Ouverture du procès de Saddam Hussein et de ses coaccusés, aussitôt ajourné.

«Qui êtes-vous et que me veut cette cour ?»

InfoPar Jean-Pierre PERRIN [jeudi 20 octobre 2005] - Amman envoyé spécial

Vieilli, amaigri, fatigué, démoralisé, l'ombre de lui-même mais toujours extrêmement combatif. Dès la première minute de son procès devant le Tribunal spécial irakien (TSI), Saddam Hussein a défié, hier, le président qui l'interrogeait, refusé de lui obéir et tenté de prouver qu'il était toujours le raïs, le chef et le président de l'Irak.Profession. Au magistrat qui l'appelait «Monsieur Saddam» et lui demandait de décliner son identité et sa profession, il a répliqué : «Qui êtes-vous et que me veut cette cour ? Je ne reconnais pas votre autorité parce que tout [dans ce tribunal] est infondé.» Se montrant poli mais non sans une certaine arrogance, il a renchéri : «Je ne nourris aucune haine [à votre égard]. Mais par respect pour le peuple irakien qui m'a choisi, je vous annonce que je ne répondrai pas à votre cour. Je réserve mes droits constitutionnels en tant que président de l'Irak et je n'irai pas plus loin.» Devant l'insistance du président, il a ironisé : «Vous êtes un Irakien, [donc] vous me connaissez.» Face à l'aplomb de l'ex-dictateur, le magistrat, souvent souriant, s'est montré patient mais ferme, n'hésitant pas à couper les tentatives de l'accusé pour exposer son refus de collaborer.

En costume sombre et chemise blanche, sans cravate, le cheveu teint en noir, la barbe poivre et sel, serrant dans sa main un Coran, l'ex-dictateur est apparu très à l'aise, voire dominateur lors de l'échange assez vif avec le magistrat. Il a ensuite montré une certaine résignation lors de la lecture de l'acte d'accusation qu'il a écouté, parfois absent, parfois en se tirant la barbe.

Sept autres prévenus, dont l'ancien vice-président Taha Yassine Ramadan, étaient avec lui dans le même box, qui faisait un peu penser à une cage. Tous comparaissaient pour «l'exécution de 143 citoyens, la séquestration de 399 familles, l'arrestation sans mandat de 1 500 personnes, la destruction de leurs maisons et terres» dans la petite ville chiite de Doujaïl après un attentat manqué contre l'ex-raïs en juillet 1982. Un acte qualifié de «crimes contre l'humanité». Tous ont répondu «innocent» à la question «êtes-vous coupable ?»

La première journée de ce procès, qualifié d'historique par la majorité de la presse arabe, a duré trois heures. Il a été ajourné au 28 novembre, alors que la défense réclamait trois mois.

Peu familiers. L'audience s'est tenue dans la Zone verte, le secteur ultraprotégé de Bagdad. Les mesures de sécurité étaient exceptionnelles, la télévision ne montrant même pas les visages des quatre autres juges, se focalisant sur le président et le procureur. Saddam Hussein a regretté d'avoir été conduit, dès 2 h 30, au tribunal. «J'ai été obligé de m'habiller, puis de me déshabiller et ensuite de me rhabiller. Ils m'ont dit de ne prendre ni crayon ni papier, car même un crayon suscite la peur maintenant», s'est-il moqué.

Le réquisitoire a été sévère et brouillon, le procureur délaissant les faits pour un discours très politique, accusant le prévenu d'être «responsable de la mort de deux millions d'Irakiens dans des guerres et la répression de prétendus complots».

La confrontation entre les juges et les prévenus est apparue comme celle de deux mondes qui ne se comprennent pas. D'un côté celui des vainqueurs ­ incarné par le président Rizkar Mohammed Amine, un Kurde de 48 ans, le procureur chiite, et les quatre autres juges, dont aucun n'appartenait à la communauté sunnite ­, qui essayaient tant bien que mal d'appliquer des normes de justice internationale avec lesquelles ils sont peu familiers. De l'autre celui des vaincus, mais qui refusent de l'être et même d'imaginer qu'on puisse les juger pour les crimes commis.

Pour souligner leur «irakité», les sept compagnons de Saddam portaient des disdachas, la longue tunique traditionnelle, mais avaient été dépossédés de la coiffe habituelle des Bédouins. Ramadan s'en est révolté, refusant de décliner son identité au prétexte qu'elle lui avait été «volée». Il a obtenu satisfaction, le président ordonnant que son couvre-chef lui soit restitué. A l'issue de l'audience mais hors caméras, Saddam, retrouvant toute sa superbe, a repoussé les quatre gardes aux allures de taureau qui voulaient l'empoigner : «Ne me touchez pas.»

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