Nouvel an kurde à Paris : danser pour l’égalité

mis à jour le Jeudi 28 mars 2019 à 18h31

Humanite.fr

La diaspora kurde fête son nouvel an partout en France à l’arrivée du printemps, dans un contexte de forte incertitude politique au Moyen-Orient. La fête symbolise une tradition millénaire de lutte contre le despotisme.

C’est devenu une tradition à la mairie du Xe arrondissement de Paris. Ce mercredi soir, 500 personnes se sont réunies dans la salle des fêtes pour célébrer « Newroz », le nouvel an kurde daté au 20 mars. Dans plusieurs villes de France, les soirées se succèdent pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. 

« Ceux qui résistent sont ceux qui vivent ! » Sous les lustres de la salle des fêtes, Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris, prend la parole. Célébrée par plusieurs peuples du Moyen-Orient, réprimée en Turquie par le passé, cette fête a pour les Kurdes une connotation politique. Depuis l’Antiquité, la légende veut qu’un forgeron nommé Kawa se soit soulevé contre un tyran. Le signal de la révolte se serait répandu par des feux allumés dans la campagne. Au nouvel an, aujourd’hui encore, les Kurdes dansent autour de feux de joie. À Paris, la communauté se contente d’un concert, plus approprié dans une mairie ! 

« Personne ne pourra nous faire disparaître » 

« Il faut continuer le combat du peuple kurde », prêche Kendal Nezan entre deux grands drapeaux verts, blancs et rouges. La fête est souvent associée à une revendication pour la liberté et l’égalité sociale ou encore entre les sexes, notamment contre les forces islamistes, actuellement, au Moyen-Orient. « Nous avons survécu au XXe siècle et personne ne pourra nous faire disparaître, renchérit M. Nezan. Soyez fiers de votre héritage kurde et de votre identité française. » 

Face à lui, des étudiants sont vêtus en costumes traditionnels, parmi les membres et amis de la diaspora formant l’assemblée. Certains se sont inscrits sur le tard à l’Inalco pour apprendre la langue de leurs parents. Kendal Nezan leur rappelle l’engagement des Kurdes pour la France Libre. De Gaulle avait ouvert, en reconnaissance, la chaire de kurde aux Langues orientales à la Libération. 

Dans l’assistance, plusieurs hommes politiques de partis kurdes iraniens, irakiens, turcs et syriens participent aux festivités, issus notamment du PDK (parti du gouvernement régional, présent dans plusieurs pays). Le représentant en France du « gouvernement régional du Kurdistan d’Irak » prononce quelques mots ponctués d’un « Vive la France, vive la République ! » avant l’intervention des musiciens. 

« Je suis en désaccord avec les positions de ces hommes politiques sur la question kurde, mais cela ne me gêne pas d’être là, déclare une sympathisante du PKK, organisation considérée par la France comme terroriste. La fête de l’Institut kurde de Paris est la plus neutre politiquement. »

Un tambour retentit, une ronde se forme entre les hauts murs recouverts de fresques. En costume traditionnel « chalou chépek », un étudiant kurde de Turquie confie : « Danser nous donne de la force : partager ce moment nous aide à préserver le sens d’‘‘être soi’’. » Restée à l’entrée de la salle, une Française de parents kurdes explique : « nous n’avons a pas d’autre occasion de cette ampleur pour nous rassembler, c’est précieux car un rien peut nous éloigner. »

Solidarité face aux conflits du passé et du présent

Selon Ali, réfugié en France après trois ans de prison en Turquie, « fêter Newroz est un acte de solidarité envers tous les régionalistes kurdes ». Dans la salle, les chansons en turc, kurde et araméen sont accompagnées par un bouzouki, instrument à cordes très populaire de la Grèce à l’Iran et au-delà. En Asie mineure, la musique n’a jamais vraiment connu de frontières. Les Kurdes, eux, ont largement contribué à la diffusion des musiques arabe, persane, turque… en Europe et au-delà.

Près du buffet où un plat traditionnel est servi aux participants, Nasser Ghazizadeh, peintre kurde d’Iran, affirme : « Les arts sont une revendication, ils ont aussi des racines politiques. » Lui, s’est réfugié en France après la révolution de 1979. « Quand une injustice survient, elle se manifeste naturellement dans la musique, dans la peinture… ajoute-t-il. Guernica n’est pas une œuvre décorative. Ce n’est pas pour rien que Picasso a refusé de l’exposer en Espagne tant qu’elle était une dictature. » 

Tenant compagnie aux anciens assis à quelques mètres des danseurs, Khabat est d’origine kurde d’Iran. Il a la nationalité italienne et son nom signifie « lutte ». « Ce nouvel an est une fête qui véhicule de bons et de mauvais souvenirs, résume-t-il. J’ai vécu les bombardements chimiques de Saddam Hussein en mars 1988… et la destitution du tyran début avril 2003. » Plus récemment, l’arrivée de Daech et la réaction militaire arabo-kurde soutenue par des puissances étrangères s’est ajoutée à la liste des conflits traversés par les Kurdes.

En Turquie, les Kurdes se voient interdire de pratiquer leur culture. « Newroz » a fini par être toléré par le pouvoir, mais la communauté a toujours de sérieuses préoccupations après l’invervention militaire turque, l’an dernier à Afrin, en Syrie. Des personnalités kurdes en France ont exprimé leur inquiétude lorsque Donald Trump a annoncé le retrait des troupes américaines présentes en Syrie.

Les mois à venir révèleront la suite de l’histoire des Kurdes. Ce mercredi soir, personne ne prévoit quelles luttes, quelles révoltes et quelles souffrances seront commémorées à « Newroz » l’an prochain. Quel que soit l’avenir, chacun est libre de danser pour se recueillir, oublier un instant et perpétuer la mémoire.