"Un procès noyé dans les histoires politiciennes"

06.11.06 | 17:27 par Sara Daniel,
grand reporter au Nouvel Observateur,
auteur de "Voyage au pays d'Al-Qaïda" (Seuil)


Le procès de Saddam Hussein, qui a débouché sur sa condamnation à mort, s'est-il déroulé de façon équitable ?

- Selon les organismes indépendants qui ont suivi ce procès, Saddam Hussein a bien été jugé de façon impartiale, dans le respect des garanties de procédure. Les faits qui lui étaient reprochés étaient les massacres commis à Doujaïl en 1982 en représailles d'une tentative d'attentat à laquelle il avait échappé. Le tribunal a produit la preuve que Saddam avait signé l'ordre de perpétrer ces massacres.Au vu du contexte pour le moins difficile dans lequel les audiences se sont déroulées, c'est une réussite.

Ce procès a eu lieu dans une atmosphère de guerre: trois avocats de la défense ont été tués, le premier juge a été révoqué. A cela il faut ajouter les pressions du gouvernement irakien. Le Premier ministre Nouri al-Maliki souhaitait aller vite, dans un souci d'union nationale.
On a beaucoup pointé du doigt la coïncidence avec les élections américaines. 

Que ce soit pour l'administration Bush ou pour le gouvernement irakien, il est évident que cette condamnation est une diversion par rapport à la situation catastrophique que connaît le pays. Mais la pression qui pesait sur le tribunal venait plus du côté chiite qu'américain.

Dans quelle mesure ce verdict risque-t-il d'occasionner de nouveaux troubles entre chiites et sunnites ?

- Il faut bien réaliser que la très grande majorité des irakiens, qu'ils soient chiites ou sunnites, détestaient Saddam, excepté bien entendu les sunnites de son bastion, à Tikrit.Le problème réside dans la symbolique de ce verdict. L'Irak se trouve déjà dans une situation de guerre civile, et voilà qu'on donne du retentissement à la condamnation du vieux dictateur, par exemple en imposant un couvre-feu. Tout cela donne à ce jugement une allure de victoire chiite, ce qui ne peut qu'attiser le conflit interconfessionnel.

Ce n'était pas le moment de faire intervenir la justice. Il est tout de même étrange de juger les gens en période de guerre.Pourquoi à ce moment-là ne pas se mettre à juger Moqtada el-Sadr, ou à instruire les exactions commises par les brigades de la mort ?

Cette condamnation pourrait, par ailleurs, donner du crédit au gouvernement irakien auprès des chiites, ce qui leur permettra peut-être de surmonter leurs divisions. Car on parle beaucoup du conflit opposant les chiites aux sunnites, en oubliant que la guerre oppose aussi les chiites aux chiites. Il existe pas moins d'une dizaine de mouvances chiites qui s'entredéchirent. Ce jugement constitue un motif de rassemblement.

La question du génocide kurde risque-t-elle d'être mise de côté ?

- Beaucoup de gens demandaient à ce qu'on attende que Saddam Hussein soit jugé pour les crimes commis à l'encontre du peuple kurde, notamment pour la campagne Anfal •dossier dans lequel il est poursuivi pour génocide et crime contre l'humanité. Ce qui est préoccupant, c'est qu'il pourrait être exécuté dans les trois mois, sans avoir à répondre de ces faits. Ce serait un véritable déni de justice pour les Kurdes.
Le gouvernement et la justice irakienne ont voulu ouvrir le procès très vite.
Ils se sont emparés de cette affaire de Doujaïl, mais les gros dossiers arrivent. Ils voulaient éliminer Saddam, sans doute poussés par la pression des chiites. Au final, ce procès qui devait être une étape importante pour l'Irak s'est noyé dans les histoires politiciennes, devenant un instrument du bras de fer interconfessionnel dans un pays déjà dévasté par la guerre civile.

Propos recueillis par David Caviglioli
(le lundi 6 novembre 2006)