Emmanuel Macron et son homologue iranien, Hassan Rohani, au siège des Nations unies, à New York, le 23 septembre. JOHN IRISH / REUTERS
Le président Emmanuel Macron rencontre le président iranien Hassan Rouhani à New York en septembre 2017. LUDOVIC MARIN / AFP
lemonde.fr | Par Piotr Smolar et Allan Kaval | le 21 décembre 2019
Emmanuel Macron a tenté, pendant plus de deux mois, de promouvoir un compromis entre Washington et Téhéran. Mais Paris n’avait pas les cartes nécessaires pour peser.
Le président Emmanuel Macron rencontre le président iranien Hassan Rouhani à New York en septembre 2017. LUDOVIC MARIN / AFP
Parfois, la politique étrangère relève du travail notarial infructueux. Pendant plus de deux mois, la France a tenté de promouvoir une issue à la crise entre les Etats-Unis et l’Iran. Il s’agissait de permettre une rencontre entre Donald Trump et son homologue Hassan Rohani, mais surtout de fixer par écrit des engagements mutuels et d’arrêter l’escalade enclenchée depuis le retrait unilatéral américain en mai 2018 de l’accord sur le programme nucléaire (JCPoA).
« Il y a eu un espace de deux, trois mois, de l’été jusqu’à la mi-novembre, dit une source diplomatique française. Il s’est refermé pour l’instant. » Les élections législatives iraniennes, en février 2020, et la campagne présidentielle à venir aux Etats-Unis compliquent encore la donne.
Cet effort, piloté par l’Elysée, est la chronique d’un échec prévisible, estiment certains experts. La médiation française a connu un épisode marquant, lors du sommet du G7 à Biarritz en juillet, avec la venue inattendue du ministre des affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif. Il a été suivi de contacts multiples fin septembre à New York, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU.
Défiance mutuelle
Les paramètres, promus par Emmanuel Macron, étaient les suivants : en échange d’un allègement des sanctions, l’Iran reviendrait dans le cadre du JCPoA, accepterait une discussion sur son programme nucléaire au-delà de l’échéance 2025 et aborderait le sujet de la sécurité régionale, ce qui pour Paris devait impliquer le programme balistique. « Il faut être deux pour danser le tango », a dit M. Macron, à New York, à son homologue iranien. « Les religieux ne dansent pas le tango », a rétorqué ce dernier, selon un dialogue rapporté par une source française.
Par la voix de son ambassadeur à Paris, Bahram Ghasemi, interrogé par Le Monde, l’Iran souligne que l’implication de la France a été « positivement accueillie » à Téhéran, donnant lieu à d’« intenses négociations », et ce « même si, compte tenu des conditions, l’Iran ne pouvait pas placer beaucoup d’espoir dans ce plan ». Une façon polie de dire que l’impuissance française était écrite.
Pourtant, pendant deux jours à New York, M. Macron et son entourage ont multiplié les contacts afin de favoriser un entretien, au moins téléphonique, entre les deux dirigeants. La méthode du président en matière de relations internationales était ainsi à l’épreuve : saisir une ouverture, même étroite, au mépris des experts sceptiques et des lois de la gravité politique ; croire en sa propre habilité pour bousculer le réel. Mais la défiance mutuelle était trop puissante.
Trump voulait une rencontre pour la photo. Celle-ci aurait porté préjudice à M. Rohani, sans être accompagnée de garanties préalables et publiques. La position iranienne était claire : pas d’échange direct avec M. Trump. Tout juste une rencontre en présence des autres signataires de l’accord nucléaire, à la condition de concessions américaines sur les sanctions. « Les Français ont négligé les complexités de la politique intérieure de l’Iran et le mécanisme de prise de décision à Téhéran », estime Ali Vaez, chargé du programme Iran à l’ONG International Crisis Group. Miser sur Rohani, alors que le vrai décisionnaire est le Guide suprême, Ali Khamenei, était l’assurance d’un échec, selon l’expert.
Pour la République islamique, une interaction entre Rohani et le président américain aurait été un geste de compromis en soi. « A New York, Macron a fait un pari, alors qu’aucun autre dirigeant n’assumait un tel rôle pour réduire les tensions entre les parties, souligne Ellie Geranmayeh, experte au European Center for Foreign Relations. Il y a eu peut-être une sous-évaluation du degré auquel les Iraniens ont été brûlés par le retrait américain de l’accord nucléaire. »
De son côté, un diplomate européen, au fait du dossier, regrette « le nombrilisme des Français. Les deux grands acteurs n’ont pas besoin d’eux pour réaliser une partie de leurs objectifs. Ce qui se joue ne se limite pas au nucléaire, c’est l’équilibre des forces au Moyen-Orient. » Cette source insiste sur une nouvelle donne depuis septembre. L’attaque par drones et missiles contre des installations de la compagnie pétrolière saoudienne Aramco a provoqué une « onde de choc à Riyad, avec une réverbération à Washington ».
Conscient de sa vulnérabilité, le royaume saoudien a érigé en priorité une décrue de la guerre au Yémen, et donc des négociations avec les rebelles houthis, soutenus par l’Iran. En novembre 2020, Riyad accueillera le sommet du G20. D’ici là, il veut à tout prix améliorer son image, très abîmée depuis l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en 2018. Toute politique américaine vis-à-vis de Téhéran doit être lue aussi sous cet angle, poursuit cette source diplomatique.
L’effort français s’est prolongé durant l’automne par des navettes diplomatiques. Il s’agissait d’affiner certaines formulations dans le document initial, d’adoucir ou de compléter. Les Iraniens voulaient que l’allègement des sanctions soit effectif, et plus seulement promis, avant même une rencontre Trump-Rohani. Mais à Washington, début novembre, le calendrier ne convenait plus. L’administration estimait que l’asphyxie économique causée par la pression maximale donnait des résultats.
A la mi-novembre, la médiation française a été la victime collatérale des manifestations contre le coût de l’essence en Iran. Selon Amnesty International, la « répression féroce » a fait au moins 304 morts et entraîné des milliers d’arrestations. La paralysie organisée d’Internet a illustré en creux la peur du régime de voir la colère se propager. Deux cyberattaques contre le système bancaire, à l’origine inconnue, ont participé à cette guerre psychologique.
Le secrétaire d’Etat américain, « Mike Pompeo, les Saoudiens et les Israéliens pensent que le régime est au bord de l’effondrement, souligne-t-on à l’Elysée. Ce n’est pas du tout notre analyse. La brutalité de la répression a montré que le régime avait les moyens de son contrôle, et que l’aile militarisée tenait le haut du pavé. » De fait, la logique de confrontation, à l’intérieur comme l’extérieur du pays, renforce les tenants de la ligne dure.
« Problème de séquence »
Dès lors, la capacité de Paris à influer sur les positions américaines paraissait compromise, ce que résume ainsi l’ambassadeur Bahram Ghasemi : « L’Iran souhaitait démontrer sa confiance envers le président Macron, mais son plan n’a pas encore apporté de résultat tangible. Nombreux sont ceux qui veulent constater la mort de ce plan. » La difficulté des Européens, et en particulier de la France, à défendre leurs positions serait à l’origine de cet échec, selon le haut diplomate iranien : « La pression maximale des Etats-Unis et leurs exigences exagérées se poursuivent, et l’Europe semble incapable d’y faire face. »
Sur le plan nucléaire, l’Iran a décidé en mai de réduire ses engagements au titre du JCPoA. Tous les deux mois, Téhéran poursuit son escalade graduée : franchissement de la limite des 300 kg d’uranium faiblement enrichi, enrichissement au-delà du seuil de 3,67 %, violation des limites imposées sur la recherche et le développement dans le secteur nucléaire. Enfin, début novembre, on a appris la reprise des activités d’enrichissement sur le site souterrain de Fordo, longtemps tenu secret.
Cette décision iranienne a provoqué l’ire de la Russie, prise par surprise. Moscou conduisait un programme commun à Fordo avec les Iraniens, à des fins civiles. Le 5 décembre, la société d’Etat Rosatom a prétexté une incompatibilité technique pour geler ce programme. Téhéran assure que ses violations successives du JCPoA sont réversibles.
L’escalade vise à mettre la pression sur les pays occidentaux, à jouer sur les divergences entre Européens et Américains. C’est raté. Le 11 novembre, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France, ainsi que l’Union européenne, ont réaffirmé leur volonté « d’envisager tous les mécanismes du JCPoA, y compris le mécanisme de règlement des différends ». Ce dernier, qui peut s’étendre dans le temps, permet à l’un des membres du JCPoA de saisir le Conseil de sécurité.
Une nouvelle étape est attendue le 6 janvier 2020. Impossible de lire les intentions de Téhéran. Une annonce fortement symbolique, comme le retour à l’enrichissement à 20 %, obligerait les signataires restants du JCPoA à réagir. A l’Elysée, on ne perd pas l’espoir d’une reprise de la médiation. « Nous avons à présent le mode d’emploi, les paramètres, et ils sont agréés par les deux côtés, explique-t-on dans l’entourage du président. Il y a un problème de séquence à régler. Soit on fait ce qui a été agréé, soit se jouera la partie pression maximale contre résistance maximale, avec toutes ses conséquences imprévisibles. » Dans cette perspective, un rapprochement des positions européennes et américaines serait probable. Les Européens ont déjà haussé le ton, en décembre, au sujet du programme balistique iranien.
Pour l’heure, Hassan Rohani était, vendredi 20 décembre, en visite au Japon, acheteur historique de pétrole iranien. Le premier ministre Shinzo Abe essaie lui aussi de jouer l’intermédiaire entre Washington et Téhéran, avec en ligne de mire un accord plus modeste que celui dessiné par Paris.
Mais ce sont les Suisses, avec leur discrétion coutumière, qui ont obtenu un premier résultat, sur un dossier distinct : un échange de prisonniers. Début décembre, un chercheur américain détenu depuis trois ans en Iran pour espionnage a été libéré, contre un Iranien arrêté aux Etats-Unis pour violation des sanctions. « Vous voyez, on peut faire un deal ensemble ! » a tweeté Donald Trump. Deux chercheurs français, Fariba Adelkhah et Roland Marchal, sont eux détenus depuis juin en Iran, otages d’une négociation à acteurs et facteurs multiples. Pour l’heure, sur ce dossier aussi, les efforts de la France n’ont pas porté leurs fruits.