Syrie : la minorité kurde cherche sa voie

mis à jour le Mercredi 21 mars 2012 à 12h00

Lefigaro.fr | Par Fatma Kizilboga

Aldar Xelîl est absorbé par les images de manifestations retransmises sur l'écran plasma du petit hôtel dans lequel il reçoit. «Les villes à majorité kurde sont celles où la rue reste la plus mobilisée», lâche fièrement ce responsable du parti de l'Union démocratique (PYD), rencontré à Erbil, capitale du Kurdistan irakien et nouveau bastion de l'opposition syrienne kurde en exil.

Le rassemblement est diffusé sur Ronahi TV, la dernière chaîne du paysage audiovisuel kurde, lancée au mois d'octobre par la diaspora de Suède. Réunie par dizaines, une foule majoritairement constituée de femmes et d'enfants affiche les couleurs kurdes et entonne des chants populaires ponctués de «Azadi!», «Liberté!». Au moment où la répression menée par le régime el-Assad s'intensifie dans les villes du Nord-Est, un curieux vent de liberté caresse la minorité kurde de ­Syrie, estimée à plus de deux millions et longtemps victime de la politique d'arabisation du régime baasiste.

«On ne peut pas parler de progrès en matière de droits, dans la mesure où les lois restent les mêmes. Mais nous comptons bien mettre à profit la situation actuelle», explique Aldar. Sur le terrain, cela s'illustre notamment par des cérémonies de réattribution symbolique de noms de villages kurdes et l'ouverture de centres culturels, de Qamishli à Alep en passant par Damas. Ceci, sans que les autorités syriennes interviennent.

«Que doit-on faire? Leur demander de nous envoyer leurs tanks?», ironise Aldar. «Le gouvernement est débordé par la contestation dans les villes sunnites, la majorité des forces de sécurité est donc concentrée à l'ouest du pays», poursuit l'homme, les yeux à nouveau rivés sur le petit écran alors que la caméra s'attarde sur un portrait d'Abdullah Öcalan. La manifestation prend soudain des airs de meeting en faveur de la libération du leader du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, emprisonné à perpétuité en Turquie.

Si le PYD revendique le soutien de 60% de la communauté kurde de Syrie, ses liens avec le PKK suscitent la méfiance du reste de l'opposition. Car les rapports entre le groupe armé kurde et le régime syrien ont toujours davantage dépendu du degré d'entente entre Ankara et Damas que du climat politique intérieur. Pendant dix-neuf ans, c'est depuis la plaine de la Bekaa, alors sous contrôle syrien, qu'Öcalan dirige son mouvement en guerre ouverte contre la Turquie. Face au refus de Damas d'extrader l'ennemi public numéro un d'Ankara, la Turquie menace en 1998 d'entrer en guerre. Rapidement, le fondateur du PKK est prié de quitter le territoire. S'ensuit une cavale qui prendra fin en février 1999. À l'heure où l'équilibre régional est à nouveau fragilisé, ­Ankara met en garde le régime baasiste contre toute tentative de manipulation du groupe armé kurde, alors qu'un récent rapport des services secrets turcs rend compte de l'infiltration de combattants du PKK par la frontière syrienne. Des informations auxquelles a réagi le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, qui a prévenu qu'Ankara n'hésiterait pas à déployer ses troupes dans le nord-est de la Syrie si la sécurité de la Turquie était me­nacée.
«Période pour l'avenir des Kurdes dans la région»

«Nous n'avons rien à voir avec ces personnes!», s'empresse de clarifier Abdulhamit Bashar, à la tête du KNCS, le Conseil national kurde en Syrie. Formée en octobre 2011, cette organisation regroupe 11 partis politiques prokurdes et souhaite s'imposer comme représentante légitime de la minorité. Fin janvier, le KNCS ainsi que 200 figures de l'opposition se sont réunis à Erbil à l'appel de Massoud Barzani. Le président du Kurdistan irakien, qui soulignait le «caractère historique de la période pour l'avenir des Kurdes dans la région», appelait cette coalition à mettre de côté les divisions et à s'entendre au plus vite avec le Conseil national syrien. Des négociations qui semblent avoir porté leurs fruits. À l'issue de la réunion des «amis de la Syrie» tenue le mois dernier à Tunis, le secrétaire général du Conseil national syrien, Burhan Ghalioun, promettait la reconnaissance de l'identité kurde, ainsi que la mise en place d'un système décen­tralisé si le régime el-Assad venait à tomber.

«Tout le monde semble aujourd'hui accepter la future création d'une région autonome kurde en Syrie, à l'instar du modèle irakien. La question est aujourd'hui de savoir qui sera à la tête de cette région», explique une source proche du gouvernement régional kurde en Irak, avant de poursuivre: «En laissant le champ libre au PKK, el-Assad menace indirectement la Turquie. Au-delà de l'urgence humanitaire, la chute du régime baasiste est donc devenue pour Ankara un enjeu sécuritaire. Difficile de prédire comment se terminera ce bras de fer, mais une chose est sûre: la position des Kurdes de Syrie, comme ce fut le cas en Irak, n'en sera que renforcée.»