Les Kurdes de Turquie entre violence et détresse

InfoPar Marc SEMO - mardi 4 avril 2006

Les récentes manifestations, les plus violentes depuis dix ans, révèlent une situation sociale explosive qui domine au sein de cette minorité.

Il y a de nouveau urgence en Turquie. Les émeutes kurdes qui ont fait quinze morts depuis le début de la semaine dernière, dans le sud-est du pays et à Istanbul, relancent le débat sur la nécessité de mieux intégrer cette minorité.

Lancées par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) qui mène la rébellion kurde depuis 1984, ces manifestations ont été les plus violentes depuis une décennie. Elles se sont déroulées aux cris de «liberté pour Abdullah Öcalan», le leader du PKK arrêté en 1999 et condamné à la prison à vie. Mais la jeunesse des émeutiers, pour la plupart âgés de 13 à 18 ans, rappelle aussi à quel point la situation sociale reste explosive dans le Kurdistan turc, six ans après la fin de la «sale guerre» (1984-1999) entre les rebelles kurdes et l'armée qui fit 37000 morts et quelque trois millions de déplacés. En juin 2004, le PKK avait repris les opérations militaires, mettant fin à son cessez-le-feu unilatéral et tuant l'an dernier 84policiers et militaires.

Ces tensions inquiètent l'Union européenne alors que la Turquie a commencé depuis le 3 octobre ses négociations d'adhésion. A Bruxelles, le commissaire à l'élargissement Olli Rehn a demandé à Ankara «de se retenir d'utiliser une force excessive». Le message a été entendu à Ankara qui, sous pression de l'UE depuis trois ans, a lancé des réformes en faveur des droits culturels des minorités. Et notamment en faveur des Kurdes, qui représentent 15% de la population du pays. Mais elles étaient jusqu'ici restées bien timides. «Nous n'allons pas faire marche arrière dans la voie de la démocratie, des libertés et du droit», a lancé le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, issu du mouvement islamiste, mardi. Mais il affirmait dans le même temps que son gouvernement ne permettrait pas que le PKK se serve de la pauvreté prévalant dans ces régions: «Ceux-ci (les membres du PKK) veulent que ces villes soient pour toujours condamnées à la pauvreté (…). Leur idéologie repose sur la haine, mais nous allons à chaque fois investir davantage, construire un hôpital, une école ou un commerce dans le Sud-Est.» Il s'est refusé en outre à tout dialogue avec le principal parti pro-kurde, le DTP (Parti de la Société Démocratique), tant que celui-ci ne reconnaîtra pas le PKK comme une organisation terroriste, à l'instar de la Turquie, des Etats-Unis et de l'Union européenne.

Le DTP, prônant la lutte non violente pour les droits kurdes, avait été créé l'an dernier à l'initiative notamment de deux anciens députés kurdes Leyla Zana et Orhan Dogan, emprisonnés pendant dix ans pour complicité avec le terrorisme. Ces derniers jours, le secrétaire général du parti, Ahmet Türk, avait appelé à stopper «les violences, parce que la violence appelle la violence». Mais une demi-douzaine d'élus de ce parti ont été mis sous enquête ces derniers jours pour apologie de la rébellion, dont Osman Baydemir, proche du DTP et maire de Diyarbakir, principale ville du sud-est et cœur des émeutes. Il s'était activé pour calmer les jeunes manifestants, tout en saluant «leur courage» afin de les amadouer. La marge de manœuvre de ce parti est d'autant plus étroite qu'il ne veut ni ne peut se démarquer du PKK. «Dans le combat légal et démocratique des Kurdes, ceux qui sont contre Öcalan n'ont aucun soutien populaire», se justifient les cadres du DTP.

Abdullah Öcalan continue du fond de sa prison à diriger ce qui reste du PKK, apparemment 5000 combattants reclus dans les montagnes de l'Irak du nord et quelques maquis en Turquie. Les violences, comme la reprise de la guérilla et les attentats, servent au PKK en perte de vitesse à rappeler son pouvoir de nuisance. Il veut ainsi s'imposer comme l'incontournable interlocuteur des autorités turques. Celles-ci refusent.

En Irlande du nord ou au Pays-Basque, les négociations pour mettre fin à la lutte armée ont eu lu parce que le Sinn Fein ou Herribatasuna, respectivement vitrines politiques de l'IRA et de l'ETA ont pu, au moins en apparence, s'imposer à la place des organisations armées. Mais Abdullah Öcalan, lui, tient à rester le seul patron d'un mouvement qu'il a toujours tenu d'une main de fer, éliminant physiquement ceux qui pouvaient lui faire de l'ombre.

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