Syrie : les forces américaines menacées de représailles

mis à jour le Vendredi 9 février 2018 à 23h09

Le Figaro | Georges Malbrunot | samedi 10 février 2018

Des supplétifs de Damas entendent se venger, après avoir subi de lourdes pertes lors de raids de la coalition internationale.

MOYEN-ORIENT « Autodéfense » pour les États-Unis. « Acte criminel » pour la Russie. Les frappes américaines contre des forces loyales au régime syrien, qui ont causé la mort de plusieurs dizaines de supplétifs pro-Assad près de Deir ­ez-Zor, provoquent des tensions entre Moscou et Washington. Les raids de l’aviation et les tirs d’artillerie ont eu lieu mercredi près de la localité de Khasham, à 8 km à l’est de l’Euphrate, non loin d’importants gisements de gaz et de pétrole que Damas « cherchait probablement » à reprendre aux Kurdes, selon un responsable américain. Mais au-delà de ces cibles économiques, les supplétifs syriens, libanais et iraniens, au nombre d’environ 500, auraient été engagés dans une opération au sol de « grande envergure », soutenue par l’artillerie et des blindés. Des loyalistes avaient été regroupés près de plusieurs localités dans cette région, que les États-Unis ont décidé de réinvestir.

Après l’attaque dont ils ont été victimes, « les supplétifs menacent de perpétrer des attentats contre les Américains et leurs alliés kurdes », relève un expert au Moyen-Orient. Une chose est sûre : le déploiement des pro-Assad témoigne de la volonté de Damas de reprendre le contrôle de toutes les zones du territoire qui lui ont échappé, depuis le lancement de la révolte en 2011. Tactiquement, ­Assad comptait profiter de l’offensive turque en cours contre l’enclave kurde d’Afrine dans le nord-ouest, qui a dégarni d’autres fronts kurdes, plus à l’est.

Le long de l’Euphrate, vers Deir ez-Zor, Damas et ses alliés russes et iraniens se heurtent à l’opposition américaine, désormais clairement affichée. Qu’en sera-t-il dans la poche d’Afrine, bombardée depuis trois semaines par la Turquie ? Ce ne sont pas les troupes américaines, absentes à ouest de l’Euphrate, en vertu d’un accord de déconfliction avec la Russie, qui empêcheront le régime syrien d’y reprendre pied. Autour d’Afrine, Ankara et ses alliés, les rebelles syriens, piétinent. Après la chute, le week-end dernier, d’un avion russe, et la mort de son pilote, attaqué par des insurgés islamistes près d’Idlib, Moscou a réclamé de son allié turc un « ralentissement » dans les bombardements contre les Kurdes.

En trois semaines, les gains turcs se limitent à moins de 5 % du territoire, le long de la frontière, tout autour de cette enclave. C’est précisément là que la ­Turquie compte établir une zone de sécurité, après y avoir anéanti les capacités militaires du PYD, la branche locale du PKK, (le Parti des travailleurs du Kurdistan), considéré comme une organisation terroriste par Ankara. Dans la nuit de jeudi à vendredi, l’armée turque a repris ses raids contre des dépôts de munitions, des abris et des positions de tir des miliciens kurdes, selon un communiqué d’Ankara. L’objectif turc est de prendre en tenailles, par l’ouest et le nord, la ville d’Afrine, mais Ankara n’aurait pas l’intention d’aller jusqu’à Afrine même. Cette « zone de sécurité » permettrait d’assurer une continuité territoriale entre l’autre secteur d’Azaz, plus à l’est, tenu par des rebelles syriens proturcs, et la région d’Idlib, où la Turquie dispose également de relais parmi les anti-Assad.

Dans son entretien téléphonique samedi dernier avec Emmanuel Macron, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a réclamé « des garanties sur la gouvernance locale » d’Afrine, avant d’arrêter son offensive militaire. Qui peut apporter de telles « garanties » ? Les rebelles syriens proturcs, comme ceux qu’Ankara a « installés » à Azaz et Djarabulus lors d’une précédente offensive militaire, à l’été 2016 ? Ou le régime syrien et ses alliés russes ?

Autour d’Afrine, les Kurdes ont déjà appelé Damas à l’aide. Via Moscou, ils ont proposé à Assad « le retour des gardes-frontières syriens et la levée du drapeau syrien à la frontière, pour rassurer les Turcs », indiquait la semaine dernière à l’AFP Ahed al-Hendi, un de leurs responsables. Mais selon lui, « les forces de défense, de police et de sécurité kurdes seraient maintenues ». Soucieux de préserver des acquis autonomistes, les Kurdes ne veulent pas un retour à la situation d’avant 2012.

Pour l’instant, Damas fait la sourde oreille. « L’État syrien n’est pas au service des Kurdes et ne peut être appelé quand ils ont besoin de lui », explique Bassam Abou Abdallah, directeur du Centre de Damas pour les études stratégiques. «Une fois que la Turquie aura sécurisé sa frontière, une sortie de crise possible peut être le retour d’Afrine dans le giron de l’État syrien, anticipe le chercheur Hassan Hassan, proche de l’opposition syrienne. Les dirigeants turcs ont déjà affirmé qu’ils préféraient qu’Afrine, Manbij et Deir ez-Zor soient contrôlées par Damas plutôt que par les Kurdes. »