Les Syriens dans l’équation kurde

mis à jour le Vendredi 3 janvier 2014 à 12h24

La-croix.com

La guerre en Syrie a jeté sur les routes des Kurdes de la région de l’ouest de la Syrie venus se réfugier chez leurs frères d’Irak.

Les trombes d’eau ont transformé le camp de réfugiés de Kawergosk en patinoire. Chaussés de bottes en plastique, des enfants pataugent en riant dans la boue, d’autres font leur possible pour se maintenir en équilibre. Les adultes pestent contre les autorités régionales du nord de l’Irak pour ne pas avoir encore bétonné les allées de ce camp de réfugiés kurdes de Syrie.

« Les travaux sont prévus, il faut simplement nous laisser un peu de temps. Nous avons installé ce camp en urgence, il y a seulement quatre mois que la mairie a appelé les autorités du gouvernement régional du Kurdistan pour dire que plus de 5 000 personnes arrivaient », explique Omed Babashekh, directeur du camp, en guise d’excuses. En août, plus de 12 000 réfugiés kurdes étaient déjà passés de la région kurde de Syrie à la région autonome kurde d’Irak, venant principalement de la région de Qamichli, dans le gouvernorat de Hassaké.

15 000 Kurdes syriens au camp de Kawergosk

Dans le camp, chaque famille possède une tente équipée d’un réservoir d’eau, de couvertures et d’un chauffage au pétrole. « Au début, l’armée a fourni les plats chauds. Ensuite, on a distribué des plaques chauffantes pour que les femmes puissent faire elles-mêmes leur cuisine, poursuit Omed Babashekh. Les enfants vont à l’école, les cours sont assurés en arabe par des réfugiés, car le kurde n’était pas enseigné dans les écoles syriennes. Les livres viennent de Syrie, parce qu’on ne les trouve plus à Erbil, où l’arabe n’est plus enseigné. »

Situé aux abords du village de Kawergosk, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de la capitale économique et administrative du Kurdistan irakien, le camp abrite aujourd’hui plus de 15 000 personnes. Des travaux sont en cours pour en augmenter la capacité d’accueil. Car, au fur et à mesure que les combats s’intensifient dans la région kurde de Syrie, de plus en plus de familles partent se réfugier chez leurs frères irakiens. Les affrontements opposent, d’un côté, les partis kurdes syriens entre eux, de l’autre, les Kurdes contre les groupes islamistes liés à Al-Qaida.

Les Kurdes irakiens, d’anciens réfugiés en Syrie

Abdel Kawi Ibrahim, originaire de la province de Hassaké, a fui avec sa femme et ses quatre enfants les violences des groupes islamistes d’Al-Qaida. « On a eu peur, on est parti. » En Syrie, il travaillait dans l’industrie du pétrole et du gaz. « Je gagnais bien ma vie, dit-il. Aujourd’hui, j’atteins à peine 20 000 dinars par jour (13 €) en réparant les télévisions du camp. » Du travail, il en a, car chaque tente dispose d’une antenne satellite. « La télévision est indispensable pour les enfants, surtout quand il pleut, on ne sait pas commentles occuper autrement. »

Apparemment, les réfugiés et les habitants du village cohabitent sans trop de problème. « On se met à leur place, explique le directeur du camp. En 1991, nous aussi nous avons connu l’exil quand Saddam Hussein nous a attaqués. Les Kurdes de Syrie et d’Iran nous avaient alors accueillis chez eux. La première nuit de leur arrivée, les femmes du village ont cuisiné pour nourrir les familles et le camp a été bâti sur un terrain qui appartient à la commune. »

Toutefois, les rations de nourriture distribuées par les autorités du camp et la Fondation Barzani ne suffisent pas. « On en a marre de manger tous les jours du riz et des lentilles, on n’est pas habitué à cette nourriture », se plaint une mère de famille, qui a pu se procurer des œufs, des épinards et autres légumes verts.

Les hommes en quête de travail

Les hommes du camp sont tous à la recherche de petits boulots. Un bureau des embauches a ouvert. Des réfugiés proposent leurs services selon leur spécialité pour participer aux travaux d’extension et d’amélioration du camp. Les contrats sont d’un mois seulement pour que tous les hommes du camp puissent en bénéficier, chacun à leur tour.

D’autres ont trouvé un job sur les nombreux chantiers de construction de la capitale. Ils logent à plusieurs dans des habitations fournies par l’employeur et reviennent en fin de semaine voir leur famille dans le camp. C’est le cas du mari de Samia, ouvrier à Erbil. La jeune femme est mère de jumelles, Evin et Ivda, âgées de 1 an. En l’absence de son mari, elle a improvisé devant sa tente une épicerie où elle vend des légumes, des friandises, de la lessive, des produits achetés dans le village afin d’améliorer le quotidien. Deux jeunes ont ouvert un salon de coiffure pour hommes d’où retentissent les décibels d’une radio syrienne.

Des réfugiés de plus en plus nombreux et pauvres

« Le nombre des réfugiés syriens ne cesse d’augmenter et ceux qui arrivent sont de plus en plus pauvres, explique Bayman, un jeune d’Erbil volontaire dans le camp. Il est difficile de contrôler qui entrent en Irak. Il y a neuf mois, le gouvernement régional avait installé un pont sur le Tigre pour faire transiter l’aide humanitaire, côté syrien. Mais le Parti de l’union démocratique (PYD) – principal parti kurde de Syrie, affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le mouvement marxiste lancé en Turquie par Abdullah Öcalan – a pris le contrôle du pont et prélevait des taxes sur l’aide humanitaire. »

Le gouvernement régional du Kurdistan, dirigé par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani, a alors fermé le pont. Mais les réfugiés ont continué à s’amasser, chaque jour plus nombreux, espérant sa réouverture, qui s’est effectivement produite. Aujourd’hui, quatre camps au Kurdistan irakien abritent près de 185 000 Syriens, sans compter tous ceux qui ont choisi de se débrouiller par eux-mêmes.

C’est le cas de deux copains, Sabir et Hassan. Deux jeunes Kurdes de 20 ans. Originaires de Qamichli, ils étaient étudiants à Damas. Depuis plus d’un an, ils servent dans un des nombreux cafés du centre commercial Family Mall d’Erbil. « La plupart des employés sont syriens. On leur coûte moins cher et nous, ça nous permet d’envoyer de l’argent à la famille », explique Sabir.

La question syrienne

À la pause, ils se retrouvent à plusieurs autour d’un café pour discuter de la situation en Syrie et des tentatives de Massoud Barzani pour fédérer les nombreux groupes kurdes syriens. Une tentative jusque-là vouée à l’échec. Un premier accord avait permis de les réunir au sein d’un comité suprême composé de cinq membres issus des seize partis kurdes et de cinq personnes du PYD.

« L’objectif était de s’entendre sur une armée commune, des frontières et une stratégie économique », explique Hamid Ahmad Darbandi, vice-ministre chargé de ce dossier à la présidence du Kurdistan d’Irak. Mais le PYD semble vouloir faire cavalier seul. Il a, depuis, annoncé que la région du Kurdistan (syrien) serait divisée en trois provinces autonomes : celle de Kobani (dans le centre), celle d’Afrine (dans l’ouest) et celle de Qamichli (dans l’est). « Le but n’est pas de faire sécession, mais les Kurdes demandent un système fédéral en Syrie », indiquait récemment Salih Muslim, responsable du PYD.

Aux yeux d’Abdelhakim Bachar, président du Conseil national du Kurdistan syrien (CNKS), qui se rendra à la réunion de Genève 2, le 22 janvier 2014, « le PYD n’est qu’un satellite du gouvernement syrien. Il travaille pour Bachar. »

« Les dissensions et manœuvres entre partis kurdes de Syrie sont affligeantes, estime Sabir qui, bien que kurde, se sent d’abord syrien et qui soutient l’idée d’un État fédéral en Syrie. On a déjà connu la dictature de Bachar, on ne veut pas passer sous la coupe d’un autre homme autoritaire comme Barzani, on veut rester au sein d’une Syrie libre. »

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Les différents statuts des Kurdes

En Irak, les 4,5 millions de Kurdes ont connu une relative stabilité depuis la fin de la guerre du Golfe en 1991. La Constitution irakienne de 2005, élaborée alors que l’armée américaine contrôlait le pays, leur a donné un statut d’autonomie.

En Syrie, 1,6 million de Kurdes, marginalisés par le régime de Bachar Al Assad, pourraient, du fait de la guerre, obtenir un certain degré d’autonomie.

En Iran, rien ne change pour les 7 millions de Kurdes. S’ils ont des droits attachés à leur statut de minorité, ils sont sous étroite surveillance du régime.

En Turquie, les Kurdes (14 à 17 millions) sont en négociation avec le gouvernement turc pour un élargissement de leurs droits.

AGNÈS ROTIVEL (au camp de Kawergosk)