Vis-à-vis des Kurdes, l'intimidation n'est pas une solution

mis à jour le Mardi 13 novembre 2012 à 15h33

Courrierinternational.com | Oya Baydar

Plus de 700 détenus kurdes observent depuis 63 jours une grève de la faim dans les prisons du pays. La romancière Oya Baydar s'indigne du chantage à la peine de mort que le Premier ministre turc oppose à leurs revendications.

Le gouvernement AKP, de même que l'opposition parlementaire d'extrême droite, considèrent que la grève de la faim entamée voici deux mois par les personnes emprisonnées en raison de leurs liens avec le PKK [parti des travailleurs du Kurdistan, groupe armé considéré comme une organisation terroriste] et le BDP [Parti pour la paix et la démocratie, pro-kurde et qui a des députés au Parlement turc] n'est rien d'autre qu'un "chantage exercé par le mouvement kurde sur le gouvernement et l'Etat". On nous ressort ainsi toujours la même version des faits : cette grève de la faim, qui évolue tout doucement vers une forme de jeûne mortel, a été décidée par le PKK. Dans ces conditions, elle ne peut donc être considérée comme une action démocratique et légitime.

Il y a trois ans lors d'une visite à l'étranger, le Premier ministre turc Erdogan avait défendu les jeunes filles réclamant la fin de l'interdiction du port du voile à l'Université en Turquie et que l'on accusait alors de faire de la politique. Il avait alors dit: "Et quand bien même ce serait politique, où est le problème ?!", ce qui ne manqua pas alors de provoquer des réactions indignées au sein de l'opposition kémaliste qui cria haut et fort que la laïcité était menacée. A cette époque, j'estimais que même si cela représentait un but politique, le combat démocratique visant à satisfaire des revendications justes était légitime et ne devait pas être empêché.

Dans ces conditions, lorsque d'aucuns affirment que "les revendications des grévistes de la faim ne sont pas innocentes, qu'elles ne sont pas en rapport avec les conditions de vie à l'intérieur des prisons, mais qu'elles ne sont qu'un moyen pour le PKK d'imposer son agenda politique", je réponds "Et quand bien même ces revendications seraient-elles politiques... Il s'agit de demandes qui méritent qu'on les entende et d'être satisfaites". Certes, ne nous mentons pas à nous-mêmes, cette grève de la faim qui est menée par des centaines de prisonniers est bien politique. Dans un cadre carcéral, les militants d'un parti dont les possibilités d'expression se trouvent limitées s'expriment souvent par le biais d'une grève de la faim. Dans un tel contexte, le gréviste de la faim se radicalise et les liens qu'il cultive avec son parti se renforcent.

Un chantage indigne contre la société
Autant que les incitations venant d'un parti, ces grèves de la faim peuvent prendre de l'ampleur dans les dortoirs collectifs suite à la mobilisation de quelques-uns. Dans ces conditions, et pour peu que l’on accorde de la valeur à la personne humaine, le premier pas vers une solution à cette problématique consisterait tout d’abord à changer de discours et ensuite à poser des actes concrets plutôt que d'affirmer qu’il s’agit d’une opération politique téléguidée par un PKK qui contraint ses prisonniers à participer à cette grève de la faim. D’autant plus qu'une réaction marquée par le souci de sauver des vies permettrait de dénoncer la stratégie d’un PKK qui mise sur la confrontation et le blocage politique. Si cette grève de la faim est du chantage, que dire du Premier ministre Erdogan et du chef du MHP [Parti de l’action nationaliste, extrême droite, opposition parlementaire] qui ont opportunément ramené la question de la peine de mort sur le devant de la scène ?!

Par des mises en garde menaçantes du style "N’allez pas au-delà des droits que nous avons daigné vous octroyer, sinon nous rétablissons la peine de mort !" [supprimée en 2002], ils ne sont pas seulement en train d’intimider le mouvement kurde et le peuple kurde, mais appliquent un chantage indigne contre la société et contre ses aspirations à voir notre État évoluer vers davantage de démocratie. Plutôt que d’éprouver de la fierté à l’égard de la suppression de la peine de mort, qui est une des plus belle réalisation de notre histoire récente, le Premier ministre et l’opposition d’extrême droite se rejettent l’un sur l’autre la responsabilité de ce qu’ils considèrent désormais presque comme une honte, rejoignant ainsi les milieux ultra nationalistes et putschistes qu’ils [l’AKP] prétendaient pourtant combattre. Pire, nous apprenons ainsi de la bouche du Premier ministre que cette suppression ne serait en fait que le fruit de pressions extérieures [de l’Union européenne] ... Il ne faudra donc pas s’étonner si dans un avenir proche, sur fonds de populisme et pour des raisons bassement électoralistes, s’impose à l’agenda politique un débat pour savoir ce qui convient le mieux pour l’exécution capitale, la pendaison, l’injection létale ou, ce qu’adorent chez nous les partisans de la peine de mort, l’empalement...