Les militaires turcs piétinent à la frontière irakienne


8 juin 2007 | Istanbul | LAURE MARCHAND

La rumeur d'une incursion de l'armée turque, mercredi, dans la province kurde au nord de l'Irak, démentie par Ankara, fait monter la pression dans la région.

DES MILLIERS de soldats pénétrant, mercredi, dans le nord de l'Irak pour traquer les séparatistes kurdes du PKK : l'annonce d'un déploiement de troupes turques de l'autre côté de la frontière a mis toute la région en alerte. Les démentis se sont succédé à Ankara, Bagdad et Washington. Mais hier, des sources militaires s'exprimant sous le couvert de l'anonymat dans la presse turque, faisaient état de 600 soldats lancés à la poursuite de rebelles dans les montagnes irakiennes. Y a-t-il vraiment eu une opération de l'armée ou s'agit-il d'un ballon-sonde lancé pour « tâter le terrain » et tester la réaction de la communauté internationale, comme l'a suggéré l'un des chefs de la guérilla kurde retranché en Irak, Bahoz Erdal ?


La rumeur d'une incursion de l'armée turque dans la province turque en Irak fait monter la pression dans la région. Ozer/AP.

Cette rumeur renforce dans tous les cas la menace d'une action militaire, brandie depuis des semaines, côté turc. « En tant que soldats, nous sommes prêts », avait annoncé le chef de l'état-major, Yasar Büyükanit, le 31 mai. L'armée, soutenue par le Parti républicain du peuple (CHP), la gauche nationaliste, veut s'engager dans la région autonome du Kurdistan irakien. Et le moindre mouvement de troupes à la frontière est interprété comme des préparatifs ou comme le moyen de faire pression sur l'Irak et les États-Unis, l'hypothèse la plus probable.

Mercredi, trois commandants des forces armées, appuyés par des hélicoptères, ont effectué une revue des effectifs postés à la lisière irakienne, détaillait par exemple le quotidien Hürriyet.

Depuis le début de la guerre engagée contre le PKK, les opérations d'envergure de l'armée turque sur le territoire irakien ne sont pas rares. Plus d'une vingtaine ont été recensées depuis 1984, et la dernière de grande ampleur remonte à 1997, quand 50 000 hommes avaient été déployés. Mais traditionnellement l'état-major se garde de médiatiser ces mouvements dans le pays voisin.

L'armée est à cran

Contrairement à l'habitude, le scénario actuel a été fortement médiatisé, ce qui n'empêche point le flou sur les motivations de l'opération, sujettes à diverses interprétations : en finir avec les 3 500 rebelles du PKK retranchés dans les montagnes du nord irakien et qui s'infiltrent en Turquie dès la fonte des neiges du printemps, empêcher la création d'un Kurdistan indépendant, sa hantise, ou déstabiliser le gouvernement d'Erdogan à un mois et demi des élections législatives...

Depuis l'attentat suicide à Ankara le mois dernier, qui a fait huit morts et qui a été attribué au PKK, l'armée est à cran. Lundi, l'attaque à la grenade dans une caserne dans la province de Tunceli qui a coûté la vie à sept gendarmes lui a donné un argument supplémentaire pour passer à l'offensive. Hier, trois soldats turcs ont été tués par l'explosion d'une mine.

Ankara, exaspéré par l'absence de résultats dans la lutte contre le PKK, promise par Bagdad et Washington, menace donc de passer outre le veto américain, qui cherche à ménager ses alliés kurdes en Irak. Les militaires et le gouvernement turcs, déjà engagés dans un bras de fer électoral, s'affrontent maintenant sur le terrain du terrorisme kurde. Mercredi soir, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a rappelé l'armée à l'ordre : « Une décision du Parlement est nécessaire au déclenchement d'une opération transfrontalière. » Tout en ajoutant que toute incursion ne serait pas obligatoirement rendue publique. Dans la matinée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères avait marqué la différence du gouvernement avec la revendication des militaires, en jouant la carte de l'apaisement. Levent Bilman avait fait part d'un dialogue possible avec les responsables du Kurdistan autonome s'ils acceptaient de mener « des actions sérieuses contre les terroristes » du PKK.

En revanche, dans le sud-est du pays, à majorité kurde, les militaires sont déjà entrés en action. 50 000 hommes y pourchassent le PKK et ont déjà tué 67 de ses membres depuis avril. Et le spectre de l'état d'urgence, levé en 2002, a fait sa réapparition : près de la frontière, dans les régions d'Hakkari, Siirt et Sirnak, des zones viennent d'être bouclées par l'armée et interdites d'accès.