"Pas assez de troupes pour chasser le PKK"


n° 886 - 25 oct. 2007 | En couverture / L'étincelle kurde

Dans une interview accordée à Asharq Al-Awsat, le président irakien Jalal Talabani, qui est kurde, évoque les tensions avec la Turquie et les problèmes interirakiens.

Le Premier ministre irakien Nouri ­Al-Maliki a parlé [de la nécessité] d’“éradiquer” le PKK du Kurdistan irakien. Que vous inspire cette expression ?

Jalal Talabani Depuis longtemps, nous conseillons au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d’abandonner la lutte armée. A l’époque de la mondialisation, la “guerre des partisans” n’est plus acceptable ni utile. Le PKK devrait se tourner vers l’action politique, médiatique, diplomatique, et la mobilisation populaire. Dans un discours à Souleimanieh [capitale de la région est du Kurdistan irakien], j’ai dit que le peuple kurde considérait que la lutte armée du PKK en Turquie ou en Iran ne servait pas ses intérêts. Au contraire, cela nuit à la démocratie en Turquie, ainsi qu’au Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et à son parti, l’AKP. Ce dernier reconnaît l’existence du peuple kurde et manifeste de la sympathie pour sa cause. Les dernières élections législatives ont été libres dans le sud-est du pays et ont vu l’élection de députés kurdes. L’AKP a obtenu plus de 60 % des voix parmi l’électorat kurde. Combattre ce gouvernement ne sert qu’à alimenter le chauvinisme turc.
Par ailleurs, la Constitution irakienne interdit que des forces armées étrangères lancent des attaques sur des pays voisins à partir de notre territoire. Nous voudrions que le PKK quitte notre territoire et retourne chez lui, dans le Kurdistan turc, qui est plus vaste, où les montagnes sont plus escarpées et où il peut faire ce qui lui plaît. L’Irak n’est pas d’accord avec sa présence et ne veut pas qu’il aille tuer des gens en Turquie pour ensuite revenir chez nous. Il fournit ainsi des prétextes pour attaquer notre pays. Que pouvons-nous faire ? Nous n’avons pas assez de troupes pour les chasser. Nous sommes déjà assez occupés à assurer la sécurité dans les rues de Bagdad. Nous sommes prêts à travailler dans le cadre d’une commission tripartite Irak, Turquie, Etats-Unis, afin de mettre un terme aux activités du PKK dans le Kurdistan irakien et de les circonscrire dans la région du Qendil [crête de montagne à la frontière turco-irakienne].

Dans un premier temps, vous voulez donc les chasser des zones habitées ?

Nous les avons déjà chassés des villes ; nous cherchons à les chasser des zones habitées et à leur interdire les communications avec l’étranger et l’accès aux ressources financières. Nous avons également fermé leurs bureaux dans les villes irakiennes, y compris à Bagdad.

Le gouvernement turc voudrait que vous arrêtiez les dirigeants du PKK présents sur votre territoire.

Comment pourrions-nous les arrêter alors qu’ils sont entourés de milliers d’hommes dans les montagnes et que même l’armée turque n’y parvient pas ?

Que pensez-vous des déclarations du président syrien Bachar El-Assad ?

Elles sont dangereuses et en contradiction avec l’esprit de solidarité arabe et syro-irakienne. Comment un chef d’Etat arabe peut-il apporter son soutien à une intervention militaire contre ­l’Irak ? Le président syrien a franchi une ligne rouge. Il aurait mieux fait de prendre exemple sur les Américains et les Européens en disant que, tout en comprenant la position turque, il préférerait une solution politique. Je m’interroge sur les raisons de ces déclarations, alors que nous sommes d’accord sur de nombreux points. J’ai été personnellement en visite à Damas, tout comme mon second, [le vice-président irakien] Adel Abdel Mahdi, et le Premier ministre… Vraiment, je suis étonné de cette attitude inamicale.

Quand sera organisé le référendum sur la ville de Kirkouk [revendiquée à la fois par les Kurdes, les Turkmènes et les Arabes] ?

On n’a pas pu le faire cette année parce que le recensement n’a pas encore abouti et que la normalisation n’a pas encore eu lieu. ­Maintenant, la normalisation est engagée et il y a un comité qui verse des indemnités aux familles [des familles arabes ont été incitées du temps de Saddam Hussein à s’installer à Kirkouk] qui souhaitent retourner sur leurs terres d’origine. Ceux qui ne veulent pas retourner ne seront pas chassés, mais ils n’auront pas le droit de participer au référendum sur l’avenir de Kirkouk.

Ils seront donc des citoyens de seconde zone ? Cela n’avivera-t-il pas les chauvinismes ethniques et confessionnels ?

Cela part d’une volonté d’établir la justice et de revenir sur des erreurs commises par l’ancien régime, qui voulait changer la démographie de la ville par une arabisation forcée. Je voudrais qu’on s’inspire de la ville de Bruxelles pour faire en sorte que Kurdes, Arabes, Assyriens, Chaldéens et Turkmènes puissent vivre ensemble.

Comment réagissez-vous à la possibilité d’une diminution des troupes américaines en Irak, voire de leur retrait ?

Il faut entraîner et équiper les forces irakiennes. Nous voulons augmenter le nombre de nos divisions de douze actuellement à quinze ou dix-sept. C’est possible d’y arriver d’ici à la fin de l’année prochaine, en faisant appel à l’expérience des anciens cadres militaires [de l’armée irakienne, dissoute par les Américains]. Moi, par exemple, j’ai un conseiller militaire, le général Wafik Samarraï, qui est un ancien chef du renseignement militaire sous Saddam Hussein. De même, il faut continuer les efforts d’équipement de la police. Actuellement, un policier sur cinq seulement a une arme. Récemment, nous avons signé un contrat avec la Chine pour la fourniture d’armes légères. Quand l’armée et la police seront bien équipées et bien entraînées, nous pourrons petit à petit nous passer de la présence militaire étrangère. Nous prenons déjà en charge la sécurité dans huit provinces et, à la fin de l’année prochaine, ce sera peut-être dans la totalité de nos provinces. Cela dit, nous ne sommes pas capables aujourd’hui d’empêcher l’intervention turque. Serons-nous capables de repousser demain une intervention iranienne ? C’est seulement quand nous pourrons empêcher nos grands voisins de faire des incursions chez nous que nous pourrons dire aux troupes étrangères : merci et au revoir.

Michel Abou Najm
Asharq al-Awsat


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