Les Kurdes marchent vers leur autonomie

mis à jour le Mercredi 25 juillet 2012 à 12h00

lefigaro.fr | Georges Malbrunot

Après leurs frères d'Irak en 2003 à la chute de Saddam Hussein, les Kurdes de Syrie (10 % de la population) profitent du chaos actuel pour prendre leur destin en main.

Il est minuit moins cinq dans les régions kurdes du nord de la Syrie. Les unes après les autres, les villes échappent au contrôle de Bachar el-Assad pour passer entre les mains de cette minorité non arabe, longtemps opprimée par le pouvoir central à Damas. Après leurs frères d'Irak en 2003 à la chute de Saddam Hussein, les Kurdes de Syrie (10 % de la population) profitent du chaos actuel pour prendre leur destin en main. «Les districts de Qabaneh, d'Afrine, d'Amouda, de Derika Hamko et de Girhelaghé sont désormais gérés par les Kurdes, affirme Khaled Issa, un responsable kurde en exil à Paris. Il ne reste plus que les villes de Qameshli, Ras al-Aïn, Der Bassié où des discussions sont engagées entre les Kurdes et les autorités locales pour assurer un transfert en douceur du pouvoir.» Car jusqu'à présent, à la différence des zones à majorité sunnite où rebelles et forces loyales à el-Assad s'affrontent, chez les Kurdes, le transfert des responsabilités s'effectue sans trop de violences. Il faut dire que depuis le début de l'insurrection, ces derniers avaient affiché un attentisme prudent.

L'obstacle turc

«À Qamishli, par exemple (250.000 habitants), les trois entrées principales sont gardées par des Kurdes, poursuit Issa, mais les partisans du PYD, la principale faction kurde, ont envoyé des émissaires négocier avec les responsables des administrations. Ceux-ci ont peur. Mais nous leur avons promis de leur réserver le même traitement que dans les villes qui sont déjà passées sous notre contrôle.» Là, les chefs de la sécurité et du parti unique au pouvoir, le Baas, ont été priés de déguerpir. Mais les fonctionnaires, eux, ont été appelés à retourner au travail. Objectif: tout faire pour éviter un vide du pouvoir. Quant à la sécurité, elle est assurée par les «unités de défense populaire», des civils armés encadrés par le PYD, qui se préparait depuis la fin de l'année dernière.

Dans leur lente marche vers l'autogestion, les Kurdes avaient en effet patiemment mis sur pied des structures paral­lèles, misant sur la crainte du régime de Damas de s'aventurer si près de la Turquie. Le 9 juillet dernier, sous l'égide de Massoud Barzani, un des leaders kurdes d'Irak, les Kurdes syriens ont réuni leurs deux principales forces (PYD et Conseil national kurde) dans un Conseil du peuple.

Contrairement aux Kurdes d'Irak, ceux de Syrie assurent ne pas lutter pour l'indépendance. «Notre modèle est une autogestion démocratique, mais pas le séparatisme», jure Khaked Issa. Reste que, comme au Kurdistan irakien de l'après-Saddam Hussein, le drapeau syrien a vite été remplacé par les fanions kurdes. Si les agents baasistes ont disparu d'une large partie du paysage kurde, des obs­tacles subsistent sur la voie de cette autonomie rêvée.

Zones grises

Le premier est intérieur à la mosaïque syrienne. Il est incarné par les tribus arabes, présentes dans certaines enclaves comme Tel-Abiat ou la ville de Hassetche - toujours sous le contrôle d'un pouvoir qui veille sur les gisements de gaz et de pétrole - mais aussi dans les cités périphériques, comme Raqqa et Deir ez-Zor. «Dans ces zones grises, les tribus peuvent faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, redoute Khaled Issa. C'est pourquoi nous sommes en contact avec leurs représentants pour leur faire comprendre que notre stratégie repose sur l'unité de la Syrie et non pas sur la sécession.» Malgré ces assurances, dans certaines villes comme à Terbaspi, des affrontements ont éclaté entre Kurdes et Arabes.

Le second danger pour les Kurdes vient de la Turquie, voisine. Pour Ankara, les velléités autonomistes des Kurdes syriens sont d'autant plus inacceptables que le PYD est proche du PKK (le parti des Kurdes de Turquie), l'ennemi juré d'Ankara. À en croire des responsables kurdes, la Turquie aurait déjà activé sa capacité d'obstruction antikurde. «Les services de renseignements turcs agitent les tribus arabes pour mettre en difficulté notre nouvelle administration», regrette un autre responsable kurde.

D'autre part, la Turquie chercherait à renvoyer un certain nombre de réfugiés syriens - arabes pour la plupart - de l'autre côté de la frontière, pour y freiner les aspirations kurdes. Enfin, Ankara ne se prive pas d'exercer des pressions sur le Conseil national syrien (CNS), la principale formation de l'opposition, qui est abritée en Turquie.

La récente déclaration du patron du CNS, Abdel Bassit Sayda, en serait une preuve évidente, selon les Kurdes. «Nous ne voulons pas de drapeau kurde, mais uniquement celui de l'indépen­dance», a insisté Sayda, en sortant d'un entretien avec le chef de la diplomatie ­turque, Ahmet Davutoglu. «Plus que jamais, notre stratégie doit éviter les conflits, aussi bien avec les composantes non arabes de Syrie, qu'avec la Turquie, martèle Issa. Nous devons montrer à tous que nous ne nourrissons pas le dessein de créer un grand État kurde à partir de la Syrie.»