait la place à un "gouvernement de transition". D'autre part, conformément aux dispositions de la Constitution turque sur la période préélectorale, les ministres de l'Intérieur, de la Justice et des Transports ont démissionné de leur poste et ont été remplacés par des indépendants cinq jours après la publication dans le Journal officiel de la décision parlementaire. M. Yilmaz a, le 4 août 1998, présenté la liste des futurs ministres. Il s'agit des M. Kutlu Aktas, préfet d'Istanbul, au ministère de l'Intérieur, M. Hasan Denizkurdu, député indépendant (ancien DYP) d'Izmir, au ministère de la Justice et M. Arif Ahmet Denizolgun, député indépendant (ancien RP) d'Antalya, au ministère des Transports. Ces tractations vont conduire Kemal Yazicioglu, préfet d'Ordu, au poste de directeur de sécurité nationale, son prédécesseur Necati Bilican devenant préfet d'Izmir. Par ailleurs, si ces trois nouveaux ministres se présentent aux prochaines élections, ils devront à leur tour démissionner de leurs fonctions en janvier 1999.


LE GÉNOCIDE ARMÉNIEN: LE MINISTRE TURC DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ÉCRIT AUX SÉNATEURS FRANÇAIS


Après l'adoption, le 29 mai 1998, par l'Assemblée française d'une proposition de loi reconnaissant le génocide arménien, la Turquie mène une vaste offensive diplomatique doublée de menaces économiques afin de dissuader le Sénat français d'adopter à son tour le dit texte. Dans ce cadre, le ministre turc des affaires étrangères, Ismail Cem, vient d'adresser une longue note aux sénateurs français pour "soulever de sérieuses inquiétudes quant [aux] répercussions négatives" sur les relations franco-turques de l'adoption définitive d'une résolution sur le génocide arménien.

M. Cem qualifie d'abord d'injuste la loi "à la fois envers l'Histoire et la République de Turquie", puis accuse d'"indulgence envers le terrorisme" le contenu de cette loi, pourtant résumée en un article. Il n'hésite pas à réitérer les menaces économiques en soulignant que "la proposition de loi ouvre la voie à une atmosphère qui ne manquera pas d'endommager les relations politiques et économiques turco-françaises". Le ministre turc soutient que les allégations de génocide sont fondées "sur des documents falsifiés, des photographies truquées et des chiffres exagérés" et accuse les Arméniens de l'époque d'avoir engagé "des attaques systématiques, non seulement contre les troupes ottomanes, mais aussi contre leurs compatriotes musulmans", ce qui, selon lui, a conduit "le gouvernement ottoman à () déplacer les Arméniens". Pour ce qui est du massacre, M. Cem met cela sur le compte des "conditions hivernales difficiles" et sur "un environnement général d'hostilité". Pour finir Ismail Cem déplore qu'en votant cette loi les députés français aient refusé "de soutenir les intérêts nationaux français". En Turquie, pour moins que cela ils auraient été qualifiés de traîtres à la patrie, exclus du Parlement et emprisonnés. Au moment où un peu partout dans le monde, les gouvernements, les Églises et les institutions font leur mea-culpa, présentent leurs excuses aux minorités pour les persécutions et injustices passées, le gouvernement turc refuse de reconnaître les crimes perpétrés sous un empire ottoman révolu alors même que les tribunaux de cet empire avaient eux-mêmes, au lendemain de la Première Guerre mondiale, reconnu les massacres et crimes contre l'humanité commis contre la population arménienne et condamné leurs auteurs. La Turquie républicaine est revenue sur ces verdicts et réhabilité les auteurs du génocide arménien.



·NEUF ANS DE PRISON POUR 4 ADOLESCENTS KURDES COUPABLES DE VOL DE PATISSERIE
La cour de cassation tuque a, le 31 août, confirmé la condamnation à 9 ans de prison ferme de quatre enfants mineurs kurdes coupables d'avoir volé en 1997 deux kilos de baklavas (pâtisserie orientale) dans un magasin de Gaziantep. Les jeunes avaient reconnu les faits et affirmé qu'ils avaient eu très envie de ces baklavas mais n'avaient pas les moyens d'en acheter. Malgré leurs excuses présentées devant le tribunal de Gaziantep pour ce chapardage, ils avaient été condamnés à 9 ans de prison. Des avocats bénévoles ont fait appel de ce verdict inique devant la Cour de cassation qui vient de confirmer la lourde condamnation des "voleurs de baklavas".

Même les défenseurs les plus zélés du système judiciaire turc se disent "troublés" par une justice qui condamne à des peines aussi lourdes des enfants ayant commis un larcin et laissent courrir des auteurs de détournements de centaines de millions de dollars de fonds publics et des mafieux rackettant et pillant en plein jour. a déclaré à la presse l'un des avocats des gamins.

Selon les estimations courantes, près de cinq mille enfants âgés de 11 à 15 ans se trouvent dans les prisons turques qui enferment également plus de dix mille mineurs de 15 à 18 ans.


ARRESTATION EN FRANCE D'UN CHEF DE LA MAFIA LIÉE A L'ÉTAT TURC


Alaetin Çakici, l'un des plus célèbres chefs de la mafia turque d'extrême droite liée aux services de renseignement turcs (MIT) a été arrêté le 17 août dans un palace de Nice avec sa compagne et un garde du corps armé. Recherché par Interpol pour meurtre et activités mafieuses, Çakici était en possession d'un passeport diplomatique turc lui permettant de circuler sans visa dans la plupart des pays du monde.

Au cours de conversations téléphoniques enregistrées divulguées par la presse turque, A. Çakici a déclaré avoir des liens avec plusieurs ministres, les services de renseignement turcs et les hommes politique de premier plan écrit le quotidien turc Sabah du 30 août.

Membre d'un groupe de Loups Gris (milice para militaire néo-fasciste du Colonel Turkes) impliqué dans une quarantaine d'assassinats de militants de gauche à la fin des années 1970, Çakici avait été arrêté et emprisonné pendant quelques mois après le Coup d'État militaire de septembre 1980. Puis -comme bon nombre d'activistes de l'extrême -droite, il a été recruté par la MIT pour ses basses besognes en Turquie et en Europe. (Trafic de drogue, &laqno;opérations_spéciales» attentats contre les Kurdes et les Arméniens, etc).

Au début des années 1990, surtout à partir de l'accession au pouvoir de Mme Çiller en juillet 1993, les services turcs ont décidé de systématiser et d'amplifier leurs activités d'assassinats d'opposants et de trafic de drogue pour financer la guerre de l'ombre. Selon la déposition en février 1997 devant la Commission Susurluk du Parlement de Havefi AVCI, chef-adjoint du Bureau de renseignement de la police d'Istanbul, Çakici est l'un des éléments mafieux d'extrême droite utilisé par l'unité de guerre spéciale de la MIT, organisée par Mehmet Eymur, actuellement en poste à l'ambassade turque à Washington et Yavuz Ataç en poste à Pékin. Quant à leur chef de la MIT pendant cette période où plus de 4500 civils supposés "suppôts de terrorisme " ont été assassinés, Sönmez Koksal, a été promu au poste d'ambassadeur de Turquie en France.

Après avoir servi le gouvernement Çiller dans ses basses besognes, Çakici et ses acolytes, sur instruction de la MIT, se sont retournés contre Mme. Çiller lorsque celle-ci s'est alliée aux islamistes. Les Turcs se souviennent d'une émission de télévision de Flash TV au cours de laquelle Çakici était intervenu par téléphone pour dénoncer &laqno;les magouilles du gang Çiller» " le gang des Çiller " en affirmant notamment que le mari de Mme. Çiller avait réclamé une commission de $20 millions pour arranger la vente d'une banque publique (Turkbank) à un homme d'affaires &laqno;protégé» par Çakici.

Récemment il avait appelé deux ministres du gouvernement Yilmaz pour exiger le rappel à Ankara de son &laqno;protecteur» protecteur de la MIT, Yavuz Ataç. La décision tardant à venir, il avait rappelé pour dire que si on ne satisfaisait pas sa demande rapidement, il punirait le Premier ministre en personne. C'est sans doute cette menace qui a incité Ankara à demander à Interpol son arrestation et à réclamer son extradition. Sans compter, une fois en Turquie il pourrait faire des révélations contre la famille Çiller, ce qui en période électorale pourrait servir le parti de M. Yilmaz qui pourrait ainsi se targuer d'avoir commencé à lutter contre les gangs mafieux installés au coeur de l'Etat. En attendant, le vice-Premier ministre turc Bulent Ecevit a confirmé que Çakici était effectivement porteur d'un vrai passeport diplomatique turc et qu'il avait effectivement téléphoné récemment à deux ministres. Selon le vice-Premier ministre turc, " siles ministres eux-mêmes l'avaient appelé, il y aurait eu un problème, mais c'est lui qui a appelé les ministres à qui on ne peut donc rien reprocher ". M. Ecevit n'a pas préciser pourquoi un chef mafieux pouvait avoir un accès direct facile à deux ministres en exercice.