Syrie : Afrin tombe aux mains d’Erdogan, les Kurdes ne s’avouent pas vaincus

mis à jour le Lundi 19 mars 2018 à 15h46

Libération | Par Quentin RAVERDY | lundi 19 mars 2018

Les forces turques, appuyées par l’Armée syrienne libre, ont pris dimanche le contrôle de la cité kurde du nord de la Syrie. Nombre de défenseurs de la ville assiégée et d’habitants avaient déjà fui.

Dimanche, au 58e jour de l’opération «Rameau d’olivier», le président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’annonçait non sans fierté : «Les unités de l’Armée syrienne libre, soutenues par les forces armées turques, ont pris le contrôle total du centre-ville d’Afrin, à 8 h 30 du matin.» Lancée le 20 janvier, l’opération militaire turco-syrienne a donc marqué, ce week-end, une avancée décisive dans la conquête de ce canton du nord-ouest de la Syrie, contrôlé depuis 2012 par les milices kurdes des YPG. Des milices considérées par la Turquie comme l’émanation syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le mouvement kurde en guérilla sur le sol turc depuis plus de trente ans.

La date de l’opération semblait toute choisie pour le président Erdogan qui s’exprimait depuis la ville de Çanakkale, où l’on a commémoré, dimanche, le 103e anniversaire de la victoire des troupes ottomanes sur les forces alliées lors de la bataille de Gallipoli en 1915. Comme à son habitude, le leader turc n’a pu se priver d’un parallèle historique cousu de fil blanc : «Ils pensaient que la Turquie n’est pas aussi forte qu’elle l’était à Çanakkale», a-t-il lancé à la foule. Et de rappeler qu’aujourd’hui, à Afrin, «le drapeau turc flotte».

La capitale de la province syrienne, encerclée depuis mardi par les forces de l’opération «Rameau d’olivier» s’attendait à un assaut imminent. Dès mercredi, près de 250 000 habitants avaient pu fuir via un corridor laissé ouvert par l’armée turque dans le sud de la ville. C’est donc dimanche matin, à l’aube, que les forces spéciales turques et les rebelles syriens sont entrés à Afrin, ne rencontrant sur leur chemin aucune résistance. «La plupart des terroristes avaient déjà fui la queue entre les jambes», a souligné Recep Tayyip Erdogan dans son discours. Il n’aura donc fallu que quelques heures pour prendre le contrôle de la cité kurde.

«Martyrs». Dans l’après-midi de dimanche, des officiels kurdes ont confirmé le retrait des combattants YPG. «Ils ont commencé à se retirer depuis une semaine déjà, comprenant qu’ils ne pourraient pas résister à l’avancée turque. Ils n’ont pu aller qu’en direction des territoires contrôlés par le régime plus au sud. Ils devraient ensuite passer dans les zones contrôlées par les YPG, plus à l’Est», estime pour sa part Nihat Ali Özcan, spécialiste des questions de sécurité. Si la région d’Afrin est tombée, le combat ne semble pas terminé, prévient Salih Muslim, l’ancien président du PYD (principal parti dans les zones kurdes de Syrie) : «Se retirer d’une bataille ne signifie pas perdre la guerre et abandonner la lutte. La lutte va continuer et le peuple kurde continuera de se défendre.» Dans le centre de la ville fraîchement conquise, sous l’objectif des caméras, un soldat turc hisse le drapeau de la République au balcon du Conseil législatif de la région, au côté de la bannière de la révolution syrienne. «Une victoire dédiée aux martyrs tombés le 18 Mars», lance-t-il en hommage aux soldats ottomans de Gallipoli. Dans le même temps, un bulldozer met à terre la statue de Kaveh le forgeron, personnage du panthéon kurde.

Portraits. Les rebelles syriens, eux, retirent les drapeaux des YPG et déchirent les portraits d’Öcalan, leader du PKK. Des opérations militaires se poursuivent dans le nord et l’ouest de la région où subsistent quelques poches de résistance. Mais «le terrorisme est terminé à Afrin», conclut sur Twitter le porte-parole du gouvernement turc, Bekir Bozdag. En deux mois d’opération, 1 500 combattants kurdes ont été tués, estime l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). L’ONG compte également plus de 400 morts du côté des rebelles syriens et des troupes turques, même si Ankara annonce pour l’heure que seuls 46 de ses soldats sont tombés en «martyrs».

«Phase laborieuse». Une fois de plus, les civils n’ont pas été épargnés, rappelle l’OSDH : 286 ont été tués depuis le 20 janvier. Un chiffre vivement contesté par Ankara, qui estime avoir pris toutes les précautions, quitte à ralentir son opération, pour prévenir les pertes civiles. Malgré les appels à la retenue de ses partenaires occidentaux, soucieux d’éventuelles pertes civiles - et de voir le combat mené par les Kurdes contre l’Etat islamique ralenti -, la Turquie a poursuivi son opération, faisant fi des critiques. Ainsi, la motion du Parlement européen, ce jeudi, appelant au retrait des troupes turques de Syrie, a été sèchement reçue par l’exécutif turc. «Hey Parlement européen, qu’est ce que vous faites ? […] Depuis quand donnez-vous des conseils à cette nation ? Gardez-les pour vous. Nous poursuivrons l’opération à Afrin», a ainsi rétorqué Recep Tayyip Erdogan.

«L’opération n’est pas terminée à Afrin», prévient cependant Nihat Ali Özcan. Une nouvelle phase laborieuse commence pour Ankara : «Maintenant il faut sécuriser la région, reconstruire les infrastructures, le système d’eau, l’électricité, les hôpitaux et surtout gérer la population locale», rappelle l’expert. Et d’annoncer : «Ensuite, il faudra observer ce que fait Ankara. Sortie renforcée de cette opération, la Turquie pourrait envisager ensuite d’autres mouvements militaires, plus à l’est, comme vers la ville de Manbij [une ville contrôlée par les YPG avec le soutien des Etats-Unis, ndlr], voire en Irak, où le PKK possède des bases.»