Saddam Hussein en procès pour le «génocide kurde»



Par Marc SEMO - Mardi 22 août 2006

L'ancien dictateur irakien, son cousin «Ali le Chimique» et cinqcoaccusés sont jugés pour l'extermination d'au moins 200 000 Kurdes en1988.

Au moment de l'ouverturede l'audience, le pays kurde, au nord de l'Irak, s'est arrêté pour cinqminutes de silence. Beaucoup de familles ont installé les photos deleurs «martyrs» face au poste de télévision alors quedéfilaient les images du second procès de Saddam Hussein. C'est lemoment tant attendu. Il y a un peu moins d'un an, le 19 octobre 2005,l'ex-dictateur devait répondre du massacre de 148 villageois chiites.Cette fois, il est dans le box avec son cousin Ali Hassan al-Majid,surnommé «Ali le Chimique», pour l'extermination de près de 200 000Kurdes en 1988 pendant l'opération «al Anfal» (butin de guerre), ainsinommée d'après une sourate du Coran. Au cours de cette campagne contreles rebelles kurdes, accusés de complicité avec l'Iran, furentmassivement utilisées des armes chimiques, notamment dans la petiteville d'Halabja.

Gaz moutarde
Déjà inculpés de crimes de guerre et crimes contre l'humanité, Saddam et «Ali le chimique» sont cette fois aussi accusés de «génocide», lecrime le plus grave, qui se caractérise par l'intention de détruireentièrement ou en partie un groupe du seul fait de ses croyances ou deses origines ethniques. Mais le Haut Tribunal pénal irakien, mis enplace en décembre 2003 avec l'aide des Américains, n'a guère,jusqu'ici, affirmé sa crédibilité. L'évidence des crimes est pourtantaccablante dans ce dossier. Al Anfal ne fut que l'apogée d'une série demassacres, commencés dès 1979 contre les Kurdes, qui se poursuivirenten 1983 avec l'extermination systématique de 8 000 hommes dans lesvillages de la vallée de Barzan, le fief de la famille Barzani (leadershistoriques du mouvement national kurde irakien, ndlr). Les atrocitéscontre les Kurdes feront l'objet de trois procès distincts, dont unspécifiquement sur Halabja, où 5000 personnes furent tuées en quelquesminutes par des bombardements au gaz moutarde.

«Aucunepopulation de l'Irak n'a autant souffert et n'a eu autant de victimesque les Kurdes avec un demi-million de morts, dont 350 000disparus», martèle Mohammad Ihsan, 40 ans, ministre desAffaires extra-régionales au gouvernement du Kurdistan irakien. Partitout jeune rejoindre les peshmergas (les combattants kurdes) dans lamontagne, il s'exila ensuite en Grande-Bretagne, devint avocat,travailla avec Amnesty International ou Human Rights Watch tout enoeuvrant avec le comité Indictment pour un futur procès internationalde Saddam Hussein, alors encore au pouvoir.

13 tonnes d'archives
Depuis son retour, il consacre la plus grande partie de ses activités de ministre «à enquêter sur les crimes du régime, car il n'y a pas assez de magistrats formés pour travailler sur ces sujets» . Il est bien convaincu qu'il est possible de prouver «les responsabilités directes et personnelles» de Saddam dans ces atrocités au travers de milliers de témoins directs et des archives.  Ily avait déjà celles, prises en 1991 dans les centres de sécurité auKurdistan, que les peshmergas ont réussi à faire sortir du pays aprèsl'écrasement de la révolte. Depuis la chute du régime, il y en abeaucoup d'autres, en tout quelque 13 tonnes de documents saisis dansles locaux des divers services de sécurité ou du parti Baas. «SaddamHussein était très fier de ses crimes et il pensait que son régimedurerait éternellement : beaucoup de ses ordres étaient transcrits noirsur blanc et ses subordonnés lui envoyaient directement des cassettesmontrant les tortures et les exécutions afin de bien montrer que lesconsignes avaient été appliquées à la lettre. Tout cela offre unmatériel immense aux enquêteurs avec des détails très précis et desnoms. Il y a là un moyen d'établir, de façon très méticuleuse et danstous leurs rouages, les chaînes de commandement», souligne Mohammed Ihsan.

«Commentimaginer un jour un Irak démocratique et une réconciliation si lesresponsables des atrocités commises pendant trois décennies n'ont pasun nom et n'ont pas été punis. Il ne s'agit pas seulement de jugerSaddam Hussein, mais tout un système et les autres responsables decette machine de terreur. Aujourd'hui, beaucoup d'hommes qui ontparticipé à ce système de répression sont non seulement toujours à mêmede nuire, mais revendiquent haut et fort leurs forfaits», explique le juriste.

Cibles
Le procès de Saddam Hussein représente néanmoins sur ce planune grande occasion manquée. Le tribunal spécial siège dans la «zoneverte», quartier bunker au centre de Bagdad, gardé par les troupesaméricaines. Les juges, comme les témoins à charge, savent qu'ils sontles cibles de la résistance sunnite. Plusieurs avocats desex-dignitaires baasistes sont tombés sous les balles des escadrons dela mort chiites. Les audiences sont souvent annulées à cause de Saddamqui refuse de reconnaître la légitimité de la cour.

Les organisations des droits de l'homme soulignent que le Haut Tribunalpénal irakien ne dispose pas de suffisamment de juristes expérimentéspour assurer un procès impartial et conforme aux critèresinternationaux. «Ces critiques sur les carences du tribunal sonten bonne partie justifiées car nous manquons aussi bien de juges qued'avocats pour faire face à un tel type de procès, mais en même tempsc'est la première fois dans l'histoire de l'Irak, voire du monde arabe,qu'un ex-dictateur répond de ses crimes dans un procès sérieux», rétorque Mohammed Ihsan.

Peine capitale
Comme beaucoup d'autres juristes, il aurait préféré que SaddamHussein puisse être jugé par un tribunal mixte sous l'égide des Nationsunies, avec des juges irakiens et internationaux. Ce projet avaitcapoté parce que le gouvernement irakien, soutenu par Washington,voulait pouvoir prononcer la peine de mort. Il espère au moins que lesprochains procès contre l'ancien dictateur iront jusqu'à leur terme,même si la cour prononce la peine capitale en octobre prochain pour lapremière affaire.

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