Supplétifs, parrains… des forces en présence très diverses

mis à jour le Vendredi 18 octobre 2019 à 16h23

Libération | Par Luc Mathieu | Le 18/10/2019

Depuis le début de leur offensive, les Turcs s’appuient sur des milliers de rebelles anti-Assad, tandis que le régime et son allié russe dépêchent des troupes dans les zones kurdes en soutien aux FDS.

Qui se bat contre qui ? Lorsque l’armée turque a lancé le 9 octobre, son offensive dans le Nord-Est syrien, les belligérants se répartissaient en deux blocs : d’un côté les forces spéciales turques associées à plusieurs milliers de combattants syriens issus de l’opposition au régime de Bachar al-Assad ; de l’autre, les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance kurdo-arabe. Mais depuis le 13 octobre, ce sont deux autres acteurs qui se sont imposés dans la région : l’armée syrienne et son alliée russe. Les forces gouvernementales et leurs milices ont pénétré mercredi dans la ville de Kobané, où les combattants kurdes avaient réussi à repousser l’Etat islamique (EI) début 2015, et se préparent à revenir à Raqqa. Elles ont déjà pris le contrôle de Tabqa, où se trouvent un barrage et une base aérienne. Elles se rapprochent enfin de Manbij, principal nœud commercial du nord de la Syrie. Le tout sans combattre, ou presque. La Russie, qui a parrainé l’accord entre les Kurdes et le régime de Bachar al-Assad, a fait savoir qu’elle ne voulait pas d’affrontements entre les armées turque et syrienne. Sa police militaire patrouille sur les lignes les séparant, pour éviter qu’elles ne dégénèrent en lignes de front.

Drones. Jusqu’à l’annonce d’un cessez-le-feu jeudi soir (lire ci-contre), les combats se concentraient dans une ville frontalière de la Turquie, Ras al-Ain. Les forces turques comptent des soldats des forces spéciales et peuvent s’appuyer sur leur domination aérienne, aussi bien pour bombarder avec des avions de chasse que pour repérer les positions kurdes avec des drones. Elles ont aussi le soutien de milliers de miliciens syriens. Ceux-ci sont issus d’une vaste coalition, créée début octobre et baptisée «armée nationale syrienne». Celle-ci n’a rien à voir avec l’armée de Bachar al-Assad. Elle est à l’inverse composée de groupes qui l’ont combattue ou la combattent encore. Au total, une trentaine de formations sont représentées et environ 14 000 combattants seraient impliqués, un chiffre difficilement vérifiable.

Certains de ses groupes sont issus de l’Armée syrienne libre (ASL), qui s’est formée à partir de 2011 lorsque des soldats et des officiers de l’armée syrienne ont déserté pour rejoindre la révolution contre Bachar al-Assad. Plusieurs ont été financés par les Etats-Unis, via un centre d’opérations basé en Turquie, et aujourd’hui fermé, ou directement par le Pentagone. D’autres, tel Jaish al-Islam, autrefois actif dans la Ghouta, en banlieue de Damas, sont radicaux, voire jihadistes, comme Ahrar al-Sharkiya, qui s’était formé à Deir el-Zor. La coalition compte enfin des combattants turkmènes qui brandissent régulièrement des drapeaux turcs.

Atrocité. «Il n’y a pas d’unité idéologique parmi ces groupes. Leur seul point commun est qu’ils se sont établis à un moment ou à un autre dans la région d’Alep», explique Thomas Pierret, chercheur au CNRS. Plusieurs ont par ailleurs été entraînés en Turquie avant d’être renvoyés en Syrie. Ankara les avait déjà utilisés comme supplétifs lors de son opération contre le canton d’Afrin, une enclave kurde au nord d’Alep, début 2018. Depuis le début de la dernière offensive turque, ils ont commis plusieurs atrocités, dont le lynchage d’une responsable kurde, Havrin Khalaf, capturée et assassinée au bord d’une route le 12 octobre.

Leurs ennemis désignés sont aujourd’hui les Forces démocratiques syriennes. Leur création remonte à 2015, alors que la coalition internationale s’engageait contre l’EI dans le Nord-Est syrien. Elles sont dirigées par des Kurdes des YPG (Unités de protection du peuple), une branche armée affiliée au PKK actif en Turquie. Au fil des mois, ils ont recruté des combattants arabes de la région. Ce sont eux qui étaient en première ligne, au sol, dans les combats contre l’Etat islamique. La coalition, qui les a armés et parfois entraînés, les soutenait avec son aviation et des forces spéciales, notamment américaines, françaises et britanniques.

Les FDS ont progressé au fil des mois, reprenant les villes proches de la frontière turque avant de descendre vers Raqqa, reconquise en octobre 2017. Elles poursuivront ensuite vers le sud, jusqu’au combat final contre le «califat» jihadiste à Al-Baghouz, dans le sud-est du pays, aux confins de la Syrie et de l’Irak, ce printemps. C’est cette dernière victoire qui fera dire à Donald Trump le 6 octobre que les Etats-Unis avaient reconquis «à 100 %» le territoire de l’EI. Et c’est cet argument qu’il avancera pour justifier le retrait des troupes américaines du Nord-Est syrien, ouvrant la voie à l’attaque turque. Acculés, les responsables kurdes expliqueront le 13 octobre qu’ils n’ont d’autre choix que de passer un accord militaire avec le régime de Bachar al-Assad et la Russie, signant de fait la fin du Rojava, cette région autonome que les FDS avaient mission de défendre.