Syrie: Erdogan lance son assaut contre les Kurdes

mis à jour le Jeudi 10 octobre 2019 à 19h00

Le Monde | Marie Jégo avec Allan Kaval | 10/10/2019

L’armée turque a bombardé plusieurs localités du nord­est de la Syrie, mercredi, avant de lancer une opération terrestre, provoquant au moins 15 morts et des milliers de déplacés

Istanbul correspondante

Après des heures de bombardements, l’armée turque et ses supplétifs syriens ont pénétré, mercredi 9 octobre, au nord­est de la Syrie dans les territoires contrôlés par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de combattants dominés par les kurdes, qui, alliée aux Américains dans la région depuis 2015, a payé un lourd tribut à la lutte contre l’organisation État islamique (EI).

«Les forces armées turques et l’Armée nationale syrienne [le nouveau nom des rebelles syriens soutenus par Ankara] ont débuté l’opération “Source de paix” dans le nord  de  la  Syrie.»  C’est par ce message, rédigé en turc, en anglais et en arabe, sur le compte Twitter du président turc, que le nouveau front s’est ouvert dans cette région jusqu’ici plutôt stable grâce aux efforts conjoints des FDS et de leurs alliés occidentaux – américains, français et britanniques.

Dès mercredi après­midi, l’aviation et l’artillerie turques ont pris pour cibles plusieurs localités frontalières  du nord  de la Syrie – Tall Abyad, Ras Al­Aïn, Kamechliyé, Ayn Issa et Kobané –, précipitant  des  milliers  de civils sur les routes de l’exode. Selon des sources sur place, les forces pro-turques seraient entrées à Tall Abyad et la ville serait vidée de l’essentiel de ses habitants. L’opération a déjà fait au  moins 15 morts, dont 8 civils, a annoncé l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Des équipes humanitaires ont par ailleurs débuté l’évacuation de la zone.

L’offensive terrestre vise les villes syriennes de Tall Abyad et Ras Al­Aïn, d’où les forces américaines s’étaient retirées lundi, quelques heures après le feu vert tacite donné par Donald Trump à l’opération militaire turque. Majoritairement peuplées d’Arabes et situées en terrain plat, ces deux villes sont les maillons faibles de la «ceinture kurde» qui s’étend de l’est de l’Euphrate à la frontière irakienne.

LE RETOUR DES RÉFUGIÉS

Tenue jadis par l’Etat islamique, Tall Abyad a longtemps servi de point d’entrée aux djihadistes étrangers venus grossir les rangs du «califat» autoproclamé, jusqu’à ce que les forces kurdes prennent la localité, en juin 2015. La ville est située sur un axe routier important qui mène à Rakka, et dont l’accès s’annonce aisé pour les chars turcs. En pénétrant dans cette zone, l’armée turque entend couper la continuité territoriale établie par les forces kurdes.

Voilà des mois que 80000 soldats turcs et 14000 rebelles syriens trépignaient le long de la frontière, à grand renfort de matériel, tandis que le président Recep Tayyip Erdogan menaçait chaque jour d’une incursion imminente. Sa conversation téléphonique avec le président américain Donald Trump, dimanche, lui a délié les mains.

L’opération vise, selon M. Erdogan, «les terroristes des YPG [Unités de protection du peuple, principale composante des FDS] et de Daech». La mise en place d’une «zone de sécurité “pourra” permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays». Le thème du retour des réfugiés est devenu sa préoccupation centrale, depuis que la population manifeste des signes de rejet à l’encontre des 3,6 millions de Syriens hébergés en Turquie, accusés de profiter des largesses de l’État et de vivre planqués tandis que les «mehmetcik» (le surnom affectueux donné aux soldats turcs) sont engagés sur le terrain en Syrie.

L’allusion aux réfugiés est aussi un message destiné à l’Union européenne, dont M. Erdogan espère qu’elle financera les villes que des entreprises turques ambitionnent de construire pour reloger les réfugiés dans les territoires repris aux forces kurdes, selon les plans turcs dévoilés à l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre.

L’évocation de l’EI vise à rassurer Donald Trump, même  si  cet objectif ne figure pas vraiment sur la feuille de route d’Ankara. Pour le président Erdogan, et tous les partis d’opposition turcs désormais rassemblés derrière lui, à l’exception du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde) résolument opposé à l’opération, la priorité n’est pas d’en finir avec l’EI, mais de chasser les combattants kurdes, honnis pour leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), contre lequel la Turquie est en conflit depuis 1984. Au président russe Vladimir

Poutine, joint par téléphone mercredi, le président  Erdogan a expliqué que l’ouverture d’un nouveau front «contribuerait à la paix et à la stabilité», dans le respect de «l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne», ce qui est un rare aveu de reconnaissance du régime syrien. L’opération turque n’est pas pour déplaire à la Russie, qui a tacitement donné son accord à l’entrée des Turcs à l’est de l’Euphrate. L’occasion se présente enfin pour Moscou de bouter les Américains hors de Syrie, sans lever le petit doigt.

« JEUX TRÈS DANGEREUX»

Le ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, s’est empressé, depuis le Kazakhstan où il était en visite, d’accuser les Etats-Unis de jouer à des «jeux très dangereux» avec les Kurdes syriens en soutenant l’émergence d’un «quasi Etat». Il a invité les Kurdes syriens, soucieux d’autonomie, à dialoguer avec le régime de Damas. «Nous ferons de notre mieux pour aider à lancer des pourparlers à ce sujet», a­t­il indiqué.

En envoyant son armée en Syrie, pour la troisième fois en trois ans, M. Erdogan fait d’une pierre deux coups. Non content de se débarrasser des combattants kurdes honnis, il rehausse son prestige perdu par la déroute de son Parti de la justice et du développement (AKP, islamo­conservateur) aux élections municipales.

«Le président turc poursuit une stratégie patiente et graduelle en Syrie, dans la mesure où le maintien de l’électorat dans une atmosphère de guerre l’aide à consolider ses soutiens et à faire taire les dissidents», estime Aykan Erdemir, maître de recherches à la Fondation pour la défense des démocraties (FDD), à Washington.

La guerre va peut-être parvenir à faire oublier à la population l’impéritie du gouvernement et les piètres performances de l’économie. Mais l’effet pourrait être contraire à celui escompté. En cas de sanctions, comme l’en menace le Congrès américain, la Turquie pourrait sombrer dans un marasme économique semblable à celui qu’elle a connu à l’été 2018. Espérant un vaste sursaut de la population en sa faveur, le président n’hésite pas à instrumentaliser la religion. «La prière de la conquête» a résonné dans les 80000 mosquées du pays.

«Il faut que Dieu protège notre armée, la dernière armée de l’islam», titrait mercredi le quotidien pro­gouvernemental Günes. Par la mobilisation de 80000 hommes, l’emploi de matériel made in Turkey, notamment les drones déployés sur le terrain, M. Erdogan veut prouver que les capacités opérationnelles de l’armée n’ont pas été entamées par les vastes purges mises en œuvre après le coup d’Etat manqué de 2016.

La première phase de l’opération pourrait être d’ampleur limitée. Selon Aykan Erdemir, «l’établissement d’un corridor de sécurité étroit suffirait au président Erdogan pour le présenter comme une victoire militaire historique chez lui», sans alimenter les inquiétudes de la communauté internationale sur le sort des minorités ethniques et religieuses du nord de la Syrie et l’avenir des militants de l’EI dans les camps de détention. Les FDS ont annoncé la suspension de toutes leurs activités de contre­terrorisme pour se concentrer sur le front nord. Mercredi soir, des troubles ont éclaté dans  le camp d’Al­Hol, qui regroupe des milliers de familles de djihadistes, notamment étrangères.

 

_________________________

Le Monde | Par Benjamin Barthe | Publié aujourd’hui le 10/10/2019

Face aux Kurdes, la Turquie envoie combattre des rebelles syriens avides de revanche

Ankara a imposé à des combattants anti-Assad, qu’elle finance et arme, de s’unir contre les forces kurdes. Dans certaines zones conquises par la milice YPG en 2015, des représailles sont à craindre.

 

Des convois de l’« Armée nationale syrienne » de retour de la frontière avec la Syrie à Akcakale (Turquie), le 9 octobre.
Des convois de l’« Armée nationale syrienne » de retour de la frontière avec la Syrie à Akcakale (Turquie), le 9 octobre. LEFTERIS PITARAKIS / AP

L’histoire de la guerre civile syrienne retiendra que la première fois que les groupes armés anti-Assad ont formé un front uni, ce n’était pas pour combattre les forces pro-gouvernementales, mais la milice kurde des YPG (Unités de protection du peuple). En prélude au lancement de son opération militaire dans le nord-est de la Syrie, la Turquie a imposé aux factions rebelles syriennes non djihadistes de se rassembler dans une organisation unique, labellisée « Armée nationale syrienne ».

Début octobre, le Front de libération nationale, installé dans la poche d’Idlib, qui regroupe d’anciennes brigades de l’Armée syrienne libre (ASL) et des formations islamistes modérées, a ainsi rejoint cette structure, placée sous la tutelle, toute théorique, du gouvernement de l’opposition syrienne, implanté à Gaziantep, dans le sud de la Turquie.

Des mercenaires, dépendants à 100 % des Turcs »

Dans les faits, c’est Ankara qui arme, finance et commande cette armée de supplétifs, entrée en action contre les positions des YPG, à l’est de l’Euphrate, notamment dans la région de Tal Abyad et Ras Al-Aïn, deux localités de la zone frontalière. Comme lors des deux précédentes offensives turques en Syrie – l’offensive d’Al-Bab, contre l’organisation Etat islamique (EI) en 2016 et la reconquête du canton kurde d’Afrin en 2018 – le gros des combats au sol devrait être assuré par les ex-rebelles.

« Le but de l’Armée nationale est de libérer notre terre des organisations terroristes », clame le colonel Fateh Hassoun, l’un de ses responsables, qui use, pour désigner la milice kurde, du même vocable que les autorités turques. « Etablir une zone de sécurité à l’est de l’Euphrate facilitera le retour volontaire de près de deux millions de citoyens syriens, actuellement réfugiés en Turquie, en Europe et dans d’autres pays », prétend Mustafa Seijari, un autre cadre de l’Armée nationale, qui récite lui aussi les éléments de langage d’Ankara.

« Les groupes armés rebelles sont devenus des mercenaires, dépendants à 100 % des Turcs, déplore un opposant syrien, qui vit à Istanbul et préfère rester anonyme. L’opération dans le nord-est de la Syrie leur donne l’opportunité de se rendre utiles, de justifier leurs salaires et de consolider leur petit pouvoir. La révolution est la dernière chose à laquelle ils pensent. »

Besoin de revanche

L’empressement des anciens insurgés syriens à se mettre au service de l’armée turque est aussi alimenté par un besoin de revanche sur leurs rivaux kurdes. Dans le courant de l’année 2015, à mesure que les miliciens des YPG reprenaient le contrôle de la frontière syro-kurde aux fanatiques de l’EI, des exactions à caractère ethnique ont été commises. Dans le district de Kamechliyé, aux confins nord-est de la Syrie, comme dans celui de Tal Abyad, plus à l’ouest, qui est à majorité arabe, les combattants kurdes ont déplacé de force des milliers d’habitants et rasé plusieurs villages, soupçonnés de sympathies djihadistes.

A l’époque, Amnesty International avait dénoncé une « campagne délibérée de punition collective », équivalente à des « crimes de guerre ». Les YPG avaient réfuté cette accusation, en assurant que ces déplacements de population répondaient à des impératifs militaires ou sécuritaires. Peut être s’agissait-il aussi déjà d’un acte de vengeance : en mars 2013, en représailles à une première et brève entrée des YPG dans Tal Abyad, des résidents kurdes de la ville avaient été chassés et leurs maisons brûlées.

Même si les cadres de l’Armée nationale démentent tout désir de revanche, on peut craindre que ce scénario se répète. Elle compte dans ses rangs de nombreux exilés de Tal Abyad, qui s’entraînent depuis plusieurs années, dans des camps installés de l’autre côté de la frontière, en prévision de leur retour sur leur terre natale. Compte tenu de la topographie de cette région, parfaitement plate, et de sa démographie, à 75 % arabe, la progression des miliciens pro-turcs pourrait y être relativement rapide.

Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)

_________________

lemonde.fr | Par Marc Semo | Publié le 10/10/2019

Les Européens appellent la Turquie à cesser son offensive en Syrie

L’OTAN invite Ankara à « agir avec retenue » et à ne pas relancer l’organisation Etat islamique.

 

Le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 7 octobre.
Le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 7 octobre. ALAIN JOCARD / AFP

L’offensive turque dans le nord-est de la Syrie suscite une condamnation unanime. Les pays occidentaux membres de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI) qui s’était appuyée au sol sur les Forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde, sont les plus fermes à dénoncer « une opération unilatérale », selon les mots du ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui « remet en cause les efforts sécuritaires et humanitaires de la coalition contre Daech et risque de porter atteinte à la sécurité des Européens ». « Elle doit cesser », a insisté le chef de la diplomatie française.

Paris a pris l’initiative, avec ses partenaires européens au Conseil de sécurité de l’ONU (Belgique, Allemagne, Pologne et Royaume-Uni), de convoquer une réunion d’urgence jeudi 10 octobre à New York. Jamais Ankara n’a été diplomatiquement aussi isolé, condamné y compris par ses plus proches alliés. Dominic Raab, le patron du Foreign Office, pourfend une opération qui « risque de déstabiliser la région, exacerber la crise humanitaire et saper les progrès accomplis dans la lutte contre Daech ». Le Congrès américain a vivement réagi, tandis que Donald Trump s’est contenté de parler d’« une mauvaise idée ».

Pilier du flanc sud-est de l’Otan, la Turquie est aussi mise en cause par son secrétaire général, Jens Stoltenberg, qui appelle Ankara « à agir avec retenue et veiller à ce que les progrès que nous avons réalisés dans la lutte contre l’Etat islamique ne soient pas compromis ». L’Union européenne demande à la Turquie de « cesser l’opération militaire en cours » et le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a averti que « si le plan est la création d’une zone de sécurité, il n’y aura pas de financement de l’Union européenne ».

« Le plan affirmé par le président turc de créer une zone de sécurité le long de la frontière, de l’Euphrate jusqu’à l’Irak, et d’y relocaliser une grande partie des 3 millions de réfugiés syriens en Turquie est totalement irréaliste », souligne-t-on à Paris. Pour la France, le pays européen le plus engagé militairement avec les Britanniques dans la coalition, « la priorité reste la lutte contre Daech », avec la crainte d’une résurgence du groupe terroriste à la faveur de l’intervention turque et le chaos qu’elle suscite.

Le sort des djihadistes étrangers

L’autre grande préoccupation des capitales européennes, et en premier lieu des autorités françaises, est liée au sort des djihadistes étrangers et de leurs familles actuellement détenus par les forces kurdes dans les camps du Nord-Est syrien. Il y a 400 à 500 Français, de nombreux enfants, des femmes, mais aussi une centaine de combattants emprisonnés. Face à l’offensive turque, les forces kurdes risquent d’être dans l’incapacité d’assurer la surveillance des camps et des prisons. Les autorités françaises rappellent que le maintien en détention des djihadistes, dont des Français, constitue « un impératif de sécurité ».

Leur doctrine en la matière n’a pas changé : les orphelins ou les enfants vulnérables ont vocation à être rapatriés, mais les adultes doivent être détenus et jugés sur place sur les lieux de leurs crimes. Une position qui sera toujours plus difficile à défendre alors même que déjà, Ibrahim Kalin, le porte-parole du président turc, appelle les pays européens à « reprendre » leurs ressortissants aujourd’hui aux mains des forces kurdes.

_____________________

Le Monde | Par Gilles Paris | 10/10/2019

Les républicains critiquent Trump et dénoncent l’abandon de l’allié kurde

Ulcéré par l’attitude du président américain, le Congrès menace de sanctionner Ankara

 

Washington ­ correspondant

Donald Trump a commenté en observateur l’offensive turque contre le nord­est de la Syrie, un territoire contrôlé jusqu’à présent par des forces kurdes alliées des Etats­Unis dans la lutte contre l’organisation État islamique (EI). Après avoir facilité cette offensive, en ordonnant le retrait de forces spéciales américaines déployées le long de la frontière à la suite d’un échange téléphonique avec son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, dimanche, le président s’est borné à la qualifier de «mauvaise idée», dans un communiqué, publié mercredi 9 octobre.

«Dès le premier jour de mon entrée dans l’arène politique, j’ai clairement indiqué que je ne voulais pas mener ces guerres sans fin et sans objectifs, en particulier celles qui ne profitent pas aux Etats­Unis», a assuré le président. «La Turquie s’est engagée à protéger les civils, les minorités religieuses, y compris les chrétiens, et à veiller à ce qu’aucune crise humanitaire ne se produise, et nous la tiendrons comptable de cet engagement», a­t­il ajouté avant d’estimer qu’«il incombe désormais à la Turquie de veiller à ce que tous les combattants de l’EI détenus en captivité restent en prison et à ce que l’EI ne se reconstitue en aucune manière».

« Sommes considérables »

Un peu plus tard dans l’après-midi, Donald Trump a estimé que sa tâche de président «la plus difficile» était d’annoncer la mort de soldats à leurs familles, avant de prendre ses distances, d’une étrange manière, avec les alliés kurdes des États-Unis.

Le président a d’abord estimé qu’«ils combattent pour leur terre», sous-entendant que Washington n’a pas à se mêler d’un affrontement jugé séculaire. Puis il s’est fait historien, en s’appuyant sur un article publié par un chroniqueur conservateur et collaborateur de la chaîne Fox News, Kurt Schlichter, sur le site Town­hall. «Ils ne nous ont pas aidés pendant la seconde guerre mondiale. Ils ne nous ont pas aidés avec la Normandie, par exemple», a-t­il avancé, avant d’ajouter qu’«en plus de cela, nous avons dépensé des sommes considérables pour [les] aider, en termes de munitions, d’armes, d’argent, de salaires». «Cela dit, nous aimons les Kurdes», a ajouté Donald Trump.

Interrogé à propos de possibles évasions de combattants de l’organisation État islamique actuellement détenus dans cette zone à la faveur de l’offensive turque, Donald Trump a estimé sur un ton détaché qu’«ils vont fuir en Europe. C’est là qu’ils veulent aller». Le président a espéré que Recep Tayyip Erdogan se comporte d’une manière «rationnelle» pendant cette offensive. «S’il le fait de manière injuste, il paiera un énorme prix économique», «j’anéantirai leur économie si cela arrive», a­t­il assuré une nouvelle fois.

Ulcérés par le lâchage des Kurdes, les sénateurs pourraient adopter sans attendre des sanctions «infernales», «de grande ampleur, draconiennes et dévastatrices», selon l’élu républicain de Caroline du Sud, Lindsey Graham, pourtant proche de Donald Trump. Il a annoncé en fin d’après-midi être parvenu à un accord avec un sénateur démocrate, Chris Van Hollen (Maryland).

Leur projet de loi se veut dévastateur. Outre le gel des avoirs personnels aux États-Unis des plus hautes autorités turques, à commencer par le président, il vise le domaine de l’énergie et de l’armement. Il prévoit également d’appliquer un dispositif adopté en 2017 contre l’avis de M. Trump, le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act, à l’achat à la Russie par Ankara du système de défense antiaérien S­400.

Cette rébellion républicaine est accentuée par le malaise des chrétiens évangéliques, résumé par l’ancien pasteur Mike Huckabee, ex­gouverneur de l’Arkansas, lundi. «Je soutiens généralement [le président] en matière de politique étrangère, et je ne veux pas que nos troupes combattent à la place d’autres nations, mais c’est une énorme erreur que d’abandonner les Kurdes. Ils ne nous ont jamais demandé de se battre à leur place, mais seulement de leur donner les moyens de se défendre. Ils ont été des alliés fidèles. Nous ne pouvons pas les abandonner», a-t-il assuré.

Désinvolture

Les frondeurs républicains considèrent sans doute que la désinvolture manifestée par Donald Trump vis­à­vis de cette crise permet d’écarter la menace d’éventuelles représailles de sa part.

Cette révolte tranche avec le silence observé par une écrasante majorité d’élus à propos de la mise en accusation dont le président est la cible à la Chambre des représentants. La procédure déclenchée par une conversation controversée avec son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, dans laquelle il lui avait demandé d’enquêter sur un adversaire politique, l’ex­vice­ président Joe Biden, accapare au contraire toute son énergie. Il a valu à ses détracteurs, comme le sénateur de l’Utah, Mitt Romney, des bordées de critiques.

______________________________

Des dizaines de détenus de l’EI déplacés par les forces américaines

L’armée américaine s’apprête à déplacer des dizaines de détenus membres de l’organisation Etat islamique des prisons du nord de la Syrie gérées par les forces kurdes. Deux Britanniques, connus pour leur rôle dans la torture et l’assassinat d’otages occidentaux, font partie de ces transferts, selon des officiels nord-américains cités par le New York Times. Mercredi 9 octobre, M. Trump a ouvertement parlé du fait que les Etats-Unis prenaient «un certain nombre de combattants de l’EI qui sont particulièrement mauvais» afin de s’assurer qu’ils ne fuient pas durant l’offensive turque. «Nous éloignons certains des combattants les plus dangereux, a-t-il dit. Nous les avons retirés et les plaçons dans des endroits sûrs.»