“ Les Kurdes ont besoin de vérité et de justice ”

mis à jour le Jeudi 7 février 2013 à 18h13

France-armenie.fr | fév. 2013 - N°394 | Propos recueillis par MJM

Rusen Werdi, chargée de l’information et du bureau des droits de l’Homme à l’Institut kurde de Paris, livre son analyse sur la situation actuelle.

France-Arménie : Trois hypothèses ressortent sur l’identité des assassins de ces trois femmes. Quelles sont-elles ?

Rusen Werdi : La première possibilité d’un règlement de comptes interne entre Kurdes – évoquée surtout par la presse turque, d’ailleurs – est à écarter. On a appris que Sakîne Cansiz s’était rendue sur les bases du PKK au Kurdistan irakien, il y a quelques mois, et je vous assure que l’éliminer là-bas serait passé comme une lettre à la poste. Elle était sur la même ligne qu’Öcalan et était surtout là ces dernières années pour porter le Mouvement des femmes kurdes en Europe. Elle était plutôt discrète et n’avait pas d’influence sur les mouvements d’argent entre l’Europe et le Kurdistan. Certes, le PKK a déjà exprimé ce genre de violences sur le territoire européen, mais c’était il y a au moins vingt ans.

Deuxième possibilité ?

La deuxième possibilité, évidemment, est qu’il s’agisse d’extrémistes turcs. On sait que les Turcs ont l’expérience, y compris en Europe, d’agir de cette manière. Dans les années 80, par exemple, des assassinats politiques visant des personnalités arméniennes ont eu lieu. Les assassins ont été recueillis en Turquie et protégés par l’Etat turc. Alors évidemment, on parle très facilement de cet Etat profond qui agit impunément depuis de nombreuses années en Turquie. Ce qui profite à cet Etat profond, c’est la déstabilisation de la région et notamment de la Turquie.

On évoque également une piste iranienne ou syrienne…

L’Iran a déjà commis des crimes sur le sol européen à l’encontre de responsables politiques kurdes, comme le président du Parti démocratique du Kurdistan d’Iran, Abdulrahman Ghassemlou, en 1989 à Vienne et certains de ses successeurs en 1992 à Berlin.

En outre, Öcalan a demandé à ses troupes de prendre rang auprès de l’opposition syrienne de manière plus prononcée. Ce qui ne plaît pas du tout au régime syrien, qui avait préféré laisser la gestion du Kurdistan syrien aux partis kurdes et notamment à celui proche du PKK. Les négociations en cours ne le satisfont donc pas du tout.

Qu’attendez-vous des autorités françaises aujourd’hui ?

Qu’elles répondent rapidement à certaines questions. Les Kurdes ont besoin de vérité et de justice. Comment quelqu’un placé sous surveillance policière peut-il être atteint si facilement, par exemple ? On doit savoir s’il y a eu un manque à ce niveau-là, car la presse turque va manipuler la diaspora kurde. J’entends déjà des voix dire
qu’on ne peut pas agir ainsi sans l’aval des Français. Ces « informations » doivent être écartées. L’avenir des négociations turco-kurdes est-il compromis ? Que ce soit Öcalan ou l’AKP, les deux camps souhaitent que le processus de paix ne capote pas. Le printemps arabe est là, le Kurdistan irakien existe depuis belle lurette et son rayonnement est des plus importants auprès des Kurdes. Le gouvernement turc est bien conscient qu’il sera obligé de donner ses droits aux Kurdes, car la génération à venir peut être beaucoup plus radicale. Demandez à n’importe quel Kurde dans la rue et surtout aux jeunes s’ils veulent l’indépendance, ils répondront oui !

Quel sentiment prédomine dans la diaspora kurde aujourd’hui ?

La population en a vraiment assez de cette guerre qui a fait 45 000 morts, dont beaucoup sont des civils. Les Kurdes dans leur ensemble sont pour une solution politique, mais refusent de donner un chèque en blanc aux autorités turques. Ils veulent une reconnaissance politique et collective de leur identité, tout en sachant qu’ils ne vont pas l’obtenir facilement. Quant au PKK, il n’abandonnera pas les armes sans garantie. Les Arméniens ont publié des communiqués de soutien, et certains ont même pris place à vos côtés lors de la manifestation du samedi 12 janvier.

Qu’en pensez-vous ?

Le soutien des Arméniens est très important pour les Kurdes. J’ai moi-même vu à travers les réseaux sociaux des photos montrant des drapeaux arméniens flotter au côté des drapeaux kurdes. Celles-ci ont été les plus re-tweetées parmi les Kurdes. Le dialogue a toujours existé avec la communauté arménienne. Hélas, nous avons un destin commun, même si celui des Arméniens a été bien plus tragique. Les Kurdes, qui sont les seuls à résister en nombre en Turquie, se rendent compte au quotidien des difficultés vécues par les Arméniens dans ce pays. Plus l’Histoire va parler, plus ils vont se rendre compte de l’ampleur de cette tragédie qu’a été le Génocide.