Les Kurdes, les grands oubliés du conflit syrien

mis à jour le Vendredi 30 mars 2012 à 12h00

Nouvelobs.com | Par Khaled Yacoub Oweis

ISTANBUL (Reuters) - Les Kurdes de Syrie, qui représentent environ dix pour cent de la population, sont les grands oubliés du soulèvement vieux d'un an contre le régime de Bachar al Assad.

"La question kurde est une bombe à retardement. On ne peut attendre la chute de Bachar al Assad pour la régler!", se lamente Radif Moustafa, l'un des défenseurs de longue date de la cause kurde.

Les espoirs des Kurdes syriens ont été douchés lors de la réunion, cette semaine à Istanbul, du Conseil national syrien (CNS), dominé par les islamistes, qui a refusé une demande de reconnaissance de cette importante minorité et ses revendications autonomistes.

Adversaires de longue date du parti Baas au pouvoir à Damas depuis des décennies, les Kurdes syriens sont pourtant restés, en grande partie, soigneusement à l'écart des dernières manifestations.

Pour le cercle de réflexion britannique Henry Jackson Society, le ralliement des Kurdes au mouvement d'insurrection anti-Assad pourrait cependant se révéler décisif et faire pencher la balance.

Mais leurs profondes divisions internes et la méfiance des Kurdes à l'égard du CNS et des autres mouvements d'opposition arabes font que cette communauté ne s'est pas vraiment associée jusqu'ici à la lutte armée.

La réunion d'Istanbul s'est achevée sur un accord visant à élargir le CNS assorti d'une promesse de réconciliation et de création d'un Etat démocratique une fois le régime Assad renversé.

Les Kurdes ont alors quitté les débats en refusant de signer la déclaration finale omettant toute référence à leurs droits propres en tant que communauté, le texte d'Istanbul se contentant d'une promesse de reconnaissance des droits individuels de tous les Syriens.

TENTATION SÉCESSIONNISTE?

Contrairement à l'Irak, où les Kurdes ont obtenu la création d'une région semi-autonome dans le Nord, les dirigeants kurdes syriens affirment ne vouloir qu'un système fédéral leur garantissant la citoyenneté, le droit de propriété, un système éducatif en langue kurde et une répartition équitable des recettes budgétaires.

Les Kurdes vivent pour la plupart dans l'est, riche en pétrole, de la Syrie et dans le nord-est limitrophe de la Turquie, dans la région rurale d'Ifrine. D'importants quartiers de Damas et d'Alep, la capitale économique située à moins de 50 km de la frontière turque, sont aussi dominés par des Kurdes.

Certains dans les rangs de l'opposition syrienne ne cachent pas leurs craintes de voir les revendications des Kurdes déboucher sur une tentation sécessionniste.

En outre, insistent-ils, leur accorder trop de droits risquerait de déplaire à la Turquie, qui a déjà maille à partir avec sa propre et remuante minorité kurde, et d'affaiblir le soutien apporté par Ankara au soulèvement syrien.

"La priorité reste de faire chuter Bachar al Assad", explique l'une des figures de l'opposition, le sunnite Najati Tayyara, très respecté des Kurdes.

La mouvance kurde de Syrie a la particularité d'être extrêmement fragmentée, avec des partis régionaux kurdes soutenant des groupes rivaux. Il existe même une formation kurde syrienne qui a pris fait et cause pour le régime de Damas.

La plupart des partis kurdes se sont rassemblés cette année sous la bannière du Congrès national kurde (CNK) pour soutenir le soulèvement syrien et plaider la cause kurde.

UNE "LIGNE ROUGE" POUR ANKARA

Le CNK, qui bénéficie du soutien du gouvernement régional au pouvoir au Kurdistan irakien, est la principale faction kurde à avoir claqué la porte lors de la réunion d'Istanbul.

L'autre grande faction kurde syrienne, le Parti de l'union démocratique (PUD), a l'appui du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, formation kurde de Turquie qui prône la lutte armée contre le gouvernement central d'Ankara) et se tient à l'écart de toutes les activités de l'opposition.

Le père de Bachar al Assad, Hafez, décédé en 2000, avait donné l'asile politique durant de longues années à Abdullah Öcalan, le chef du PKK turc, avant de le renvoyer à l'étranger où il a fini par se faire enlever par des agents secrets turcs. "Apo" croupit actuellement dans une prison d'une île de la mer Egée.

Bachar al Assad a, pour sa part, coopéré avec les Turcs pour réprimer les maquisards du PKK dans le cadre d'un réchauffement des relations entre Damas et Ankara.

Un nouveau soutien de Damas au PKK constituerait une nouvelle "ligne rouge" pour Ankara, qui s'est élevé contre la répression par le régime de Damas des manifestations prodémocratiques ainsi que contre l'escalade du conflit.

Le PUD, considéré comme un obligé de Damas, est accusé par l'opposition syrienne d'agir au nom du régime en place en réprimant les manifestations dans les régions kurdes et en assassinant des militants anti-Assad.

Au début de la révolte syrienne, Bachar al Assad a fait des concessions aux Kurdes en promulguant notamment un décret accordant la nationalité syrienne aux Kurdes qui en avaient été privés à la suite d'un recensement remontant aux années 1960.

Mais d'après des activistes kurdes, seuls 6.000 des quelques 150.000 Kurdes apatrides ont en fait retrouvé la nationalité syrienne et la plupart des mesures discriminatoires, comme l'interdiction de l'enseignement de la langue kurde, sont toujours en place.



Jean-Loup Fiévet pour le service français, édité par Tangi Salaün