Massoud Barzani, président du Kurdistan d'Irak : "Le Kurdistan, point de départ des réformes en Irak"


15 févruer 2007 | paru dans l'édition du 16.02.2007 |
SALAHEDDINE (KURDISTAN) ENVOYÉE SPÉCIALE

Quelles seraient les conséquences pour le Kurdistan d'un retrait américain ?Il est trop tôt pour prédire ce qui arriverait et quelles seraient lesconséquences. Le plus important est que nous sommes déterminés à nousdéfendre, à protéger ce que nous avons acquis, quel qu'en soit le prix.En ce qui concerne les Etats-Unis, nous avons de bonnes relations avecles démocrates et les républicains.

Notre situation actuelle n'est pas comparable à celle de 1975, quand nous avions des contacts secrets. Cette fois, il ne s'agit pas seulement de nous, mais de tout l'Irak. Nous allons continuer à jouer un rôle positif. Quand il y aura des développements, quand il sera question d'un retrait (américain d'Irak), nous essaierons de préserver ce que nous avons accompli. Même si la situation tourne au chaos, le Kurdistan pourrait devenir le point de départ pour mener des réformes dans le reste de l'Irak.

La guerre américaine n'est pas un succès. Les Kurdes donnent parfois l'impression que, pendant que les sunnites et les chiites s'entre-tuent, eux estiment qu'ils en deviennent plus forts.

Si certains se réjouissent des combats entre sunnites et chiites, c'est une erreur. Sur le plan humain, nous sommes accablés par la guerre et son lot de morts quotidien. Sur le plan des intérêts, nous appartenons à l'Irak. Tout ce qui touche Bagdad a un impact sur le Kurdistan.

Imaginez que la maison de votre voisin est en feu. Même si les flammes n'atteignent pas votre maison, la fumée vous affecte. Donc, pour vous protéger, vous allez essayer de résoudre son problème. Nous poursuivons nos efforts. Mais nous ne faisons pas partie du problème et ne ferons jamais partie du problème.

Le référendum sur le statut de Kirkouk est un sujet sensible pour les Kurdes mais aussi pour la Turquie, qui s'y oppose. Redoutez-vous une intervention turque ?

Kirkouk est une ville du Kurdistan et une ville d'Irak. L'article 140 de la Constitution irakienne stipule une solution qui consiste à normaliser la situation (renvoyer les populations déplacées par l'ancien régime baasiste dans leur lieu d'origine et ramener les habitants qui en avaient été chassés), procéder à un recensement puis organiser un référendum avant la fin 2007. Il s'agit d'un processus légal. Kirkouk est pour nous une affaire importante. Nous ne sommes prêts à aucune concession. Nous avons fait preuve de la plus extrême flexibilité pour obtenir une solution légale.

La Turquie n'a aucun droit d'interférer dans les affaires internes d'Irak. Je ne crois pas que les Turcs iront jusqu'à l'agression, ni même qu'ils traverseront la frontière. Je suis confiant dans le fait qu'ils comprennent les conséquences (d'une telle décision). La route ne serait pas pavée de fleurs pour les accueillir.

Pensez-vous qu'il sera plus facile de renouer le dialogue avec Ankara après les élections turques, quel que soit le vainqueur ?

Même maintenant, nous faisons des efforts. Nous abordons des sujets sur lesquels nous pouvons nous entendre, mais aussi des sujets qui suscitent chez eux des craintes. Après les élections, la situation sera probablement plus claire. Si les extrémistes et les nationalistes prennent le pouvoir, je ne crois pas qu'il y aura beaucoup de possibilités de dialogue. Si c'est le parti actuel, le Parti de la justice et du développement (AKP), qui l'emporte, je pense qu'il est plus ouvert au dialogue.

Cela fait des années que vous et Jalal Talabani (le dirigeant kurde actuellement président de l'Irak) essayez de convaincre les Etats-Unis d'établir une base militaire au Kurdistan. est-ce toujours une possibilité ?

Cela ne pourra se faire que dans le cadre d'un accord entre le gouvernement irakien et les Etats-Unis. Cette question a été discutée dans le passé. Les vraies négociations n'ont pas vraiment commencé concernant les relations à long terme entre le gouvernement fédéral d'Irak et les Etats-Unis, sur la présence américaine et le nombre de soldats dans le futur. Officiellement, cela n'a pas été discuté. Ce serait dans l'intérêt des Etats-Unis mais aussi de l'Irak. Nous, Kurdes, accueillerions volontiers (la base américaine) au Kurdistan.

Vous avez annoncé l'envoi de deux brigades à Bagdad. Cela ne crée-t-il pas un danger de voir les Kurdes entraînés dans le conflit entre sunnites et chiites ?

Jusqu'à présent, les Kurdes ont réussi à éviter de s'impliquer dans les violences communautaires. Selon la Constitution, ces hommes seront incorporés dans l'armée irakienne, qui dépend du ministre de la défense. Beaucoup d'entre eux sont d'anciens peshmergas (combattants kurdes) mais ils appartiennent maintenant à l'armée irakienne. Nous n'avons pas de problème quand il s'agit de combattre le terrorisme et nous pouvons constituer une sorte de force d'interposition entre les sunnites et les chiites.

Etait-ce une demande américaine ?

Plus que les Américains, ce sont les sunnites et les chiites qui nous ont demandé de faire preuve de solidarité et de les aider. Les brigades kurdes n'interviendront pas dans les quartiers de Bagdad, elles seront chargées de protéger les hôpitaux, les universités, l'aéroport. Le plus important est qu'ils ne donnent pas l'impression de prendre parti, de soutenir l'un ou l'autre des deux camps.

Propos recueillis par Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 16.02.07