Un photographe sort de l'ombre

9 décembre 2006

En août 1979, une photo prise en Iran fait le tour du monde. Un peloton d'exécution composé de soldats de la République islamique fait feu sur une dizaine de Kurdes sans armes. Elle est d'abord publiée dans le grand quotidien iranien Ettela'at, puis, par l'intermédiaire de l'agence UPI, dans des centaines de publications du monde entier.

Massacre

D.R. La photo de l'exécution de onze Kurdes, prise en Iran en 1979, avait décroché le Pulitzer anonymement.

Quelques mois plus tard, elle remporte le prix Pulitzer. De manière anonyme. En effet, le journal Ettela'at juge plus prudent de ne pas dévoiler l'identité du photographe.

Au fil des ans, l'image devient un symbole de la violence du régime de Khomeyni, et le mystère demeure. De temps à autre, tel ou tel photographe iranien à l'étranger se targue d'avoir pris ce cliché, sans apporter de preuve décisive.

ANONYMAT

Dans son édition du 4 décembre, le Wall Street Journal affirme avoir retrouvé le véritable auteur. Selon un long article de Joshua Prager, spécialiste des enquêtes au quotidien économique new-yorkais, il s'agirait de Jahangir Razmi, âgé aujourd'hui de 58 ans, vivant à Téhéran.

Il était en reportage dans le Kurdistan iranien en août 1979. Il a assisté à la mascarade de procès qui a abouti à l'exécution des onze Kurdes. Les photos sont parties par avion à Téhéran, tandis que le reporter restait sur place. Le rédacteur en chef d'Ettela'at a décidé la publication de la photo et opté pour l'anonymat de son auteur : "Je voulais protéger Razmi", explique-t-il au Wall Street Journal.

Joshua Prager a rencontré d'anciens collègues du photographe, des membres de la rédaction d'Ettela'at et d'anciens responsables d'UPI, l'agence qui a réceptionné la photo à Bruxelles, au lendemain de la parution en Iran. En outre, il affirme que M. Razmi lui a montré des planches-contacts (épreuves papier avant tirage) de la sinistre exécution, qui contiennent des clichés jamais publiés.

Le journaliste américain a commencé à s'intéresser à l'histoire de cette photo à partir de l'été 2002, en lisant un livre consacré aux lauréats du prix Pulitzer.

VRAIS ET FAUX INFORMATEURS

"J'ai mis beaucoup de temps à remonter la piste, a-t-il expliqué au Monde par téléphone depuis New York. Quand, finalement, j'ai pensé que le photographe était toujours en vie à Téhéran, j'ai tenté de contacter M. Razmi des Etats-Unis, mais c'était très difficile de naviguer entre les vrais et les faux informateurs. Je ne parle pas persan, et, quand j'ai enfin réussi à rencontrer M. Razmi à Téhéran, en août 2005, j'ai réalisé que j'avais parlé au téléphone avec des interlocuteurs qui se faisaient passer pour lui, mais qui n'étaient pas lui."

Le journaliste américain souligne qu'en 1979 le photographe a fait les choses en règle. "Il avait la permission d'un juge pour prendre ces photos. Il a donné les négatifs aux autorités quand elles les lui ont demandés. Il n'a pas touché un centime avec ces clichés publiés à l'étranger. Aujourd'hui, ce n'est pas lui qui a cherché à me contacter, mais plutôt l'inverse."

Convaincu de détenir ainsi les preuves que Jahangir Razmi est bien le véritable auteur des photos, Joshua Prager prépare un livre sur cette affaire. A la suite de la publication de l'article du Wall Street Journal, l'agence UPI a contacté les membres du jury Pulitzer pour leur suggérer d'attribuer nommément le prix à Jahangir Razmi.

Catherine Bédarida
Article paru dans l'édition du 10.12.06