Nadia Murad, militante kurde yézidie, Prix Nobel de la Paix 2018

mis à jour le Vendredi 5 octobre 2018 à 18h52

Nadia Murad, des chaînes de l’Etat islamique au prix Nobel de la paix

lemonde.fr | 05/10/2018 |

La jeune yézidie a été réduite à l’esclavage par les djihadistes de l’EI, avant de réussir à s’enfuir et de devenir la porte-parole de sa communauté en exil.

Il y a quatre ans, le village de Kocho, dans la région yézidie de Sinjar, en Irak, se réveillait dans la panique et le fracas des armes. C’était un 3 août et il faisait chaud. Les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) fondaient sur les villages habités par les membres de cette minorité religieuse non musulmanes. Les villageois de Kocho n’ont pas fui. Sommés de se convertir à l’islam, ils refusent.

Les jeunes filles et les femmes sont réduites en esclavage, promises à une vie de torture et de viols

A l’exception de quelques survivants, les hommes sont massacrés, leurs cadavres entassés dans des fosses communes. Les jeunes garçons sont enrôlés de force, transformés en bêtes de somme pour les assassins de leurs pères. Les jeunes filles et les femmes sont réduites en esclavage, promises à une vie de torture et de viols. Nadia Murad était parmi elles. Elle avait 21 ans.

La lauréate du prix Nobel de la paix 2018 est une survivante. Après avoir été emmenée de force à Mossoul, la capitale irakienne de l’Etat islamique, elle a été vendue, revendue, violée et torturée, encore et encore. Avec le concours d’une famille musulmane de la ville, elle parvient, comme de trop rares jeunes femmes yézidies, à échapper à ses bourreaux. Elle traverse les lignes de front et trouve refuge au Kurdistan irakien où des centaines de milliers de yézidis de la région de Sinjar sont déplacés.

Les moins fortunés vivent dans des camps de tentes. Les autres s’installent dans les villes de la région. Mais la grande majorité d’entre eux partage le même et unique espoir, celui d’obtenir un statut de réfugié, afin de se rendre en Europe et de laisser définitivement derrière eux la terre qui les a engloutis.

Nadia Murad, Prix Nobel de la paix 2018, raconte les exactions perpétrées contre elle-même et les autres personnes. Elle a fait preuve d’un courage rare en racontant ses propres souffrances et en s’exprimant au nom des autres victimes.

Certains, toutefois, s’organisent. A Dohuk, une ville kurde située au nord de Mossoul et dans les environs de laquelle de nombreux yézidis sont réfugiés, des militants originaires de Sinjar, jeunes pour la plupart, fondent l’association Yazda en 2014, avec le soutien d’activistes américains. Nadia Murad se rapproche d’eux. Elle devient bientôt, avec le soutien de Yazda, le visage de la communauté.

L’organisation s’illustre par son indépendance. Elle tient tête aux autorités du Kurdistan irakien qui tentent de limiter ses activités, celles-là même qui étaient censées protéger Sinjar et qui ont abandonné les yézidis à leur sort en août 2014, rendant possible les horreurs traversées par cette communauté. Loin de faire amende honorable, elles misent sur le martyre des yézidis, eux-mêmes de langue et de culture kurde, pour attirer la sympathie de la communauté internationale.

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Porte-parole des femmes yézidies

Yazda pousse Nadia Murad à devenir la porte-parole des femmes yézidies. Inlassablement, elle fera sienne la mission de rappeler au monde que des milliers d’entre elles restent en captivité, souvent avec leurs enfants.

Comme de nombreux yézidis, Nadia Murad s’installe en Allemagne et commence à intervenir dans les plus grandes instances internationales. En décembre 2015, elle s’exprime devant le Conseil de sécurité des Nations unies et exhorte les gouvernements du monde de prêter attention aux souffrances des siens et en particulier au sort des femmes et des enfants yézidis disparus après avoir été enlevés par l’Etat islamique. En 2016, elle est nommée ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains. Fin 2017, elle reçoit, avec une autre activiste yézidie, Lamia Haji Bachar, le prix Sakharov.

Nadia Murad, en 2015, devant les membres du Conseil de sécurité des Nation unies, à New York. Eduardo Munoz / REUTERS

Un an plus tard, la guerre contre l’Etat islamique passe pour être gagnée. Les djihadistes ont été chassés de Mossoul, de Rakka, de Sinjar. Du califat, il ne reste que quelques lambeaux de territoire, mais les ravages causés par le groupe djihadiste continuent de travailler les sociétés traumatisées sur lesquelles il a régné, entre l’Irak et la Syrie.

Les yézidis de Sinjar vivent toujours dans des camps de tentes où l’hiver est rude, l’été épuisant ; et rêvent toujours d’Europe. Dans chaque famille de cette communauté, désormais dispersée aux quatre vents de l’exil, subsiste à jamais le souvenir d’un enfant mort, d’une torture subie, d’un viol, du cadavre d’un être aimé, d’un pays perdu qu’aucune distinction aussi prestigieuse soit-elle ne ramènera.

 

 

3- Nadia Murad, en 2015, devant les membres du Conseil de sécurité des Nation unies, à New York. Eduardo Munoz / REUTERS