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Bulletin N° 147 | Juin 1997

 
tags: N° 146-147 | mai-juin 1997

Ankara : INTERDICTION D'UNE CONFÉRENCE INTERNATIONALE POUR «UN RÈGLEMENT PACIFIQUE DE LA QUESTION KURDE EN TURQUIE»

CETTE conférence pacifique, qui devait se tenir les 8 et 9 mai à Ankara, était organisée par l'Association des droits de l'homme de Turquie avec le soutien d'une dizaine d'ONGs et de syndicats turcs, dont l'Union des chambres de médecins (TTOB), l'Union des chambres d'architectes et d'ingénieurs (TMMOB) et la Confédération des employés des services publics (KESK) qui représentent au total plus d'un million de citoyens. Elle bénéficiait également de l'appui d'une trentaine d'ONGs d'une douzaine de pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Parmi celles-ci, la Fondation Olof Palme de Suède, la Fondation André Sakharov, CCFD, France-Libertés, Médecins du Monde, la Fédération Internationale des ligues des droits de l'homme, Minority Rights Group, Norwegian Labour Movement (LO). Une soixante de personnalités occidentales, dont Mme Mitterrand, Mme Claudia Roth, M. Bernard Kouchner et plusieurs parlementaires européens devaient assister à cette conférence se tenant au Grand Hotel Ankara, avec la participation de plus de 500 personnalités turques et kurdes représentatives des partis politiques légaux, du mouvement syndical, du monde associatif, des milieux intellectuels et des media. Les ministres des Affaires étrangères danois et suisse avaient apporté leur soutien à la Conférence et indiqué soit qu'ils y assisteraient personnellement soit qu'ils s'y feraient représenter.

Préparée et annoncée depuis plusieurs mois, cette conférence a été interdite, in extremis, le lundi 5 mai en fin de matinée par un arrêté préfectoral signé d'un «directeur de sûreté de 3ème classe» invoquant «la présence de certaines personnes et organisations menant des activités contre notre pays», «les atteintes à l'intégrité indivisible de l'Etat avec son Territoire et sa Nation» et le risque de provoquer «un climat de troubles».

Malgré cette interdiction et de nombreuses tracasseries administratives et policières, plus d'une quarantaine de personnalités occidentales se sont rendues à Ankara pour témoigner de leur solidarité avec les pacifistes turcs et kurdes qui essaient, dans des conditions très périlleuses - près de 3500 démocrates kurdes et turcs ont été assassinés depuis 1992 par des escadrons de la mort des forces paramilitaires turques et 84 journalistes ont été emprisonnés en 1996 pour délit d'opinion -, de défendre des valeurs de démocratie, de paix et de respect d'autrui dans un pays dominé par le militarisme, l'ultranationalisme, la violence et l'intolérance, déchiré par la guerre et la montée de l'islamisme.

Une vingtaine de parlementaires turcs et six anciens ministres, de tous bords, ont tenu à prendre ostensiblement part aux dîners-débats et à la conférence de presse organisés, sous l'étroite surveillance policière en remplacement du programme de la Conférence Internationale interdite. Onze ministres en exercice (sept du Refah islamiste et quatre du Parti de la Juste Voie de Mme Çiller) ainsi que le vice-président de l'ANAP, principale formation de l'opposition parlementaire, ont envoyé des messages de solidarité aux organisateurs laissant clairement entendre que la mesure d'interdiction émanait du Conseil de sécurité nationale dominé par les militaires. Une vingtaine de participants occidentaux ont tenu à se rendre en visite à la capitale kurde Diyarbakir où ils ont pu rencontrer des représentants du barreau, de la Chambre du commerce et de l'industrie, de l'Ordre des médecins et de la Plate-forme démocratique qui regroupe les associations locales afin de s'informer directement du sort de la population kurde. Par ailleurs, la délégation qui s'est rendue à Diyarbakir, a souhaité se rendre au village de Gir (Tepe) dans le district de Lice, pour enquêter sur le sort de la population civile sous embargo alimentaire et encerclée par les militaires depuis le mois de mars dernier; l'accès du village leur a été interdit par les militaires 30 km avant d'arriver dans le village, «pour raisons de sécurité».

Malgré l'embargo décrété par le «Bureau des médias» de l'état-major des armées sur cette initiative importante de la société civile plusieurs journaux turcs et une télévision privée ont informé le public de ces événements. Une dizaine d'ambassades, dont celles des États-Unis, d'Allemagne, d'Espagne, d'Italie, de Grande-Bretagne, de Suisse et des pays scandinaves ont tenu à se faire représenter à la Conférence de presse-marathon qui s'est tenue le jeudi 8 mai de 9h 30 à 13h30 au Grand Hotel Ankara avec les participants occidentaux, turcs et kurdes. On a toutefois remarqué l'absence de représentants de la France. Selon plusieurs sources, cela s'expliquerait par les négociations en cours entre Paris et Ankara pour la vente à la Turquie d'une centrale nucléaire et de chars Leclerc. En échange de ce contrat, Paris se ferait l'avocat de la Turquie au sein de l'UEO et de l'Union européenne. Déjà le 12 février dernier, devant l'hostilité du Congrès à des ventes d'hélicoptères américains à l'armée turque, qui, selon un rapport très documenté de Human Rights Watch, les utilise contre les populations civiles kurdes et dans les destructions de villages kurdes (de source officielle 2674 villages kurdes ont été « évacués « depuis 1992 (les ONGs locales parlent de la destruction de 3185 villages), la Turquie avait conclu avec Paris un contrat de 400 millions de dollars pour l'acquisition de 30 hélicoptères Cougars AS-532 qui s'ajoutent aux 20 autres achetés en 1994.

A Washington, le porte-parole du Département d'État, M. Nicholas Burns a, le 9 mai, réagi en ces termes à l'interdiction de la Conférence : «Je sais que de nombreuses ONGs européennes, turques et américaines s'organisaient à Ankara pour discuter de leur espoir d'un règlement pacifique du problème kurde en Turquie. Nous soutenons fortement l'objectif de cette conférence. Nous avons montré publiquement notre soutien parce que nous avons envoyé à la Conférence des membres de haut rang de l'équipe de notre ambassade d'Ankara (.). Nous regrettons beaucoup la décision du gouvernement turc d'interdire la Conférence. Nous avons compris que malgré cela, la plupart des conférenciers ont pu se réunir informellement, malgré l'interdiction du gouvernement turc, et cela est un développement encourageant car nous croyons que c'est dans l'intérêt à long terme de la Turquie que ces questions soient discutées librement et ouvertement en Turquie».

En interdisant à Ankara même une conférence pacifique de réflexion et d'information, réunissant des experts, des universitaires, des personnalités connues pour leur combat en faveur de la paix et de la démocratie, le pouvoir turc a fourni au monde entier la preuve incontestable que la liberté d'expression est un leurre en Turquie. La présence ouverte et massive des caméras de la police à l'entrée de l'hôtel et lors des dîners réunissant les personnalités locales et étrangères, ont mis en lumière de façon caricaturale la nature policière de l'État turc.

Outrés par ce qu'ils ont vu à Ankara et à Diyarbakir, les délégués scandinaves ont dès leur retour, alerté les autorités et les personnalités de leurs pays. Quelques jours plus tard, quatre anciens haut dirigeants nordiques, M. Anker Joegensen, ex-Premier ministre du Danemark; M. Ulf Sundqvist, ancien ministre et dirigeant du parti social-démocrate finlandais; Madame Vigdis Finnbogardottir, ancien président d'Islande et M. Ingvar Carlsson, ancien Premier ministre suédois, ont lancé un appel pressant pour la paix et la démocratie en Turquie. "La Turquie est membre du Conseil de l'Europe et de l'OTAN, deux organisations dont la promotion des droits de l'homme est une tâche importante dans les Etats-membres. Nous nous adressons aux gouvernements nordiques pour qu'ils demandent à la Commission des droits de l'homme de l'ONU de nommer un rapporteur spécial et que le dit rapporteur fasse un rapport, en allant sur place, sur les violations des droits de l'homme à l'encontre des Turcs et des Kurdes" soulignent-ils dans leur appel. Ils ajoutent que si la Turquie désire améliorer ses relations avec les autres États faisant partie des organisations internationales telles que le Conseil de l'Europe, l'Union européenne, l'OSCE..etc, le système juridique doit changer dans ce pays. Enfin, ils concluent leur appel en s'adressant aux gouvernements de leurs pays respectifs dans les termes suivants: "Nous exigeons des gouvernements nordiques de maintenir un dialogue critique avec la Turquie et de se rendre disponibles à offrir leur aide à la Turquie afin de renforcer la démocratie et les droits de l'homme, qui sont des valeurs qui constituent la pierre angulaire des pays auxquels la Turquie désire instamment s'associer".

FORMATION D'UN NOUVEAU CABINET TURC APRÈS LA DÉMISSION FORCÉE DE M. ERBAKAN

LE nouveau cabinet turc formé par Mesut Yilmaz et approuvé, le 30 juin, par le président Demirel comporte 38 membres, dont 7 transfuges du Parti de la Juste voie (DYP) de Mme. Çiller. Grâce à des transferts de députés réalisés au cours des deux dernières semaines de juin il dispose d'une majorité de 3 voix et semble assuré d'obtenir le 12 juillet prochain l'investiture du Parlement. Cependant, cette majorité théorique reste fragile. Les trois partis formant la coalition, l'ANAP (parti de la Mère-patrie, 132 sièges) de M. Yilmaz, le DTP (parti de la Turquie démocratique, 12 sièges) de H. Cindoruk et le DSP (parti de la Gauche démocratique, 67 sièges) de B. Ecevit, ne disposent ensemble que de 248 sièges sur 550. Outre les 49 voix du Parti républicain du peuple (CHP) de Deniz Baykal qui a promis de soutenir le gouvernement "jusqu'aux élections anticipées", celui-ci doit s'assurer les voix de 17 députés indépendants et celles des 2 députés du Parti de l'Action nationaliste (MHP), extrême droite. S'il parvenait à passer l'épreuve du vote d'investiture, il aura du mal à maintenir cette coalition hétéroclite formée à coup de promesses de portefeuilles ministériels et de millions de dollars. L'ex-Premier ministre Erbakan et Mme. Çiller dénoncent publiquement "le gouvernement des militaires et des salles des jeux (Kumarhane)", affirmant qu'il a été formé à la demande de l'armée et grâce à des millions de dollars provenant des salles de jeux pour financer le débauchage et les transferts des députés.

Autre fragilité de la coalition: le soutien conditionnel du CHP. Celui-ci ne soutiendra "le gouvernement laïc que le temps d'organiser dans de bonnes conditions de nouvelles élections anticipées". Son chef, M. Baykal, accorde un délai de 6 mois, ce qui fait dès maintenant grincer les dents de son rival, l'ultra-nationaliste Bulent Ecevit, "le conquérant de Chypre", qui l'âge de 72 ans devient vice-Premier ministre.

Le protocole signé entre les partenaires de la coalition prévoit la mise en oeuvre rapide des mesures demandées depuis fin février par l'armée. L'organisation d'un recensement de la population, la mise à jour des registres électoraux, la limitation du champ de l'immunité parlementaire et "la lutte contre la corruption". Le problème kurde n'est même pas mentionné dans ce protocole qui, en revanche, souligne "la nécessité de poursuivre avec détermination la lutte contre le terrorisme".

La naissance au forceps du nouveau cabinet turc est l'uvre des militaires. L'épreuve de force engagée entre l'armée et la coalition gouvernementale dirigée par le Premier ministre islamiste a conduit à la démission forcée de M. Erbakan, présentée le 18 juin. La menace de l'usage de force brandie ouvertement par les généraux turcs qui avaient suspendu toutes les permissions dans l'armée et convoqué au siège de l'état-major général tour à tour des journalistes, des universitaires, des juges et des procureurs pour des briefings sur le "péril islamiste" a finalement contraint le Refah à jeter l'éponge, officiellement pour permettre à Mme. Çiller d'accéder au poste de Premier ministre pour atténuer la tension avec les généraux et organiser des élections législatives anticipées. Montrés du doigt par la presse pro-militaire pour "leur insolence envers l'armée", deux députés islamistes avaient dû démissionner de leur parti pour ne pas donner des prétextes supplémentaires à des procureurs s'appliquant à faire interdire le Refah. Les sociétés commerciales qualifiées de "pro-islamistes" par l'armée, qui appelle ses membres et ses partisans à les boycotter, tout en se plaignant du caractère "divisif et partiel de cet appel" s'attendent à des mesures coercitives de la part des tribunaux dont les procureurs restent très proches de l'état-major militaire.

C'est dans ce contexte très tendu que le président turc Suleyman Demirel a , le 20 juin, chargé le conservateur Mesut Yilmaz de former le nouveau cabinet. Mme. Çiller qui postulait depuis des semaines pour ce poste et qui affirmait jouir du soutien d'une majorité de députés a immédiatement dénoncé "le coup d'État" de Çankaya (Palais présidentiel turc). Quelques jours plus tôt, elle avait appelé le Parlement à ne pas se soumettre à la pression des cartels de presse et au diktat des organes non élus (allusion à l'armée). Ces gesticulations venant de la part d'une personne qui n'a guère de crédibilité démocratique n'ont eu aucun effet.

Tout au long de ce bras de fer, l'armée, s'appuyant sur les grands media qu'elle contrôle, a cherché à humilier publiquement le Premier ministre islamiste. Les réunions mensuelles du Conseil de sécurité nationale, dominé par les militaires, étaient devenues de véritables tribunaux d'Inquisition pour M. Erbakan, qui a dû y subir maintes admonestations et menaces dont la teneur fut habilement filtrée vers des organes de presse proches de l'armée qui lui donnèrent un maximum de retentissement. Dans ce climat passionnel, nul ne s'avisa d'indiquer qu'il n'y a pas eu dans la période récente d'événements violents pouvant justifier l'épouvantail l'islamiste soudainement brandi par l'armée, ni de rappeler que la plupart des écoles coraniques et religieuses dont les militaires veulent maintenant la fermeture furent créées par les gouvernements de coalition de M. Demirel et sous la junte militaire de 1980 dans le but de contrer "l'emprise du communisme et du séparatisme sur la jeunesse".

Dernier épisode de cette guèguerre: la réunion extraordinaire du Conseil militaire suprême du 26 mai au cours de laquelle les généraux ont décidé d'expulser d'urgence des rangs de l'armée 161 officiers et sous-officiers, dont trois colonels. 140 d'entre eux, dont deux colonels, ont été radiés pour "sympathies fondamentalistes" et 21 autres pour tendances d'extrême gauche ou implication dans des activités de gangs. Le Premier ministre et son ministre de la défense sont les deux seuls membres civils de ce conseil de 15 membres qui décide souverainement des affaires militaires et "des menaces internes et externes pour la sécurité du pays". Normalement, ce conseil décide une fois l'an, le 30 août, des problèmes de carrière et de purges dans l'armée. En consacrant cette réunion extraordinaire largement médiatisée précédant elle-même une réunion dite critique du Conseil de sécurité nationale tenue le 30 mai, l'armée chercha à exercer un maximum de pressions psychologiques sur les islamistes. M. Erbakan a dû avaliser sans broncher les purges et les militaires se sont fait un malin plaisir à communiquer à la presse que le Premier ministre avait obtempéré à toutes leurs exigences, y compris à celle de ne pas employer dans les mairies islamistes les officiers radiés. Autre humiliation pour celui qui était censé conduire le gouvernement du pays: le directeur du quotidien Hürriyet affirme, dans son éditorial du 21 mai, qu'un commandant très haut placé lui a indiqué que le Premier ministre n'a été informé de l'intervention militaire turque que 12 heures après l'entrée effective des troupes en Irak "par crainte que cette information ne soit communiquée au PKK".

Après un général traitant publiquement et impunément M. Erbakan de "maquereau", voici donc "un commandant très haut placé" qui le soupçonne publiquement d'"intelligence avec l'ennemi"! Et comme tout cela ne suffisait pas, un procureur de la Cour de cassation, nommé en janvier dernier par M. Demirel et réputé pour son fondamentalisme kémaliste, a engagé, le 21 mai, une procédure auprès de la Cour constitutionnelle pour l'interdiction du Parti Refah qui selon lui serait devenu "un foyer d'activités incompatibles avec l'article de la Constitution sur la laïcité de l'État". Dès le lendemain, le président de la Cour constitutionnelle, Yekta Özden, qui fut l'un des plus chauds partisans de la junte militaire de 1980 et qui, continue d'être l'un des hommes de paille de l'armée dans l'appareil judiciaire, a annonce que "les membres de la Cour ont accepté l'appel du procureur et la procédure a commencé". Elle pourrait aboutir d'ici 4 à 6 mois. Les dirigeants de ce parti au pouvoir, soutenu par 6 millions d'électeurs, ont déclaré qu'ils allaient poursuivre le procureur Savas (qui, ironie du sort, signifie guerre en turc) qui a insulté publiquement leur parti. Sans trop d'illusions car ils savent par l'expérience amère et récente de l'interdiction du parti de la démocratie (DEP) qu'en Turquie la justice est au service des militaires chargée de trouver un habillage juridique aux décisions prises par les généraux.

TÉHÉRAN : L'ÉLECTION DE L'AYATOLLAH KHATÉMI

LES élections présidentielles iraniennes du 23 mai ont mis en compétition 4 candidats agréés par l'establishment religieux de la République islamique. Appelés à choisir entre eux, les 32 millions d'électeurs iraniens ont voté massivement en faveur de l'ayatollah Mohamed Khatémi. Cet ancien ministre de la Culture, de 1982 à 1992, et conseiller du Président Rafsandjani a paru eux secteurs les dynamiques de la société, aux jeunes et aux femmes, comme un " modéré " dans le contexte iranien, moins pire que ses concurrents, en particulier le très conservateur président du Parlement, Ali Akbar Nertegli-Nouri, candidat de l'aile la plus fanatique du régime.

Cet événement qualifié de " tremblement de terre " dans une grande partie de la presse occidentale a le mérite de souligné l'ampleur du ras-le-bol de la population iranienne après 19 ans de " mollarchie " liberticide et despotique qui saisit ainsi l'opportunité d'exprimer son mécontentement profond et ses espoirs d'un assouplissement du régime. Tout au long de sa campagne électorale l'ayatollah Khatémi s'est fait l'interprète de cette aspiration au changement dans l'ordre. Désormais élu, le voilà aux pieds du mur. A supposer qu'il en ait réellement la volonté, aura-t-il les moyens politiques et institutionnels de conduire un tel changement au sein d'un régime où le pouvoir absolu est détenu par " le guide de la révolution ", l'ayatollah Khamenei dont les décisions priment sur les lois, le Président, le gouvernement et le Parlement? Khatémi aura donc à composer avec le successeur de Khomeiny et un Parlement dominé par des éléments fanatiques rétifs au changement.

Tandis que nombre d'Occidentaux ont tendance à voir en Khatémi un Gorbatchev iranien, une bonne partie de l'opposition iranienne le perçoit comme un nouveau leurre destiné à miroiter des espoirs d'ouverture à un moment où le régime iranien décrié par les Etats-unis, pour son soutien au terrorisme, en conflit diplomatique avec l'Union européenne après le verdict du Tribunal de Berlin mettant en cause " le plus haut sommet de l'Etat iranien ", est plus isolé que jamais. Considéré comme un " modéré " par rapport à Khomeiny le président Rafsandjani avait, en son temps, donné des espoirs d'ouverture à des gouvernements européens tout prêt à le croire et à justifier ainsi aux yeux de leurs opinions publiques " leur dialogue critique " et leurs relations commerciales, y compris dans le domaine des ventes d'armes, avec la République islamique. Le personnage ayant fait son temps, ce serait le tour de l'ayatollah Khaménei de remplir maintenant ce rôle.

Dès son élection plusieurs personnalités américaines, dont deux anciens conseillers présidentiels, Zbigniew Brzezinski et Brent Scowgoft ont commencé à plaider en faveur d'une autre politique américaine à l'égard de Téhéran.

Pour leur part les autorités allemandes ont renoncé à poursuivre en justice les hauts dirigeant iraniens commanditaires de l'assassinat de quatre personnalités kurdes à Berlin. Dès lors, le retour à Téhéran des ambassadeurs euro-péens, " rappelés en consultations " après le verdict du tribunal de Berlin n'est plus qu'une question de temps pour reprendre le business as usual.

NOUVELLE INTERVENTION DE L'ARMÉE TURQUE DANS LE KURDISTAN IRAKIEN

LE 14 mai à l'aube, environ 50 000 soldats appuyés par des centaines de chars turcs ont pénétré dans le Kurdistan irakien. Le gros de ces troupes est entré par le poste frontalier de Habur en franchissant la rivière Hezil tandis que d'autres unités pénétraient par la région de Hakkari, à la jonction des frontières turco-irako-iranienne. Selon l'AFP, cette nouvelle intervention militaire turque viserait les régions de Kanimasi, Metina et Derkar «pour détruire définitivement les bases du PKK qui s'y trouvent». Depuis début avril l'aviation turque avait soumis ces régions à un pilonnage intensif. Depuis la création en 1991 d'une «zone de protection» dans le Kurdistan irakien, l'armée turque intervient quant elle veut dans cette région, avec la bienveillance des alliés occidentaux. La dernière, et la plus importante de ces opérations a eu lieu au printemps 1995. 35000 soldats turcs avaient été engagés dans cette opération qui avait duré 43 jours et fait officiellement 616 morts. Ankara avait annoncé à cette occasion que «le PKK a été nettoyé de cette région». La population sinistrée du Kurdistan irakien en a assez de voir son territoire déjà dévasté par 30 années de guerre menées par Bagdad devenir maintenant un champ de bataille entre les troupes turques et le PKK. Dans une déclaration solennelle rendue publique le 14 mai, le gouvernement régional kurde qui est une coalition de plusieurs partis, dont le parti démocratique du Kurdistan, le parti communiste kurde, le mouvement islamique du Kurdistan, appelle « les parties au conflit à ne pas utiliser notre région comme un champ de bataille pour régler leur comptes, à respecter la souveraineté nationale du pays et la loi internationale et à mener leurs affrontements et leur conflit loin de notre peuple, de nos villages et de nos fermes (..). Cette situation expose à nouveau notre peuple aux calamités de la guerre et empêche la reconstruction de près de 400 villages dans les régions frontalières malgré la disponibilité et les ressources des ONGs étrangères et locales».

Cet appel n'a eu guère d'impact. Pas plus que les protestations fermes des pays arabes comme la Syrie, l'Égypte, le Bahreïn et l'Irak. Pour Washington «la Turquie a le droit de se défendre contre le terrorisme du PKK. Cette opération sera limitée dans le temps et dans l'espace. Nous nous attendons à un retrait rapide des forces turques». Le secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, en visite en Autriche a, le 20 mai, publiquement condamné l'offensive militaire turque et appelé la communauté internationale à exercer des pressions sur la Turquie afin qu'elle retire rapidement ses troupes. "L'intégrité territoriale de l'Irak doit être respectée" a-t-il affirmé. Depuis, l'Italie, la France et la Grande-Bretagne ont réitéré leur appel à "un retrait le plus vite possible" des troupes turques. Dans un message adressé, le 27 mai, au président du Conseil de sécurité, le vice-Premier ministre irakien Tarek Aziz a dénoncé "l'attitude indifférente de l'ONU face à cette invasion qui constitue une violation flagrante et grave de la souveraineté de l'Irak, de sa sécurité et de son intégrité territoriale". Enfin l'Iran, qui a massé d'importantes forces à sa frontière avec le Kurdistan irakien a, le 25 mai, par la voix du porte-parole de son ministre des Affaires étrangères, demandé une nouvelle fois à Ankara de "mettre fin à son incursion en Irak". Le lendemain, son homologue turc a rejeté cette demande en déclarant que l'offensive turque se poursuivrait jusqu'à ce que "les terroristes du PKK soient totalement éliminés de la région". "Nous avons précisé que le but de l'opération est de garantir la sécurité de la région et de se débarrasser du PKK" a déclaré à la presse O. Akbel, porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères. "Les troupes turques se retireront quand les objectifs opérationnels auront été atteints" a-t-il ajouté avant de conclure: "Nous aimerions que l'Iran coopère avec nous contre le terrorisme plutôt que de s'inquiéter de cette opération".

Finalement, après avoir envisagé un moment l'instauration d'une " zone de sécurité ", le corps expéditionnaire turc a retiré l'essentiel de ses forces, ne laissant sur place que quelques détachements spécialisés dans la lutte contre la guérilla a annoncé, le 26 juin, le colonel turc Süleyman Canpolat. Selon ce porte-parole militaire, cette opération aurait permis "la destruction de toutes les bases du PKK dans la région" et "la mise hors combat de 3350 terroristes, dont 2811 tués". Les pertes turques s'élèveraient à 113 morts, celles du PDK irakien à 49 morts. D'importantes quantités d'armes et de munitions auraient été saisies. De son côté le PKK, qui a abattu deux hélicoptères turcs, clame victoire et affirme qu'il a contraint l'armée turque à se retirer . Sa presse publie chaque jour des pleines pages de messages de félicitations pour "la victoire historique remportée sur les forces d'invasion turques". Pour sa part, le parti démocratique du Kurdistan irakien qui contrôle cette région frontalière avec la Turquie et l'Iran, affirme qu'"il n'y a plus de présence militaire du PKK en territoire kurde irakien à l'exception des actions ponctuelles des militants du PKK s'infiltrant à partir de l'Iran contre les districts de Haj Umran et Choman". La presse turque évoque ces opérations en pages intérieures en se contentant de publier les communiqués victorieux de l'armée. La presse étrangère n'a pu se rendre sur place en raison du black-out appliqué par l'armée turque; la vérité entre ces versions contradictoires semble difficile à établir.

TURQUIE DEVIENT-ELLE UN NARCO-ÉTAT ?

DANS un long article consacré à cette question dans son édition du 5 juin, le quotidien turc Hürriyet qui cite, entre autres, des informations de l'hebdomadaire italien Il Mondo et de la Drug Enforcement Agency (DEA) américaine, affirme que la mafia turque a réalisé en 1996 un chiffre d'affaires record de 42,8 milliards de dollars et des gains annuels de 38 milliards de dollars. 37,5 de cette dernière somme proviennent du trafic de stupéfiants, 0,5 milliard d'autres affaires écrit le journal qui publie un palmarès mondial où la mafia turque se classe en deuxième position, derrière la mafia russe. Appelé "le croissant noir" la mafia turque gagne annuellement plus d'argent que les mafias italienne et colombienne réunies. Le journal indique que lors d'une réunion des polices narcotiques d'Europe, tenue en avril dernier, les participants étaient d'avis que toutes les familles de la mafia turque travaillaient avec le soutien de l'État turc.

C'est cette masse énorme d'argent noir qui permet à l'économie turque de survivre et de croître malgré des taux d'inflation de l'ordre de 80% à 90%. Selon les experts, la Turquie est devenue une véritable " lessiveuse " de l'argent noir.

"La Turquie est le seul État membre de l'OCDE à ne pas appliquer les mesures décidées par cet organisme pour empêcher le blanchiment de l'argent noir et les organisations criminelles comme la mafia" vient de rappeler avec amertume M. Fernando Carpentieri, président de Financial Action Task Force de cet organisme regroupant 26 États. "Cette situation ne peut durer encore longtemps et nous accordons aux autorités turques jusqu'au mois de septembre pour promulguer la législation nécessaire afin de se conformer aux normes de l'OCDE pour lutter le blanchiment de l'argent noir, sinon ce pays pourrait faire face à la réaction potentiellement destructive de la communauté bancaire mondiale" a averti ce responsable à l'issue d'une réunion tenue le 17 juin à Rome, qui a ajouté: "Si des pas accélérés ne sont pas faits dans ce sens nous pourrions donner des consignes aux banques des pays membres de prêter une attention spéciale à toutes les relations d'affaires et à tous les transferts avec la Turquie".

Plusieurs organismes internationaux avaient déjà qualifié ce pays de "paradis de l'argent noir". Les banques turques et près de 80 banques implantées dans le petit territoire de Chypre du Nord sous occupation turque sont réputées pour leur efficacité dans le blanchiment de sommes gigantesques d'argent noir des mafias turque et russe. A la suite de pressions internationales, la Turquie avait fait voter, le 19 novembre 1996, une loi réprimant le blanchiment de l'argent noir. Mais cette loi n'est toujours pas entrée en vigueur et ses décrets d'application attendent toujours.

Le 19 juin, la chaîne de télévision allemande ARD a consacré son émission "Kontraste" à cette Turkish connection désormais de notoriété internationale. Les journalistes ont rappelé les informations déjà connues et étayées par des sources judiciaires sur la participation de l'État turc au trafic international de trafic de stupéfiants. "Tous les deux ou trois mois la police turque fait état de saisies de 800kg ou une tonne d'héroïne. Mais cette drogue n'est jamais détruite. Elle est commercialisée par l'État turc pour financer ses opérations contre le PKK" a affirmé le journaliste qui a désigné la Direction Générale de la Sûreté turque comme "le siège de la mafia de drogue". "Le chiffre d'affaires de l'héroïne d'origine turque pour le seul marché allemand est estimé à un milliard de marks par an. Comble d'ironie, notre gouvernement accorde aussi chaque année une somme de 5 millions de marks à la police turque pour combattre ce trafic de drogue", a commenté le présentateur de l'émission. Selon ce dernier, les autorités allemandes sont parfaitement au courant de l'implication du gouvernement turc dans ce trafic mais "pour des raisons diplomatiques Bonn préfère se taire". Un ancien responsable des services secrets allemands (BND), M. Erich Schmidt Eenbohm a confirmé ce pont de vue: "En vérité, le BND informe parfaitement le gouvernement au sujet de l'implication du gouvernement et des services secrets turcs dans l'organisation des gangs et des trafiquants d'héroïne. Mais à cause du caractère sensible pour sa politique étrangère le gouvernement allemand évite de dire directement cela à Ankara". L'émission s'est terminée avec une image de Tansu Çiller scrutant avec des jumelles l'héroïne accompagnée de ce mot de la fin du présentateur: "L'argent même s'il est sale ne pue pas. C'est pourquoi lorsque Madame Tansu Çiller apparaît tantôt comme Premier ministre, tantôt comme ministre des Affaires étrangères, Bonn ne sent pas son odeur. Et quand l'odeur dégagée pue vraiment fort, comme l'OTAN a besoin de la Turquie, le ministre des Affaires étrangères Klaus Kinkel se bouche le nez".

LA COUR DE SÛRETÉ DE L'ÉTAT D'ANKARA CONDAMNE 31 DIRIGEANTS DU PARTI PRO-KURDE HADEP À DES PEINES DE PRISON

ARRÊTÉS à la suite du 2ème congrès de leur parti, tenu le 23 juin 1996, le président du parti pro-kurde HADEP, Murat Bozlak, ainsi que douze autres dirigeants de ce parti avaient été remis en liberté provisoire le 14 avril dernier. Ce dénouement intervenait quelques jours après les aveux d'un provocateur de police, Murat Ipek, qui lors de ce congrès avait, sur les instructions de ses chefs, décroché le drapeau turc et accroché le drapeau du PKK. Mais la Cour de sûreté d'État d'Ankara a fait une autre lecture de ces événements et a condamné à 6 ans Murat Bozlak président du HADEP et Hikmet Fidan, président de séance lors de l'incident; 29 autres dirigeants, sur les 47 prévenus, ont écopé, le mercredi 4 juin, des peines de prison de 4 ans et 6 mois tandis que 14 autres ont été acquittés et le procès d'un autre membre se poursuivait devant une autre Cour. Un prévenu, Faysal Akçan, accusé d'avoir décroché le drapeau turc a été condamné à 22, 5 ans de prison! "Un lien étroit entre HADEP et le parti terroriste illégal le PKK a été découvert" a déclaré à la Cour le juge Orhan Karadeniz et demandé à la Cour de cassation d'engager la procédure d'interdiction du HADEP. L'avocat du HADEP, Me Yusuf Alatas, a pour sa part déclaré à la presse que "c'est un procès complètement politique" et que "la Cour n'a pas porté un regard juridique sur l'affaire".

Condamner un jeune à 22,5 ans de prison parce qu'il aurait décroché un drapeau turc et 29 dirigeants d'un parti légal à de lourdes peines de prison alors qu'ils avaient fermement condamné cet acte, la justice turque a assurément perdu le sens de la mesure et la passion ultra-nationaliste qui l'égare inquiète les alliés occidentaux d'Ankara en peine d'expliquer de telles outrances.

AINSI QUE...

BILAN DES DROITS DE L'HOMME EN MAI


Selon le bilan mensuel établi par l'Association des droits de l'homme (IHD), rendu public le 18 juin, en mai 11 civils ont été tués par des escadrons de la mort, 6 autres sont morts sous la torture ou à la suite d'exécutions extrajudiciaires, 1559 citoyens ont été gardés à vue et 387 d'entre eux ont été écroués au cours de mois; 23 livres ont été saisis, 11 associations, syndicats et publications ont été interdits. Selon ce bilan, le nombre de prisonniers d'opinion actuellement détenus dans les prisons turques est 150.

En mai, pour la première fois depuis des années aucun village kurde n'a été évacué relève le rapport. Car tous les villages dont l'évacuation avait été programmée par l'armée ont été soit déjà évacués, soit les villageois, sous la pression des militaires, ont accepté de faire partie des milices pro-gouvernementales afin de sauver leurs maisons. Ironisant sur les "briefings" donnés par les militaires aux juges, procureurs et journalistes pour endiguer, selon les généraux, "le danger fondamentaliste", le président de l'IHD, Akin Birdal, s'est demandé pourquoi ils ne donnaient pas un "briefing" sur les droits de l'homme. Il a, par ailleurs, ajouté que ces "briefings" étaient illégaux et antidémocratiques et qu'en cas d'élections législatives anticipées, la loi électorale doit être amendée pour baisser le barrage de 10% au niveau national, requis pour pouvoir avoir des sièges au Parlement, afin que la population kurde puisse envoyer ses propres représentants au Parlement. La refonte des registres électoraux est également indispensable en raison des déplacements massifs de population ces dernières années.

Par ailleurs, à Londres, Amnesty International a publié son rapport annuel. La section de ce rapport consacrée à la Turquie détaille en 4 pages les principales violations des droits de l'homme perpétrées au cours de l'année écoulée en Turquie. Selon cette organisation humanitaire, des centaines de personnes ont été arrêtées; pour délit d'opinion. La plupart ont été rapidement libérées, mais d'autres ont été condamnées à des peines d'emprisonnement. Comme les années précédentes, le recours à la torture était systématique: au moins 25 personnes sont mortes en détention. Vingt-trois personnes ont "disparu" après avoir été arrêtées par les forces de sécurité. De très nombreuses personnes ont été tuées dans le Sud-Est kurde, dans des circonstances laissant à penser qu'elles avaient été exécutées de manière extrajudiciaire par des membres des forces de sécurité. Quatorze prisonniers ont été condamnés à mort au cours de l'année. On peut, par ailleurs, lire dans le rapport que "Comme les années précédentes, l'article 8 de la loi antiterroriste, qui réprime "la propagande séparatiste", a été utilisé pour poursuivre et emprisonner des personnes qui avaient exprimé leurs opinions sans recourir à la violence". " Les articles 168, 169 et 312 du Code pénal ont été utilisés pour poursuivre des écrivains, des journalistes et des militants politiques qui critiquaient la politique gouvernementale dans le Sud-Est. Des défenseurs des droits de l'homme ont été jugés sur la base d'accusations, manifestement mensongères, d'appartenance ou de soutien à des groupes armés" relève encore le rapport.

INTERDICTION DE PLUSIEURS SECTIONS DE L'ASSOCIATION DES DROITS DE L'HOMME


Le président de la section de Diyarbakir de l'Association des droits de l'homme de Turquie (IHD), Mahmut Sakar, ainsi que quatre de ses collaborateurs, ont été arrêtés par la police, le 22 mai. Immédiatement après leur arrestation, le responsable des régions du Sud-Est d'IHD, Vedat Çetin, a été lui aussi arrêté. Après 24h de garde-à-vue ces responsables ont été libérés mais la police a apposé des scellés sur les locaux de l'association qui restera fermée pour une durée indéterminée comme la quasi-totalité des branches de l'IHD dans les provinces kurdes. La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme "condamne fermement" cette arrestation dans un communiqué, daté du 23 mai, et affirme que "le harcèlement, notamment judiciaire, à l'encontre des responsables de l'une des principales organisations de défense des droits de l'homme en Turquie franchit à nouveau un palier extrêmement critique". L'organisation appelle, en outre, "tout particulièrement les pays européens à rappeler avec vigueur Ankara ses obligations internationales en matière des droits de l'homme".

Le 4 juin la section de Malatya a également été interdite, suivie par celle d'Urfa. Le 18 juin , la préfecture d'Izmir a décidé, d'interdire la branche locale de l'IHD dans cette ville, créée il y a dix ans, pour possession de "publications illégales". Lors de la descente de la police sans autorisation de perquisition, dans les locaux de l'association, les policiers ont saisi l'ouvrage "Panorama des droits de l'homme en Turquie" publié par la branche d'Ankara d'IHD sous prétexte que cet ouvrage est interdit. Le lendemain, des policiers de la section de sûreté de la préfecture d'Izmir ont notifié la décision de fermeture à l'association et l'ont mise sous scellé. Izmir, situé sur la côte égéenne, est par le nombre des habitants la troisième métropole turque après Istanbul et Ankara. Près d'un million de Kurdes déplacés s'y sont installés ces dernières années.

Le 28 juin, l'organisation de défense des droits de l'homme américain Human Rights Watch (HRW), a adressé une lettre de protestation au Premier ministre sortant N. Erbakan. Contre l'interdiction de plusieurs sections l'IHD. Le directeur exécutif de HRW, Holly Cartner, déclare que "la fermeture des bureaux de l'IHD contrevient aux règles internationalement reconnues permettant d'exprimer librement des critiques à l'égard de la politique gouvernementale tant en ce qui concerne les droits de l'homme que la population kurde de Turquie". HRW a dénoncé dans la même lettre l'arrestation, le 7 juin dernier, de 49 personnes parmi les gens qui manifestaient pacifiquement devant l'ambassade américaine protestant contre le soutien de Washington aux opérations militaires turques dans le Kurdistan irakien.

JOSÉ RAMOS-HORTA, LAURÉAT DU PRIX NOBEL DE LA PAIX 96, LANCE UN APPEL POUR LA LIBÉRATION DE MME. ZANA


Lors d'une réception donnée par Washington Law Firm, le 28 mai, en l'honneur du dernier lauréat du Prix Nobel de la paix, Jose Ramos-Horta, du Timor oriental, celui-ci a lancé un appel en faveur de la libération de Mme. Leyla Zana, elle-même deux fois candidate favorite du même Prix. Décrivant l'oppression turque à l'égard de sa minorité kurde comme "moralement inacceptable et stratégiquement erronée", le lauréat du Prix Nobel a déclaré que "Leyla Zana mène un combat pour la sauvegarde d'une culture et d'une civilisation millénaires par des moyens pacifiques" et a demandé aux États-Unis de faire pression sur la Turquie pour exiger sa libération et de celle de tous les autres prisonniers politiques dans ce pays et que c'était "un minimum de ce que les États-Unis devaient faire". Dénonçant la Realpolitik appliquée par les grandes puissances, José Ramos-Horta a indiqué que le peuple kurde est "un peuple qui a pratiquement été trahi par toutes les grandes puissances du monde" avant d'ajouter que les ventes d'armes par celles-ci dans le contexte actuel à la Turquie "est extrêmement dangereux". Il a par ailleurs comparé la lutte du peuple kurde pour ses droits nationaux à celle du Timor Oriental en Indonésie et à celle des Tibétains en Chine.

De son côté, dans ses émissions de soirée du jeudi 12 juin, la chaîne américaine CNN a diffusé une image de Leyla Zana avec cette question "Vous souvenez-vous d'elle?" Puis dans la réponse, le commentateur a rappelé que "cette première femme député kurde se trouve depuis plus de trois ans en prison à Ankara pour sa défense des droits de l'homme et des Kurdes. Elle est condamnée à 15 ans de prison".

Par ailleurs, le 16 juin, l'un des collègues de Leyla Zana, l'ex-député kurde Hatip Dicle déjà en prison et condamné à 15 ans, vient à été condamné à une nouvelle peine de 4 mois de prison par la Cour de sûreté de l'État d'Ankara. La Cour reproche à H. Dicle une lettre de solidarité adressé par celui-ci aux prisonniers politiques en grève de la faim dans la prison de Çankiri la qualifiant de "provocation à la haine raciale et à la violence". M. Dicle s'est défendu devant la Cour, par l'intermédiaire de son avocat, qu'il n'a fait qu'exercer son droit dans le cadre de la "liberté d'expression".

Le 20 juin, la Cour de Sûreté de l'État de Diyarbakir a condamné à un an de prison Munir Ceylan, ancien président du syndicat des ouvriers du pétrole, Petrol-Is, pour un discours prononcé lors du 11ème congrès de la section de Batman de son syndicat pour "incitation à la haine raciale et à la violence". Le directeur de la publication du Journal de Batman, qui a publié le texte de ce discours a été condamné à 2 ans de prison ferme et à une amende de 600 000 LT.

LE QUOTIDIEN DEMOKRASI SUSPENDU POUR UN MOIS


La cour de Sûreté de l'État n°1 d'Istanbul a suspendu pour un mois la parution de Demokrasi, l'unique quotidien pro-kurde de Turquie. Cette décision est entrée en vigueur le 3 mai. Héritier du quotidien Özgür Gündem dont les locaux avaient été détruits par la police avant qu'il ne soit interdit définitivement, Demokrasi, objet de tracasseries et de menaces incessantes de la part des autorités, était devenu un lieu d'expression critique pour des journalistes kurdes et turcs. Dans cette période de crise politique aiguë et du déballage des crimes des mafias et des polices parallèles, nombre de repentis et de dissidents, interdits d'expression dans les grands media turcs contrôlés par la cellule presse de l'état-major des armées, faisaient régulièrement des révélations très dérangeantes pour les autorités. C'est la raison principale de sa suspension sous l'habituel prétexte de "propagande séparatiste". Depuis 1992, la justice turque a interdit les quotidiens Özgür Gündem, Özgür Ülke et Yeni politika.

La veille de cette suspension, le 2 mai à Istanbul un groupe de quelque 50 assaillants a fait irruption dans les studios d'une chaîne de télévision privée, Flash TV, où ils ont brutalisé les journalistes, ont tiré en l'air et ont endommagé l'équipement.

Les assaillants, qui ont pris la fuite après l'attaque, sont liés au Parti de la juste voie (DYP, droite) du ministre turc des Affaires étrangères, Tansu Çiller, a déclaré l'AFP, un dirigeant de cette chaîne, Nazmi Baran. Il a déclaré avoir reçu plusieurs menaces de la part du DYP après les propos du mafieu, Alaatin Cakici, qui accusait le mari de Mme Çiller, Ozer Çiller, d'avoir obtenu un pot-de-vin de 20 millions de dollars pour avoir joué de son influence lors de la privatisation de la Banque Turquie Commerciale (TTB). Le mafieu qui a participé au programme télévisé en direct est officiellement recherché par la police pour implication dans des scandales politico-financiers et pour l'instigation de plusieurs meurtres.

L'ALLEMAGNE ANNULE UN CRÉDIT DE 400 MILLIONS DE MARKS PRÉVU POUR LA TURQUIE


L'organisme public allemand de garantie de crédits à l'exportation, HERMES, a annoncé le 17 juin qu'il avait annulé un crédit de 400 millions de DM à long terme et à bas taux prévu dans son budget 1997 pour soutenir les exportations vers la Turquie. Cette annulation est motivée par " les risques élevés et l'incertitude que présente ce pays". La décision prise au cours de la réunion du 21 mais du conseil d'administration de HERMES a été communiquée avec trois semaines de retard afin de laisser aux autorités turques le temps de prendre leurs dispositions. Ankara a qualifié cette décision de "choquante" et craint qu'elle n'incite d'autres institutions financières à adopter une position similaire.

AU KURDISTAN DE TURQUIE UN HABITANT SUR TROIS VIT EN DESSOUS DU SEUIL DE LA PAUVRETÉ


A l'initiative du Fonds de développement des Nations-unies (PNUD) et la fondation turque des études sociales et économiques (TESEV), un sommet sur la pauvreté s'est tenue à Diyarbakir du 30 mai au 1er juin. Ont également pris part à cette réunion des dirigeants régionaux, des hommes d'affaires et des universitaires ainsi que 35 organisations de la société civile ont également été invitées. Le choix de la ville de Diyarbakir pour tenir cette réunion, unique dans son genre en Turquie, est symbolique pour mettre l'accent sur le rôle que devrait jouer les organisations de la société civile et ne plus laisser l'initiative aux seuls militaires, a notamment déclaré l'influent homme d'affaires Ishak Alaton. Il a, en outre, incité les politiciens du pays à trouver un cadre juridique pour ramener la paix dans la région et a encouragé les hommes d'affaires à y investir. Ces hommes d'affaires doivent, par ailleurs, bénéficier des réductions fiscales de la part de l'État pour une période de dix ans, a-t-il ajouté. Prenant la mesure de la gravité de la situation dans le Sud-Est kurde de la Turquie, le PNUD a décidé de mettre sur pied un programme de développement à long terme dans la région et de s'y faire représenter par un représentant permanent en la personne de Paul Von Haswick de Jonge, siégeant à Diyarbakir. Ce dernier a affirmé que 1,4% de la population turque vivant dans l'ouest de la Turquie vivent en dessous du seuil de la pauvreté tandis que ce chiffre s'élève à 30% dans les villes à majorité kurde. En se basant sur les données d'un rapport concernant le développement économique en Turquie, il a indiqué que les villes affichant les plus bas indices de développement sont situées dans l'Est et le Sud-Est du pays.

QUELQUES CHIFFRES SUR LE GOULAG TURC


La Fédération internationale des Commissions de Helsinki, un consortium d'ONG de défense de droits de l'homme ayant des sections à travers le monde, a dressé, dans un rapport rendu public le 19 juin 1997, un tableau en quelques chiffres sur le monde pénitentiaire turc. A la fin de 1995 il y avait 49 705 prisonniers en Turquie dont 8751 prisonniers politiques. Seulement 124 des 650 prisons turques disposent d'une infirmerie et d'un façon générale d'un médecin par prison. Les prisons sont toutefois dépourvues de service d'urgence et d'un service médical à plein temps dans un monde pénitentiaire, ou on assiste à des grèves de la faim à répétition (en 1996 douze prisonniers politiques ont décédé à la suite d'une grève de la faim). Selon les chiffres donnés par le ministère de la justice en 1995, le gouvernement dépense 22500 livres par prisonnier et par jour, ce qui représente en Turquie le prix d'un pain! Lors des transferts des prisonniers vers les hôpitaux, les tribunaux ou vers d'autres prisons, les prisonniers sont enchaînés. Les restrictions des visites des familles et des avocats des prisonniers sont fréquentes. Dans ce rapport on également relève quelques chiffres concernant la destruction et l'évacuation par l'armée des villages dans les provinces kurdes. Le rapport cite le Super-gouverneur de la région soumise aux lois d'urgence, Necati Bilican, qui dans un briefing donné, le 26 mai 1996, a déclaré que "706 villages ont complètement été évacués (détruits, corrige le rapport); 212 partiellement détruits; 1592 hameaux ont complètement été évacués et 175 partiellement". Un total de 2685 villages et hameaux ont complètement ou partiellement été évacués et détruits, selon ce bilan officiel datant d'il y a un an.

COOPÉRATION MILITAIRE REN-FORCÉE ENTRE LA FRANCE ET LA TURQUIE


La Turquie vise de plus en plus à se rendre sinon "autonome" en matière d'industrie d'armement du moins à fabriquer chez elle ce dont elle a besoin avec l'aide des compagnies américaines et européennes. C'est dans ce cadre que le vice-chef d'état-major des armées turques, le général Cevik Bir, a invité le président de la Direction générale de l'industrie militaire française, Jean-Yves Helmer, le lundi 30 juin. Le général turc a indiqué que des projets sont à l'étude pour la modernisation des forces armées turques pour les 15 à 20 années prochaines. Français et Turcs se sont mis d'accord sur les projets concernant les hélicoptères et les chars et d'autres projets pourraient encore aboutir. Le premier conseiller du Premier ministre, Sedat Celikdogan, a déclaré que "les chars français Leclerc seront produits en Turquie" que c'était le fruit d'un voyage effectué la semaine dernière en France d'une délégation militaire turque. Notons qu'une importante part du marché de l'industrie lourde en Turquie est également contrôlée par les militaires que des projets portant sur la vente de satellites de communication par la compagnie française Alsthom à des sociétés proches des militaires ont également été conclus.