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Bulletin N° 155 | Mars 1998

 

 

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UN RAPPORT OFFICIEL REMIS AU PREMIER MINISTRE TURC CONFIRME LA DÉRIVE MAFIEUSE DE CERTAINS SERVICES DE L'ÉTA

MONSIEUR Kutlu Savas, patron du Service d'inspection du Premier ministre a remis le 12 janvier un rapport à M. Mesut Yilmaz sur les liens entre certains services de l'Etat et la mafia de drogue. Ce rapport de 120 pages accompagné de 240 pages d'annexes et de milliers de documents est le fruit de cinq mois de travail d'inspection réalisé à la demande du nouveau Premier ministre turc par le "super-inspecteur de l'Etat". Dans une interview au Hürriyet du 13 janvier, celui-ci affirme qu'il ne pense pas que le Premier ministre divulguera toutes les informations contenues dans ce rapport. Mais il en révèle lui-même les grandes lignes .

Extraits: "Il existe au sein de l'Etat des organisations illégales. Ces organisations créées au sein de l'appareil de l'Etat et auxquelles participe la mafia ont mené une série d'opérations comme les assassinats des hommes d'affaires soupçonnés de soutenir le PKK. Les fonctionnaires membres de ces organisations illégales se sont mis, avec le temps, à travailler pour leur propre compte et prendre leur part de la rente du trafic de drogue et de l'argent noir. Bien avant l'accident de route de Susurluk (novembre 1996), l'organisation illégale qui fonctionnait au sein de la Direction générale de la Sûreté était traversée par des conflits sur le partage des revenus de cette rente qui étaient arrivés au seuil d'une confrontation.

- "Des hors-la-loi, recherchés ou condamnés par la justice ont été protégés et utilisés par certains services de l'Etat dans des opérations clandestines". Le rapporteur n'a sur ce point divulgué que deux informations de son enquête:

"1-) L'envoi en Europe, sur la décision du sommet de l'Etat et par les soins de la MIT (Organisation nationale du renseignement), d'une quinzaine de militants Loups Gris (extrême droite) recherchés par la justice pour divers crimes afin de combattre l'ASALA arménienne. Le régime issu du coup d'Etat militaire de septembre 1980 a mis d'importants moyens à la disposition de ces hors-la-loi.

2-) Le hors-la-loi Mahmut Yildirim dit Yesil impliqué dans une série d'affaires criminelles commises dans le Sud-Est (NDLR Plusieurs dizaines d'intellectuels kurdes ont été assassinés par des hommes de main dirigés par Yesil qui est par ailleurs connu pour son rôle dans le trafic de drogue et le racket des commerçants kurdes ) a opéré pour le compte de la MIT et c'est en compagnie des membres de la MIT qu'il a été envoyé le 23-11-1996 au Liban au départ de l'aéroport Esenboga d'Ankara".

- "Depuis 1993 on constate un usage de plus en plus important de fonds secrets "pour les besoins de la lutte contre le PKK". Sur les 50 millions de dollars ainsi prélevés , 45 millions ont été utilisés sans justificatifs et sans aucune trace écrite. De même des armes achetées avec ces fonds n'ont pas été inventoriées; certaines ont été trouvées en possession des hors-la-loi utilisées à des fins totalement étrangères à la lutte contre le PKK".

- "Des membres de l'appareil d'Etat turc ont bien participé au coup d'Etat manqué de 1994 contre le président azéri Haydar Aliyev. Certains inspirateurs de cette tentative de coup se trouvent à Ankara. Même le téléphone satellite saisi sur le chef de la tentative du coup, Cevadov, lui était fourni par les services turcs".

Dans la conclusion de son rapport, M. Savas recommande "une épuration sérieuse de la MIT, la refonte à bref délai de l'appareil judiciaire turc en commençant d'urgence par les tribunaux d'Istanbul les plus gangrenés par la dérive mafieuse".

Les déclarations à la presse du "Super inspecteur" Savas confirment et donnent un sceau officiel à des informations pour la plupart déjà connues du public turc sur les gangs opérant au cur même de l'appareil de l'Etat et leur imbrication avec la Mafia. Les Turcs attendent de voir ce que leur Premier ministre va faire maintenant qu'il dispose de tous ces éléments. Sous le titre "Cela ne peut être notre destin" le président du Conseil de la presse turque Oktay Eksi écrit, dans le Hürriyet du 13 janvier: "Chacune de ces allégations est d'une gravité à faire tomber un gouvernement, à enterrer un régime politique dans les pages de l'Histoire. De surcroît, on nous dit qu'il y a (dans ce rapport) des informations qui n'ont pas été divulguées. Si celles qui sont divulguées sont d'une telle gravité, libre à vous d'imaginer la gravité de celles qui ne le sont pas. On apprend au même moment que les deux auteurs de l'exécution à bout portant de 6 passagers d'un autocar sur la route TEM (reliant Istanbul à Edirne) sont des membres d'une équipe spéciale de la police (NDLR. Selon les informations du Hürriyet du même jour, cette tuerie survenue le 21 décembre est liée à la saisie par les douaniers polonais de 78 kg d'héroïne à bord d'un autocar turc. Les victimes seraient des passeurs qui auraient mal rempli leur contrat avec la mafia. Les tueurs ont arrêté l'autocar à bord d'une voiture de police équipée de gyrophare). Les fonds secrets sont pillés. Une partie de la police est devenue un réseau criminel. La justice est violée. Les criminels font la loi dans le pays.

Dans cette situation, soit qu'il nous faudra nous résigner à notre destin, soit que chacun manifeste son rejet par tous les moyens dont il dispose. Cette nation n'est-elle pas aussi consciente de ses droits que les Yougoslaves ? "

Devant l'implication non seulement des hauts dirigeants policiers mais aussi des militaires, dont des généraux , le vice-Premier ministre Ecevit est intervenu pour affirmer que " l'armée est totalement en dehors de cela, seuls quelques éléments de la gendarmerie et de ses services de renseignements (JITEM) sont mis en cause". Le quotidien Hürriyet, dans son édition du 21 janvier, affirme qu'il a pu avoir accès à la totalité du rapport et titre sur toute sa Une la conclusion de ce rapport: "l'Etat a été sauvé in extremis. L'Etat était entré dans un processus d'Etat mafieux. Ce processus a été stoppé".

On apprend aussi que la décision d'execution sans jugement de certains hommes d'affaires kurdes, comme Behcet Cantürk et Savas Buldan, suspectés de soutenir financièrement le PKK, "a été prises à l'initiative d'une force au sein de l'Etat sur instructions venant d'en haut", que des hommes de confiance avaient été placés d'une manière systématique à la tête des banques d'Etat pour pillage et pour le blanchiment de l'argent noir. Last but not least, selon le quotidien libéral Radical du 21 janvier, Mme Çiller aurait ordonné "le versement aux services de renseignement syrien (Mukhabarat) de10 millions de dollars pour obtenir la "liquidation" du chef du PKK, A. Öcalan, en 1994". Les Syriens auraient empoché l'argent sans executer le "contrat". Le Milliyet du 21 janvier a une autre version de cette affaire. Selon le quotidien, la somme de $10 millions prélevés sur les fonds secrets du Premier ministre devaient servir à financer "cette opération Apo" programmée pour avril 1994. Un commando spécial entrainé par les services secrets israéliens devait assassiner A. Öcalan en Syrie. Cette opération aurait été, au dernier moment, décommandée.

Ces révélations distillées par la presse laissent l'opinion publique insatisfaite. L'ancien président du Parlement, H. Cindoruk, estime dans le Hürriyet du 21 janvier que "ce rapport n'est pas suffisant. Il faut une enquête plus approfondie sur les pratiques d'un Etat qui pendant un temps a été dirigé par un gouvernement infiltré par des gangs". De son côté, Deniz Baykal, chef du Parti Républicain du Peuple, qui soutient la coalition sans y participer, demande au Premier ministre de "rendre public immédiatement et sans censure la totalité du rapport sinon vous apparaitrez comme complice de l'étouffement de ces scandales. La restructuration de l'Etat sur des bases saines passe par l'apurement sans hésitation du passé".

Intervenant longuement à la télévision, le jeudi 23 janvier, le Premier ministre a confirmé qu'entre 1993 et 1997 des criminels recherchés par la justice, des barons de la mafia de drogue, des magnats des casinos avaient bénéficié de complicités importantes et haut placées dans la police, les services de renseignement (MIT), la gendarmerie, plusieurs ministères, dont ceux de l'Intérieur, des Finances, du Tourisme et des douanes, et que " ces gangs étaient sur le point de s'emparer de l'Etat ". Au nom de la défense de la patrie et de la lutte contre le terrorisme, l'Etat a utilisé des hommes de main et des trafiquants de drogue comme tueurs à gages pour se débarrasser des nationalistes kurdes, (écrivains, journalistes, hommes politiques, hommes d'affaires, syndicalistes etc., contre lesquels les moyens légaux s'avéraient inefficaces. Ces criminels, comme A. Çatli et M. Yildirim dit Yesil, ont pu bénéficier de plusieurs jeux de cartes de police, de cartes d'identité et de passeports diplomatiques. Cette mafia travaillant main dans la main avec les forces de sécurité et pilotée par Mehmet Agar, ancien directeur général de la Sûreté, ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement Çiller, a tenté un coup d'Etat en Azerbaïdjan afin de renverser le président Aliev, en vue de mieux s'assurer des routes de transit de drogue passant par cette république et par la Turkménie. Pour les mêmes raisons il y a eu, en 1995, une tentative d'assassinat contre le président géorgien Edouard Chevernadze considéré comme " peu coopératif ".

Le roi des casinos, Ömer Topal, dont les 17 établissements regroupés sous l'enseigne Emperyal était devenu un personnage puissant en mesure de donner des ordres aux préfets, aux directeurs de sûreté voire à certains membres du gouvernement. Malgré un chiffre d'affaires de deux milliards de dollars de son empire jouant un rôle clé dans le blanchiment de l'argent noir de la drogue il a pu obtenir un crédit de $15 millions d'une banque d'Etat turque, Eximbank, pour construire ses luxueux hôtels et casinos en Azerbaïdjan et en Turkménie. Ce gros bonnet de la drogue, recherché par les polices américaine et européennes voyageait avec des passeports diplomatiques et les plus hauts dirigeants turcs, dont le président Demirel, descendaient dans ses hôtels.

Rappelant que ce scandale, par son ampleur et sa gravité, était " sans précèdent dans l'histoire de la République turque ", le Premier ministre a parlé de la nécessité de " nettoyer l'Etat ".

C'est précisément là que l'opinion reste incrédule. D'une part parce que contre toute évidence, M. Yilmaz inscrit le scandale uniquement dans la période de 1993-1997 correspondant au règne de Tansu Çiller et cela donne un air de règlement de comptes d'autant qu'il est en Turquie de notoriété publique que des escadrons de la mort opèrent depuis une vingtaine d'années sous la direction du Bureau de la guerre spéciale (Özel Harp Dairesi) de l'armée, considéré comme l'équivalent turc du Gladio italien. M. Yilmaz tient ostensiblement à dédouaner l'armée.

Pour lui des officiers, y compris des généraux, impliqués dans ce scandale appartiennent à la gendarmerie; l'armée est restée propre. Ce que conteste à la fois plusieurs députés du Parti républicain du peuple (CHP) ainsi que l'ancien président de la Commission d'enquête parlementaire le député Elkatmis. Ce dernier demande pour quelles raisons le rapport ne mentionne même pas l'assassinat du général Esref Bitlis, commandant en chef de la gendarmerie, partisan comme le président Özal d'une solution pacifique au problème kurde.

Enfin, le fait que le gouvernement n'ait rendu public qu'une version censurée du rapport d'inspection, déjà en lui-même limité dans le temps, nourrit les soupçons d'étouffement. Les 11 pages censurées recèleraients des " secrets d'Etat " sur les opérations menées dans les provinces kurdes, les meurtres des journalistes et certaines opérations extérieures des services turcs comme les attentats anti-arméniens en France.

Dans son tallk-show 32. Gün, le journaliste M. Ali Birand a, le 27 janvier, révélé d'autres passages du raport. En voici des extraits concernant les assassinats de nationalistes kurdes tels qu'ils sont publiés par les quotidiens Sabah et Hürriyet du 29 janvier :

" Alors qu'il était évident qui il était et ce qu'il faisait, l'Etat n'arrivait pas à mater Canturk. Les moyens légaux s'étant révélés insuffisants les locaux de son quotidien Özgür Gündem (NdT. quotidien pro-kurde d'Istanbul) ont été plastiqués et détruits. Alors qu'on s'attendait à ce que Behçet Canturk se soumette à l'Etat, il a entrepris de mettre en place de nouvelles installations afin de poursuivre la publication de ce quotidien. La Direction nationale de la Sûreté a alors décidé de sa mort. Et cette décision a été exécutée. Ainsi un nom a été rayé de la liste des près de '100 hommes d'affaires financeurs du PKK ' selon les termes du Premier ministre de l'époque ".

Le rapport souligne que dans la Région d'état d'urgence peuplée de Kurdes " des gens fichés comme des partisans du PKK mais qu'on ne pouvait contrer par des moyens légaux ont été condamnées à mort de la même manière par la Sûreté nationale et exécutés (...). Quand on considère les caractéristiques des personnes exécutés au cours de ces actions, on relève que les exécutions réalisées hors de la Région d'état d'urgence concernaient surtout des hommes ayant une puissance financière, dans la Région elle-même des nationalistes kurdes ordinaires ont été abattus. Cela est valable pour l'assassinat de Savas Buldan (NdT. homme d'affaires) (...). C'est également le cas des assassinats de Medet Serhat (avocat), Metin Can, Vedat Aydin (président de la fédération de Diyarbakir du HEP). Ceux qui ont mené des actions contraires à l'unité et à l'intégrité du pays ont mérité leur punition. Le seul différend qui nous oppose aux auteurs (de ces assassinats) concerne les modalités de ces actions et leurs conséquences. Ainsi dans l'assassinat de Musa Anter (poète âgé de 74 ans) même ceux qui avaient approuvé toutes les autres actions ont éprouvé des regrets. Musa Anter n'était pas engagé dans une action armée, il s'occupait de la philosophie de la chose et son assassinat a engendré des réactions dépassant sa véritable efficacité et de ce fait la décision de le tuer était erronée. Il y a également d'autres journalistes qui ont été assassinés ".

Ce coin de voile levé sur les fameux " meurtres non élucidés " n'a, à ce jour, donné lieu à aucune action en justice. Depuis 1991 plus de 4500 " meurtres politiques non élucidés " ont été commis dans le Kurdistan turc.

BAGDAD: LE SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ONU PARVIENT À EMPÊCHER UNE NOUVELLE CONFRONTATION MILITAIRE

LA nouvelle crise provoquée par les dirigeants irakiens qui ont tenté d'empêcher les inspecteurs de l'ONU chargés du désarmement de l'Irak de visiter une série de bâtiments officiels dont des sites dits présidentiels a failli provoquer une nouvelle confrontation militaire.

Les inspecteurs de l'UNSCOM sont convaincus que Bagdad dissimule son redoutable arsenal des armes bactériologiques sur son programme d'armes chimiques et nucléaires. Un nombre non déterminé de missiles balistiques serait également marquant. Chaques fois que les inspecteurs s'approchent d'un site suspect les Irakiens provoquent une crise pour gagner du temps afin de nettoyer les lieux.

Ce jeu de cache-cache ayant atteint un point critique le Conseil de sécurité de l'ONU a mis l'Irak en demeure de laisser les inspecteurs faire librement leur travail. Pour bien souligner la détermination de la Communauté internationale les États-Unis ont massé d'importantes troupes dans la région du Golfe et fait le tour de leurs alliés pour s'assurer de leur soutien.

Il est assez rapidement apparu que certains membres de la coalition alliée de la Guerre du Golfe étaient peu disposés à adhérer à l'opinion militaire. En tête, la Russie, la France et la Chine qui ont de grosses créances à recouvrer et, de ce fait, sont pressées d'obtenir une normalisation avec l'Irak. L'enlisement du processus de paix israélo-palestineinne a également conduit la plupart des États arabes à reprocher à Washington sa politique de deux poids deux mesures; sévérité envers l'Irak lorsque celui-ci bafoue des résolutions de l'ONU, inaction à l'encontre d'Israël qui viole d'autres résolutions de l'ONU. Même la très fidèle Arabie saoudite, craignant les réactions de son opinion publique, a annoncé le 8 février qu'elle n'aiderait " aucun raid contre l'Irak ".

En Turquie, pays limitrophe de l'Irak, membre de l'OTAN et allié de la coalition du Golfe, la perspective d'une opération militaire contre le régime irakien a suscité un débat passionné.

Le vice-Premier ministre turc Bülent Ecevit connu de longue date pour ses sympathies pour Saddam Hussein a déclaré dimanche 8 février, qu'il soupçonnait les États-Unis d'avoir un plan visant une partition de l'Irak et la création d'un État kurde. "Je ne crois pas qu'une superpuissance comme les États-Unis n'aient pas un plan pour l'après-guerre. Les États-Unis veulent diviser l'Irak pour la création d'un Etat-satellite du Kurdistan sous leur contrôleS'ils affirment qu'ils n'ont pas un tel plan, qu'ils nous expliquent alors ce qu'ils envisagent pour l'après-guerre" a affirmé M. Ecevit qui demande à Washington de "ne pas humilier" Saddam Hussein et de "respecter son honneur". Connaissant la fragilité de la coalition gouvernementale turque et le pro-saddamisme militant de M. Ecevit, Washington n'a pas jugé bon d'inclure Ankara dans les périples dans la région de Mme. Albright et du secrétaire à la défense, W. Cohen. Une délégation dirigée par un secrétaire d'État adjoint, M. Grossman, accompagné du chef d'état-major adjoint a fait le déplacement d'Ankara pour y rencontrer les hauts dirigeants militaires et civils turcs pour leur exposer la position américaine. Les Américains auraient offert de soutenir la Turquie dans ses négociations avec les institutions financières internationales et l'Europe, d'assouplir leur politique de vente d'armes et de tolérer les incursions militaires turques au Kurdistan irakien en échange du soutien d'Ankara dans l'épreuve de force contre Saddam Hussein. Invoquant leurs intérêts nationaux, les Turcs auraient refusé ce soutien.

Le ministre turc des Affaires étrangères, Ismail Cem, proche de M. Ecevit et de ses thèses pro-irakiennes s'est rendu à Bagdad pour une mission de "médiation" apparemment non sollicitée. Tout comme la mission similaire de M. Ecevit en 1990, celle de M. Cem n'a eu pour effet que d'indisposer encore davantage Washington. Le 9 février, l'ambassadeur américain à Ankara, Marc Parris a reçu les journalistes turcs pour démentir publiquement les allégations du vice-Premier ministre turc sur les supposés plans américains de partition de l'Irak et de création d'un État kurde. Le 12 février l'ambassadeur britannique à Ankara, M. David Logan, a dû également démentir les déclarations de M. Ecevit. Dans ce climat passionnel certains journaux turcs évoquent le vieux projet turc d'annexion du Kurdistan irakien, l'ex wilayet ottoman de Mossoul.

D'autres s'en prennent au "pacifisme douteux" et au pro-saddamisme du vice-Premier ministre turc. Dans une lettre ouverte adressée à Bülent Ecevit, l'éditorialiste libéral Hasan Cemal, écrit dans le quotidien Sabah du 10 février:

" Toute personne raisonnable est opposée à la guerre. Sachant à quel point celle-ci peut être destructrice toute autre solution lui est préférée. Mais doit-on aller jusqu'à sauver l'honneur des dictateurs pour cela? Non. Tout au contraire car Monsieur Ecevit, dans cette région le nom de Saddam rime avec la guerre et non la paix. C'est lui qui a attaqué l'Iran ! C'est lui qui a occupé le Koweït ! C'est lui qui a sacrifié depuis des années son peuple sur les champs de bataille !Et c'est également lui qui a gazé les Kurdes d'Irak, femmes et enfants, à Halabja !

Saddam est un dictateur sanglant, M. Ecevit.

Le mot démocratie ne fait pas partie du vocabulaire de Saddam. L'expression "droits de l'homme" ne fait pas partie du vocabulaire de Saddam. Or, le parti politique dont vous êtes le leader porte le nom de la Gauche Démocratique Revient-il au leader du parti de la gauche démocratique de défendre l'honneur terni d'un dictateur sanglant?En Irak, le plus grand obstacle à la paix c'est Saddam

Tous les pays cherchent leurs intérêts personnels qui ne sont pas forcément concomitants. Cela dit, Monsieur Ecevit;

Pour critiquer ou s'opposer aux États-Unis, il n'est pas nécessaire d'aller dans le même sens que Saddam ou de sauver son honneur. Car, Saddam dans cette région est le nom de la guerre.

C'est désolant de croire que la paix se doit de plaider pour l'honneur d'un dictateur sanglant"

Au moment où la guerre paraissait inévitable, le secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, mandaté par le Conseil de sécurité s'est rendu le 20 février à Bagdad, à bord d'un avion mis à sa disposition par le président français, pour éviter un bain de sang inutile pour les populations qui ont souffert. Après une série de discutions avec le vice-président irakien et un long entretiens en tête-à-tête avec Saddam Hussein M. Annan a finalement pu signer un accord par lequel " le gouvernement de l'Irak s'engage à accorder à l'UNSCOM et à l'AEIA un accès immédiat, inconditionnel et sans restriction en conformité avec les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, notamment les résolutions 687 (1991) et 715 (1991) " Une procédure spéciale est prévue pour l'inspection de huit sites dits présidentiels. Un groupe spécial sera créé à cet effet par le secrétaire général, en consultation avec le président de l'exécutif de l'UNSCOM et le directeur général de l'AEIA. Ce groupe comprendra des diplomates de haut rang nommés par le secrétaire général et des experts issus de l'UNSCOM et de l'AEIA. Le groupe sera dirigé par un commissaire nommé par le secrétaire général (voir p. 149 texte intégral de cet accord).

Ce compromis a été avalisé le 24 février par le Conseil de sécurité de l'ONU qui a réservé un accueil chaleureux à M. Annan. Washington a accepté de "donner sa chance à cet accord même s'il reste beaucoup de si ". Dans l'immédiat l'accord signé par le secrétaire général de l'ONU et le vice-président irakien permet d'éviter une nouvelle confrontation militaire. Reste à savoir si le régime irakien va se conformer davantage à ce texte qu'à d'autres résolution de l'ONU qu'il a dû d'abord signer avant de tenter d'en rejeter les modalités d'application en cas de besoin. Peu rassurés les États-Unis maintiendront leurs troupes dans la région.

L'AFFLUX DES RÉFUGIES KURDES DIVISE L'EUROPE

L'Arrivée au cours de la dernière semaine de 1997 de deux bateaux chargés de réfugiés kurdes sur les côtes italiennes a placé à nouveau la question kurde sous les projecteurs de l'actualité.

Cette question alimente un débat parfois assez vif au sein de l'Union européenne et à l'intérieur de chaque État entre les partisans d'une approche sécuritaire et ceux d'une approche politique. Celle-ci a notamment été incarnée par l'Italie dont le président, M. Oscar Luigi Scalfaro a déclaré que son pays accueillerait "les bras grands ouverts" les Kurdes fuyant les persécutions . L'opinion italienne très émue par le drame des Kurdes en Irak et en Turquie soutient la politique d'accueil humanitaire des autorités de Rome. Mais cette attitude généreuse, qui est aussi celle de la Grèce et qui appelle à l'élaboration d'une politique européenne commune, est critiquée par certains États membres de l'Union européenne qui abritent déjà de fortes communautés kurdes et qui craignent un effet d'appel d'air. Au premier rang de ces pays l'Allemagne qui a une population kurde de 500 000 à 600 000 personnes et qui a, en 1997, accueilli plus de 14 000 réfugiés kurdes irakiens. Le chancelier Kohl et son ministre de l'Intérieur, M. Kanther ont demandé au gouvernement italien de prendre toutes mesures pour mieux contrôler leurs frontières tandis que M. Klaus Kinkel appelait, dès le 3 janvier, la Turquie à trouver rapidement une solution politique au conflit kurde afin de régler ce problème à la source. Une bonne partie de l'opinion allemande critique "l'hystérie du gouvernement" qu'il accuse de "semer la panique dans la population dans un but électoral". L'arrivée de quelques centaines de malheureux Kurdes rescapés de massacres ne va pas changer la face du monde font-ils remarquer. On ne peut pas demander à la Turquie d'adopter une solution politique face au problème kurde tout en continuant de notre côté une approche purement sécuritaire, a fait observer un député de l'opposition. Les églises sont également en faveur d'un accueil digne des réfugiés. Cette politique de la "main tendue" inquiète énormément certains Etats-membres de l'Union européenne, au premier chef l'Allemagne, qui craignent l'arrivée sur leur sol de ces réfugiés. L'asile d'église a pris de l'ampleur après la révision de la loi sur les demandeurs d'asile en 1993; 56 Églises ou cloîtres allemands abritent aujourd'hui quelques 220 demandeurs d'asile, dont la moitié sont des Kurdes de Turquie.

De son côté, M. Hubert Vedrine, ministre français des affaires étrangères, s'est rendu en Turquie pour une visite de deux jours du 7 au 8 janvier. La question des "boat people kurdes" a été à l'ordre du jour de ses entretiens avec les dirigeants turcs. M. Védrine a déclaré à la presse qu'il avait interrogé ces derniers sur "des questions que les gens se posent en France sur le sort des Kurdes en Turquie". M. Chevènement, ministre français de l'Intérieur, a dénoncé les "filières criminelles" qui organisent cette immigration et a ajouté "quand un bateau quitte les côtes turques, ça doit se voir", mettant implicitement en cause les autorités turques. Le 7 janvier, les experts en immigration des quinze États membres de l'UE ont évoqué le problème posé par l'afflux de centaines de réfugiés kurdes en Italie lors d'une réunion à Bruxelles. Le lendemain les directeurs généraux de la police des pays de Schengen se sont réunis à huis clos à Rome pour adopter une série de mesures destinées à enrayer l'afflux des Kurdes.

La Turquie a été représentée à la réunion de Rome par son chef de la Sûreté générale. Necati Bilican, qui fut ancien "super gouverneur" des provinces kurdes et qui, comme l'a rappelé la députée verte allemande Claudia Roth, est réputé comme "un super tortionnaire": Tout en s'engageant à appliquer les mesures adoptées à Rome, la délégation turque n'en a pas signé le communiqué final au motif que celui-ci a refusé de faire état de la thèse turque selon laquelle l'exode kurde serait organisé par le PKK et la mafia. Le même jour le ministre turc de l'Intérieur avouait, dans le quotidien Hürriyet, que "ses services avaient fermé les yeux sur le passage des bateaux" chargés des réfugiés, tandis que le vice-premier ministre Bülent Ecevit demandait au secrétaire d'Etat au renseignement, chef de la MIT (police politique) de trouver "une explication plus intelligente et plausible" pour ces départs massifs dans un État pratiquant un quadrillage policier et militaire impressionnant. Toujours le 8 janvier, interrogé par des journalistes français, le ministre turc des Affaires étrangères, Ismail Cem, démentait catégoriquement "les allégations selon lesquelles la Turquie aurait encouragé l'exode des réfugiés kurdes" et rejetait toute idée d'une solution politique au problème kurde au motif que "la Turquie est un État unitaire" et qu'il "n'existe pas un problème kurde mais un problème de terrorisme kurde". Quelques jours plutôt l'armée avait organisé un briefing au cours duquel des intervenants ont affirmé que "les Kurdes sont une tribu turque venant d'Asie centrale" et qu'il n'y a donc pas de Kurdes en Turquie où tous les habitants sont des Turcs. On en est donc revenu au langage des années 1930.

Quelles que soient les mesures policières décidées par les Européens, étant donné la situation tragique des Kurdes dans leur pays d'origine ceux-ci continueront d'affluer par milliers vers l'Europe qui est le seul espace démocratique de leur voisinage où ils preuvent espérer trouver un refuge: Cet afflux met à rude épreuve la Convention de Genève sur les réfugiés politiques, devenue obsolète, les accords de Schengen et de Dublin. Sous la pression des Kurdes et des Algériens qui frappent à leurs portes, les Européens sont appelés à élaborer une nouvelle législation d'asile tenant compte de nouvelles réalités politiques et humaines. D'ailleurs le Haut commissariat de l'ONU pour les réfugiés a defendu mardi 6 janvier, la politique d'accueil de l'Italie qui a autorisé cette vague d'émigrés kurdes à demander l'asile en Europe occidentale malgré les pressions de l'Allemagne et d'autres pays pous mettre fin à l'émigration clandestine. Pamela O'Toole, porte-parole du HCR a déclaré que "l'attitude et l'action du gouvernement italien jusqu'à présent ont été absolument exemplaires". Le HCR est pleinement conscient du fait que la Convention de Genève est dépassée.

Rappelons pour mémoire que l'exode kurde vers l'Italie ne date pas de fin décembre. Le 29 mai 1997, 200 Kurdes arrivaient déjà en Italie dans un bateau appelé Vakifkebir. Le 18 juillet 1997, 403 réfugiés dont 340 Kurdes à bord du bateau Mehlika. Le 27 décembre 1997, le bateau Ararat a échoué sur les côtes italiennes avec 835 réfugiés dont 800 Kurdes et le 1er janvier 1998, 386 réfugiés avec 270 Kurdes sont arrivés à bord du Cometa donnant un aspect spectaculaire à cet exode.

Après la réunion des chefs de police à Rome, le 26 janvier les ministres des Affaires étrangères des Quinze ont longuement débattu de cette question à Bruxelles et adopté " un plan d'action ". Ce plan sécuritaire fait la part belle aux thèses allemandes. La plupart de ces réfugiés kurdes d'Irak ou de Turquie sont des "immigrés économiques" qui font appel à "des gangs pour atteindre des destinations en Europe du Nord où des amis et des parents sont déjà installés" affirme le document commun qui reconnaît cepen-dant que "certains ont des raisons légitimes de chercher asile en Europe". Les Quinze préconisent "une limitation des abus de droits d'asile" par une harmonisa-tion des règles et par une mise en uvre de la Convention de Dublin, qui permet de renvoyer les immigrés illégaux dans le premier pays d'accueil et de créer un statut de protection temporaire pour éviter l'octroi de l'asile. Ils prônent également "une meilleure coopération entre les polices pour les contrôles aux frontières extérieures de l'UE et pour lutter contre les passeurs souvent liés au crime organisé", de même qu'une collaboration entre les services consulaires. Il est notamment envisagé de créer une base européenne d'empreintes digitales de tous les réfugiés et demandeurs d'asile. Enfin les Quinze évoquent "la possibilité d'agir à la racine des problèmes en aidant la Turquie..." et soulignent l'importance de "venir en aide aux populations kurdes d'Irak".

Ce plan a été vivement critiqué par des organisations de défense des droits de l'homme qui parlent de limitations graves au droit d'asile et aux libertés. Pour Friso Roscam Abbing, du Conseil européen pour les réfugiés et exilés, cité par The Independent de Londres du 29 janvier, "ce plan est extrêmement décevant. 33 de ses 47 points concernent le renforcement des contrôles et cherchent à rendre plus difficile l'entrée des Kurdes ". Dans une lettre à la présidence britannique, le Conseil, basé à Londres, accuse les Etats membres de l'UE "de manquer de développer une politique humaine d'asile et d'appliquer le système actuel, connu comme la Convention de Dublin, d'une manière tellement inflexible qu'il a pour effet de séparer familles et communautés et de maximiser la misère humaine ". Le Haut commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, Mme. Osaka, a, de son côté déclaré, que la solution aux problèmes des réfugiés n'était pas l'exclusion, le contrôle policier ou la restriction du droit d'asile mais une action concertée pour résoudre les problèmes à la source. Pour sa part, M. Klaus Kinkel, ministre allemand des Affaires étrangères a déclaré le 26 janvier que l'Allemagne offre déjà l'asile à 100.000 personnes, plus que les États-Unis et deux fois plus que tous les autres pays d'Union européenne réunis ". " Nous ne pouvons accueillir la souffrance du monde entier " a-t-il conclu. Le 30 janvier, les ministres de l'intérieur et de la Justice des Quinze, réunis à Birmingham ont lancé un appel pour que le plan d'action sur l'immigration kurde soit rapidement mis en uvre. "Il ne faut pas que ce soit juste un autre papier pour l'Union européenne" a martelé le ministre britannique de l'Intérieur Jack Straw, qui a présidé cette réunion.

LE PARLEMENT EUROPÉEN DEMANDE À L'UNION EUROPÉENNE DE PRENDRE UNE INITIATIVE INTERNATIONALE POUR LA RECHERCHE D'UNE SOLUTION POLITIQUE AU PROBLÈME KURDE

Le Parlement européen réuni en session plénière à Strasbourg a adopté le 15 janvier une importante résolution sur le problème kurde. Dans cette résolution "considérant que l'afflux des réfugiés n'est pas simplement un problème d'ordre public mais bien une question politique et morale qu'il faut affronter avec humanité". Le Parlement européen

- invite les Etats membres, le Conseil et la Commission à redoubler d'efforts pour définir une politique étrangère commune de l'Union face aux défis posés par la répression exercée contre le peuple kurde et les flux migratoires qui en découlent, en uvrant notamment à promouvoir l'État de droit et la démocratie dans les pays concernés;

- réaffirme que le règlement des problèmes posés par l'exode kurde passera nécessairement par une solution politique des conflits en Turquie et dans le nord de l'Irak, et renouvelle dès lors son appel en faveur d'une cessation des opérations militaires turques dans le nord de l'Irak; demande à l'Union de prendre une initiative internationale axée sur la recherche d'une solution politique au problème kurde;

- demande au Conseil et aux États membres de prendre l'initiative politique d'évoquer, d'ici la fin de l'année, la question de la violation des droits des Kurdes devant la Commission des droits de l'homme des Nations unies;

- charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, et aux gouvernements de Turquie, d'Irak, de Syrie et d'Iran".

La résolution du Parlement constitue une étape importante dans la voie de l'internationalisation de la question kurde, qui hypothèque depuis des années la paix et la stabilité dans plusieurs États du Proche-Orient. L'afflux des réfugiés kurdes fuyant les persécutions, la présence de près d'un million de migrants kurdes dans les pays de l'Union européenne obligent celle-ci à rompre son silence et à engager enfin une réflexion sur la solution de cette question.

PARIS : LETTRE DE MME MITTERRAND AUX PARLEMENTAIRES FRANÇAIS

A l'occasion de la visite officielle effectuée du 18 au 20 février en France par le Président turc, M. Süleyman Demirel, Mme Danielle Mitterrand, a adressé, le 12 février, une lettre d'information à tous les députés et sénateurs français sur le sort du peuple kurde et la situation des droits de l'homme en Turquie, dont voici les passages essentiels:

"A la veille de la visite du président turc Süleyman Demirel, je tiens à rappeler votre attention sur la situation déplorable d'une population, aussi bien turque que kurde, privée des libertés fondamentales jusqu'à celle de vivre.

Une même tragédie, celle de l'exode vers l'Italie que vous ne pouvez ignorer, vous incitera-t-elle cette fois à infléchir la politique de la France et surtout de l'Europe?

Au nombre de 15 à 20 millions selon les estimations, les Kurdes constituent entre le quart et le tiers de la population totale de la Turquie. Ils peuplent les 22 provinces de l'Est et du Sud-Est de la Turquie, limitrophes de l'Iran, de l'Irak et de la Syrie. Depuis la répression consécutive au coup d'État militaire de 1980 et de la guerre qui oppose à partir de 1984 l'armée turque à la guérilla du PKK, près de 7 millions de Kurdes ont été contraints à quitter leurs terres ancestrales pour aller vivre dans les bidonvilles des métropoles turques de l'Ouest comme Istanbul, Izmir et Adana. Très attachés à leur langue, d'origine indo-européenne, qui est au turc ce que le français est à l'hongrois, et à leur culture multimillénaire, les Kurdes mènent depuis des décennies un combat multiforme pour la reconnaissance de leur identité et un certain degré d'autonomie dans la gestion de leurs affaires. De son côté l'État turc refuse de reconnaître l'existence même des Kurdes comme un peuple distinct et pratique à son égard un véritable génocide culturel. Ce refus alimente un conflit qui s'est beaucoup aggravé au cours des dernières années et qui a fait plus de 30.000 morts. Depuis 1992, la Turquie mène une politique systématique de destruction et de dépeuplement du pays kurde et d'élimination des élites politiques et culturelles kurdes.

En 1994, à la suite de l'arrestation de députés kurdes du Parti de la démocratie (DEP), dont mon amie Leyla Zana, France-Libertés a entrepris une campagne internationale de sensibilisation sur le sort de la population kurde de Turquie. On avait recensé 847 villages kurdes détruits par l'armée et environ 1800 intellectuels et démocrates kurdes pacifistes assassinés par les escadrons de la mort des forces paramilitaires turques. Parmi eux, le vieux et très respecté poète et dramaturge Musa Anter, le député Mehmet Sincar et des avocats militants des droits de l'homme que j'avais personnellement connus ainsi que des journalistes, des médecins, des enseignants. Un rapport d'inspection récemment remis au nouveau Premier Ministre turc et dont celui-ci a donné de larges extraits au cours d'une émission de télévision le 23 janvier dernier, confirme que ces "nationalistes kurdes" ont bel et bien été exécutés par décision de la Direction de la Sûreté nationale car "les moyens légaux s'étaient avérés insuffisants pour les neutraliser". Il s'agit donc de crimes d'État perpétrés de sang froid, sans jugement, contre des civils non engagés dans une quelconque action violente, coupables simplement de défendre pacifiquement les droits de leur peuple et de témoigner du sort qui lui est fait dans un pays membre de l'OTAN et du Conseil de l'Europe que certains gouvernements occidentaux continuent de présenter comme "une démocratie laïque".

Aujourd'hui, selon les chiffres rendus publics le 28 juillet 1997 par la Commission des migrations du Parlement turc, on en est à 3185 villages kurdes évacués et détruits, à environ 3 millions de déplacés kurdes condamnés à la misère et à la précarité et à plus de 4500 d'assassinats politiques. Au vu et au su des ses alliés occidentaux, la Turquie poursuit ainsi impunément la destruction délibérée de la culture matérielle et spirituelle, de l'infrastructure économique, de manière de vivre d'une population indigène, hier encore fière et autosuffisante, désormais réduite à la mendicité, au silence et à l'asservissement. Ce sont quelques-uns des rescapés de cette politique terrible qui, de temps à autre, échouent sur les côtes européennes dans l'espoir d'y trouver un refuge.

En Turquie même des femmes et des hommes courageux luttent, souvent au prix de leur liberté et de leur vie, contre cette politique génocidaire. Une quinzaine de journalistes d'opposition ont été assassinés, plus de 400 militants turcs et kurdes des droits de l'homme ont "disparu" et leurs familles manifestent chaque samedi à Istanbul, comme les mères argentines d'hier. 4 députés et 75 journalistes et écrivains purgent actuellement de lourdes peines de prison pour délit d'opinion. 20 sections de l'Association turque des droits de l'homme ont été fermées par la police et les dirigeants de cette association comme ceux de la Fondation des droits de l'homme font face à plusieurs procès. Depuis 1990, 14 partis politiques ont été interdits pour délit d'opinion dont des partis pro-kurdes (HEP, DEP), le Parti communiste unifié (TBKP) et dernièrement la première formation politique du pays, le parti de la Prospérité de M. Erbakan.

Ainsi le régime turc qui pratique une forme de génocide contre le peuple kurde par la dispersion et la destruction de son identité, de son habitat et de sa vie socio-économique n'a en fait de "pluraliste" et de "démocratique" que le nom. L'armée détient le pouvoir absolu. Et au nom de "la lutte contre le terrorisme" elle vient de lancer un gigantesque "programme de modernisation militaire" de 150 milliards de dollars dans un pays du tiers-monde, endetté, classé au 68ème rang mondial par le PNUD selon les indicateurs du développement humain.

En tant qu'élu d'un pays qui se veut patrie des droits de l'homme vous ne pouvez rester insensible au sort tragique du peuple kurde et des démocrates turcs. Je sais aussi que nous ne pouvons pas seuls remédier à ces situations.

Mais, à défaut de pouvoir venir en aide à une population en danger, au moins pourrions-nous nous abstenir d'armer ses oppresseurs. Or, malheureusement notre pays a, depuis 1993, vendu pour $ 430 millions une cinquantaine d'hélicoptères Cougar à l'armée turque qui les utilise contre les populations civiles kurdes. L'un de ces hélicoptères a été abattu en juin dernier au dessus du Kurdistan irakien! La France est également engagée dans des négociations avec Ankara pour la vente de chars Leclerc, un marché de coproduction de 800 chars évalué à 4,5 milliards de dollars américains. Elle est aussi en lice pour la vente de 145 hélicoptères d'attaque Tigre d'Eurocoptère pour un montant estimé à $ 3,5 milliards de dollars américains.

Les populations kurdes sont et seront les premières victimes de ces armes. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, sous la pression de l'opinion et du Congrès, l'administration américaine s'opposait jusqu'à récemment à la vente à la Turquie de ce genre de matériels militaires. Pour les mêmes raisons les pays scandinaves, la Belgique, les Pays-Bas et l'Afrique du Sud refusent toute vente d'armes à Ankara. Notre pays qui a tant contribué à l'armement du régime de Saddam Hussein avec les conséquences que l'on sait, va-t-il maintenant, au mépris de ses valeurs et principes proclamés, devenir le pourvoyeur d'armes d'une Turquie qui entretient déjà la deuxième armée de l'OTAN, qui massacre sa population kurde et qui, avec son surarmement et ses ambitions hégémoniques constitue de plus en plus une menace pour la paix et la stabilité régionales?

Il me semble qu'au-delà des clivages politiques internes, ces questions méritent un débat public, et que les intérêts mercantiles à court terme ne doivent pas obscurcir les enjeux humains, politiques et civilisationnels".

ANKARA : LE SECRÉTAIRE D'ÉTAT ADJOINT AMÉRICAIN REND VISITE À LEYLA ZANA

EN visite en Turquie, M. John Shattuck, secrétaire d'État adjoint américain pour les droits de l'Homme s'est entretenu, le 21 février avec Leyla Zana et les autres députés kurdes emprisonnés à la Prison Centrale d'Ankara. M. Shattuck s'est d'abord assuré auprès de Mesut Yilmaz, Premier ministre turc, du respect des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, juridiction saisie par les députés kurdes. D'après les informations recueillies, le secrétaire d'État adjoint américain a soulevé le sujet au cours de son entretien avec le Premier ministre turc, qui a affirmé que "la Turquie avait déjà déclaré qu'elle se soumettrait aux décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme".

"Le respect de la liberté d'expression est très important pour les États-Unis. C'est pourquoi nous suivons de très près votre affaire" a déclaré M. Shattuck à Leyla Zana. Il a également précisé qu'il se préoccupait de la situation des journalistes emprisonnés en Turquie et qu'une collaboration en matière de formation entre la police des deux pays est envisagée pour mettre fin à la torture. Selon M. Shattuck, au delà des mesures économiques, la Turquie a besoin d'avoir une approche politico-sociale pour résoudre la question du Sud-Est (kurde).

Critiquant la situation des droits de l'homme en Turquie, elle a souligné dans une lettre remis à M. Shattuck que "les États-Unis devraient une fois de plus revoir leur politique quant à la vente envisagée des hélicoptères d'attaques". En décembre dernier, Washington avait donné son feu vert aux firmes américaines Bell Helicopter, Textron et Boeing-McDonnell Douglas pour participer à l'appel d'offres turc portant sur l'acquisition de 145 hélicoptères.

"La torture systématique continue d'être une méthode d'interrogatoireles obstacles à la liberté d'expression n'ont pas été levés, la tragédie kurde se poursuit" a rappelé Leyla Zana à son interlocuteur américain.

Quelques semaines avant cette visite la députée kurde avait été autorisée à recevoir dans sa prison une délégation américaine formée de congressements John Porter, Steny Hoyer, Ben Cardin et des Mme. Porter. Au cours de cette visite d'information M. Porter a écrit le 23 janvier une lettre à l'Institut Nobel de Norvège pour proposer la candidature de la parlementaire kurde emprisonnée pour le Prix Nobel de la Paix 1998. Dans cette lettre M. Porter rappelle que le problème kurde se pose depuis le siècle dernier, que le 28ème président des États-Unis Woodrow Wilson avait senti qu'il s'agissait d'un problème d'auto-détermination, évoque "les difficultés extrêmes auxquelles ce peuple ancien continue de faire face", affirme que Leyla Zana est devenue un symbole de la coexistence des Kurdes avec leurs voisins et demande en conséquence à l'Institut Nobel d'accorder la plus haute considération à sa nomination pour le Prix Nobel de la Paix afin de "frayer le chemin pour l'initiation d'un dialogue qui pourrait apporter la paix". Déjà en 1995 Leyla Zana avait été pressentie pour ce prix et donnée parmi "les candidats favorits". La Turquie avait menée une vaste campagne de presse pour la discréditer. Le 19 février 1998, une résolution adoptée par le Parlement européen "invite instamment le Conseil des ministres de l'Union européenne à soulever une nouvelle fois le cas (de) Leyla Zana et (de) Aung San Suu Kyi, et à exiger leur libération immédiate et inconditionnelle". Cette résolution sera présentée au cours de la cinquante-quatrième session de la Commission des droits de l'homme des Nations-Unies.

BILAN DE L'ANNÉE 1997 DES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE

L'Association des droits de l'homme a, le 13 janvier, rendu public son rapport sur les violations des droits de l'homme en Turquie. Le bilan se présente comme suit:

Meurtres non élucidés: 109
Condamnations extrajudiciaires, morts à la suite de torture subies ou morts en garde à vue 114
Actions à l'encontre de civils 151 morts, 239 blessés.
Disparitions 66
Personnes torturées 366
Personnes placées en garde à vue 27 308
Nombre de personnes arrêtées 1 273
Nombre de villages et d'hameaux évacués 23
Nombre de lieux bombardés 127
Nombre d'associations, de syndicats, d'organes de presse fermés 153
Nombre de journalistes placés en garde à vue 298
Nombre de publications saisies 278
Personnes emprisonnées pour délit d'opinion 105
Personnes tuées dans des affrontements 2 514





La situation ne s'améliore guère en 1998. En dépit des promesses faites par le Premier ministre turc lors de sa visite à Washington, en décembre dernier, de libérer les prisonniers d'opinion les tribunaux turcs continuent de condamner intellectuels et hommes politiques pour leurs déclarations et leurs écrits. Le 19 janvier, la Cour de cassation a confirmé la condamnation à un an de prison de Feridun Yazar, ancien président du parti pro-kurde HEP (Parti du travail du peuple), aujourd'hui interdit. La justice turque reproche à M. Yazar certains passages de son discours d'ouverture du 2ème congrès du HEP, le 19 septembre 1992. Le passage incriminé que les juges turcs considèrent comme " séparatiste " est le suivant : " uvrons pour la création d'un monde où, comme à la fondation de la République, chacun pourra vivre librement avec sa propre identité, où un Turc pourra vivre comme un Turc, un Kurde comme un Kurde, un Tcherkesse comme un Tcherkesse Arrêtons l'effusion du sang Discutons des raisons pour lesquelles le PKK recourt à la lutte armée, débattons, cherchons des solutions C'est parce que nous disons que le peuple kurde existe, un procès est intenté contre notre parti devant la Cour constitutionnelle. Le peuple kurde existe même s'il n'est pas reconnu dans la Constitution. Si la Constitution n'est pas de notre temps est-ce à nous la faute ? De Hakkari (extrême-est) à Edirne (extrême-ouest) la Turquie nous appartient. Elle appartient à tous ceux qui vivent dans ce pays. Nous, Kurdes, avons le droit de vivre avec notre identité kurde sur chaque portion du territoire de ce pays ". La Cour de sûreté de l'Etat n°1 d'Ankara, avait, en 1996, conclu que par ces propos l'accusé Feridun Yazar avait fait de la propagande séparatiste et l'avait condamné à un an de prison en vertu de l'article 8-1 de la loi de lutte contre la terreur qui sanctionne " le crime de propagande contre l'unité indivisible de l'Etat et de la Nation de la République de Turquie ". La Cour de cassation ayant confirmé cette condamnation l'ancien président de ce parti qui comptait à l'époque des faits une vingtaine de députés kurdes sera incarcéré dès la notification officielle du verdict.

Le 26 janvier, l'universitaire et journaliste turc Haluk Gerger, condamné à 10 mois de prison pour un article publié en 1993 dans le quotidien Özgür Gündem, depuis interdit, a été emprisonné. Avant son incarcération H. Gerger a tenu une conférence de presse au siège de l'Association des droits de l'homme (IHD) en présence de nombreux journalistes turcs et étrangers. Critiquant sa condamnation pour délit d'opinion, M. Gerger a dit que pour lui c'était un devoir et un honneur que de continuer le combat pour la paix et la liberté. " L'Etat turc protège la mafia et des assassins et punit les intellectuels et des pacifistes " a-t-il ajouté avant de conclure : " Nous continuerons de dire la vérité et d'essayer d'abriter les innocents. Nous ne pouvons pas rester indifférents contre la terreur fanatique de cette sale guerre ". De son côté, Akin Birdal, président d'IHD a vivement critiqué les nouvelles condamnations pour délit d'opinion prononcées par les tribunaux turcs : " les écrivains des pays civilisés attendent à l'entrée des opéras et des théâtres avec des billets dans leurs mains , cependant en Turquie les écrivains attendent aux portes de prisons avec des verdicts dans leurs mains ".

L'arrestation de H. Gerger, annoncée par les agences et dans la presse américaine, a suscité des réactions des organisations de défense des journalistes comme Reporters sans Frontières et Committee to Protect Journalistes qui ont écrit au Premier ministre turc pour dénoncer "cette violation du droit à la libre expression garantie par le droit international " et appeler le gouver-nement turc à "remplir ses engagements d'initier une réforme significative de la loi turque afin de mettre un terme à la criminalisation du journalisme en Turquie ".

Par ailleurs, le quotidien Sabah du 22 janvier a annoncé l'arrestation le 12 janvier à Ankara par la police politique turque de M. Hamdi Turanli, dit Hemres Reso, citoyen allemand d'origine kurde, président du Parti démocratique du Kurdistan de Turquie. Ce parti prône la reconnaissance des droits des Kurdes par des moyens pacifiques. Agé de 59 ans, M. Turanli souffre d'un cancer de pancréas et de diabète. Déféré devant la Cour de sûreté de l'Etat n°2 d'Ankara il a été incarcéré. A la suite de l'intervention du ministre allemand des Affaires étrangères Klaus Kinkel, est intervenu auprès de son homologue turc qu'il recevait à Bonn le 27 janvier, ce citoyen allemand à qui aucun acte violent n'est reproché a été remis en liberté après 42 jours de détention. La justice turque l'a ensuite condamné par contumace à 5 ans de prison.

Pendant ce temps l'un des chefs des commandos d'extrême droite, dont le nom est cité dans de nombreux assassinats politiques, y compris dans la tentative d'assassinat contre le Pape et dans des affaires de drogue, a été libéré le 26 janvier a Adana par la police turque après 2 jours de garde-à-vue. Celle-ci affirme que hormis une interdiction de quitter le territoire elle n'a rien de précis à reprocher à O. Çelik ! Le 28 janvier, toujours à Adana, deux correspondants du journal Kurtulus, Mehmet Topaloglu et Selahattin Akinci, ont été tués au cours d'une descente de police. Un troisième homme, qui se trouvait au domicile de Topaloglu et dont l'identité n'a pu être établie a également été tué. Un communiqué de la préfecture d'Adana parle de "gauchistes tués au cours d'affrontements avec la police " mais une dizaine d'organisations professionnelles contestant cette version officielle ont manifesté le 29 janvier devant l'Association des journalistes de Turquie (TGM) pour dénoncer "les assassinats par l'Etat de journalistes" et affirmer qu'on ne pourra pas faire taire la presse d'opposition.

Le 18 février l'Association des droits de l'homme a rendu public son bilan des violations des droits de l'homme commises en janvier 1998:

Meurtres non élucidés 7
Condamnations extrajudiciaires, morts à la suite de tortures subies ou morts en garde à vue 8
Actions à l'encontre de civils 3 morts, 2 blessés.
Disparitions 1
Personnes torturées 53
Nombre de personnes arrêtées 29
Personnes placées en garde à vue 4228
Nombre de villages et hameaux évacués 2
Nombre d'associations, de syndicats, d'organe de presse fermés 20
Nombre de publications saisies ou interdites 15
Détenus pour délits d'opinion 103



Par ailleurs, d'après les derniers chiffres publiés par le quotidien Milliyet du samedi 3 janvier 1997, la guerre au Kurdistan a causé la mort de 36 926 personnes, dont 26 532 combattants kurdes, 5 209 civils et 5 185 soldats turcs. Ce chiffre était de 28 000 à la fin de 1996. Le Président turc, Süleyman Demirel, a juré de continuer le combat. "Nous sommes déterminés à défendre notre intégrité territoriale jusqu'à la fin" a-t-il déclaré aux journalistes présents à sa conférence presse de fin d'année.

APRÈS L'INTERDICTION DU PARTI ISLAMISTE DE LA PROSPERITÉ, LA TURQUIE RETROUVE SON MULTIPARTISME MONOCOLORE

LA Cour constitutionnelle turque a, dans un arrêt daté du vendredi 16 janvier, interdit le parti islamiste de la Prospérité (Refah-RP), formation la plus importante du parlement, forte de 160 sièges. M.Necmettin Erbakan ainsi que quatre autres dirigeants du parti sont condamnés à cinq ans d'inéligibilité et sont écartés de la scène politique, pour "avoir violé les principes séculaires de la Constitution turque". Ce parti ayant plus de 4 millions de membres et soutenu par 6 millions d'électeurs est ainsi exclu de la scène politique sur la base des déclarations considérées comme anti-laïques d'une demi-douzaine de ses dirigeants: Parmi " les crimes anti-laïcs " reprochés au Refah, le refus du maire de Kayseri, ville turque d'un million d'habitant d'Anatolie centrale, d'assister aux cérémonies officielles obligatoires marquant l'anniversaire de la mort d'Atatürk, le 10 novembre 1938.

Les militaires qui au nom du "respect des principes éternels d'Atatürk" ont depuis 1960, fait trois coups d'Etat pour punir et écarter de la vie politique du pays les hommes politiques et les partis qui à leurs yeux déviaient de "la voie d'Atatürk" n'ont plus besoin de coup d'Etat pour obtenir les mêmes résultats. La constitution qu'ils ont imposée au pays en 1982, les institutions politiques (Conseil de sécurité nationale, MGK) et judiciaires (Cours de Sûreté de l'Etat) mises en place dans le cadre de cette Constitution, des juges et procureurs placés dans les postes clé de l'appareil judiciaire leur permettant de museler les partis et hommes indésirables quand ils veulent, sans sortir les chars de leurs casernes, par une sorte de coup d'Etat permanent habillé de juridisme.

Après l'interdiction des partis pro-kurdes (HEP, DEP, DPP) et l'embastillement des députés kurdes, voici que le premier parti politique turc du pays est interdit. Dans un pays où les pluralismes culturel et linguistique sont bannis au nom de la défense de "l'unité de la Nation" le multipartisme se réduit désormais aux multiples nuances d'ataturkisme; ataturkisme de droite (ANAP, DYP), de centre gauche (CHP), d'extrème droite (MHP) ou ultra-nationaliste (DSP).

Après l'interdiction de leur parti les dirigeants du Refah ont appelé leurs partisans au calme. "Un nouveau parti, une nouvelle formation avec un nouveau leader, sera formé dans le cadre des lois en vigueur" a déclaré Lütfü Esengün, ancien membre du cabinet islamiste. Vural Savas, le procureur qui a pousuivi l'affaire, a quant à lui souligné que tout nouveau parti qui agira dans la continuation dudit parti interdit, aura le même sort.

Au sein de la classe politique de nombreuses voix s'élèvent contre cette décision au nom de la démocratie, du multipartisme, des droits de l'homme. Certains médias n'oublient cependant pas de rappeler les réactions rencontrées lors de la dissolution du Parti de la Démocratie (DEP), le 16 juin 1994 et soulignent que ces mêmes pricipes ont été écartés avec la complaisance de toute la classe politique. Pis encore, Mme Tansu Çiller, défenseur de la cause du parti islamiste aujourd'hui, avait soutenu activement la dissolution du parti travailliste du peuple (HEP), intervenue le 14 juillet 1993. A la tête du gouvernement, elle avait écarté la thèse de la démocratie, en criant haut et fort dans des meetings "Nous avons jeté le PKK hors du Parlement".

Le Président et le Premier ministre turcs ont, pour la forme, "regretté" l'interdiction du Refah tout en soulignant que "la Justice est indépendante en Turquie" et que "nul n'est au-dessus des lois". Les réactions internationales ont également été mesurées. Un porte-parole du Département d'Etat américain a "regretté cette interdiction qui réduit le pluralisme politique de la démocratie turque" tout en affirmant "sa confiance dans l'avenir de cette démocratie". Washington ne juge pas nécessaire d'ajourner les visites prévues des responsables américains en Turquie.

L'Union européenne a "déploré" l'interdiction de Refah tandis que Paris se dit "soucieux du pluralisme en Turquie", plusieurs pays arabes ont dénoncé "la persécution des musulmans en Turquie". Pour la Syrie, "la Turquie suit la voie de l'Algérie". En Israël, le président de la Knesset, Dan Tikhon a d'abord déclaré que cette décision le faisait "douter de la démocratie turque". "Il y avait deux démocraties au Moyen-Orient et maintenant il n'y en a plus qu'une, Israël" a-t-il ajouté devant une délégation d'attachés militaires en poste à Tel-Aviv. Cette déclaration ayant été amplifiée par les média turcs, M. Tikhon attendu, début février, en visite officielle en Turquie s'est excusé le 19 janvier en affirmant qu'il n'avait "aucune intention d'offenser la Turquie".

La dissolution du Parti islamiste de la Prospérité (RP) par la Cour Constitutionnelle turque est devenue effective samedi 21 février suite à la publication de la décision dans la Gazette officielle turque. Le bureau du Président du Parlement a indiqué que sept chefs d'accusation étaient retenus contre le leader du parti islamiste Necmettin Erbakan qui a été déchu de son siège du Parlement et interdit d'activité politique pendant cinq ans. Trois autres anciens députés islamistes, dont Sevki Yilmaz, en fuite en Allemagne et inculpé de 25 chefs d'accusation risquent de poursuites pour "avoir menacé le système laïc en Turquie". La justice turque a d'ores et déjà lancé des mandats d'arrêt à l'encontre des députés qui ont perdu leurs sièges au Parlement turc. L'accusation comprend la tenue de meetings politiques illégaux et l'incitation à la haine. Le dossier de M. Erbakan, déposé sur le bureau du Premier ministre turc Mesut Yilmaz, sera envoyé au ministère de la Justice et puis remis à la Cour.

Malgré l'interdiction, 150 députés islamistes gardent leurs sièges au Parlement. La plupart de ces élus, soit 112, se sont inscrits sur la liste d'un nouveau parti appelé le Parti de la Vertu (Fazilet), présidé par Ismail Alptekin.

Le parti de la Prospérité (RP) est le vingt et unième parti à être interdit en Turquie. Deux partis avaient été dissous avant même l'établissement de la Cour Constitutionnelle par la Cour criminelle. Instituée par la Constitution de 1960, la Cour Constitutionnelle a interdit six partis jusqu'au coup d'état militaire de 1980:

Le Parti des Travailleurs et des Paysans (ICP)
Le Parti de l'Ordre National (MNP) de N. Erbakan
Le Parti pour le Futur Idéal de la Turquie (TIUP)
Le Parti Ouvrier de Turquie (TIP)
Le Parti de la Grande Anatolie (BAP)
Le Parti des Travailleurs de la Turquie (TEP).


Depuis 1983, les 15 partis qui ont été interdits sont les suivants:
Le Parti de la Grande Anatolie (BAP- dissous une seconde fois)
Le Parti Socialiste
Le Parti des Verts
Le Parti du Travail du Peuple (HEP)
Le Parti Communiste unifié de Turquie (TBKP)
Le Parti de la Démocratie et de la Liberté
Le Parti Socialiste de Turquie
Le Parti de la Démocratie (DEP)
Le Parti Démocrate (dissous une seconde fois)
Le Parti de la Démocratie et du Changement
Le Parti de la Renaissance
Le Parti du Travail
Le Parti de l'Union Socialiste
Le Parti de la Prospérité.


Alors que le procès du Parti de la Masse Démocratique (DKP) est toujours en cours devant la Cour Constitutionnelle, la commission parlementaire sur la Constitution discute une proposition d'amendement relatif à la loi sur les partis politiques. La proposition en question interdit aux partis politiques dissous de se rétablir sous différents noms et interdit aux personnes qui ont été impliquées dans l'interdiction de leurs partis d'occuper une fonction politique pendant cinq ans.

WASHINGTON : LE RAPPORT ANNUEL DU DÉPARTEMENT D'ÉTAT AMÉRICAIN CRITIQUE À NOUVEAU LA SITUATION ACCABLANTE DES DROITS DE L'HOMME EN TURQUIE

LE Département d'État américain a rendu, vendredi 30 janvier, public son rapport annuel sur la situation dans divers pays du monde. Ce rapport officiel présenté au Sénat, consacre une large place à la situation des droits de l'homme en Turquie. Entre autres abus, il énumère des cas de torture de prisonniers, "les assassinats mystérieux", évoque le sort du peuple kurde et la détention de douzaines de journalistes. Selon le Département d'État, les efforts en matière des droits de l'homme, entrepris par le Premier ministre Mesut Yilmaz depuis le mois de juillet, date de sa prise de pouvoir, ne sont pas suffisants.

Voici des extraits de la section de ce rapport consacrée à la Turquie:

"Dans les six provinces en état d'urgence, le gouverneur de la région autorise les forces de sécurité à opérer des perquisitions sans aucun mandat, aussi bien chez l'habitant que dans les locaux des partis politiques, de commerçants, d'associations, ou de toutes autres organisations. Selon l'Association du Barreau, autoriser les forces de sécurité dans ces provinces à procéder à des recherches, arrestations ou saisies sans mandatest contraire à la Constitution. Au total, six provinces conservent un statut de "province adjacente", autorisant la Gendarmerie (Jandarma) à endosser la responsabilité de la sécurité, à la fois dans les municipalités comme dans les régions rurales, concédant ainsi des pouvoirs extraordinaires au gouverneur de la province

les forces gouvernementales aussi bien que les terroristes du PKK ont commis entre eux mais également à l'égard des civils, des violations des droits de l'homme. Selon le gouvernement, de 1984 jusqu'en novembre 1997, 26 532 membres du PKK, 5 185 membres des forces de sécurité et 5 209 civils sont morts dans le conflit.

Dans le but d'affaiblir le soutien logistique du PKK, le gouvernement a rationné nourriture et autres besoins de première nécessité dans la province de Tunceli, le village de Tepe, autour de Lice (province de Diyarbakir) et dans la province de Bingöl, créant de sévères et importantes disettes parmi la populationSelon des responsables des organisations locales des droits de l'homme, Tepe a été bloquée par des militaires pendant deux mois en représailles au meurtre d'un gardien de village par le PKK.

En novembre, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Turquie à trois reprises pour avoir violé l'article 8 (droit au logement). Dans ces trois affaires les forces de sécurité avaient brûlé les maisons des plaignants en 1993. La Cour a mis l'accent sur le fait que le procureur n'avait pas mené d'investigations significatives concernant ces dossiers

En raison des déplacements de population et d'un conflit s'acheminant vers les montagnes, les forces de sécurité ont évacué et détruit moins de villages que dans les années précédentes Journalistes et responsables des organisations des droits de l'homme se sont vus interdire l'accès au village de Lice où nombreux villageois ont été placés en détention par la police pour avoir refusé de devenir gardien de village.

Le nombre exact de personnes déplacées des villages du Sud-Est depuis 1984 reste inconnu. De nombreuses estimations s'accordent sur un chiffre de 2600 à 3000 villages et hameaux vidés de leurs habitants

Les programmes gouvernementaux d'aide aux villageois évacués apparaissent insuffisants. Les responsables locaux et provinciaux réalisent néanmoins des efforts pour leur fournir des besoins de première nécessitéRestent nombreux, les migrants vivant dans des endroits surpeuplés, aux conditions de vie insalubres avec très peu de perspectives de travail.

Selon le gouvernement, 7 608 personnes sont retournées dans 61 villages du Sud-Est cette année

Le gouvernement organise, arme et finance une force de défense civile dans la région, connue sous le nom de gardiens de villageSi les villageois sont d'accord pour servir, le PKK prend pour cible leur village. Si les villageois refusent de participer, les forces de sécurité peuvent réagir contre eux et leur village. Les gardiens de village ont la réputation d'être les moins bien entraînés et disciplinés parmi les forces de sécurité du Gouvernement. Ils sont fréquemment accusés de corruption, de crimes de droit commun et de violations des droits de l'homme. Outre ces derniers, la Gendarmerie (Jandarma) et les "équipes spéciales" de la police sont considérées comme étant les plus responsables des abus perpétrés.

Le gouverneur régional de l'état d'urgence a le pouvoir de censurer les journaux, d'interdire les grèves ou les lockouts et d'imposer des exiles internesSeul un recours judiciaire limité peut être formulé contre les décisions administratives du gouverneur.

D'après les chiffres gouvernementaux, 3 223 écoles primaires restent fermées dans les 22 provinces d'Est et du Sud-Est, pour des raisons de sécurité ou par manque d'enseignants

L'armée de terre turque a mené à l'aide d'un soutien aérien plusieurs opérations dans le nord de l'Irak contre le PKK au cours de cette année. D'après les rapports de la presse, le gouvernement y a envoyé en mai entre 25 000 et 50 000 soldats et en septembre entre 8 000 et 15 000 soldats. En novembre, l'armée turque a combattu le PKK et l'Union Patriotique du Kurdistan (UPK) au côté du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK)Les forces turques avaient strictement limité l'accès à la presse durant ces opérations"

Par ailleurs, le rapport "Liberté de presse dans le monde en 1997" de l'Institut de la Presse Internationale, place la Turquie parmi les pays qui violent le plus massivement la liberté de presse. Le rapport concernant 150 pays rendu public le 5 février 1998, consacre plus de deux pages à la Turquie. Il établit que le gouvernement turc n'a pas encore honoré les promesses faites en faveur de la liberté de presse et que plus de 70 journalistes restent emprisonnés en Turquie. Toujours selon le rapport, après l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Mesut Yilmaz, en juillet 97, quelques espoirs ont existé pour la libération des journalistes, mais seuls les éditeurs ont bénéficié de la loi d'amnistie, laissant de côté de nombreux femmes et hommes de presse. Le rapport souligne également que le meurtre du journaliste Metin Göktepe n'a pas encore été élucidé.

AINSI QUE....

LA TURQUIE CONDAMNÉE POUR LA DISSOLUTION D'UN PARTI POLITIQUE


Le 30 janvier, la Cour européenne des droits de l'homme a, pour la première fois, condamné la Turquie pour la dissolution abusive du Parti communiste unifié de Turquie (TBKP). Selon la Cour, le gouvernement turc a, dans cette affaire, violé l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme qui garantit la liberté d'association. Elle a accordé une somme de 120.000 FF pour frais et dépens à deux anciens dirigeants de ce parti.

Le TBKP fondé le 4 juin 1990 avait été interdit dès le 14 juin. Depuis 1994, 14 partis politiques ont été interdits en Turquie. Quatre d'entre eux, dont les partis pro-kurdes HEP et DEP, ont déposé des plaintes devant la Cour européenne qui les a toutes déclarées " recevables " et les instruit. Après sa dissolution le 16 janvier le Refah, première formation politique du pays, avait annoncé qu'elle déposerait formellement une plainte devant la Cour européenne. Mais cette perspective n'émeut pas outre mesure le gouvernement turc. L'un des dirigeants de la coalition au pouvoir, Husamettin Cindoruk, par ailleurs avocat et ancien président du Parlement turc, a déclaré le 31 janvier à l'Agence de presse Antatolie que les condamnations de la Cour européenne n'étaient pas graves et que " le Refah obtiendra probablement la même chose que le TBKP. Au pire nous aurons une amende " a-t-il commenté. Les amendes prononcées par la Cour européenne font désormais partie des pertes et profits calculés du régime et de son " damage controling system " .

Le 19 février, la Cour Européenne a condamné par huit voix contre une la Turquie dans une autre affaire. Le 25 mars 1993, Abdulmenaf Kaya, d'origine kurde, avait été tué par balles près de son village de Dolunay dans la région du Kurdistan. A la suite de la requête introduite à Strasbourg par le frère de la victime, la Cour a estimé que "l'enquête menée par les autorités était à bien des égards insuffisante", sans pour autant être en mesure de conclure sur la "légalité" de sa mort. Partie à l'affaire, le gouvernement turc affirmait que la victime était morte les armes à la main, au cours d'un accrochage entre l'armée et des membres de PKK. La Cour, "frappée" par l'attitude du procureur turc qui avait admis "sans se poser de questions" les allégations des forces de sécurité turques- l'autopsie ne mentionnait ni le nombre de balles ni la distance de tir- a rappelé que "l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme implique et exige de mener une forme d'enquête officielle lorsque le recours à la force, par des agents de l'État, a entraîné mort d'homme".

POUR L'ALLEMAGNE LE PKK N'EST PLUS "UNE ORGANISATION TERRORISTE" MAIS "UNE ORGANISATION CRIMINELLE"


C'est ce qu'a déclaré le 13 janvier à Karlsruhe le procureur fédéral Kay Nehm. Selon lui, le PKK a désormais renoncé à sa stratégie précédente qui a conduit à des incendies répétés contre des cibles turques en Allemagne et de ce fait peut dorénavant être classé comme une "organisation criminelle". "Depuis août 1996 il y a eu quatre cas d'incendies avec une implication prouvée du PKK et ils apparaissent comme une déviation de la ligne du parti" a encore ajouté M. Nehm au cours d'une conférence de presse. Le procureur suprême d'Allemagne affirme que le PKK sera considéré comme "une organisation criminelle à cause des preuves le liant à des extorsions de fonds, des ports d'armes et autres activités illégales".

Cette nouvelle qualification signifie que les procureurs allemands ne pourront plus poursuivre des militants du PKK d'appartenance à une organisation terroriste, crime passible de 10 ans de prison. L'appartenance à une organisation criminelle est passible de 5 ans de prison maximum. Dans une conférence de presse donnée le même jour le ministre allemand de l'Intérieur a déclaré que le PKK continuera d'être interdit en Allemagne et que la nouvelle qualification retenue par le procureur fédéral n'aura pas d'effet sur cette interdiction.

La Turquie, par la voix de son vice-Premier ministre, a très vivement réagi. Pour M. Ecevit la décision allemande signifie: "Faites ce que vous voulez en Turquie, tuez femmes et enfants, mais ne faites pas d'attaques sur notre sol. C'est ça l'attitude des Allemands. Peu leur importe que le serpent vive mille ans, tant qu'il ne les mord pas" a-t-il déclaré le 14 janvier aux députés turcs, paraphrasant un proverbe turc. Le même jour le chancelier Kohl a déclaré qu'il "regrettait profondément la discussion en cours en Turquie à ce sujet".

ARRESTATION DE 7 DIRIGEANTS DU HADEP


La police turque a, le 12 février, arrêté les principaux dirigeants du parti légal pro-kurde HADEP. Ces arrestations ont été décidées par le procureur en chef de la Cour de Sûreté de l'État d'Ankara qui accuse le HADEP de "propagande séparatiste" dans un calendrier 1998 édité et diffusé par ce parti. Les personnes arrêtées sont: Murat Bozlak, président du HADEP; Mehmet Satan, vice-président du HADEP; Hamit Geylani, secrétaire général; Zeynettin Unay, secrétaire général-adjoint, ainsi que deux membres du comité exécutif du HADEP, Ali Riza Yurtsever et Melik Aygul qui ont été écroués le 16 février et inculpés d'appartenance à "une organisation séparatiste". Ils resteront jusqu'à leur procès en détention préventive à la prison centrale d'Ankara où Leyla Zana et ses trois collègues députés kurdes purgent depuis près de 4 ans des peines de prison de 15 ans. Les dirigeants du HADEP risquent aussi d'être condamnés à 15 ans de prison car ils sont poursuivis pour les mêmes chefs d'accusation que les députés kurdes.

Par ailleurs, la Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir a engagé des poursuites contre le maire islamiste d'Istanbul, Tahip Erdogan. La Cour lui reproche d'avoir, dans un discours prononcé dans la ville kurde de Siirt, (qui est du ressort de la Cour de Diyarbakir) dans lequel il aurait incité la population à la guerre sainte. Dans le discours incriminé M. Erdogan avait dit "nos fusées sont nos minarets, nos casernes les mosquées, et notre armée, les fidèles". Il affirme que ces propos visaient à indiquer à l'opinion que les islamistes récusaient la violence et la militarisation de leur mouvement qu'ils ne comptaient que sur leurs foi et sur leur conviction. Il risque trois ans pour cette phrase incriminée. Un dirigeant du Refah-dissous, l'ancien ministre Abdullah Gül a indiqué que le procureur de Diyarbakir avait engagé ces poursuites sur ordre du ministre de la Justice et que l'objectif était de criminaliser les maires et les députés islamistes qui sont appréciés de la population. Considéré comme un personnage-clé pour la réorganisation du mouvement islamiste, le maire d'Istanbul, âgé de 43 ans, fait partie des cibles favorites des militaires engagés dans la décapitation des mouvements kurde et islamistes qu'ils considèrent comme des périls pour leur État ataturkiste pur et dur.

LA TURQUIE DANS LA LISTE DES PAYS PARTICULIÈREMENT TOUCHÉS PAR LE BLANCHIMENT DE L 'ARGENT


D'après l'International Narcotics Control Strategy Report (INSCR) du Département d'État américain, la Turquie figure dans la liste "Premiers concernés", liste révélant les pays touchés en priorité par le blanchiment d'argent. Le transport illégal des biens commerciaux, "le commerce de valise" est une des majeures sources des fonds qui sont blanchis. Les casinos mais également les industries de construction sont tout autant soupçonnés de servir au blanchiment. A ce titre, le Parlement turc avait adopté une loi en août 1997 demandant la fermeture de tous les casinos dans les six mois à venir, loi qui vient finalement d'entrer en vigeur sur le territoire turc. Cependant les casinos sont plus nombreux et actifs que jamais en Chypre du Nord sous occupation turque.

Le rapport dénonce également l'importance de la Turquie qui sert très largement de transit au marché de l'opium partant du sud-ouest asiatique vers l'Europe et met l'accent sur le fait que de nombreuses laboratoires de purification de l'opium utilisées pour transformer la base morphine en héroïne sont installées sur le sol turc. Selon la même source, environ 75% de l'héroïne saisie en Europe est confectionné ou sorti de la Turquie. Le Département d'État américain estime que quatre à six tonnes d'héroïne y transitent chaque mois à destination de l'Europe d'Ouest et que trois quart de l'héroïne consommé en Europe y sont originaires.

Selon le rapport, par des "taxes" exigées des trafiquants ou encore en raffinant les produits, le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) joue aussi un rôle dans ce marché.

La corruption en Turquie a également attiré l'attention des autorités américaines, à ce titre, le scandale dit de "Susurluk" mettant en lumière les relations très étroites entre les responsables publics et les parlementaires avec les trafiquants de drogue, le blanchiment d'argent et les meurtres extrajudiciaires, a été souligné dans le rapport. Reprenant le témoignage d'un haut responsable de la police devant une commission parlementaire, le quotidien Hürriyet avait révélé dans ses colonnes que le trafic de drogue avait rapporté à la Turquie $25 milliards en 1995 et $37,5 milliards en 1996.

LES FIRMES AMÉRICAINES VONT PARTICIPER AU MARCHÉ DE 145 HÉLICOPTÈRES LANCÉ PAR LA TURQUIE


Les firmes américaines ont finalement eu le feu vert de Washington pour participer au marché d'achat de 145 hélicoptères, lancé par la Turquie. Fin décembre, en plein milieu de la trêve des confiseurs, les autorités américaines leur ont accordé la permission de présenter des offres pour ce marché après une longue hésitation et de lourdes pressions du lobby industriel américain. En novembre 1997, irritée par les réticences américaines, la Turquie avait annulé une commande antérieure d'achat de 10 Cobras. La Turquie envisage dans un premier temps d'acheter 45 hélicoptères lourdement armés et puis 145 autres ultérieurement. Le contrat se chiffre à $3 milliards. La Turquie a d'ores et déjà 40 hélicoptères Cobras, qui sont comme les Cougars français utilisés dans la guerre au Kurdistan.

En février 1997, la Turquie avait signé un contrat de $113 million pour l'achat de 4 hélicoptères Sea Hawk. Ses accords ont également atteint la somme de $430 million avec le consortium germano-français Eurocopter.

L'ARMÉE RENVOIE À MME ÇILLER "SON APPEL À LA DÉMOCRATIE"


Au nom de la défense de la démocratie, Mme Çiller avait le 28 décembre lancé un appel demandant l'arrêt des poursuites légales contre le parti islamiste Refah. Son ex-partenaire de coalition. Elle a cru devoir faxer une copie de son appel au bureau du chef d'État-major des armées qui dans cette affaire joue un rôle décisif.

Le jour même, elle a eu droit à une réponse cinglante reproduite à la Une du quotidien Milliyet du 29 décembre: " les forces armées turques sont une institution sérieuse. Elles n'ont pas de temps à consacrer à des sujets hors de leur domaine d'intérêt et de compétence; de ce fait le texte que vous nous avait faxé vous est renvoyé ci-joint sans être porté à la connaissance du Commandement. Signé: Hüsnü Dag, colonel d'artillerie, chef du Bureau de relations avec la presse et le public".

L'ancien Premier ministre, qui fut pendant des années une mascotte de l'armée et qui se fit une propagandiste zélée des militaires n'a apparemment même pas droit à un minimum d'égards et de politesse de la part des tout puissants généraux turcs.

PAS D'AIDE POUR LA TURQUIE ET LA GRÈCE DANS LE BUDGET AMÉRICAIN DE L'ANNÉE 1999


Le nouveau budget fédéral des États-Unis pour l'année fiscale 1999 n'inclue aucune aide militaire étrangère (FMF) pour la Turquie et la Grèce. Le fonds de soutien économique d'un montant de $22 millions accordé à la Turquie a été également éliminé. Ankara recevra un montant symbolique de $1,5 millions pour l'année 1999 dans le cadre du programme d'entraînement et d'éducation militaire international (IMET). La suppression de l'aide militaire dont les montants étaient au cours des dernières années, devenus de plus en plus symboliques n'affectera pas outre mesure la coopération militaire turco-américaine. L'armée turque vient d'indiquer qu'elle avait engagé des négociations avec la firme Boeing pour l'achat d'avions F15. Dans le cadre d'un accord avec la firme Lockheed la Turquie co-produit des bombardiers F16, mono-réacteur. La Grèce ayant décidé de se doter des F15, l'armée turque ne veut pas être en reste. Elle veut acquérir des F15 dernier cri, bi-réacteur, dont le prix à l'unité est estimé à $60 millions.

LE CONSEIL NATIONAL DE SÉCURITÉ DEMANDE LA PROLONGATION DE L'ÉTAT D'URGENCE DANS LE SUD-EST KURDE


Le Conseil Nationale de Sécurité, a au cours de sa réunion du jeudi 26 février 1998, préconisé une prolongation de quatre mois à partir du 31 mars, de l'état d'urgence dans les six provinces kurdes -Diyarbakir, Hakkari, Siirt, Sirnak, Tunceli et Van- Cette mesure qui donne des pouvoirs extraordinaires au gouvernement et aux responsables de l'armée, a suscité de vives critiques en Turquie et en Occident en raison des violations des droits de l'homme. La plupart des provinces kurdes sont placées sous l'état d'urgence depuis 1979. Au cours des 75 ans de l'existence de la République turque, les kurdes de Turquie ont au total vécu pendant 53 ans sous des régimes d'exception de loi martiale, état de siège, état d'exception, etc...