Trump abandonne les Kurdes syriens à leurs ennemis turcs

mis à jour le Lundi 7 octobre 2019 à 19h13

Lefigaro.fr | Adrien Jaulmes

En annonçant le retrait des troupes américaines de la frontière syro-turque, la Maison-Blanche donne à la Turquie le signal qu’elle attendait pour envahir le Rojava.

MOYEN-ORIENT En un communiqué, Donald Trump a changé radicalement le cours de la politique américaine en Syrie, abandonnant ses protégés kurdes syriens, prenant par surprise ses alliés européens et laissant les mains libres à la Turquie pour intervenir dans le nord de la Syrie. En assurant dimanche soir qu’il allait retirer les troupes américaines déployées le long de la frontière entre la Syrie et la Turquie, Trump a donné à son homologue turc Recep Tayyip Erdogan le signal qu’il attendait depuis des mois pour envahir le Rojava, plongeant les alliés des États-Unis dans une confusion mêlée de consternation.

Le Rojava, territoire taillé dans le nord-est de la Syrie entre l’Euphrate et la frontière irakienne par les militants kurdes syriens, a servi de base à la contre-offensive victorieuse de la coalition internationale contre l’État islamique, dont la prise de Raqqa en 2017 a été le point culminant et la bataille du réduit de Baghouz en mars dernier l’ultime épisode. Mais, pour Ankara, cette zone est depuis sa création un bastion terroriste servant de base arrière au mouvement séparatiste du Parti des travailleurs kurdes, le PKK. « Le président Trump a parlé au téléphone avec le président Erdogan, a dit un communiqué du département d’État. La Turquie va bientôt lancer son opération prévue de longue date dans le nord de la Syrie. Les forces armées des États-Unis ne soutiendront pas et ne participeront pas à cette opération, et les forces américaines, après avoir vaincu le Califat de l’État islamique, ne seront plus présentes dans la zone.»

Des millions de déplacés 

Lundi soir, un haut responsable américain précisait cependant qu’« il ne s’agit pas d’un retrait de Syrie » mais d’un redéploiement de quelques dizaines de forces spéciales vers d’autres bases à l’intérieur du pays. Plus tôt dans la journée, les forces américaines en observation le long de la frontière entre la Syrie et la Turquie avaient déjà commencé à se retirer de deux villes frontières, Tel Abiad et Ras al-Ayn (Seri Kanie, en kurde). Outre la dimension morale de cette décision, qui revient à abandonner en rase campagne et sans garanties les combattants kurdes qui ont permis la victoire contre l’État islamique en Syrie, et ont perdu dans ces batailles près de 10 000 des leurs, ses conséquences stratégiques sont potentiellement dévastatrices pour les États-Unis et leurs alliés.

Une offensive turque risque de voir les YPG, les milices kurdes syriennes qui empêchaient jusqu’alors la résurgence de l’EI entre Raqqa et Deir Ezzor, se retirer de la vallée de l’Euphrate pour se porter vers le nord, et laisser ces zones à la merci d’un retour des djihadistes. La défaite probable des Kurdes face aux Turcs risque aussi de provoquer un exode des populations civiles et de voir le retour dans la région des djihadistes alliés à Ankara. L’idée fréquemment avancée par Erdogan consisterait à transférer les millions de déplacés syriens qui s’entassent sous le contrôle d’al-Qaida dans la région d’Idlib vers les zones kurdes de Syrie, où ils serviraient de cordon sécuritaire à la Turquie le long de la frontière.

La fin du soutien américain aux Kurdes offre aussi potentiellement à la Syrie de Bachar el-Assad l’occasion de reprendre le contrôle de la partie orientale de son territoire.

Pour les Occidentaux, la menace d’une invasion turque du Rojava est liée au sort des dizaines de milliers de djihadistes et de leurs familles, actuellement prisonniers des Kurdes, qui passeraient sous le contrôle de la Turquie ou profiteraient de l’occasion pour s’évader. « Le gouvernement des États-Unis a pressé la France, l’Allemagne et d’autres pays européens d’où sont originaires de nombreux combattants de l’État islamique, de reprendre leurs ressortissants, mais ils ne veulent pas d’eux et ont refusé, a dit le communiqué américain. Les États-Unis ne veulent pas les garder pour de nombreuses années aux frais pour le contribuable américain. La Turquie sera dorénavant responsable de tous les combattants de l’État islamique capturés dans la zone pendant les deux dernières années. »

Mise en garde américaine 

En décembre 2018, Trump avait déjà annoncé le retrait des forces spéciales américaines du nord de la Syrie, provoquant la même stupeur, et ce jusqu’au Pentagone. En complet désaccord avec cette décision, le général James Mattis, secrétaire d’État à la Défense, avait remis sa démission. Les militaires avaient finalement réussi à obtenir de maintenir une partie de leurs forces en Syrie.

Le Pentagone a préféré clarifier les choses, et a indiqué clairement à la Turquie qu’il « ne caution(nerait) pas une opération turque dans le nord de la Syrie », mettant en garde Ankara contre les « conséquences déstabilisatrices » que pourrait avoir une telle opération.

La France a aussi annoncé sa préoccupation après cette annonce. « Nous allons être extrêmement attentifs à ce que le désengagement annoncé des États-Unis et une éventuelle offensive de la Turquie ne créent pas de diversion dangereuse de l’objectif que nous poursuivons tous - la lutte contre Daech », a dit Florence Parly, la ministre des Armées.