Un Kurde pour l'Irak

Edito du Monde
LE MONDE | 07.04.05 | 15h02

Info 'éclection de Jalal Talabani à la présidence irakienne, mercredi 6 avril, est un événement sans précédent à plusieurs titres. C'est la première fois qu'un Kurde devient président de l'Irak et la première fois qu'un non-Arabe préside un pays à majorité arabe. Jalal Talabani sera aussi le premier président de l'Irak élu démocratiquement.Sans doute cette dernière affirmation doit-elle être relativisée. Les élections irakiennes du 30 janvier ne pourraient pas servir de modèle pour les vieilles démocraties. Mais, dans la situation chaotique de l'Irak, où la violence n'a pas cessé depuis la fin de la guerre américaine, elles ont tout de même doté le pays d'une Assemblée constituante à peu près représentative. Dans la région, ce n'est pas très courant.

On ne saurait oublier non plus que l'élection de Jalal Talabani par cette même Assemblée est le résultat de marchandages entre les partis chiites, majoritaires, les Kurdes, arrivés en deuxième position, et les sunnites. Le président venu du Kurdistan sera d'ailleurs flanqué de deux vice-présidents représentant les deux autres composantes de la société irakienne. Il ne pourra guère prendre de décision sans l'aval de ses deux adjoints. Cette forme de présidence collégiale peut être un handicap, mais elle manifeste aussi la volonté des trois communautés de travailler ensemble.

La désignation d'un Kurde à la plus haute charge officielle de l'Etat marque d'autre part le souci des nouvelles autorités de maintenir l'unité de l'Irak et écarte, à moyen terme au moins, une indépendance du Kurdistan, ce dont tous ses voisins, les Turcs en particulier, ne peuvent que se féliciter.

Cela dit, et sans préjuger de la forme de la Loi fondamentale qui sortira des délibérations de l'Assemblée constituante, la réalité du pouvoir n'appartiendra pas au président et à ses adjoints, mais au premier ministre. Le chef du gouvernement devrait être Ibrahim Jaafari, un islamiste modéré qui s'appuiera sur la majorité chiite pour gouverner. Le laïque Talabani n'aura guère les moyens de s'opposer au parti religieux si celui-ci veut imposer à l'Irak, sous l'oeil des Américains, une législation inspirée d'une interprétation fondamentaliste du Coran.

Le problème le plus urgent que les nouvelles autorités ont à résoudre reste cependant la persistance du terrorisme. Il n'est pas de jour en Irak où des attentats ne fassent des victimes parmi la population civile, les forces de l'ordre irakiennes ou les soldats de la coalition. Dans ses premières déclarations après son élection, le président Talabani a établi une différence entre les "terroristes", venus de et stipendiés par l'étranger, et "les Irakiens, qui portent les armes contre les forces étrangères", allusion aux groupes armés sunnites.

C'est un langage nouveau qui laisse à penser qu'une intégration de ces groupes dans le processus politique est possible, à condition qu'ils renoncent à la violence. S'ils s'engageaient sur cette voie, une nouvelle page serait tournée dans la marche de l'Irak post-Saddam vers la stabilisation.


Article paru dans l'édition du 08.04.05