Pour Hoshyar Zebari, "les sunnites sont arrivés à la conclusion que le vieil Irak est fini"

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LE MONDE [30 novembre 2005] - Hoshyar Zebari, le ministre irakien des affaires étrangères, de passage à Paris à l'invitation de son homologue français, Philippe Douste-Blazy, a évoqué la possibilité de formation par la France de la Garde nationale irakienne. Cette visite intervient au moment où l'Irak s'apprête à franchir un cap politique important avec les élections générales du 15 décembre qui mettront fin à la période de transition et doteront le pays d'institutions définitives, près de trois ans après le début de la guerre en mars 2003.
 

A cette occasion, pour la première fois, les anciens détenteurs du pouvoir, les sunnites, vont participer au scrutin, après avoir boycotté celui du 30 janvier qui avait permis aux chiites et aux Kurdes de s'installer aux commandes du pays. "Les sunnites sont arrivés à la conclusion que le vieil Irak est fini. Ils sont plus réalistes. Ils savent qu'ils ne peuvent plus gouverner avec un leader national , une sorte de Saddam. Ils ont compris que c'est terminé", explique ce Kurde qui ajoute qu'"ils ont également compris que la violence ne paierait pas et qu'ils gagneront plus s'ils deviennent des partenaires".

Pour Hoshyar Zebari, il ne fait pas de doute que le pays est à un tournant capital. "La situation est difficile, reconnaît-il, mais elle est gérable. Elle n'est pas sans espoir. Certains sont pessimistes mais tout de même, en l'espace d'un an, l'Irak sera parvenu à organiser trois scrutins importants. 8,5 millions de personnes sont allées voter en janvier. 10 millions au référendum du 15 octobre et maintenant, il y a 112 partis politiques qui sont enregistrés pour les élections générales. La Ligue arabe s'est engagée dans le processus. Tout cela va, à mon sens, avoir un impact positif sur la situation sécuritaire. Cela ne va pas mettre fin à la violence et au terrorisme mais va réduire l'assise des Saddamistes, des terroristes. Ils seront plus isolés."

Le chef de la diplomatie irakienne constate que malgré tout "l'Irak bouge". "Un gouvernement stable va s'installer pour quatre ans et une nouvelle Constitution va entrer en vigueur, dit-il. L'Irak se prend en mains et les nations occidentales doivent en prendre acte. Les pays arabes l'ont déjà fait".

Pour M. Zebari, les progrès sont incontestables et il est convaincu que la prise en charge de la sécurité par les Irakiens est en bonne voie. Il en veut pour preuve que dans de nombreuses villes chiites du sud ainsi que, selon lui, "pour 40 % à Bagdad", la Force multinationale a laissé le maintien de l'ordre aux Irakiens. "Nous avons plus de 120 000 hommes dans les forces de sécurité et les attentats n'empêchent pas les recrues de venir. La grande majorité du peuple irakien veut la démocratie. La démonstration en a été faite lorque l'on a vu les queues devant les bureaux de vote", se félicite M. Zebari.

Reconnaissant qu'il est possible qu'il y ait une recrudescence des attentats avant le 15 décembre, M. Zebari ne croît pas pour autant en la possibilité d'une guerre civile, même si celle-ci a été déclarée contre les chiites par Abou Moussab Al-Zarkaoui, le chef d'Al-Qaida en Irak. "Je n'y crois pas, car elle aurait déja commencé. Pour la bonne raison aussi que les chiites et les Kurdes n'ont pas répliqué en masse." Et pourtant les djihadistes continuent de traverser la frontière syrienne. Pour M. Zebari, "le vrai problème est le manque de volonté politique parce que l'on sait combien les services secrets syriens sont puissants. S'ils le voulaient, ils ne permetraient pas à un oiseau de franchir la frontière".

Pour cette raison et d'autres, il n'est pas question d'établir un calendrier de retrait des troupes américaines. "Cela encouragerait les terroristes, et les régimes qui soutiennent la violence se sentiraient confortés dans leur stratégie de déstabilisation."

Michel Bôle-Richard
Article paru dans l'édition du 01.12.05