KURSAT BAYHAN POUR « LE MONDE »
Un portrait d’Abdullah Öcalan, brandi pendant les célébrations de Norouz, à Van (Turquie), le 19 mars 2025. KURSAT BAYHAN
Lemonde.fr | Par Nicolas Bourcier
Plus de quarante ans après sa création, le Parti des travailleurs du Kurdistan a annoncé sa dissolution, un soulagement pour certains, une inquiétude pour d’autres. Malgré l’échec de la lutte armée, l’organisation continue d’incarner la défense de l’identité kurde.
Une longue page d’histoire se tourne en Turquie, et c’est toute une région qui retient son souffle. L’annonce du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de sa propre dissolution, le 12 mai, marque un tournant politique dans le pays et même au-delà des frontières. L’organisation, estampillée « terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux et qui, plus que toute autre, a incarné la rébellion identitaire kurde, a clos – du moins sur le papier – plus de quarante années de lutte armée contre le pouvoir central turc.
Malgré les incertitudes qui planent sur les négociations en cours, le PKK laisse ainsi entrevoir la fin de ce conflit, qualifié par les spécialistes de « sale guerre », en raison de la violence et des graves atteintes aux droits humains dont ont été accusées les deux parties. Le bilan de ces quatre décennies sanglantes est vertigineux : plus de 40 000 morts, majoritairement kurdes, des milliers de disparus, entre 3 000 et 4 000 villages vidés ou rasés, deux millions à trois millions de déplacés et au moins autant de vies brisées.
Il n’existe pas d’estimations précises du coût financier du conflit, mais si l’on se fie à Cemil Çiçek, ancien ministre du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, la répression de l’insurrection kurde aurait coûté, entre les années 1980 et 2010, pas moins de 300 milliards de dollars (265 milliards d’euros) à l’Etat. Autant de chiffres qui témoignent d’une faillite collective : une plaie béante dans le Sud-Est turc, majoritairement kurde, exsangue économiquement et moralement épuisé.
Et pourtant. Malgré les revers militaires et les revirements idéologiques, l’influence de l’organisation paraît intacte dans la région. L’incarcération, depuis vingt-six ans sur l’île-prison d’Imrali, en mer de Marmara, du fondateur et chef historique du PKK, Abdullah Öcalan, n’a pas non plus écorné l’image de celui que l’on surnomme « Apo », en référence à la figure protectrice de l’« oncle » dans la culture traditionnelle kurde. Ce dernier est encore perçu comme celui qui a maintenu la cohésion de l’appareil du PKK, contribuant à porter la question kurde au-delà des frontières de la Turquie.
Partout, dans ce Sud-Est turc, les formations prokurdes n’ont cessé de remporter, malgré les poursuites judiciaires et les arrestations d’élus, d’indéniables succès politiques, ces dernières années. Avant la guerre, de telles formations n’existaient tout simplement pas. Aujourd’hui, c’est l’une d’entre elles – le Parti de l’égalité des peuples et de la démocratie (DEM) – qui est au cœur des pourparlers engagés depuis l’automne 2024 entre le pouvoir, le PKK et Abdullah Öcalan. Avec un socle de près de 10 % des électeurs, elle a conquis la place de faiseur de rois sur l’échiquier politique national.
« Voilà plus de dix ans que le PKK n’est plus actif militairement en Turquie, rappelle l’historien kurde Hamit Bozarslan, directeur de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Il n’en demeure pas moins un acteur de référence, réussissant au-delà de ce qu’il pouvait espérer : l’espace kurde est réactivé. »
Selon une autre spécialiste, l’autrice suisse Jacqueline Sammali, la lutte menée par le PKK a permis aux Kurdes de se débarrasser de leur sentiment de honte et d’infériorité. Elle leur a rendu leur fierté, avance-t-elle, après le long processus de « dépersonnalisation » opéré par la République turque qui, dès son avènement, en 1923, avait interdit leur langue et nié leur identité. Le changement est notable, en particulier chez les jeunes. Selon une enquête du centre de recherche Rawest, menée dans la métropole de Diyarbakir, entre 2016 et aujourd’hui, les nouvelles générations s’éloignent d’une certaine forme de radicalité, mais revendiquent leur identité kurde bien plus ouvertement que leurs aînés.
Pour prendre la mesure de l’empreinte laissée par le PKK et son chef historique, il faut rouler à travers le sud-est de la Turquie. Laisser les grandes villes et remonter le fil de cette histoire en commençant par le village kurde de Kirbasi, situé à une demi-heure de Sanliurfa, sur la route de Diyarbakir. Ici, tout n’est que poussière et gravats : la terre, les collines et les hommes. Un parfum de désolation flotte autour des rares bâtisses encore debout, flanquées de quelques arbres, rendus à l’état de tisons par le soleil. C’est dans la grande maison située en bordure du hameau qu’eut lieu la toute première attaque du PKK, il y a quarante-six ans, le 30 juillet 1979.
L’organisation, née quatre mois plus tôt, n’est alors composée que d’une dizaine de personnes rassemblées autour d’Abdullah Öcalan. Afin de mettre en application les orientations et les principes d’avant-garde révolutionnaire et indépendantiste qu’ils se sont fixés, il leur faut un acte fondateur. Leur choix se porte sur le propriétaire de cette grande maison, un certain Celal Bucak.
Député d’un parti lié au pouvoir turc, l’homme est aussi un « agha », un chef de clan kurde à la tête d’un important réseau criminel et mafieux, tenant sous sa coupe une cinquantaine de villages alentour. Un seigneur local, craint et le plus souvent honni par les villageois. Selon le petit groupe du PKK, l’assassinat d’un « agha » – personnification du système féodal opprimant les paysans kurdes – doit conduire la population à prendre conscience qu’il est possible de briser les chaînes de l’oppression en rejoignant les rangs de l’organisation.
Un commando de six hommes est missionné pour kidnapper l’« agha » et l’exécuter sur la place publique de Siverek, la ville voisine. Mais rien ne se passe comme prévu. Le pistolet du premier tireur s’enraye. La grenade lancée par un deuxième assaillant n’explose pas. Un troisième tir en rafale provoque une riposte armée. Deux membres du PKK et un garçon de 9 ans sont tués. Celal Bucak, lui, survit à l’attaque. Si l’opération est un fiasco, elle provoque une onde de choc sans précédent.
Des tracts annonçant la création du PKK sont distribués dans les villes des militants. Le texte évoque pêle-mêle la situation au Moyen-Orient, le marxisme-léninisme et l’importance du rôle de la lutte armée. Avec une étonnante assurance, il met en avant cette identité kurde, complexe et traumatique, victime d’un déni et d’un écrasement quasi constants depuis la fondation de la République turque. Cette même année 1979, deux personnalités proches du PKK sont élues maires de deux grandes villes kurdes, Batman et Hilvan. L’un sera assassiné quelques semaines plus tard par les services secrets turcs ; le second est emprisonné, remplacé par un administrateur de l’Etat l’année suivante. Il n’empêche, l’époque est bel et bien celle de l’éveil politique des Kurdes de Turquie.
L’étape suivante est celle de la montée de la violence. En 1984, le PKK déclare la guerre à Ankara. Abdullah Öcalan, surnommé le « tueur d’enfants » ou le « parrain du terrorisme », devient l’ennemi numéro un de la Turquie. Les témoignages de certains recrutements forcés, les attentats-suicides et immolations par le feu, glorifiés dans les premiers temps par le PKK, exacerbent les critiques contre l’organisation. Arrêté et condamné à mort, le chef du PKK voit finalement sa peine commuée en détention à perpétuité.
A une demi-douzaine de reprises, du fond de sa cellule, il demande un cessez-le-feu. En 2013, il appelle à la fin de la lutte armée. On parle alors d’un « processus de paix kurde », engagé entre Ankara et le PKK, avant que celui-ci échoue deux ans plus tard.
A une heure de route, situé à un jet de pierre des gorges de l’Euphrate, Ömerli paraît suspendu dans le vide et dans le temps. Rien ne le différencie des autres villages kurdes, sinon qu’il vit naître Abdullah Öcalan, le 4 avril 1949.
Aujourd’hui encore, l’entrée y est surveillée en permanence par deux véhicules de la gendarmerie turque. La petite maison familiale est toujours là, intacte, dans une ruelle poussiéreuse, au milieu d’habitations chancelantes de brique et de béton. Personne n’habite plus derrière le portail ouvert aux vents et aux rares visiteurs de passage. C’est Mehmet Öcalan, le dernier frère vivant du leader du PKK, qui prend soin des lieux. Lui s’est installé un peu plus loin, en bordure de champ. A l’intérieur de la maison ne restent qu’un canapé dans le salon et quelques photos noir et blanc accrochées aux murs.
La voisine, Naile, est l’une des rares habitantes à vivre ici toute l’année. Mère de onze enfants, elle a emménagé dans le village il y a plus d’un demi-siècle. Elle dit avoir vu « Serok », le « chef », comme elle l’appelle, à deux reprises au cours de son existence. Elle sait qu’une des premières réunions du PKK s’est tenue ici. « Ç’a toujours été dur dans la région : les gendarmes, les militaires, les contrôles permanents… », confie-t-elle, avant de dire, par bribes : « Le pire a été les années 1990, la guerre et les disparitions. Depuis, nous n’avons jamais reçu aucune aide de l’Etat. » Ce qu’elle souhaite ? « La paix aujourd’hui et maintenant. Il y a eu trop de morts des deux côtés. Ça suffit ! »
Elle veut y croire : « Acter la dissolution, ce n’est pas rien ! Ça peut marcher, s’il n’y a pas de provocation » de la part des militaires, de l’extrême droite ou d’une aile combattante du PKK. En bonne gardienne du passé, elle rappelle que tous les enfants ont quitté le village, y compris les siens. La tendance s’est accélérée au début des années 2020, en raison de la situation économique : un village comme Ömerli n’offre aucune perspective à la jeunesse. Devant la modeste maison de Naile, le chantier d’une nouvelle mosquée est à l’arrêt. Financée avec l’argent collecté par les villageois, elle attend de nouveaux fonds.
A moins d’une dizaine de kilomètres de là, la petite ville moderne de Halfeti a célébré Norouz, le Nouvel An kurde. A la faveur des négociations en cours, les autorités avaient autorisé l’étalement de la fête sur plusieurs jours, à la mi-mars. Sur la place centrale, plusieurs centaines d’habitants s’étaient rassemblés pour écouter des représentants du DEM et un groupe de musique kurde. Dans l’assemblée, quelques jeunes avaient même scandé « Vive le chef “Apo” ! », sous le regard impassible des policiers omniprésents, mais en retrait.
Mehmet, le frère d’Abdullah Öcalan, s’était déplacé pour l’occasion. Avec sa moustache drue et ses traits, l’air de famille est indéniable. Assis à l’ombre de l’estrade, il serre les mains à tout-va. « Le processus en cours est bon pour tout le monde, déclare-t-il alors au Monde. Quand le mot “dissolution” a été prononcé, nous avons tous été surpris. Au début, il y a eu de la colère, oui, nous avons payé tellement cher cette lutte. Et puis, les gens ont compris, ils ont commencé à accepter. »
Son fils, neveu d’Abdullah Öcalan et député DEM à l’Assemblée nationale, était présent lui aussi. « Un temps, on est considéré comme terroriste ; un autre, on est dirigeant politique, plaisante-t-il. Rien n’est définitif ici. » Militant pour les droits kurdes, âgé de 37 ans, bilingue turc-kurde, diplômé en communication de l’université d’Ankara, Ömer Öcalan appartient à cette génération qui n’a connu que la guerre, ou presque. Une époque durant laquelle la question kurde a été réduite à la criminalisation du PKK et au terrorisme. Où un journaliste a été incarcéré pour avoir écrit « monsieur » devant le nom d’Abdullah Öcalan. Où un maire avait réclamé le changement des couleurs des feux de circulation parce qu’ils représentaient, à ses yeux, les couleurs kurdes – le rouge, le jaune et le vert.
Ecouter Ömer Öcalan, c’est apprendre des éléments de langage au sujet de cette identité kurde qui n’a cessé d’infuser et de transcender le cadre national. « Les Kurdes aiment résister et lutter, mais aussi construire, assure le député. Ce que nous voulons, c’est une démocratisation du Moyen-Orient. Nous sommes forts désormais. Aujourd’hui, le Rojava, dans le Nord syrien [territoire administré par une autorité kurde], est une réalité. Nous pouvons y arriver ! »
Au-delà du ton volontaire s’expriment aussi les craintes liées à la situation politique du moment et à la poursuite des négociations entre son parti et le pouvoir, dont rien ne filtre. « Bien sûr qu’il y a des doutes, que l’on se méfie. Erdogan est d’un genre autoritaire, mais nous trouverons un chemin, affirme Ömer Öcalan. Si le chef de l’Etat réussit à faire la paix avec les Kurdes, il sera une sorte de second Atatürk, le fondateur d’une nouvelle république. Il doit y penser. »
Autre député du DEM, Ferit Senyasar, 42 ans, revient de loin. Longtemps, il a fait la une des journaux locaux. Lors des élections de 2018, au cours d’une distribution de tracts à Suruç, ville kurde de Turquie, frontalière de Kobané, en Syrie, deux de ses frères sont morts sous les balles des gardes du corps d’Ibrahim Halil Yildiz, candidat du Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir). Son père a été abattu alors qu’il était transporté à l’hôpital. Blessé, Ferit Senyasar s’en est sorti par miracle.
Pendant près de deux ans, lui et sa mère, Emine, avaient ensuite manifesté tous les jours, devant le palais de justice de Sanliurfa, puis sur les marches de la Grande Assemblée nationale turque et du ministère de la justice, à Ankara, exigeant que les assassins soient punis. Il a été arrêté à plusieurs reprises. Puis, lors des élections de 2023, il a remporté un siège au Parlement. « Après toutes ces années, nous sommes fatigués, reconnaît-il. Il nous faut faire preuve de bon sens et trouver une issue pacifique. »
A l’automne 2024, deux hauts responsables de l’AKP sont venus le voir. Ils lui ont proposé de faire la paix, expliquant que ce geste était important en ces temps de reprise des négociations entre les Kurdes et le pouvoir. « J’ai accepté », murmure-t-il, avant d’expliquer : « M. Öcalan a fait le premier pas. Nous, le peuple, devons désormais nous mobiliser pour mener à bien le processus de paix. La balle est dans le camp de l’Etat. »
Pour la fête de Norouz, à Hilvan, à près de 150 kilomètres plus à l’est, une foule s’était pressée sur le terrain vague aménagé par les autorités locales. Longues robes de couleur, tenues vert kaki traditionnelles, danses et cris de joie : les jeunes étaient venus nombreux devant le podium, où les intervenants s’exprimaient en turc, mais aussi en kurde – chose impensable il y a encore une quinzaine d’années. « Il y a quarante ans, rien n’existait, ni langue ni identité kurde ; aujourd’hui, on parle de démocratie et de liberté », s’était réjoui un élu, tandis qu’un autre s’émouvait : « Les Turcs et les Kurdes marchent depuis mille ans ensemble, la route est longue, mais nous voulons que cette paix aboutisse. Que Dieu nous protège ! »
Parmi les jeunes, Yilmaz, 21 ans, n’a pas poursuivi ses études après le collège, même s’il tient à préciser qu’il lit beaucoup. Travailleur indépendant, il connaît les récits de ceux qui sont « partis à la montagne » (rejoindre le PKK) : « Personne n’y allait pour le plaisir, c’est un aller dont on ne revient pas. » Lui-même n’est pas favorable à la dissolution de l’organisation, « parce qu’[il n’a] aucune confiance en l’Etat turc ». « Qui nous protégera si les négociations échouent de nouveau ? », s’inquiète-t-il. Jusqu’à présent, le gouvernement exige que le PKK dépose les armes, sans condition. « Le pouvoir fait comme s’il ne voulait pas donner l’impression de marchander, pense Yilmaz. On dirait qu’il prend le PKK pour un mouton sacrificiel, tout cela n’augure rien de bon. »
Mehmet Ali, 22 ans, laborantin à l’université d’Adiyaman, a lui aussi célébré Norouz à Hilvan. « Les gens ont soutenu le PKK, même après l’insurrection qu’il a déclenchée dans une dizaine de villes, à l’été 2015 », raconte-t-il. Cet épisode, resté connu sous le nom de « guerre des villes », s’était soldé par des destructions massives, et des régions entières étaient passées sous occupation militaire. Le jeune homme admet que beaucoup avaient critiqué cette stratégie désastreuse et que certains avaient pris avec l’organisation une distance qui n’existait peut-être pas auparavant. « Mais le PKK est toujours dans les têtes, insiste-t-il. Même à distance, repliée dans les montagnes du nord de l’Irak, l’organisation est restée notre seule véritable forme de reconnaissance. Les combattants sur le sol turc sont partis, mais l’organisation n’a jamais paru aussi présente. »
A Diyarbakir, Reha Ruhavioglu, l’un des fondateurs du centre de recherche Rawest, utilise la métaphore du père de famille : « Pour beaucoup, le PKK représentait la parole la plus importante, la figure tutélaire la plus dynamique, la plus centrale. » Avec le temps, les mécanismes d’emprise se sont desserrés, poursuit-il, « mais cela n’enlève rien à la valeur de cette image du père : quand arrive le moment de lui dire adieu, les personnes se remémorent à quel point il a été précieux ».
En quittant Hilvan, il faut reprendre la route pour s’enfoncer dans cet extrême Sud-Est turc où chaque poste de contrôle de gendarmerie renvoie aux meurtrissures d’un passé jamais apuré. Où les miradors plantés sur les bas-côtés ou à flanc de colline rappellent le quadrillage strict d’un territoire déjà accidenté. Et où le délabrement des habitations reflète la mise à l’écart de la région.
Semdinli est un lieu à part. A la frontière de l’Iran et du nord de l’Irak, cette agglomération kurde brûlée par le soleil a vu les guerres passer des collines aux maquis qui l’entourent, dans un enchaînement à donner le tournis. A la fois bastion du PKK et avant-poste de l’Etat turc en région rebelle kurde, elle fut le théâtre de la première attaque revendiquée par l’organisation contre Ankara. C’est ici, en haut de la rue principale, qu’un commando de vingt et un hommes a pris d’assaut le commissariat de la ville, le 15 août 1984, cinq ans après l’attaque du village de Kirbasi. Cette opération, qui coûta la vie à trois soldats, avait donné le signal de départ de la lutte armée contre le pouvoir central.
Seferi Yilmaz a participé à l’attaque. Grand gaillard, moustache joviale et parole nourrie, il avait 21 ans à l’époque. Originaire de Semdinli, c’est lui qui avait tracé le plan de la ville pour le commando. « L’important, c’était la propagande, confie-t-il. J’ai fait partie du groupe qui prévenait les gens dans les cafés. La région est très conservatrice et peu lettrée. Tant que les gens ne te voient pas avec une arme, ils ne te croient pas. On a voulu leur montrer que le PKK existait bien. »
Arrêté six mois plus tard, il est d’abord détenu dans la tristement célèbre prison n° 5 de Diyarbakir, où il reçoit une « centaine de coups par jour », témoigne-t-il, en relativisant : « Comparé à ce que les autres avaient subi avant moi, ça allait. » Au procès, le parquet avait requis la peine de mort. Il fut condamné à de la perpétuité, avant d’être libéré au bout de quinze ans, à la suite d’une amnistie.
De retour à Semdinli, il avait racheté une petite librairie. En 2005, un individu lance deux grenades dans sa boutique, tuant un client. L’assaillant et ses deux complices sont rattrapés et arrêtés par la foule. Sur les trois hommes, deux s’avèrent être des militaires en civil.
Plus tard, Seferi Yilmaz a été élu maire, puis destitué et emprisonné de nouveau, pour terrorisme. Il passe alors un an derrière les barreaux. Aujourd’hui, il est surtout préoccupé par la réouverture de sa librairie. « Après m’être dévoué pendant tant d’années au PKK, je suis tombé dans le vide le jour de l’annonce de la dissolution, dit-il. Mais, à bien regarder l’histoire, l’organisation a évolué, elle s’est adaptée. Aujourd’hui, la solution démocratique est la seule issue. » Pour la première fois dans l’histoire de la République de Turquie, un soulèvement kurde pourrait s’achever de lui-même. « Ce n’est pas rien », dit-il en souriant.