Syrie : nouvelles sanctions américaines contre le régime de Bachar Al-Assad après des révélations de tortures en prison

mis à jour le Lundi 23 decembre 2019 à 18h06

lemonde.fr | Par Gilles Paris et Benjamin Barthe | le 21 décembre 2019

La loi « César » vise les Etats et entreprises tierces commerçant avec  la Syrie afin de ralentir le retour de Damas sur la scène internationale.

Les Etats-Unis ont adopté une série de nouvelles sanctions contre le pouvoir syrien, d’une dureté et d’une ampleur inédites. Ces dispositions, récemment votées par le Congrès, après trois années d’efforts infructueux, font partie de la loi de finances que le président américain, Donald Trump, a signée vendredi 20 décembre, avant de s’envoler pour la Floride où il passera les fêtes de fin d’année.

Cet arsenal de mesures anti-Assad est la conséquence des révélations d’un photographe de la police militaire syrienne qui avait fait défection au milieu de la guerre civile, emportant avec lui un stock de 55 000 clichés. Des photos prises dans les geôles du régime syrien, montrant des cadavres de prisonniers, la peau sur les os, le corps souvent couvert de traces de supplice, morts de faim, de maladie ou de torture : la preuve de la barbarie routinière du régime syrien.

Devant le Congrès, où il a déposé à quatre reprises depuis juillet 2014, le photographe légiste, désigné sous le nom de code de « César », a dénoncé les crimes de guerre perpétrés par les autorités de Damas à une échelle qualifiée d’« industrielle ». Son message a été relayé par des associations américano-syriennes, qui ont réussi à forger une coalition d’élus démocrates et républicains déterminés à durcir les sanctions déjà en vigueur contre le régime syrien.

Dissuader les investisseurs étrangers

Celles contenues dans le texte signé par Donald Trump ont pour particularité de viser les Etats et entreprises tierces qui commercent avec les autorités syriennes. A la manière des mesures votées contre l’Iran, la « loi César » oblige le président des Etats-Unis à placer sous sanctions toute entité étrangère qui « apporte un soutien significatif au gouvernement syrien ou qui conduit des transactions significatives avec celui-ci ».

Derrière cette formulation particulièrement extensive, le texte précise que la menace s’applique à certains secteurs clés comme le pétrole, la construction, l’aéronautique et les finances. La nouvelle législation oblige notamment l’administration américaine à « déterminer si la banque centrale de Syrie se livre au blanchiment d’argent et, dans l’affirmative, à infliger des sanctions à l’institution ».

La loi appelle aussi à durcir les sanctions contre les personnes et entités « responsables ou complices » d’atteintes aux droits de l’homme en Syrie et à soutenir la collecte de preuves de ces violations. « Après trois ans et demi à pousser pour l’adoption de cette loi, nous avons l’espoir que justice sera enfin rendue au peuple syrien », s’est félicité Zaki Lababidi, le président du Syrian American Council. « La loi César est le premier pas vers une résolution non violente du conflit syrien », assure cette ONG et d’autres organisations américano-syriennes dans un communiqué commun.

Dans les faits, il est fort peu probable que le texte du Congrès infléchisse le cours de la guerre, que Damas et ses alliés sont sur le point de remporter. Le dernier acte de la reconquête du territoire syrien par les forces loyalistes se joue actuellement dans la province d’Idlib, l’ultime bastion de la rébellion, dans le Nord-Ouest, soumis à des bombardements dévastateurs. Il serait pareillement hasardeux d’imaginer que la loi César mette un terme à l’impunité de fait dont les artisans de l’éradication du mouvement anti-Assad ont joui jusqu’à présent, grâce au soutien diplomatique de Moscou.

La véritable vocation de ce nouveau train de sanctions consiste à empêcher ou du moins ralentir le retour du régime syrien sur la scène internationale. En les exposant au risque d’un gel de leurs avoirs aux Etats-Unis et d’une interdiction d’entrée sur le sol américain, ces mesures devraient dissuader de nombreux investisseurs étrangers de renouer avec Damas. « L’objectif est de retarder la normalisation du régime Assad voulu par la Russie et de pousser ce faisant Moscou à faire pression sur Damas », décrypte Jihad Yazigi, le rédacteur en chef du Syria Report, un magazine économique en ligne.

Population lourdement affectée

La loi César, si elle est appliquée à la lettre, devrait compliquer encore un peu plus les relations entre la Maison Blanche et le Kremlin. Les oligarques russes, pressés de toucher les dividendes de la victoire, ont fait main basse sur de nombreux actifs syriens, comme le port de Tartous, les mines de phosphate et plus récemment des terres, dans le Nord-Est, possiblement riches en pétrole.

Le texte pourrait aussi mettre plusieurs alliés des Etats-Unis en porte-à-faux avec l’administration Trump. C’est notamment le cas des Emirats arabes unis, qui ont commencé à se rapprocher de Damas, et de quelques Etats européens, comme la Grèce, l’Italie ou la Hongrie, qui semblent désireux de s’affranchir des consignes de boycottage édictées par Bruxelles.

Ces nouveaux tours de vis dans le dispositif d’ostracisation internationale de Damas devraient rendre encore plus illusoires qu’avant les discours sur la reconstruction du pays. Si certains hommes d’affaires proches du régime en pâtiront sûrement, la population sera aussi lourdement affectée. « Ça va être très dur, les banques risquent de ne plus pouvoir travailler avec le dollar, confie un entrepreneur qui fait la navette entre Damas et Beyrouth. Les personnes haut placées trouveront toujours le moyen de s’en sortir. Mais le peuple et l’industrie syrienne vont être très touchés. »

Le coup est d’autant plus rude pour les Syriens que l’économie locale, dévastée par huit années de guerre, subit aussi les contrecoups de la crise politique libanaise. En l’espace de deux mois, la livre syrienne, déjà très affaiblie, a perdu près de 30 % de sa valeur face au dollar, réduisant le pouvoir d’achat de la population à l’état de peau de chagrin.

Gilles Paris (Washington, correspondant) et Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)