Un groupe terroriste kurde frappe au coeur d'Istanbul

Info Marie-Michèle Martinet [15 février 2006]
A Istanbul, les rues du quartier de Beyoglu étaient calmes vendredi dernier. L'attentat, survenu la veille dans un cybercafé de la ville, avait dissuadé une partie de la clientèle de revenir sur les lieux. Le bilan de l'explosion de jeudi soir est resté à un mort et quinze blessés, dont un enfant de 13 ans. Lundi soir, un nouvel attentat à la bombe a fait quinze blessés dont deux graves. Ces deux attaques ont été revendiquées par les Faucons de la liberté du Kurdistan, un groupuscule apparu l'été dernier, au lendemain de l'explosion qui avait coûté la vie à cinq personnes, dont deux touristes étrangères, à Kusadasi, sur la côte égéenne de la Turquie. Non reconnue, dans un premier temps, par le PKK, l'organisationfondée par Abdullah Ocalan, ce groupe est désormais décrit, par la guérilla kurde elle-même, comme une branche dissidente engagée dans la poursuite de la lutte armée.

A LA VEILLE du septième anniversaire de l'arrestation d'Abdullah Ocalan, le 15 février 1999, au Kenya, les avocats italiens du chef historique du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) ont fait monter la tension en annonçant que leur client avait été victime d'un infarctus et qu'il se trouvait désormais «dans un état grave».

Depuis le début de son incarcération, sur l'île-prison d'Imrali, dont il est l'unique détenu, les conditions d'emprisonnement du chef indépendantiste kurde ont toujours été l'objet d'interminables polémiques.

La légende d'Abdullah Ocalan

Ce dernier rebondissement ne fait pas exception : contrariant la version des avocats italiens, ses avocats turcs affirment n'avoir reçu à ce jour aucune information alarmante concernant la santé de leur client et déclarent, par la voix d'un des leurs, Me Dundar : «Nous ne savons pas vraiment ce qui s'est passé.» `

Le ministère de la Justice turc rappelle pour sa part que le PKK est considéré par Ankara, mais aussi par l'Union européenne et par Washington, comme une organisation terroriste. Selon Türker Tok, directeur du département des Affaires pénitentiaires, cette information sur la santé du chef séparatiste ne vise qu'à «tromper l'opinion internationale». Elle participe aussi de la légende d'Abdullah Ocalan, toujours considéré, par de nombreux Kurdes, comme une sorte de Robin des bois, capable par exemple de déjouer la surveillance de ses geôliers pour continuer, depuis sa cellule, à diriger le PKK, via ses avocats.

Cependant, et au sein même du mouvement kurde, certains émettent de sérieux doutes : «J'ai passé de longues années dans les prisons kurdes, confie un ancien militant. Et je ne risquais pas, croyez-moi, de communiquer ainsi avec l'extérieur ! C'était absolument impossible ! Et je n'étais pas l'ennemi public numéro un !»

Une mobilisation accrue

Abdullah Ocalan, condamné en 1999 pour «trahison et séparatisme» à la peine capitale, a vu cette sentence commuée, en août 2002, en prison à vie. Il devrait écouler encore de longues années dernières les barreaux. Cependant, des démarches ont été entreprises, en Turquie, en faveur d'une amnistie qui, optant pour la clémence, ouvrirait la porte à une solution politique de la question kurde.

L'année dernière, l'avis prononcé par la Cour européenne des droits de l'homme, jugeant que le procès de 1999 n'avait pas été équitable, a laissé entrevoir la perspective d'un nouveau procès. Cependant, les résistances demeurent très fortes en Turquie à l'égard de toute tentative d'apaisement, même s'il apparaît de plus en plus que seul le dialogue puisse un jour rompre le cercle vicieux du terrorisme et de la répression. Dans l'immédiat, l'heure du dialogue ne semble pas avoir sonné.

Au lendemain des attentats sanglants d'Istanbul, certains observateurs estiment même que les séparatistes pourraient être tentés de prolonger leur politique de tension, au moins jusqu'au 21 mars, date du Newroz, le Nouvel An kurde.

Quoi qu'il en soit, à la veille de l'anniversaire à haut risque de l'arrestation de celui qu'elles considèrent comme le principal responsable de la sanglante guerre civile qui, entre 1984 et 1999, aurait coûté la vie à 37 000 personnes, la police et les forces de sécurité turques annoncent une mobilisation accrue.

La police prévoit notamment une mobilisation générale de ses effectifs, tandis que l'armée fait état d'un renforcement des points de contrôle dans le sud-est du pays.