Syrie : Vladimir Poutine se porte garant du retrait des forces kurdes à la frontière turque

mis à jour le Mercredi 23 octobre 2019 à 23h47

lemonde.fr | Marie Jégo (Istanbul, correspondante) et Benoît Vitkine (Sotchi, envoyé spécial) | Le 23/10/2019

Conformément à l’accord signé avec la Turquie, police militaire russe et gardes-frontières syriens ont commencé à patrouiller dans le nord-est du pays.

 

Après plus de six heures de discussions en tête à tête à Sotchi, la ville balnéaire russe du littoral de la mer Noire, les présidents russe, Vladimir Poutine, et turc, Recep Tayyip Erdogan, sont parvenus à un accord en dix points visant à sécuriser les territoires situés au nord-est de la Syrie. Des « décisions cruciales » ont été prises afin d’aider à « résoudre la situation plutôt critique qui s’est développée à la frontière syro-turque », a déclaré Vladimir Poutine, à l’issue de la rencontre.

C’est là que l’armée turque et ses supplétifs syriens ont lancé, le 9 octobre, une offensive contre les combattants kurdes considérés comme « terroristes » par Ankara qui craint, à terme, la formation d’un Kurdistan sur ses marches sud, susceptible de donner des idées aux 15 millions de Kurdes de Turquie.

Lâchées par les Etats-Unis, leur principal partenaire dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), les forces kurdes syriennes se sont entendues avec Moscou et Damas pour éviter d’être massacrées par les Turcs et leurs affidés syriens connus pour leurs exactions, pillages, exécutions sommaires, enlèvements contre rançon.

Pour contrer l’avancée turque, l’armée de Bachar Al-Assad et la police militaire russe ont occupé les territoires tout juste évacués par les forces américaines. L’accord de Sotchi vient renforcer cet attelage.

Mercredi 23 octobre à midi, la police militaire russe et les gardes-frontières syriens commenceront à patrouiller la zone ensemble sur une profondeur de trente kilomètres. Il s’agit de « faciliter le retrait » des combattants kurdes YPG et de leurs armes, conformément aux exigences de la partie turque. Le retrait doit être achevé dans un délai de cent cinquante heures, soit d’ici à mardi 29 octobre.

Avant tout, l’accord marque la fin de l’offensive turque contre les Kurdes, baptisée « Source de paix » par Ankara. « A ce stade, il n’existe pas de besoin de mener une nouvelle opération », a fait savoir le ministère turc de la défense dans un communiqué publié mardi soir.

« S’il est suivi, l’accord peut être une solution de long terme pour clore cette crise. Il y a quand même une sérieuse incertitude sur les développements à venir dans les prochaines heures et sur le retrait des forces kurdes. Si ce retrait a été négocié en amont entre Damas et les représentants kurdes, c’est un gros coup de la part de Moscou. S’il n’a pas été encore négocié, ce sera plus délicat », estime Maxime Soutchkov, expert pour le Moyen-Orient au Conseil russe pour les affaires internationales.

Patrouilles conjointes

Poutine s’est montré soucieux de ménager les intérêts turcs, sécuritaires avec l’assurance du retrait kurde, et territoriaux avec la reconnaissance écrite de la zone récemment conquise par Ankara. « Le statu quo établi par l’opération “Source de paix” entre Tall Abyad et Ras Al-Aïn sur une profondeur de 32 kilomètres sera préservé », stipule le troisième point de l’accord.

A partir du 29 octobre, les forces turques et russes mèneront des patrouilles conjointes à l’ouest et à l’est de cette zone, sur une profondeur de 10 kilomètres pour s’assurer que les combattants kurdes n’y sont plus. Ces derniers devront également quitter les villes frontalières syriennes de Manbij, reprise par l’armée de Bachar Al-Assad à la faveur du retrait américain, et de Tal Rifaat, située au nord-ouest de la Syrie, à 40 kilomètres au nord d’Alep.

« Erdogan a obtenu ce qu’il voulait, le retrait des forces kurdes. Il l’a obtenu d’abord des Américains puis des Russes. Les grands perdants, ce sont les Kurdes. Ils vont devoir se plier à l’accord, ils n’ont pas vraiment le choix », explique Alexandre Choumiline, directeur du Centre d’études sur le Moyen-Orient de l’Académie des sciences de Russie.

« Nous avons signé un accord historique avec Poutine sur l’intégrité territoriale et politique de la Syrie et le retour des réfugiés »

Le président turc, qui menaçait avant la rencontre de reprendre l’offensive, s’est radouci au contact du maître du Kremlin. A Sotchi, il s’est montré conciliant, parlant de « paix », de « stabilité » et de « respect de l’intégrité territoriale de la Syrie ». « Nous avons signé un accord historique avec Poutine sur l’intégrité territoriale et politique de la Syrie et le retour des réfugiés », s’est-il félicité.

Le retour des réfugiés syriens, sa nouvelle marotte, est pourtant évoqué en termes très vagues par l’accord. « Des efforts conjoints seront entrepris pour faciliter le retour des réfugiés sur la base du volontariat », dit le point 8. Le numéro un turc compte toujours installer, dans une zone non précisée, « un million de réfugiés dans un premier temps » et « un autre million » un peu plus tard, comptant sur la « communauté internationale » pour assurer le financement des infrastructures.

Poutine, qui sait ménager son « ami » Erdogan, est parvenu à ses fins. Il l’a convaincu de se rapprocher de Bachar Al-Assad, le président syrien honni, avec lequel le numéro un turc est au plus mal. Pour y parvenir, le Kremlin s’appuie sur un ancien accord sécuritaire signé entre Ankara et Damas à Adana (sud de la Turquie) en 1998 et dont la validité est rappelée au point 4 de l’accord.

A plusieurs reprises ces dernières semaines, le président Erdogan, principal protecteur de la rébellion syrienne anti-Bachar Al-Assad, n’a pas exclu la possibilité de discussions directes avec Damas. La réconciliation s’annonce toutefois difficile. Mardi, le président syrien, qui rendait visite à ses soldats sur le front d’Idlib, le dernier fief de la rébellion, a qualifié M. Erdogan de « voleur de territoires », en référence à l’invasion turque au nord-est de la Syrie.