Syrie : l'OTAN s'inquiète des visées turques

mis à jour le Vendredi 26 janvier 2018 à 16h04

lemonde.fr | Par Allan Kaval (à Paris) et Jean-Pierre Stroobants

Berlin suspend la modernisation de chars vendus à la Turquie, utilisés dans l'enclave d'Afrin

Les Etats-Unis, l'Allemagne et, dans une certaine mesure, la France ont décidé d'intervenir dans le débat sur l'opération militaire de la Turquie à Afrin, dans le nord de la Syrie. L'OTAN, généralement très peu critique à l'égard de cet allié, a, quant à elle, reconnu, jeudi 25 janvier, son " droit de se défendre " mais " de manière proportionnée et mesurée ".

Soumis à la pression de la forte minorité kurde vivant en Allemagne et à une pluie de critiques en raison du déploiement, contre la milice YPG – Unités de protection du peuple –, de chars Léopard qu'il a livrés à l'armée turque entre 2006 et 2011, le gouvernement allemand a indiqué jeudi qu'il avait demandé au secrétaire général de l'Alliance atlantique une discussion sur la situation créée dans l'enclave syrienne d'Afrin. Selon le ministre des affaires étrangères, Sigmar Gabriel, les " intérêts de -sécurité de la Turquie " dans la zone frontalière avec la Syrie doivent être pris en compte, mais toute solution suppose l'arrêt de la confrontation militaire.

Berlin, qui a suspendu la modernisation prévue des 354 chars acquis par Ankara, redoute une importation du conflit entre Turcs et Kurdes sur son territoire. A l'OTAN, appuyée notamment par les Pays-Bas, l'Allemagne demande un débat qui devrait avoir lieu d'ici à la fin du mois et, au plus tard, lors d'une réunion des ministres de la défense, les 14 et 15 février. L'occasion de débattre, par ailleurs, d'une revendication d'Ankara : la fin de la mission de surveillance de l'Alliance en mer Egée, où elle participe à la lutte contre les passeurs de migrants.

Washington a également durci le ton, mercredi soir. Dans un entretien avec le président Recep Tayyip Erdogan, Donald Trump aurait, selon la Maison Blanche, " exhorté la Turquie à réduire et à limiter ces actions militaires " et insisté sur le fait que les deux pays devraient œuvrer prioritairement à la défaite de l'organisation Etat islamique (EI).

Cette version de l'entretien a été contredite par Mevlüt Cavusoglu, le ministre turc des affaires étrangères. Selon lui, le président américain n'aurait " pas exprimé d'inquiétude - à propos - d'une escalade de la violence ". Il aurait seulement invité M. Erdogan à limiter la durée de l'offensive en Syrie. Les Etats-Unis s'appuient sur la milice kurde YPG pour combattre l'EI sur le terrain. Elle y a étendu son contrôle, contesté par des rebelles islamistes syriens qui sont des alliés de l'armée turque.

Efforts de stabilisation menacés

Deux jours plus tôt, Recep Tayyip Erdogan s'était entretenu au téléphone avec Emmanuel Macron. Ce dernier lui avait fait aussi part de " sa préoccupation " sur l'offensive à Afrin tout en tenant compte " des impératifs sécuritaires de la Turquie ". Il lui a en outre demandé de " faire preuve de retenue dans ses opérations militaires comme dans sa rhétorique ".

De passage à Paris où il a rencontré jeudi des représentants des autorités françaises, Aldar Khalil, président du comité exécutif du Mouvement pour une société démocratique et l'un des membres les plus éminents de l'encadrement des Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les YPG forment la colonne vertébrale, a rappelé jeudi les attentes de la partie kurde vis-à-vis de ses partenaires de la coalition internationale contre l'EI. " Nous sommes les alliés de la coalition sur le terrain syrien. La France a exprimé une position positive sur la crise actuelle. Nous souhaitons maintenant une réaction plus claire des membres de la coalition face à l'agression turque sur Afrin pour sauvegarder notre alliance et les acquis de notre coopération (…). Cette crise doit être l'occasion de raffermir nos liens ", a-t-il indiqué.

M. Khalil a cependant prévenu que l'intervention turque en territoire syrien pourrait mettre en péril les efforts conjoints des FDS et de ses soutiens occidentaux contre les dernières poches de résistance de l'Etat islamique dans l'est du pays : " En cas d'aggravation de la crise, la lutte contre les terroristes dans la province de Deir Ez-Zor sera affectée. "

Au-delà des combats encore en cours sur le front de l'Est syrien, l'intervention turque et les velléités exprimées par Ankara sur la région de Manbij, contrôlée par les FDS et où des troupes américaines sont déployées, menace, selon M. Khalil, les efforts de stabilisation dans les zones récemment libérées des djihadistes. " Si le projet turc aboutit, les plans de la coalition en Syrie s'effondrent ", a-t-il résumé.

Relayant la position de l'encadrement des FDS, Aldar Khalil estime que l'opération en cours est le fruit d'un accord entre Ankara, Moscou et Damas dont les intérêts convergent à Afrin. " La Russie utilise la Turquie pour tenter de nous affaiblir et de nous soumettre à sa vision de l'avenir de la Syrie, a déclaré M. Khalil.  La Russie souhaite un retour du régime à Afrin et veut nous l'imposer par le biais de cette opération. "

Il a cependant confié au Monde que la partie kurde était prête à envisager une présence des forces de sécurité de Damas dans les -zones frontalières avec la Turquie uniquement mais qu'aucune tractation n'était en cours avec le régime syrien à ce sujet.

" Moscou a besoin de la Turquie pour la conférence de Sotchi - qui se tiendra le 29 et le 30 janvier - soit un succès. La Russie conserve un semblant de neutralité dans le -conflit en cours mais il ne faudra pas être surpris si après Sotchi elle tente de se poser en médiateur dans cette crise pour y imposer ses intérêts propres ", a prévenu M. Khalil. Il a également indiqué que la participation de l'encadrement des FDS à la conférence était devenue incertaine depuis le déclenchement de l'opération turque à Afrin.