«Pourquoi le juger? Qu'on en finisse tout de suite!»

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Dans le bazar d'Erbil, au Kurdistan irakien, personne n'a de pitié pour l'ex-dictateur.

Par Marc Semo - mercredi 19 octobre 2005 (Liberation.fr) - Erbil, Kurdistan d'Irak, envoyé spécial.

« Incroyable, il terrorise toujours ses complices », murmure le vieil homme, commentant les regards déférents et apeurés que lancent ses co-accusés à Saddam Hussein. La diffusion de ce que toutes les télévisions irakiennes appellent « le procès du siècle pour le dictateur du siècle » vient de commencer.

Dans une boutique de tailleur du bazar au centre d'Erbil, ils sont une demi-douzaine les yeux fixés sur l'image qui tremblote. Il a plu sur la capitale kurde, et les communications satellites sont devenues problématiques. L'électricité saute de temps à autre et chacun a allumé les générateurs pour ne pas rater ce moment historique. Les kurdes, qui ont perdu un demi million des leurs, massacrés par le régime de Saddam, exultent de voir enfin le dictateur face à ses juges. « Et en plus le président du tribunal est un kurde », souligne le marchand de matelas du magasin voisin. «Pourquoi le juger ? Qu'on l'amène ici dans une cage et qu'on en finisse tout de suite comme il le faisait lui », lance une vieille femme enveloppée dans un grand voile noir. Son mari et ses deux fils ont été arrêtés lors de la rafle dans leur village prés de Kirkouk pendant l'opération Al Anfal ( 180 000 victimes) au printemps 1988 qui visait à anéantir la population kurde irakienne. Elle ne les a jamais plus revu. « La mort serait même trop douce pour lui », renchérit elle. Son seul regret est que le procès n'ait pas lieu à Erbil ou dans l'une des autres villes du Kurdistan irakien qui depuis 1991 échappe à la tutelle de Bagdad.

« C'est normal qu'il soit jugé à Bagdad. Il a commis des crimes dans tout le pays kurde mais aussi dans tout l'Irak», commente un marchand de cadres et de tableaux dont le magasin déborde de portraits de Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan et fils du légendaire général Mustapha Barzani, le défunt leader historique du nationalisme kurde irakien. Devant la boutique où la télévision est allumée comme dans de nombreuses autres du bazar, il y a un petit attroupement. « Il n'y a pas un kurde qui ne veuille le jugement de Saddam » assure Ibrahim, employé, qui rappelle toutes les horreurs du régime. « Il a gâché nos vies. A cause de lui j'ai du passer quinze ans dans l'armée, d'abord contre l'Iran puis au Koweit. Toute ma jeunesse n'a été que la guerre », rajoute Mohammad, arabe, qui s'est installé dans la zone kurde après la déroute des troupes de Saddam au Koweit.
« C'était le pire des dictateurs et ce procès est d'autant plus important qu'il va servir d'exemple aux autres dictateurs du monde arabe. Pendant des années il a commis avec leur soutien des crimes abominables en utilisant des armes interdites. » martèle Aziz, instituteur. Il espère aussi que le déroulement des audiences permettra « de montrer à tous les Irakiens ce qui c'est réellement passé pendant ces années car il y a encore une partie de la population et surtout les arabes sunnites, les privilégiés de l'ex régime, qui refusent de voir ce qui se passait». Une vieille femme s'approche, directrice d'école en retraite. Elle opine de la tête puis lance : « je n'aurai jamais imaginé voir enfin Saddam en jugement. Pour toutes les mères de l'Irak, c'est un jour spécial. Cela ne nous rendra pas nos enfants et nos frères mais c'est quand même un début de justice ». Puis elle ajoute : « je suis heureuse, simplement heureuse ».

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