Un "faucon" favorable à une opération en Irak à la tête de l'armée turque


LE MONDE [1er août  2006] ANKARA ENVOYÉE SPÉCIALE

e gouvernement turc a nommé à la tête de son armée, lundi 31 juillet, un général considéré comme un "faucon". Cette nomination intervient au moment où la Turquie relance ses menaces d'intervenir dans le nord de l'Irak et s'interroge sur sa participation à une force de paix au Liban.
 
AFP/STR
Le général Yasar Büyükanit, considéré comme un "faucon" a été nommé à la tête de l'armée turque, lundi 31 juillet.
Conforme aux traditions de rotation à la tête de l'état-major, la nomination du général Yasar Büyükanit, 66 ans, commandant des forces terrestres, pour remplacer le général Hilmi Özkök, un "modéré" qui part à la retraite, met fin à des mois de spéculations sur la volonté supposée du gouvernement turc de s'opposer à cette succession.

PENCHANTS NATIONALISTES

Le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), aux racines islamistes, fut ainsi accusé par l'opposition "kémaliste", laïciste et nationaliste comme les militaires, d'avoir poussé un procureur de province à demander - audace sans précédent - la mise en examen du futur numéro un de l'armée pour liens occultes avec un gang de provocateurs antikurdes.

Le procureur fut radié, mais le général Büyükanit, bien que déclaré au-dessus de tout soupçon, pourrait réagir en "animal blessé", estiment certains commentateurs, et chercher à se venger.

Le général Büyükanit est, en effet, connu pour ses rigidités sur les questions sécuritaires et ses penchants nationalistes, tout en étant accusé, dans les milieux islamistes qu'il combat, d'être "pro-américain" et "pro-israélien". Il serait surtout un "faucon" de la lutte contre le PKK - le parti ex-marxiste et séparatiste des rebelles kurdes de Turquie qui opèrent aussi à partir du nord de l'Irak.

En novembre, il critiqua le gouvernement pour son refus d'ordonner une intervention de l'armée contre les camps irakiens du PKK, après des attaques de celui-ci en Turquie. En juillet, des attaques plus meurtrières encore - 15 militaires turcs tués par le PKK en trois jours - ont fait la "une" des médias et amené le gouvernement à menacer d'intervenir "au cas où le gouvernement irakien ou les forces américaines en Irak ne prenaient pas eux-mêmes les mesures nécessaires".

Mais les Etats-Unis ont, comme toujours, exprimé leur opposition à toute opération "unilatérale" de l'armée turque en Irak, tout en promettant de coopérer avec la Turquie, membre de l'OTAN, contre le PKK - que Washington, de même que l'UE, ont inscrit sur leurs listes d'organisations terroristes. Ces promesses ne furent jamais mises en oeuvre, ce qui a nourri le soupçon, en Turquie, que les Etats-Unis veulent préserver le PKK comme une arme contre les régimes d'Iran et de Syrie, où celui-ci est également actif. C'est, en tout cas, ce qu'affirme l'ambassadeur d'Iran à Ankara, qui se félicite de la bonne coopération de la Turquie avec son pays contre le PKK.

BESOINS SÉCURITAIRES

Dans ce contexte, l'attaque israélienne contre le Liban à la poursuite du Hezbollah a eu pour effet d'accroître l'irritation turque contre Washington, les médias dénonçant la politique de "deux poids, deux mesures" des Américains, qui "encouragent Israël à faire ce qu'ils interdisent à la Turquie". Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a dû hausser le ton et tancer les Américains avant d'en obtenir des mises au point, confirmant que la Turquie "a le droit de se défendre contre le terrorisme".

Des séries de rencontres entre représentants turcs, américains et irakiens, ainsi que des entretiens téléphoniques entre MM. Bush et Erdogan, ont permis à ce dernier d'assurer à son pays que, cette fois, les Américains seraient décidés à agir contre le PKK. Des membres de l'administration kurde d'Irak entamaient, par ailleurs, leurs premiers entretiens sur le sujet en Turquie.

Mais, c'est surtout l'éventualité d'une participation turque à la force de paix envisagée pour le Liban qui donnerait à M. Erdogan l'espoir de voir les besoins sécuritaires de son propre pays pris finalement en compte.

Pour autant, les militaires turcs - et sans doute le général Büyükanit lui-même, qui doit prendre ses fonctions le 30 août - restaient très prudents sur leur intérêt à se joindre à une force dont les conditions de déploiement sont inconnues, où ils risquent d'être les seuls membres musulmans et de se retrouver au côté uniquement de membres de l'OTAN, estimait-on, lundi, de source diplomatique à Ankara.


Sophie Shihab
Article paru dans l'édition du 02.08.06