Moscou au centre de l’échiquier turco-syrien

mis à jour le Mercredi 16 octobre 2019 à 09h42

Le Figaro | Par Alain Barluet | Le 16/10/2019

 

MOINS d’une semaine après le début de l’opération militaire turque lancée contre les Kurdes en Syrie, la Russie apparaît comme la principale bénéficiaire de ces événements. Mardi matin, des journalistes russes ont été convoyés non loin de la frontière turque dans la ville de Manbij, passée sous contrôle de l’armée syrienne, pour filmer un camp abandonné par les troupes américaines après la décision de leur retrait par Donald Trump. Tout un symbole ! Cinq ans après son intervention militaire qui a fait bouger les lignes en Syrie, Moscou vient, apparemment, de faire un pas supplémentaire vers ses objectifs majeurs : conforter son allié Bachar el-Assad, accroître son pouvoir d’influence au Moyen-Orient et se poser dans cette région comme une force « d’équilibre et de paix ».

Ce grand jeu, dans lequel la Russie n’a cessé de pousser ses pions, n’apparaît pas sans risques. Dès le début de l’offensive turque, la semaine dernière, Vladimir Poutine a pointé du doigt la « menace réelle » d’une résurgence de l’État islamique, si des milliers de combattants de Daech détenus par les Kurdes recouvraient la liberté. Vu de Moscou, la problématique du retour des djihadistes est ultrasensible et toujours susceptible d’être montée en épingle dans le discours officiel. Le terrorisme avait déjà été invoqué, en 2015, lorsque les forces russes s’étaient engagées sur le terrain syrien.

Pour Moscou, l’offensive d’Ankara pourrait aussi saper le soutien russe pour permettre à Bachar el-Assad de reconstituer son territoire et sa souveraineté territoriale. Après plusieurs jours de prudence, Moscou a donc fini par donner de la voix, mardi, parlant d’une opération « inacceptable », par la voix d’Alexandre Lavrentiev, l’envoyé spécial de Vladimir Poutine pour la Syrie. L’attaque turque est susceptible de « saper la paix confessionnelle » dans la région, a aussi affirmé M. Lavrentiev, qui accompagnait le président russe durant sa visite en Arabie saoudite.

Mais domine surtout la crainte de la Russie de se voir écartelée entre ses alliés syriens et turcs, si la confrontation devait dégénérer entre les deux voisins. « Nous ne laisserons pas les choses en arriver là », a prévenu mardi Alexander Lavrentiev. D’ailleurs, « la perspective d’un conflit ouvert entre la Turquie et la Syrie reste toutefois faible, car Ankara ne semble pas avoir l’intention de s’emparer du territoire syrien par la force », tempère le président de la commission des affaires étrangères de la Douma, Konstantin Kossatchev. Certains observateurs, comme le spécialiste du Proche-Orient Alexei Malachenko, estiment qu’il y a de « gros risques de collision directe et (que nous devons) réfléchir à la manière dont la Russie se comportera en cas d’affrontements entre les troupes syriennes et turques ».

Si le ton est monté d’un cran face à l’opération « Source de paix », peu nombreux sont ceux à estimer que Russes et Turcs puissent en venir aux mains. « Nous ne voulons même pas penser à cette variante », a dit le porte-parole de Vladimir Poutine, Dimitri Peskov. « La Turquie est l’élément clé de la stratégie russe dans toute cette région, c’est plus important que les Kurdes et plus important que Bachar el-Assad », estime pour sa part l’expert militaire Pavel Felgenhauer. Les contacts téléphoniques se sont d’ailleurs multipliés entre Moscou et Ankara, notamment entre ministres de la Défense.

Sur sa ligne de crête diplomatique, la Russie sait qu’il lui faudra délivrer du concret si elle veut se façonner un statut de « faiseur de paix ». L’envoyé spécial présidentiel Alexander Lavrentiev a expliqué mardi que la police militaire russe « mène des patrouilles aux frontières nord-ouest de la région, le long de la ligne de contact » entre les forces syriennes et turques. Moscou a aussi fait savoir qu’il avait joué les bons offices dans les discussions entre les groupes kurdes et Damas, accueillant notamment des pourparlers sur sa base militaire de Hmeimim, dans le nord-ouest de la Syrie. La Russie espère surtout faire avancer le processus politique qu’elle « cornaque ». Une première réunion du comité constitutionnel syrien devrait avoir lieu le 29 octobre, a confirmé le vice-ministre des Affaires étrangères, Mikhail Bogdanov.