Les procédures judiciaires se multiplient contre les élus kurdes


LE MONDE [28 juin 2006]
ISTANBUL CORRESPONDANCE

 
L'explosion qui s'est produite, dimanche 25 juin au soir, dans le site très fréquenté de Manavgat (sud de la Turquie) serait bien un attentat. Soucieuses de la bonne santé de l'industrie touristique, les autorités locales avaient affirmé qu'il s'agissait d'un accident. Mardi, les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK) ont revendiqué cette action qui a tué quatre personnes, dont trois touristes étrangers, et fait 25 blessés
Le TAK, un mystérieux groupe kurde, est apparu en 2004 et a multiplié les attentats contre des cibles touristiques, à Istanbul, mais aussi à Kusadasi. Dans cette station balnéaire de l'Ouest, une bombe avait déchiqueté un minibus en juillet 2005, tuant cinq personnes, dont une Britannique et une Irlandaise. Les autorités turques accusent les "Faucons" d'être un prête-nom du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui s'en désolidarise en affirmant qu'il s'agit de dissidents radicaux.

Ce sursaut de violence intervient dans une période de tensions autour du problème kurde. L'est du pays reste le théâtre d'affrontements sporadiques entre militaires et séparatistes du PKK. Vendredi, onze combattants kurdes ont été abattus. Et par ailleurs, les dirigeants du Parti pour une société démocratique (DTP, prokurde) sont visés par une série de procédures judiciaires destinées à les affaiblir.

56 MAIRES POURSUIVIS

Souvent accusé par ses adversaires de collusion avec le PKK, le DTP, créé en 2005, a tenu, dimanche, sa première convention, et a élu à sa présidence le député Ahmet Türk. Le même jour, celui-ci apprenait que le procureur de Diyarbakir réclamait deux ans de prison contre lui, pour avoir parlé en termes trop respectueux d'Abdullah Öcalan, le chef emprisonné du PKK. Lundi, le parquet d'Ankara a ouvert une instruction contre le DTP pour apologie du terrorisme, des portraits d'Öcalan ayant été déployés au cours de la réunion de la veille.

Ces procédures s'ajoutent à celle qui vise, depuis la semaine dernière, 56 maires membres du DTP. Une peine de prison de quinze années a été requise contre ces élus qui avaient, le 21 décembre 2005, cosigné une lettre adressée au premier ministre danois. Les maires demandaient à Anders Fogh Rasmussen de ne pas céder aux pressions turques à propos de la chaîne de télévision kurde Roj-TV, qui émet depuis Copenhague.

Ankara, soutenu par Washington, accuse Roj-TV d'être une tribune du PKK et réclame son interdiction. "Je trouve assez choquant qu'à cause d'une lettre qu'on m'écrit, on puisse se retrouver accusé d'enfreindre la loi (...) dans un pays qui cherche à adhérer à l'Union européenne (UE)", s'est étonné M. Rasmussen, lors du sommet européen de Bruxelles, à la mi-juin. Accusé, le maire de Diyarbakir, Osman Baydemir, a estimé, dans une interview à l'hebdomadaire Tempo, que "si les Kurdes de Turquie regardent Roj-TV, c'est précisément parce qu'elle est diffusée en langue kurde".

Dans les provinces orientales où de nombreux Kurdes ne parlent pas turc, la liberté linguistique demeure limitée. La question est régulièrement évoquée parmi les réformes à accomplir par la Turquie, dans l'optique de son adhésion à l'UE. Pressé par Bruxelles, Ankara a autorisé, le 23 mars, deux chaînes privées et une radio à émettre en kurde, dans la limite de 45 minutes par jour. Un progrès jugé trop timide par l'UE.


Guillaume Perrier
Article paru dans l'édition du 29.06.06