Saddam Hussein, le pouvoir par la terreur


30 décembre 2006

Jusqu'au bout, Saddam Hussein a cru ou feint de croire qu'il était encore, dans sa prison, le président de l'Irak. Jusqu'au bout, il a cru ou feint de croire qu'il était victime d'une machination américaine dont des centaines de citoyens irakiens qui témoignaient contre lui n'étaient que les instruments. Jusques et y compris après sa condamnation à la peine de mort, le 5 novembre 2006, quand, dans une "lettre au peuple irakien", il a dit accepter la mort en "martyr" et se "sacrifier" pour son peuple.

Le Haut Tribunal pénal irakien, créé sur mesure pour le juger ainsi que ses complices, n'aura eu à se prononcer que pour un seul des crimes qui leur sont imputés : l'assassinat de 148 habitants de la localité de Doujaïl, après une tentative d'assassinat ratée qui aurait visé Saddam Hussein.

De l'ouverture des audiences, le 19 octobre 2006, jusqu'au verdict, l'ancien dictateur, amaigri mais apparemment en bonne santé, le cheveu toujours noir mais la barbe poivre et sel, n'a rien perdu de sa morgue. Un Coran à la main, il s'est parfois réfugié dans un silence méprisant et a parfois multiplié les formes de protestation, refusant tantôt de se présenter à l'audience et engageant tantôt une grève de la faim, ou encore transformant le prétoire en tribune politique. Jusqu'au bout, il a usé de signes, y compris vestimentaires, le plaçant au-dessus de ses six coaccusés, tous ses anciens subordonnés à un titre ou à un autre. Tous portaient la djellaba. Saddam Hussein était, lui, toujours en costume de ville, la chemise blanche immaculée, et l'oeil noir.

Pensait-il vraiment que ses protestations permanentes avaient une chance réelle de convaincre le tribunal de son innocence ? Cherchait-il à donner de lui-même l'image du chef qu'aucun coup du sort ne saurait abattre et voulait-il dans le même temps attiser la flamme de ses partisans ? Avait-il encore de l'influence sur eux ? Dans le box des accusés, Saddam Hussein n'avait en tout cas plus les moyens de terroriser, lui qui avait érigé la terreur en mode de gouvernement, et pour qui la fin a toujours justifié les moyens, tous les moyens, tant à l'intérieur que dans les relations avec l'étranger, surtout proche.

L'ex-dictateur ne sera pas allé au bout d'une autre procédure, qui concernait l'un de ses crimes présumés les plus graves, la campagne dite "d'Al-Anfal", dont quelque 180 000 Kurdes irakiens furent les victimes dans les années 1987-1988. Ouvert le 21 août 2006, le procès d'Al-Anfal continuera sans lui, au grand dam sans doute des familles des victimes.

Saddam Hussein était le fils d'une famille paysanne originaire d'un village proche de Tikrit, à 150 kilomètres au nord de Bagdad. Né le 28 avril 1937, il entre en politique à l'âge de 18 ans. Au lycée à Bagdad, il découvre les cellules clandestines baasistes de résistance au colonisateur britannique. En 1956, il participe à un complot avorté contre le roi Fayçal II. Trois ans plus tard, il est l'un des trois jeunes baasistes qui tirent à bout portant sur le nouveau maître de l'Irak, le général Abdel Karim Kassem. Blessé à la jambe, il se réfugie en Syrie, puis en Egypte. De retour au pays, il est arrêté en 1964, mais il s'évade deux ans plus tard, pour préparer le coup d'Etat qui, en juillet 1968, porte le Parti Baas au pouvoir. Saddam Hussein devient alors secrétaire général adjoint du commandement régional du parti et, trois ans plus tard, vice-président de la République. En 1969, alors que, dans l'ombre du président Ahmed Hassan Al-Bakr, il est déjà l'homme fort de l'Irak, il obtient sa licence de droit... à la pointe du revolver, puisqu'il lui a suffi d'en porter un à la hanche et d'être accompagné par quatre gardes du corps pour décrocher son diplôme.

C'est essentiellement par la violence que Saddam Hussein accède au sommet de l'Etat en 1979. La mise en scène imaginée pour inaugurer son régime après avoir "convaincu" par la menace le président Ahmad Hassan Al-Bakr de se démettre illustre ses méthodes. L'histoire ancienne et récente de l'Irak est certes jalonnée d'actes de violence, marqués par des meurtres et des assassinats. Le coup d'Etat de 1958 a renversé la monarchie. Celui de 1963 a amené une première fois les baasistes au pouvoir. Tandis que celui de 1968 devait asseoir définitivement leur autorité. Saddam Hussein a porté cette violence à son paroxysme.

Deux semaines après avoir pris le pouvoir, il convoque, le 22 juillet, des milliers de cadres supérieurs du Baas à une réunion d'urgence. Le rideau se lève sur la lecture par Mohyi Hussein Al-Machadi, secrétaire général du conseil du commandement de la révolution, l'organe suprême du parti, d'une "confession" détaillée de sa participation à un "complot" qui vise à renverser le régime et à proclamer l'union avec la Syrie, sous la direction du président syrien, Hafez Al- Assad. Al-Machadi énumère ensuite les noms de ceux qui auraient participé à la "conjuration". Ils sont priés un à un de quitter la salle. Une cinquantaine de personnes sont ainsi mises à l'ombre, dont vingt-deux sont fusillées en présence de Saddam Hussein.

Parmi elles, figure Abdel Khaleq Al-Samaraï, l'un des dirigeants historiques les plus respectés du Parti Baas, alors en résidence surveillée depuis six ans, après avoir été accusé de participation à un complot - bien réel celui-là - ourdi par le chef de la sécurité, Nazem Kazzar.

Ce dont Al-Samaraï était en réalité coupable, c'était d'être plus populaire que le tandem Al-Bakr-Hussein. Quant aux autres "conjurés", ils paient de leur vie le seul fait d'avoir contesté la procédure peu orthodoxe de l'accession au pouvoir du nouveau numéro un irakien. Saddam Hussein vient ainsi de donner le ton. Il dit, sans convaincre personne, avoir ignoré les brutalités dont s'était rendu coupable Nazem Kazzar son vassal traître, qui a admis avoir torturé à mort ou fait assassiner quelque deux mille suspects de pensée politiquement non correcte. Exécutions, disparitions, assassinats, "morts naturelles" en prison ou mystérieux accidents de la route ou d'hélicoptère ont continué après Kazzar.

Saddam Hussein pratique sans scrupule la violence de masse, faisant transférer de force, dans le sud de l'Irak, en 1975-1976, après l'effondrement de leur mouvement autonomiste, quelque 300 000 Kurdes. Contre les Kurdes qui, avec les chiites, étaient le point focal de ses peurs, il fera donner des gaz mortels en 1988. Cinq mille d'entre eux périrent dans la seule localité d'Halabja et plusieurs milliers d'autres ailleurs.

C'est le point d'orgue de la campagne d'Al-Anfal, qui aura coûté la vie à quelque 180 000 Kurdes irakiens. En 1970 déjà, Saddam Hussein avait ourdi un attentat - manqué - contre le fils du dirigeant kurde, Moustapha Barzani, qu'il a tenté, sans succès, d'éliminer un an plus tard.

Communauté majoritaire en Irak, les Chiites non plus ne sont pas épargnés. Il craint leurs appétits présumés de pouvoir dans un pays gouverné par une minorité sunnite, la sienne. L'avènement d'une République islamique chiite en Iran, en 1979, accentue ses peurs. Il fait arrêter cette année-là plusieurs milliers d'Irakiens chiites et fait assassiner en prison, l'année suivante, leur chef spirituel, l'ayatollah Bagher Sadr et plusieurs membres de sa famille, dont des femmes. Parallèlement, il fait déporter plus de 100 000 habitants d'origine persane, contraints d'abandonner tous leurs biens en l'espace de quarante-huit heures pour se réfugier chez leur voisin iranien.

L'Iran, qui, sous le règne du chah, aspirait à devenir le gendarme du Golfe et qui avait instrumentalisé les Kurdes irakiens contre le régime de Bagdad, l'Iran, avec lequel le conflit sur la délimitation de la frontière dans le Chatt al-Arab avait enfin été réglé en 1975, l'Iran donc, vient de tomber aux mains d'un pouvoir religieux qui ne fait pas mystère de sa volonté d'exporter la révolution.

Depuis quatre ans, le dictateur irakien s'est rapproché des monarchies du Golfe - notamment de l'Arabie saoudite - et de la Jordanie. Après avoir imposé une autorité féroce à l'intérieur de ses frontières, grâce, entre autres, à un système de services de renseignement à plusieurs étages, il se sent suffisamment à l'aise à domicile pour pouvoir s'offrir cette ouverture. Ce tournant est facilité par la flambée des prix du brut après l'embargo décidé, en 1973, par les Etats producteurs arabes.

Saddam Hussein met à profit cette manne pour assurer le développement du pays et sa prospérité. Il renforce l'armée en effectifs et en matériels. L'Irak, lié depuis 1972 par un traité d'amitié et de coopération avec l'URSS, n'est plus aussi dépendant de l'aide de Moscou. Saddam Hussein s'offre même le luxe de resserrer les liens économiques avec les Etats-Unis, alors même que les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues depuis 1967.

La prise d'otages à l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran, en novembre 1979, glace d'effroi l'ensemble des pays arabes du Golfe et l'Occident. Saddam Hussein croit venue l'heure de démontrer qu'il peut être leur protecteur et, par ce biais, se frayer une voie dans la cour des Grands. Un attentat manqué, commis le 1er avril à Bagdad, contre le vice-premier ministre Tarek Aziz, par le parti chiite irakien Al-Daawa, achève de le convaincre de la nécessité d'éliminer le "danger" iranien. Le 22 septembre 1980, il déclare la guerre à l'Iran, que la propagande officielle s'empresse de baptiser la "Qadissiya de Saddam", du nom d'une célèbre bataille qu'en l'an 636 les musulmans remportèrent sur l'Empire perse des Sassanides.

La guerre dure huit ans, au cours desquels l'Occident encourage le maître de l'Irak et l'aide à se doter d'armes sophistiquées. A son terme, l'armée irakienne s'est certes aguerrie, mais le pays a payé un prix exorbitant : de 100 000 à 200 000 morts, de 300 000 à 400 000 blessés, et une dette de 70 milliards de dollars, dont la moitié est due aux Etats du Golfe.

Le culte de la personnalité, entretenu à coups d'images, de chansons et de poèmes à la gloire du "Nabuchodonosor du XXe siècle" ne suffit plus. Les soubresauts démocratiques dans les pays de l'Europe de l'Est poussent Saddam Hussein - effaré de perdre le contrôle de la situation - à renoncer rapidement à ses promesses de démocratisation, si tant est qu'elles furent jamais sincères. Il a besoin d'argent pour reconstruire le pays, acheter le silence du peuple et continuer à se doter des armes les plus performantes, pour affronter les "complots" iranien et israélien - dont le bombardement, en 1981, par Israël, du réacteur nucléaire Osirak a achevé de le convaincre.

Saddam Hussein est persuadé de son impunité vis-à-vis de ses voisins et de la communauté internationale. Il estime qu'ils lui sont redevables d'avoir contenu le "danger" iranien qui menaçait des monarchies dont les réserves pétrolières, comme celles de l'Irak, sont indispensables à l'économie mondiale. Il exige de ses voisins d'effacer sa dette. Il voit dans la surproduction pétrolière du Koweït et de l'Etat des Emirats arabes unis, qui a fait chuter les prix du brut, une véritable guerre économique dirigée contre son pays. Il accuse le Koweït de se livrer à l'exploitation éhontée du champ pétrolifère de Roumeila, à la frontière entre les deux pays. Après avoir menacé sur tous les tons, il lance, le 2 août 1990, son armée à l'assaut du Koweït.

Saddam Hussein prend seul la décision d'envahir le Koweït, ne mettant dans la confidence que quatre de ses plus proches. Alors que jusqu'en 1989 le Baas, la tribu des Takriti, à laquelle il appartient, et le conseil de commandement de la révolution étaient encore les piliers du régime, la dérive familiale, voire quasi monarchiste, du pouvoir s'accentue. Les purges succédant aux purges, Saddam Hussein ne compte plus que sur un quarteron de supposés fidèles, tous membres de sa famille. Même pour ces derniers, l'espace vital est allé s'amenuisant, suscitant de sanglants règlements de comptes.

Après avoir envahi le Koweït, Saddam Hussein, buté au-delà de l'imaginable, est convaincu de pouvoir décourager, par la menace et les rodomontades, toute tentative de libération du petit Emirat par les armées alliées. Il ne saisit aucune des perches qui lui sont tendues, alors même que, pour lui faire face, une formidable armada est en train de se mettre en place. Il ne sait pas davantage faire machine arrière avant qu'il soit trop tard. Et, lorsque sa "mère de toutes les batailles" échoue lamentablement, il ne tire pas les leçons de sa défaite.

Après la guerre, alors que son pays est soumis à un embargo international des plus sévères, il se rit d'avoir "usé" trois présidents américains, tout en se maintenant lui-même au pouvoir. Il affirme aussi : "Nous pouvons vivre avec les sanctions pendant dix ou vingt ans." C'est vrai pour lui et pour son entourage, mais son pays tombe en ruine. Il n'en a pas davantage cure qu'il ne semble se soucier, autrement que de manière déclaratoire, du sort de ses concitoyens. Il instrumentalise leurs souffrances pour obtenir la levée des sanctions internationales. Muré dans son orgueil, il fait reconstruire les infrastructures détruites. Sous le prétexte de contrôler une situation qui lui échappe en matière de finances comme de sécurité, il choisit des boucs émissaires au sein du peuple. Il leur applique les châtiments les plus cruels : amputation d'oreilles, marquage au fer blanc... La terreur encore et toujours.

Saddam Hussein croit aussi pouvoir berner les Nations unies, tricher sur ses programmes d'armes de destruction massive que les inspecteurs onusiens finissent par découvrir et neutraliser. En 2003, les Etats-Unis feront de la détention de ces armes l'un des arguments majeurs justifiant une intervention militaire. Après la chute de Saddam Hussein, ils devront admettre qu'ils se sont trompés.

Il s'est accommodé de tout, y compris d'une souveraineté tronquée, après que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France lui eurent imposé deux zones d'exclusion aérienne au nord et au sud du pays. Jusqu'en septembre 1996, il a fait son deuil de la partie du Kurdistan située au nord du 36e parallèle, d'où il a retiré son armée au sol et ses appareils administratif et paramilitaire, pour les soustraire à des rebelles kurdes aguerris à la lutte depuis des dizaines d'années. Connaissant bien "ses" Kurdes et les querelles intestines qui les ont historiquement minés, il maintient néanmoins avec leurs chefs un lien plus ou moins ténu selon les périodes, pour essayer de les ramener dans le giron. Il ne s'est pas beaucoup trompé puisque, en septembre 1996, il est appelé à la rescousse par l'une de leurs formations, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), contre une autre, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK). Cette intervention entraîne une débandade des agents de la CIA installés dans cette région et le démantèlement des structures embryonnaires qu'une partie des formations de l'opposition a commencé à mettre en place.

D'une certaine manière, la CIA a rendu service à Saddam Hussein. En créant, finançant et pariant - ou feignant de parier - sur une coalition d'opposants qui ne s'accordent pas et qui, surtout, n'ont pas de poids au niveau national, la centrale américaine de renseignement a contribué à décrédibiliser les opposants et à les présenter comme des pions des Etats-Unis. Paradoxalement, Saddam Hussein, au moins jusqu'en 1998, était redevable de sa pérennité aux différentes administrations américaines, qui ne savaient trop si un Irak exténué n'était pas préférable à un Irak revigoré. Pas plus que les voisins de l'Irak, Washington n'avait d'idée précise sur "l'après-Saddam".

Le sort du dictateur a été scellé à Washington après les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001. Une fois le régime afghan des talibans mis en déroute, la détermination du président américain à extirper "le Mal", selon ses propres termes, se focalise sur Saddam Hussein.

Rien ne semble plus pouvoir freiner l'humeur guerrière américaine, sur la base de deux arguments qui se révéleront infondés : l'existence d'armes de destruction massive et des liens avec Oussama Ben Laden, le chef du réseau djihadiste Al-Qaida. Les divisions au sein du Conseil de sécurité de l'ONU à propos de la guerre pas plus que l'hostilité des opinions publiques à travers le monde ne dissuadent Washington d'intervenir.

Le 20 mars 2003, la guerre pour éliminer Saddam Hussein est lancée. Bagdad tombe le 9 avril. Saddam Hussein et ses proches sont en fuite. Le 13 décembre, il est capturé dans un "trou à rat" dans une ferme à proximité de son village natal. Ses fils, Qoussaï et Oudaï, élevés à l'école de leur père, ont été tués en juillet, à Mossoul, par les forces américaines. Ses deux filles, Rana et Raghad, vivent en Jordanie. Son épouse, Sajida, serait au Qatar ou en Jordanie.

Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 31.12.06