L`Irak est en miettes sa Constitution aussi

InfoLE MONDE | 21 octobre 2005]
Point de vue - L'Irak est en miettes sa Constitution aussi, par Joseph Yacoub
 
 
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es Irakiens se sont prononcés ce 15 octobre sur la Constitution. Mais quelle légitimité et quelle validité accorder à ce texte maintes et maintes fois amendé, dans des conditions souvent non éclaircies, le dernier amendement datant de trois jours avant le scrutin et le prochain devant avoir lieu après les élections législatives prévues le 15 décembre ?

Les thèses les plus contradictoires ont circulé à son propos depuis quelques mois. Aussitôt adoptée, la même clause se trouvait quelques jours après métamorphosée. Or après huit mois de discussion, souvent stériles, on constate une absence totale de vision d'un Irak unifié, chaque formation campant sur ses positions, les particularismes ethniques, régionalistes et religieux l'emportant sur l'intérêt national et la chose publique. Les divergences sont profondes entre chiites et kurdes. Quant aux sunnites, ils nourrissent une méfiance à l'égard des deux. Les Turkmènes à leur tour ont changé plusieurs fois d'opinion et les chrétiens assyro-chaldéens sont inquiets et divisés.

Il faut dire que ce texte contient la chose et son contraire (sur le couple islam et démocratie par exemple) et n'est régi par aucune cohérence. Son préambule est de nature désordonnée et omet les souffrances des populations chrétiennes assyro-chaldéennes. Il est dit qu'aucune loi ne peut être adoptée si elle est en contradiction avec les constantes des préceptes de l'islam et des principes de la démocratie (art.2). Il n'est porteur d'aucun projet citoyen et d'aucune philosophie politique directrice, tant les considérations partisanes et les rivalités de personnes sont grandes.

Le chef kurde Massoud Barzani, sourcilleux sur l'autonomie de sa région, avait donné le ton en s'adressant au Parlement kurde : "S'ils veulent que nous participions à l'édification du nouvel Irak, ils doivent garantir tous les droits de notre peuple." Il a ajouté que les Kurdes n'accepteront pas que l'identité de l'Irak soit islamique, ni que l'Irak soit une partie de la nation arabe. Mais il n'a pas tout à fait obtenu gain de cause, le texte ayant été plusieurs fois modifié sous la pression des pays arabes.

A l'inverse des Kurdes, les chiites de Moqtada Al-Sadr ont organisé des manifestations pour s'opposer au fédéralisme, synonyme de division, et défendre l'unité de l'Irak. A ce sujet, le fédéralisme entériné est difficilement définissable, chancelant entre un fédéralisme ethnique et un fédéralisme géographique. Les attributions du pouvoir central sont très faibles au regard des régions et des provinces. Qui plus est, ce fédéralisme confine plutôt à une confédération avec des pouvoirs locaux forts dans tous les domaines, qui seraient comme des Etats dans l'Etat. La Constitution kurde en préparation va dans ce sens.

Quant aux sunnites, ils continuent à résister à ce qu'ils considèrent comme un diktat kurdo-chiite. On leur a fait plusieurs concessions, notamment sur le maintien de l'unité du pays et sur l'identité arabe. Mais rien n'a été satisfaisant, vu l'absence de confiance et les divisions politiques en leur sein.

Si le Parlement irakien a finalement approuvé ­ – à l'arraché – ­ le texte de la Constitution, les points litigieux ont été tranchés en dehors de son enceinte. Les désaccords s'étaient amoncelés, polarisés autour d'une vingtaine de points, que chacun considérait comme stratégiques, les uns et les autres refusant les compromis et les arrangements.

La Constitution répondra-t-elle aux besoins du quotidien des Irakiens dans ce climat exceptionnel de violence et de peur, de criminalité croissante, de déficit sécuritaire énorme, de crise économique, de chômage, de pénurie de logements, d'absence d'Etat, de carence de culture démocratique, de manque d'eau potable, d'électricité, de gaz ? Et le tout sous occupation étrangère ?

Vu les enjeux et les défis constitutionnels que représentent l'identité nationale du pays, le rapport religion-Etat, la nature et les structures de l'Etat (fédéral, unitaire, décentralisé), la forme du régime politique (parlementaire, fédéral), l'équilibre entre ses composantes religieuses, ethniques et tribales, le statut de la femme, le partage des postes gouvernementaux et des fonctions administratives, la répartition des richesses, cette Constitution ne changera rien à la vie des Irakiens tant son contenu est flou. C'est la voie ouverte à la "cantonisation" de l'Irak.


Joseph Yacoub est professeur de science politique à l'Université catholique de Lyon.