Une chanteuse contre la guerre


27 févr. 2008 | Pierre Vanrie
 
Il a fallu que la chanteuse de variétés transsexuelle Bülent Ersoy s'oppose publiquement à l'opération militaire turque en Irak, lors d'une émission télévisée très regardée, pour que d'autres femmes, journalistes, romancières ou artistes, dénoncent à leur tour la guerre.


La chanteuse transsexuelle turque Bülent Ersoy
AFP
La célèbre chanteuse transsexuelle turque Bülent Ersoy vient de créer la polémique sur la chaîne Star TV, lors d'une émission de variétés, sorte de Star Academy à la turque, en dénonçant le martyre, jugé inutile, des jeunes soldats turcs qui se font tuer dans les combats qui opposent actuellement l'armée turque au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l'Irak.

Brisant le tabou du sacrifice pour la patrie selon lequel "les martyrs sont immortels et la nation indivisible", Bülent Ersoy fait désormais l'objet de poursuites judiciaires pour avoir "porté atteinte au prestige de l'armée". Confirmant au quotidien Vatan qu'elle a bien dit de façon indirecte que si elle avait un enfant elle ne l'aurait pas laissé partir au front, Bülent Ersoy a assumé en direct ses propos en expliquant qu'elle avait "exprimé ce que les autres n'osaient pas dire tout haut" et qu'elle se sentait "soutenue" par de nombreuses mères de soldats morts au combat.

"A l'inverse de la Russie et des Etats-Unis, les mères de soldats en Turquie ne peuvent pas manifester contre la guerre", écrit le journaliste de télévision Fuat Ugu. "Dans ces conditions, la sortie spectaculaire de Bülent Ersoy relève d'un courage confinant à la folie." Bülent Ersoy pourrait ainsi avoir lancé un mouvement antiguerre féministe.

La romancière Perihan Magden, éditorialiste du quotidien Radikal, qui milite en faveur de l'objection de conscience (et qui reprochait pourtant à Bülent Ersoy son opposition virulente au slogan Nous sommes tous des Arméniens affiché lors des obsèques du journaliste turco-arménien Hrant Dink le 19 janvier 2007), a cependant pris fait et cause pour la chanteuse en rendant hommage à la justesse de ses propos et en rappelant que "jusqu'à aujourd'hui, jamais aucun, mais alors absolument aucun, fils d'une personnalité puissante ou influente n'était mort tué au front".

Le quotidien Taraf publie par ailleurs en première page un poème antimilitariste de la grande chanteuse turque Sezen Aksu accompagné notamment d'un éditorial de Yasemin Congar, qui écrit : "Au moment où notre classe politique et nos médias ont succombé à la rhétorique guerrière, Bülent Ersoy a eu le mérite de faire entendre une voix différente. Elle a dit ce qui devait être dit. C'est à elle, qui n'a pas eu peur de dénoncer la culture du slogan, qu'est ainsi revenu le devoir de comprendre et de traduire la détresse d'une mère qui enterre son enfant."