Téhéran intensifie la répression contre les Kurdes

16 août 2007

Pendaisons, arrestations, fermetures de journaux... Il souffle sur l'Iran un vent de répression accrue, particulièrement aux marches du pays où la présence de minorités ethniques et religieuses fait craindre aux autorités de Téhéran des risques de rébellion. C'est le cas des provinces frontalières de l'Irak et de la Turquie, où vivent la plupart des 6 millions de Kurdes iraniens.

Cette forte minorité a une longue histoire de soulèvements, contre le chah puis contre la République islamique dès son avènement en 1979. Créé il y a trois ans, le groupe armé Pejak (Parti pour une vie libre au Kurdistan), multiplie les embuscades depuis les montagnes du nord de l'Irak où se situent ses camps d'entraînement. Téhéran accuse Washington de les financer pour tenter de déstabiliser le régime.


AFP/STRINGER
Le président Mahmoud Ahmadinejad s'est rendu, mercredi 15 août, au Turkménistan pour évoquer la coopération antiterroriste.

Le 31 juillet, la justice iranienne a confirmé la condamnation à mort par pendaison de deux journalistes kurdes, Adnan Hassanpour et Abdolvahed Botimar. "Depuis l'élection de Mahmoud Ahmadinejad, la répression s'est renforcée", estime Asso Hassan Zadeh, conseiller du comité central du Parti démocratique du Kurdistan-Iran (PDKI, parti d'opposition en exil). "Mais le cas d'Adnan revêt une autre dimension, dit-il, en raison de son profil : c'est un journaliste, kurde, condamné à mort sur des accusations extrêmement graves sans que la moindre preuve ait été apportée. Même au plus fort de la guérilla kurde [de 1980 jusqu'au milieu des années 1990], alors qu'il y avait une répression massive et des exécutions sommaires, nous n'avions pas assisté à une telle condamnation. Téhéran sent le danger intérieur, les risques de rébellion et veut faire un exemple pour terroriser la population."

C'est la première fois que des journalistes sont ainsi condamnés à mort en Iran. Adnan Hassanpour, 27 ans, dirigeait la section kurde d'Asso (Horizon), magazine bilingue, jusqu'à sa fermeture en 2005 par Téhéran. Il collaborait en outre à des publications du Kurdistan irakien. Selon l'acte d'accusation et les "aveux" obtenus lors de sa détention, M. Hassanpour aurait reçu des Américains "des appareils d'espionnage" sophistiqués pour recueillir des informations sur des bases militaires iraniennes. Il aurait également contacté des responsables du département d'Etat américain, à qui il aurait proposé d'ouvrir un "bureau" en Irak destiné à conseiller les opposants à la République islamique.

Au terme d'un procès à huis clos, Adnan Hassanpour a été reconnu coupable d'"activités subversives contre la sécurité nationale", d'"espionnage" et de "blasphème". Il a également été qualifié de "mohareb", terme signifiant qu'il a "pris les armes pour tenter de renverser le régime", une des charges les plus sérieuses selon la loi iranienne, punie des peines les plus lourdes, dénonce M. Hassan Zadeh. "Comme la plupart des Kurdes de sa génération, Adnan est un patriote, mais n'a jamais appartenu à aucun parti", précise-t-il.

Jalil Azadikhah, rédacteur en chef d'Asso, lui-même mis en examen, s'est enfui d'Iran. Selon lui, "en s'en prenant à deux journalistes inoffensifs, la République islamique, consciente de la fragilité de sa base populaire, veut envoyer un signal à tous ceux qui critiquent le régime pour les forcer à se taire ou à quitter le pays".

Abdolvahed Botimar, dit "Hiwa", 30 ans, était lui aussi journaliste et défenseur de l'environnement. Il milite dans l'organisation non gouvernementale Sabzchia (Montagne Verte). Téhéran affirme avoir retrouvé à son domicile des munitions destinées au groupe armé Pejak. Dans son cas aussi, les défenseurs du condamné à mort estiment ces accusations "montées de toutes pièces" et basées sur des "aveux obtenus sous la torture". Depuis le verdict, personne ne sait où se trouvent les deux journalistes. La dernière demande de visite de leurs familles a été rejetée le 6 août. Selon la loi, les condamnés peuvent encore faire appel de la sentence, mais au vu de la gravité des accusations, leurs proches sont pessimistes.

Au-delà de ces condamnations, la situation dans les provinces kurdes d'Iran est confuse et explosive. La nuit du 9 juillet 2005, un jeune Kurde, Shovan Seyed Ghader, a été tué par des agents de la République islamique dans la ville kurde de Mahabad. La publication de photos de son corps mutilé avait enflammé les rues. "Après la mort de Shovan, il y a eu un mouvement de protestation sans précédent. Depuis, la tension reste permanente, affirme M. Hassan Zadeh. Pas un jour ne se passe au Kurdistan sans des accrochages entre la population et les représentants des forces de l'ordre, provoquant morts et blessés."

Les communautés kurdes yézidie et yarzan, des sectes non musulmanes, redoutent de surcroît la contagion de la guerre entre chiites et sunnites d'Irak dans le Kurdistan iranien. "C'est déjà perceptible, s'inquiète Farhad Haidary, représentant yarzan exilé en France. Notre communauté joue les "casques bleus" entre les Kurdes sunnites et le reste de la population chiite. Je ne suis pas optimiste. D'un côté, Téhéran impose un chiisme exacerbé et intolérant, de l'autre, les pétrodollars du Golfe financent les mosquées sunnites du Kurdistan."

Un responsable politique kurde, qui préfère ne pas donner son nom, évoque lui aussi la situation en Irak pour expliquer le durcissement de Téhéran : "Même si la majorité des Kurdes iraniens ne souhaitent pas une intervention américaine en Iran, l'exemple des Kurdes d'Irak qui ont soutenu l'invasion américaine a créé un dangereux précédent aux yeux de Téhéran. La répression exercée est une "mesure préventive", car les Kurdes ont toujours été les porte-drapeaux des problèmes nationaux. On le voit aujourd'hui : les Azéris, les Baloutches, les Arabes d'Iran commencent eux aussi à réclamer des droits."

Depuis deux ans, les régions frontalières où vivent ces autres minorités sont agitées par la violence. L'attaque la plus spectaculaire a visé un bus des Gardiens de la révolution, faisant 11 morts et 31 blessés, le 14 février, à Zahedan, au Sistan-Baloutchistan, en bordure du Pakistan et de l'Afghanistan. L'attaque a été revendiquée par Joundallah, groupe sunnite proche d'Al-Qaida. Les autorités iraniennes avaient mis en cause les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Le Khouzistan, à la frontière de l'Irak, est lui aussi régulièrement le théâtre d'attaques et d'attentats.

Pour tenter de "sécuriser" ses frontières, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, s'est rendu le 14 août en Afghanistan, pays avec lequel l'Iran partage une frontière d'un millier de kilomètres. Le lendemain, il était au Turkménistan, autre Etat voisin, où il a appelé à la "lutte commune contre le terrorisme".

Cécile Hennion

UNE MOSAÏQUE COMMUNAUTAIRE

AZÉRIS (TURCOPHONES, CHIITES) : entre 25 % et 30 % de la population, dans les provinces du nord et du nord-est de l'Iran. Leurs revendications en matière de droits culturels et linguistiques sont de plus en plus fortes.

KURDES (KURDOPHONES, SUNNITES) : environ 8 % de la population, dans les provinces du nord et du nord-ouest. Plusieurs partis d'opposition (PDKI, Komala, etc.). Un groupe armé (Pejak).

ARABES (ARABOPHONES, CHIITES) : entre 3 % et 8 % de la population dans le Khouzestan, à l'ouest, à la frontière irakienne. Depuis les élections de 2005, plusieurs attentats à la bombe.

BALOUTCHES (SUNNITES) : entre 1 % et 3 % de la population dans le Sistan-Baloutchistan, à la frontière afghane. Violente contestation sécessionniste. Attentats et prises d'otages menés par l'organisation armée Joundallah.


Article paru dans l'édition du 17.08.07