Menaces sur l’Institut kurde de Paris

mis à jour le Samedi 2 mai 2015 à 11h17

Humanite.fr | Françoise Germain Robin


Ce centre culturel pourrait fermer ses portes fin juin, faute de l’aide que lui apportait le gouvernement français.
Un soutien supprimé par Nicolas Sarkozy et que le président Hollande refuse de rétablir.

C’est une bâtisse au fond d’une cour, 106, rue La Fayette, dans le 10e arrondissement de Paris, près de l’église de la ­Trinité. Un lieu fréquenté par de nombreux étudiants et journalistes, familier à tous ceux qui s’intéressent au peuple kurde et à ses combats. Un institut décrété « d’utilité publique » en 1991, dont on ne s’imagine pas qu’il puisse disparaître, ce qui, pourtant ­menace, si rien n’est fait pour le sauver.

Il a été créé en 1983, trois ans après le coup d’État militaire du général Evren en Turquie et la répression généralisée contre la gauche, les associations, les syndicats. Une répression qui redoublait de férocité quand il s’agissait de Kurdes, au point de déclencher en 1984 une ­insurrection armée sous la conduite du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) d’Ocalan qui, précisons-le, n’a rien à voir avec l’Institut kurde, lequel se veut avant tout à vocation culturelle.

« Nous essayons d’accueillir toutes les familles politiques, explique de sa voix douce son président fondateur, Kendal Nezan, qui estime pourtant « scandaleux » que l’Union européenne maintienne le PKK sur la liste des organisations terroristes. Kendal Nezan fut très proche de Danielle Mitterrand. « Une grande amie des Kurdes ! Sa Fondation France-Libertés – elle aussi privée de soutien financier par l’actuel gouvernement – nous a toujours soutenus », précise-t-il. Né à Diyarbakir, il était étudiant en sciences physiques à Paris quand il fonda l’institut, avec le soutien de personnalités aussi prestigieuses que Jean-Paul Sartre ou l’écrivain turc Yachar Kemal.

Un lieu où se ­retrouver pour ceux qui fuyaient les ­dictatures

Il s’agissait alors de donner une voix aux sans-voix qu’étaient les Kurdes de Turquie, d’Irak, d’Iran, de Syrie. Un lieu où se ­retrouver pour ceux qui fuyaient les ­dictatures. Une diaspora nombreuse : rien qu’en France, deuxième pays d’émigration après l’Allemagne, ils ne sont pas moins de 250 000. Pour ce peuple oublié par l’histoire, dispersé entre plusieurs pays dont les gouvernements les oppriment, ce peuple sans État – un peu comme les Palestiniens –, l’institut joua aussi le rôle d’une ambassade. On y rencontrait le grand cinéaste Yilmaz ­Güney – palme d’or pour 
Yol – aussi bien que le leader des Kurdes d’Iran, ­Ghassemlou, qui fut assassiné à Berlin. « À l’époque, il y avait des dictatures partout, nous étions le seul lieu de référence, explique ­Kendal Nezan. Nous avons été, toutes ces années, le lieu de rencontre, d’expression, le refuge d’étudiants, d’intellectuels. Tout le monde culturel d’Iran, d’Irak et de Turquie est passé chez nous. Pas seulement les Kurdes, mais aussi les Arabes, les Turcs, les ­Iraniens. Nous avons créé la plus grande bibliothèque kurde d’Occident, un lieu de documentation unique que fréquentent des étudiants du monde entier. Notre service Internet en français et en anglais est visité par plus d’un million de personnes par an. On a eu plus de 500 étudiants boursiers. Beaucoup sont devenus enseignants, diplomates… Nous avons formé des milliers de Kurdes à l’action culturelle, au respect des droits de l’homme et de la femme, à l’égalité entre les sexes. Nous avons facilité les reportages sur le terrain de dizaines de journalistes. Nous avons aussi aidé à l’intégration des Kurdes dans la République française, dans le respect de la laïcité et de la liberté d’opinion. Les choses ont évolué, la situation sur le terrain a changé. Il existe aujourd’hui d’autres lieux d’action politique kurdes, mais aucun ne peut jouer le rôle culturel central qui est le nôtre. »

« Nous allons 
nous battre »

Kendal Nezan est d’autant plus amer qu’il estime les Kurdes victimes d’une ­discrimination : « La France ne fait pas grand-chose pour les Kurdes, infiniment moins que pour d’autres. Nous demandons qu’on rétablisse la subvention de 600 000 euros par an que nous avions à l’époque de Lionel Jospin et qui a été supprimée par Sarkozy. Cela représente à peine 4 % du budget attribué à l’Institut du monde arabe qui, lui, peut disposer du soutien financier de pays richissimes. Il y a là deux poids deux mesures que je trouve inacceptables. »

La réponse du gouvernement à ses demandes l’est tout autant : « On nous a promis 55 000 euros, une somme dérisoire qui doit être le budget cocktails de l’IMA ! On nous dit de nous adresser au gouvernement ­régional du Kurdistan d’Irak ! Alors qu’ils sont étranglés par la guerre contre Daesh et par l’afflux d’un million et demi de réfugiés. C’est indigne. » Kendal Nezan ne baisse pourtant pas les bras. « Nous allons nous battre, chercher des soutiens. Il y a déjà une pétition signée par de nombreuses personnalités » (1). « En attendant, il a fallu prendre des décisions ­pénibles, explique Joyce Blau, linguiste renommée, enseignante de langue et civilisation kurde à l’Inalco, trésorière de l’institut. Nous avons licencié quatre employés sur six. Il ne reste que le réceptionniste et la bibliothécaire. On ne pourra pas continuer longtemps à fonctionner de cette façon. Si rien ne se passe, on fermera fin juin. » Un abandon de plus du principe de solidarité qui signerait la négation de tout un pan d’histoire commune aux peuples de France et du Kurdistan.
(1) www.institutkurde.org.

 

Le Parti démocratique du peuple promeut « L’espoir » Le Parti démocratique du peuple (HDP), principale formation kurde de Turquie, 
a présenté hier son programme 
pour les élections législatives 
du 7 juin où il est crédité de 8 % à 11 % 
des intentions de vote. « Ce manifeste 
sera le cauchemar du Sultan, mais représente aussi l’espoir et les convictions de tous les peuples de Turquie », a déclaré Figen Yüksekdag, la coprésidente du HDP.