Obama, messie fatigué

mis à jour le Jeudi 23 octobre 2014 à 17h03

Lepoint.fr | L'éditorial de Franz-Olivier Giesbert

Washington. QU'allons-nous faire pour les Kurdes? Rien. De la part d'une France épuisée ou apeurée, qui ne rêve que de lignes Maginot et qui a, de surcroît, assez à faire au Mali ou en République centrafricaine, c'est normal. Mais de la part de l'Amérique, la mère patrie de Wilson et de Roosevelt, c'est nouveau …

 

L'arrivée d'Ebola aux Etats-Unis a totalement éclipsé, ici, les carnages du groupe Etat islamique. Comme si l'Histoire avait condamné les Kurdes au malheur à perpétuité depuis qu'au siècle dernier, après la chute de l'Empire ottoman, il leur fut interdit de se faire une petite place au soleil des nations. Ce seront toujours les vaincus de l'Histoire, qui, sans pitié, n'a cessé de rouler sa meule sur eux. Jadis, les puissances occidentales avaient bien tenté de redessiner la carte de la région. En vain: en 1923, sur pression de la Turquie, le traité de Lausanne leur a repris l'autonomie que le traité de Sèvres leur avait accordée trois ans plus tôt.

Les Kurdes sont, si l'on ose dire, les têtes deTurcs de l'Orient. La malédiction de ce peuple de 40 millions de personnes, à cheval entre la Syrie, l'Iran, l'Irak et la Turquie, aura donc été de n'avoir pas d'Etat et de rester en exil de lui-même, étranger sur ses propres terres, piétiné par ceux qui les occupent. Le paria et le fantôme de la société des nations.

La Turquie veille. Avec Saddam Hussein, l'ex-tyran rakien, Recep Tayyip Erdogan, le président turc, aura été l'un des grands assassins des Kurdes ces dernières décennies: sa colossale finesse l'amène à voir un terroriste derrière chacun d'eux. Il ne leur reconnaît même pas le droit à l'existence, seulement celui d'être massacrés.

C'est pourquoi le nouveau pacha turc, idéologiquement proche des Frères musulmans, mais plutôt bien noté à Washington, est si heureux que le groupe Etat islamique fasse le travail à sa place, en tout cas en Syrie et en Irak Des assassinats de masse perpétrés au nom d'Allah avec la complicité de l'Occident, qui se contente de compter les points en détournant de temps en temps la tête pour ne pas troubler sa digestion.

Les mots manquent pour qualifier notre silence, notre cynisme et notre lâcheté. Certes, après les effets désastreux de l'intervention américaine de 2003 en Irak, on aurait tort de reprocher aux puissances occidentales de ne pas partir à la guerre sur tous les fronts, fût-ce pour sauver la veuve et l'mphelin. Mais les frappes aériennes de la prétendue coalition anti-Etatislamique ne sauraient masquer notre insigne faiblesse devant le sort fait aux Kurdes.

Le complotisme est un virus. Il n'y a pas si longtemps, il affectait des littérateurs à deux balles déguisés en historiens: ces champions de l'anachronisme nous certifiaient que les Etats-Unis, Franklin Roosevelt en tête, avaient laissé faire la Shoah alors qu'ils savaient pertinemment ce qui se passait dans les camps d'extermination. Aujourd'hui, c'est bien ce qui se déroule sous nos yeux quand, derrière sa frontière, Erdogan daigne nous prêter ses jumelles pour nous faire assister en direct à la tuerie de Kobané, une ville de 60 000 habitants avant la guerre, que le groupe Etat islamique a entrepris de purifier ethniquement.

Des jumelles qui symbolisent bien la politique étrangère des Etats-Unis aujourd'hui. C'est avec elles que le président américain a traité de loin, sans s'impliquer vraiment, les deux derniers grands conflits internationaux, en Ukraine et à Gaza. Ne cherchez plus l'Amérique, elle est passée sous la table.

Avec Barack Obama, l'Amérique est entrée, comme souvent dans le passé, dans une phase aiguë d'isolationnisme. Non seulement elle a rangé son arsenal de gendarme de la planète, mais elle subit aujourd'hui la tentation de l'effacement, j'allais dire de la sortie de l'Histoire. De plus, quand parfois elle s'intéresse à ce qui peut se passer au-delà de ses frontières, c'est moins derrière eUe, à l'est où l'Europe végète, que devant elle, à l'ouest où, de l'autre côté du Pacifique, un nouveau monde est en train de naître.

D'un extrême à l'autre: après la déplorable realpolitik façon cow-boy de George Bush junior, voici l'indolente diplomatie de golfeur d'occasion de Barack Obama. S'il a globalement bien réussi en politique intérieure, son bilan laisse beaucoup à désirer sur le front étranger et longue est la liste des personnalités au-dessus de tout soupçon qui s'interrogent sur sa coupable nonchalance.

L'« absence» américaine deviendrait plus préoccupante encore si, dans quelques jours, Barack Obama perdait sa majorité au Sénat lors de ce qu'on appelle ici les élections du mid-term: quand le président essuie un camouflet électoral au milieu de son second mandat, il est généralement frappé du syndrome du «canard boiteux », un mélange de dépression et de paralysie qui avait notamment affecté son martial prédécesseur. Voilà un échec qui donnerait encore des ailes au groupe Etat islamique