Syrie : les Turcs prennent Afrine aux Kurdes

mis à jour le Lundi 19 mars 2018 à 16h28

Le Figaro | 19/03/2018 | Par Georges Malbrunot

Les forces turques et leurs supplétifs syriens ont pris le contrôle, dimanche, presque sans combats, de l’ensemble de la ville d’Afrine, bastion kurde dans le nord-ouest de la Syrie. Administrée depuis 2012 par la milice kurde YPG, l’enclave était le théâtre d’une offensive d’Ankara depuis près de deux mois.

SYRIE La bataille de la ville d’Afrine n’a finalement pas eu lieu. Les forces turques et leurs alliés syriens anti-Assad contrôlent désormais la quasi-totalité de cette cité du nord-ouest de la Syrie. Dimanche soir, leurs ennemis - les combattants kurdes qui contrôlaient Afrine depuis le retrait des troupes syriennes en 2012 - avaient quitté la ville, tandis qu’une poignée de civils, encore présents, se terraient dans des caves.

Ces derniers jours, alors que l’étau se resserrait sur une ville qui n’a pas été détruite, plus de 150 000 civils, effrayés par l’intensification des bombardements turcs, avaient pris le chemin de l’exode. « Les derniers sont allés dans des zones tenues par le régime syrien à Shahbaa au nord d’Alep et dans les villages de Nobl et Zahra », confie Adlelsallam, un activiste kurde près d’Afrine, joint sur Twitter. Quant aux ultimes miliciens, ils se sont repliés, selon lui, à Shahbaa et Manbij.

La défaite est cuisante pour les Kurdes, qui avaient fait d’Afrine le laboratoire de leur autonomie dans le nord de la Syrie, frontalier de la Turquie. Deux mois après avoir lancé son opération militaire baptisée « Rameau d’olivier », Ankara a réalisé son objectif de chasser de l’enclave d’Afrine les miliciens kurdes du PYD, liés au PKK, le Parti des travailleurs kurdes, considéré par Ankara comme une organisation terroriste, en raison d’une guérilla meurtrière menée par celle-ci sur le sol turc, depuis des décennies.

Avant l’aube dimanche, les forces turques et les insurgés syriens ont pénétré dans Afrine par l’est, l’ouest, et le nord. Sans rencontrer de résistance, ils ont immédiatement célébré leur victoire en détruisant aux cris d’Allah Akbar - « Dieu est grand » - les portraits d’Abdullah Öcalan, le chef du PKK, emprisonné en Turquie. « Maintenant, le drapeau turc flotte là-bas ! Le drapeau des Forces syriennes libres flotte là-bas ! », se félicitait peu après le président turc, Recep Tayyip Erdogan. À Afrine, des équipes des forces spéciales traquaient les mines, laissées par les combattants kurdes derrière eux, tandis que des vidéos diffusaient des images de stocks d’armes souterrains abandonnés par les miliciens kurdes. Dans deux jours, les Kurdes d’Afrine ne célébreront pas leur Norouz - le Nouvel An - en se recueillant devant la statue de Kawa, héros de la résistance kurde, qui a été détruite par les forces turques.

Nettoyage ethnique 

En deux mois d’offensive, 46 soldats turcs ont été tués, mais plus de 1 500 combattants kurdes ont perdu la vie, en majorité dans des frappes aériennes et des tirs d’artillerie. « Où sont les meilleurs combattants anti-Daech comme les vantaient leurs alliés occidentaux ? », s’interroge, sarcastique, un responsable turc. « Il ne s’agit que d’un retrait, le combat continue », répond dans un tweet Saleh Mouslim, l’un des responsables kurdes syriens, tandis qu’un communiqué annonce le début de la guérilla kurde contre les « forces d’occupation » turques dans le Nord syrien.

Ankara soupçonnait les Kurdes d’avoir transformé Afrine et sa région en un vaste réseau de fortifications en vue d’attaquer la Turquie. En capturant cette enclave, les Turcs relient géographiquement le secteur d’Afrine à la région voisine à l’est d’Azaz et de Djarabulus, qu’ils ont déjà conquise aux Kurdes à l’été 2016.

La Turquie compte reloger dans l’enclave d’Afrine des réfugiés syriens, qu’elle accueille sur son territoire. Quitte à pratiquer une opération de nettoyage ethnique. En effet, contrairement aux autres régions gérées par les Kurdes plus à l’est, Afrine avait la particularité d’être majoritairement peuplée de Kurdes, aux côtés d’Arabes. Mais de nombreuses questions se posent. Qui va administrer la région d’Afrine ? « Les Turcs vont créer une administration locale sur le modèle d’Azaz et de Djarabulus », répond au Figaro un diplomate en charge du dossier syrien. Quels insurgés seront aux commandes ? « Les rebelles originaires d’Afrine demandent aux Turcs que ce soient eux, mais certains venus d’autres régions ne sont pas d’accord », ajoute le diplomate. Sur certaines vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on aperçoit déjà, paradant dans Afrine, des leaders islamistes, expulsés d’Alep-Est fin 2016. Des pillages de maisons kurdes par des insurgés arabes ont également eu lieu, relève Elizabeth Tsurkov, spécialiste du conflit syrien.

Fort de cette victoire rapide, Ankara ne cache pas sa volonté de poursuivre sa campagne militaire contre d’autres poches Kurdes, plus à l’est. « Espérons qu’avant d’autres combats, la Turquie et les Kurdes puissent parvenir à des arrangements grâce à une médiation américaine », veut croire le chercheur Emile Hokayem.

Une chose est sûre : la chute d’Afrine aux mains de la Turquie dessine une nouvelle carte de la guerre dans le nord de la Syrie. La partition du pays s’accélère.