Les Kurdes de Turquie dénoncent les conditions de détention d'Abdullah Öcalan


5 novembre 2008 | ISTANBUL CORRESPONDANCE | Guillaume Perrier

Il a suffi d'une rumeur pour mettre le feu aux poudres. Le 17 octobre, les avocats du leader historique du Parti des travailleurs kurdes (PKK), Abdullah Öcalan, dénonçaient de mauvais traitements infligés à leur client. L'unique pensionnaire de l'île-prison d'Imrali aurait été maltraité par ses gardiens, rapportaient-ils, après lui avoir rendu visite.

"Deux gardiens l'ont attrapé par les bras et un troisième l'a poussé vers l'avant. C'est la première agression physique. Jusqu'ici il n'avait subi que des menaces de mort et des insultes", raconte Hatice Korkut, une avocate d'Öcalan.


AFP/RAMZI HAIDAR
Le dirigeant historique du PKK, Abdullah Ocalan, purge une peine de prison à vie sur une île de la mer de Marmara - ici, une manifestation en son honneur le 26 octobre 2008.

Bousculé ? Torturé ? La nouvelle, démentie par les autorités turques, a immédiatement provoqué des manifestations de colère dans les villes kurdes. Depuis plus de deux semaines, pas une journée ne passe sans de nouvelles émeutes. A Van ou Diyarbakir, des dizaines de voitures ont été brûlées et des groupes d'adolescents attaquent les véhicules blindés à coups de pierres. Ces scènes de guérilla urbaine surviennent même dans les cités sans histoire et s'étendent aux quartiers populaires d'Istanbul.

A Bruxelles, Strasbourg ou Beyrouth, les partisans du PKK se sont également fait entendre. Et dimanche 2 novembre, la tension est encore montée d'un cran. A Hakkari, le siège local de l'AKP, le parti au pouvoir, a été soufflé par une explosion, à la veille de la visite du premier ministre Erdogan. A Diyarbakir, un sit-in de deux jours a été organisé par les élus kurdes du DTP (parti de la société démocratique), à côté de la base militaire de la ville, pour protester contre la politique du gouvernement et soutenir Abdullah Öcalan. Enfin, à Istanbul, un rassemblement sur la place Taksim a été interdit. Vingt-sept manifestants ont été arrêtés, alors que le quartier était quadrillé par la police anti-émeutes.

En tournée dans le Sud-Est, Recep Tayyip Erdogan a répliqué vivement à cette campagne menée, selon lui, par le parti prokurde dans la perspective des municipales de mars. "Une nation, un drapeau, un peuple, un Etat... Ceux qui ne sont pas d'accord avec ce principe peuvent quitter le pays" a lancé M. Erdogan. Il a également pris parti en faveur d'un "citoyen turc" qui dimanche, à Istanbul, a ouvert le feu au fusil à pompe sur un groupe de manifestants. "La patience a ses limites", a-t-il dit.

La Turquie pensait pourtant en avoir terminé avec Abdullah Öcalan lorsqu'en 1999, "Apo" fut capturé à Nairobi, au Kenya, au terme d'une cavale rocambolesque. Condamné à mort, Öcalan a finalement vu sa sentence commuée en prison à vie, en 2002, après l'abolition de la peine capitale par Ankara. Mais depuis sa cellule, sur l'île-prison d'Imrali, au milieu de la mer de Marmara, son aura demeure intacte et son sort provoque régulièrement des poussées de fièvre.

En 2007, une analyse de son sang avait révélé la présence d'une quantité importante de chrome et de strontium. Ses avocats avaient évoqué un empoisonnement. "Le peuple kurde perçoit ce qui est fait à Öcalan comme une atteinte à sa propre intégrité, estime le député de Sirnak, Hasip Kaplan. Nous voulons qu'une commission parlementaire examine les conditions de sa détention."

Les défenseurs des droits de l'homme dénoncent l'isolement total auquel est soumis le leader kurde. "Quand nous allons le voir, il y a deux vitres entre nous, jamais de contact physique, décrit son avocate. Les conversations sont surveillées par une dizaine de gardiens. Son courrier est épluché et censuré. Il est enfermé 23 heures sur 24 et a droit à une radio qui tombe régulièrement en panne."

Le quotidien Zaman estime à environ 60 000 euros par jour le coût de cette détention sous haute sécurité. Un millier de soldats sont mobilisés pour garder ce prisonnier "VIP" devenu encombrant pour la Turquie et qui, selon le gouvernement, continue de dicter ses ordres par l'intermédiaire de ses avocats. D'autres soulignent les incohérences de ses déclarations récentes et évoquent une possible manipulation par les forces de sécurité. La question d'un transfert se repose. "Le maintenir dans une prison spéciale, constate le chercheur Sedat Laçiner, contribue à sa légende."