Les Kurdes rêvent d'indépendance malgré leurs propres divisions

ImageLE MONDE [23 août 2005] - ERBIL, SOULEIMANIYÉ (Kurdistan) de notre envoyée spéciale.

Imagene inscription marquant l'entrée "en Irak", au sortir de la Turquie, annonce : "Bienvenue au Kurdistan d'Irak" . Mais à part les mots "République d'Irak" accolés à ceux de "Région du Kurdistan" , sur le tampon que des fonctionnaires kurdes appliquent sur les passeports, rien ne signale au voyageur qu'il est entré au pays qui plonge depuis deux ans dans le chaos. Aucun drapeau irakien ne flotte ici, seulement des drapeaux kurdes. Et seules des inscriptions en kurde s'affichent dans des villes en plein "boom" économique, qui semblent, comparées à celles d'Irak, des oasis de calme, sinon encore de prospérité.Le président Massoud Barzani, élu par un Parlement régional à la tête de la région autonome du nord de l'Irak, affirme "le droit des Kurdes d'Irak à l'autodétermination" , qu'ils exerceront, précise-t-il, "si l'occasion s'en présente" . C'est du moins la promesse qu'il fait à la population. Celle-ci a volontiers participé aux manifestations organisées ici durant les négociations pour l'adoption d'une Constitution à Bagdad, afin de réclamer l'indépendance.

"Nous allons boycotter le référendum sur la Constitution si elle ne reconnaît pas notre droit à l'autodétermination" , assure Halkout Abdallah, un des organisateurs des manifestations. Ils se présentent comme "non gouvernementaux" , mais les autorités leur ouvrent largement avenues centrales, stades et écrans de télévision. Ils affirment avoir déjà recueilli près de 2 millions de signatures (pour 4 millions d'habitants...) en faveur de l'indépendance du Kurdistan lors d'une consultation menée, début 2005, en marge des élections législatives irakiennes.

La plupart des habitants interrogés confirment ce rêve d'indépendance. Mais certains y mettent un bémol, comme ce groupe de "jeunes en colère" : "Tout ça, c'est du cinéma, ce sont encore les Américains qui vont décider de notre avenir, car nos dirigeants sont les mêmes que sous Saddam, corrompus et incapables de s'entendre." Ils évoquent ainsi ce que chacun, ici, appelle "la guerre fraternelle" , ou "suicidaire" ­ celle qui a opposé dans les années 1990 les partisans de Massoud Barzani et son Parti démocratique du Kurdistan (PDK) à Jalal Talabani et son Union patriotique du Kurdistan (PUK).


DEUX AÉROPORTS


Ce dernier, devenu président de l'Irak, ne réside plus guère dans son fief de Souleimaniyé, dans le sud frontalier de l'Iran. Massoud Barzani n'en joue que plus la carte autonomiste, à partir de la "capitale" Erbil, dans le nord frontalier de la Turquie. Tous deux assurent vouloir achever l'unification de la région, dotée d'un Parlement et, théoriquement, de forces armées communes, les Peshmergas.

"Mais ce n'est qu'une fiction" , avoue sans hésiter un responsable du PUK. Les deux partis et leurs troupes restent maîtres dans leurs zones respectives, avec leurs propres ministres et des bureaux de représentation chez les voisins. Leur rivalité se fait sentir partout : Erbil et Souleimanyié ont ouvert chacune leur propre "aéroport international", elles ont chacune une agence de développement pour les investisseurs et des réseaux de téléphone cellulaire incompatibles entre eux.

"Nous avons pris du retard dans l'unification car nous avons dû nous concentrer sur les questions déterminantes pour notre avenir, Kirkouk et la Constitution" , assure Sefin Dizayee, un dirigeant du PDK. En ajoutant qu'il est légitime de chercher à traduire les rêves en réalité, mais que le principal reste d'"éviter qu'ils ne deviennent des cauchemars" .

Sophie Shihab
Article paru dans l'édition du 24.08.05